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de différentes modifications. Mais ce n'est pas assez de leur donner le caractère qui leur est propre, il faut encore les modifier suivant les sentimens que nous devons éprouver en écrivant. Vous ne parlerez pas avec le même intérêt de la gloire et du jeu; car vous n'avez pas et vous ne devez pas avoir une passion égale pour ces deux choses : vous n'en parlerez pas non plus avec la même indifférence. Réfléchissez donc sur vous-même, Monseigneur : comparez le langage que vous tenez lorsque vous parlez des choses qui vous touchent, avec celui que vous tenez lorsque vous parlez des choses qui ne vous touchent pas; et vous remarquerez comment votre discours se modifie naturellement de tous les sentimens qui se passent en vous. Quand vous prenez vos leçons en pénitence, vous êtes triste, je suis sérieux, et les leçons sont aussi tristes que vous, et aussi sérieuses que moi. N'êtes-vous plus en pénitence ? ces mêmes leçons deviennent un jeu : elles nous amusent l'un et l'autre, et nous trouvons du plaisir jusques dans les choses qui paroîtroient faites pour nous ennuyer.

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!

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prennent férens ,

.

Le caractère du style doit donc se for-
mer de deux choses : des qualités du sujet
qu'on traite, et des sentimens dont un
écrivain doit être affecté.

Chaque pensée, considérée en elle-même, Les memes pen:
peut avoir autant de caractères, qu'elle est suivant les circeno
susceptible de modifications différentes: il
n'en est pasde même, lorsqu'on la considère
comme faisant partie d'un discours. C'est
à ce qui précède, à ce qui suit, à l'objet
qu’on a en vue, à l'intérêt qu'on y prend,
et en général aux circonstances où l'on
parle , à indiquer les modifications aux-
quelles on doit la préférence ; c'est au
choix des termes , à celui des tours , et
même à l'arrangement des mots, à expri-
mer ces modifications : car il n'est rien
qui n'y puisse contribuer. Voilà pourquoi,
dans un cas donné, quel qu'il soit, il y a
toujours une expression qui est la meilleure,
et qu'il faut savoir saisir.

Nous avons donc deux choses à considé-
rer dans le discours : la netteté et le carac-
tère. Nous allons rechercher ce qui est
nécessaire à l'une et à l'autre.

LIVRE PREMIER.

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Pour savoir com. nat nous lemons écrire il

nous concevons.

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Des constructions.

La netteté du discours dépend sur-tout savoir comment des constructions, c'est-à-dire, de l'arran

gement des mots. Mais comment connoîtrons-nous l'ordre que nous devons donner aux mots, si nous ne connoissons

pas

celui que les idées suivent , quand elles s'offrent à l'esprit ? Découvrirons-nous comment nous devons écrire, si nous ignorons comment nous concevons ? Cette recherche vous paroîtra d'abord difficile; cependant elle se réduit à quelque chose de bien simple. En effet, lorsque nous concevons, nous ne faisons et ne pouvons faire que

' des jugemens; et, si nous observons notre esprit, lorsqu'il en fait un, nous saurons ce qui lui arrive, lorsqu'il en fait plusieurs.

CHAPITRE PREMIER.

De l'ordre des idées dans l'esprit, quand on porte des jugemens.

A L'OCCASION des Grecs, je puis pen-anton pode tesliées a

un jgment, tonrenferm s'offen en m me-temps à

ser aux fables qu'ils ont imaginées, comme
à l'occasion des fables je puis penser aux espet.
Grecs. L'ordre dans lequel ces idées nais-
sent en moi n'a donc rien de fixe.

Mais, lorsque je dis : les Grecs ont imaginé des fables, ces, idées ne suivent plus aucun ordre de succession : elles me sont toutes également présentes au moment que je prononce les Grecs. Voilà ce qu'on appelle juger : un jugement n'est donc que le rapport apperçu entre des idées qui s'offrent en même-temps à l'esprit.

Quand un jugement renferme un plus grand nombre d'idées, nous n'en découvrons les rapports que parce que nous les saisissons encore toutes ensemble. Car pour juger, il faut comparer, et on ne compare pas des choses qu'on n'apperçoit

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pas en même temps. Lorsque je dis, les Grecs ignorans ont imaginé des sables grossières , non-seulement j'apperçois le rapport des Grecs aux fables imaginées ; mais j'apperçois encore, au même instant, le caractère d'ignorance que je donne aux Grecs, et celui de grossièreté que je donne aux fables. Si toutes ces choses ne s'offroient pas à la fois à mon esprit, je les modifierois au hasard : il pourroit m'arriver de dire, les Grecs éclairés ont imaginé des fables raisonnables; et je ne saurois pourquoi je préférerois une épithète à une autre. Il est vrai que je puis d'abord avoir dit seulement, les Grecs ont imaginé des fables, et avoir ensuite ajouté les caractères d'ignorance et de grossièreté. Par-là je n'aurai achevé ce jugement qu'en deux reprises; mais enfin je ne puis m'assurer qu'il est exact dans toutes ses parties , que parce que je l'embrasse dans toute son étendue.

Je dis plus : c'est que, si votre esprit sent a la fece il fagyos que deux jugemens ont quelque rapport rapport entre eux l'un avec l'autre, il faut nécessairement

qu'il les saisisse tous les deux à la fois. Les Grecs étoient trop ignorans pour ne

Denx jugemiens sont méme prés ns à fois, lorsqu'on apperçoit quelque

.

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