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autre côté; mais que tout fût perdu, aussitôt qu'on blessoit, en quelque sorte, son commerce ou qu'on gagnoit un pouce de terre vers ses états. Pellisson.

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Il semble plusieurs fois que Pellisson va finir, et cependant il continue toujours. Voilà le défaut où l'on tombe lorsqu'on veut lier ensemble des phrases qui ne se lient pas naturellement. Il seroit bien mieux de les séparer par des repos.

Il y a des écrivains qui s'occupent à entremêler les phrases longues et les phrases courtes; mais l'esprit qui s'arrête à ce petit méchanisme, n'est pas capable de se porter sur le fond des choses. Si on considère que les pensées qui forment le tissu du discours, n'ont pas chacune le même nombre d'accessoires, on jugera que les phrases seront · naturellement inégales toutes les fois qu'on les aura rendues avec les accessoires qui leur sont propres.

On est long parce que l'on conçoit mal.

CHAPITRE I V.

Des longueurs.

DANS
tout discours il y a une idée par
où l'on doit commencer, une par où l'on
doit finir, et d'autres par où l'on doit passer.
La ligne est tracée; tout ce qui s'en écarte
est superflu. Or on s'en écarte en insérant
des choses étrangères, en répétant ce qui
a déjà été dit, en s'arrêtant sur des détails
inutiles. Ces défauts, s'ils sont fréquens,
refroidissent le discours, l'énervent, ou
même l'obscurcissent. Le lecteur fatigué
perd le fil des idées qu'on n'a pas su lui
rendre sensible: il n'entend plus, il ne
sent plus, et les plus grandes beautés au-
roient peine à le tirer de sa léthargie.

On seroit court et précis si on concevoit bien, et dans leur ordre, toutes les pensées qui doivent développer le sujet qu'on traite. C'est donc de la manière de concevoir que naissent les longueurs du style, vice contre lequel on ne sauroit trop se précautionner,

et qu'on n'évitera pas si on s'écarte des règles que nous avons tirées du principe de la liaison des idées. Venons à des exemples.

L'abbé du Bos veut dire que l'imitation ne nous remue que parce que des objets imités nous auroient remués; mais que l'impression en est moins durable, parce qu'elle est moins forte. Voici comment il expose cette pensée.

Les peintres et les poëtes excitent en nous les passions artificielles, en présentant des imitations des objets capables d'exciter en nous des passions véritables. Comme l'impression que ces imitations font sur nous est du même genre que l'impression que l'objet imité par le peintre ou par le poëte feroit sur nous: comme l'impression que l'imitation fait n'est différente de l'impression que l'objet imité feroit, qu'en ce qu'elle est moins forte, elle doit exciter dans notre ame une passion qui ressemble à celle que l'objet. imité auroit pu exciter: la copie de l'objet doit, pour ainsi dire, exciter en nous une copie de la passion que l'objet y auroit excitée. Mais comme l'impression

que l'imitation fait n'est pas aussi profonde que l'impression que l'objet méme auroit faite.... Cette impression superficielle, faite par une imitation, disparoit sans avoir des suites durables comme en auroit une impression faite par l'objet que le peintre ou le poëte a imité.

L'embarras des constructions de l'abbé du Bos, et ses répétitions prouvent les efforts qu'il fait pour rendre une pensée qu'il ne conçoit pas nettement. Il est long dans le dessein d'être plus clair; il en est plus obscur.

Cet écrivain avoit des connoissances, du jugement et même du goût : il est étonnant qu'il ne se soit pas fait un meilleur style. Il mérite d'être lu pour le fond des choses; il sera même utile à ceux qui veulent apprendre à écrire. Il les instruira par ses fautes, comme un pilote instruit par ses naufrages. Il fourniroit bien des exemples. Je n'en rapporterai plus que deux.

La ressemblance des idées que le poëte ou le peintre tire de son génie, avec les idées que peuvent avoir des hommes qui se trouveroient dans la méme situation

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le

où le poëte place ses personnages,
pathétique des images qu'il a conçues
avant que de prendre la plume ou le
pinceau, sont donc le plus grand mérite
des poésies, ainsi que le plus grand
mérite des tableaux. C'est à l'invention
du peintre et du poëte; c'est à l'inven-
tion des idées et des images propres à
nous émouvoir, et qu'il met en œuvre
pour exécuter son intention, qu'on dis-
tingue le grand artisan du simple ma-
nœuvre, qui souvent est plus habile ou-
vrier que
lui dans l'exécution. Les plus
grands versificateurs ne sont pas les plus
grands poëtes, comme les dessinateurs
les plus réguliers ne sont pas les plus
grands peintres.

Vous voyez le détour que prend cet écrivain pour dire qu'en peinture et en poésie tout le talent consiste dans le choix des sentimens et des images; et vous sentez la lourdeur de toutes ces distinctions, plume et pinceau, tableau et poëme, peintre et poëte.

Il étoit facile de dire, que comme la poésie du style consiste dans le choix des

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