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des idées je l'ai entièrement changé. J'ajouterai encore un exemple, que je prends dans Bossuet.

La reine partit des ports d'Angleterre à la vue des vaisseaux des rebelles qui la poursuivoient de si près, qu'elle entendoit presque leurs cris et leurs menaces insolentes. O voyage bien différent de celui qu'elle avoit fait sur la méme mer, lorsque venant prendre possession du sceptre de la Grande-Bretagne, elle voyoit, pour ainsi dire, les ondes se courber sous elle, et soumettre toutes leurs vagues à la dominatrice des mers! Maintenant chassée, poursuivie par ses ennemis implacables, qui avoient eu l'audace de lui faire son procès, tantôt sauvée, tantôt presque prise, changeant de fortune à chaque quart d'heure, n'ayant pour elle que Dieu et son courage inébranlable, elle n'avoit ni assez de vent ni assez de voiles pour favoriser sa fuite précipitée.

Il y a ici une petite faute: maintenant elle n'avoit; il falloit, elle n'a. Il me paroît encore qu'inébranlable est une épi-

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thète inutile. N'ayant que Dieu et son
dit assez que
le courage de la
reine est aussi grand qu'il peut l'être.

courage,

Vous voyez d'ailleurs que Bossuet a rapproché les idées qui contrastent, et c'est cela même qui en fait toute la liaison. Elle voyoit, dit-il, les ondes se courber sous elle et soumettre leurs vagues à la dominatrice des mers. Maintenant chassée, poursuivie, etc. Sa construction n'auroit pas eu la même grâce, s'il eût dit elle voyoit les ondes se courber sous elle, et soumettre leurs vagues à la dominatrice des mers: maintenant elle n'a ni assez de vent ni assez de voiles pour favoriser sa fuite précipitée: chassée, poursuivie par ses ennemis, tantôt sauvée, tantôt presque prise, n'ayant que Dieu et son courage.

CHAPITRE II.

Des inconvéniens qu'il faut éviter pour bien former le tissu du

discours.

LEs idées accessoires doivent toujours

Les accessoires mal choisis nuisent au tissu du

lier les idées principales: elles sont comme discours. la trame qui, passant dans la chaîne, forme

le tissu.

Par conséquent, tout accessoire qui ne sert point à la liaison des idées, est déplacé ou superflu. Bien des écrivains, estimés d'ailleurs à juste titre, paroissent n'avoir pas assez senti cette vérité.

La Bruyère, voulant montrer d'un côté Exemple. la nécessité des livres sur les mœurs, et de l'autre le but que doivent se proposer ceux qui les écrivent, s'embarrasse dans des idées qu'il démêle tout-à-fait mal. On entrevoit cependant une suite d'idées principales qui tendent au développement de sa pensée, et je vais les mettre sous vos

yeux, afin que vous puissiez mieux juger des défauts où il tombe.

Je rends au public ce qu'il m'a prété. Il peut regarder le portrait que j'ai fait de lui et se corriger.

L'unique fin qu'on doive se proposer en écrivant sur les mœurs, c'est de corriger les hommes; mais c'est aussi le succès qu'on doit le moins se promettre.

Cependant il ne faut pas se lasser de leur reprocher leurs vices: sans cela ils seroient peut-être pires.

L'approbation la moins équivoque qu'on en pût recevoir, seroit le changement des mœurs.

Pour l'obtenir, il ne faut pas négliger de leur plaire; mais on doit proscrire tout ce qui ne tend pas à leur instruc

tion.

Toutes ces pensées sont claires, et vous en saisissez la suite. Mais cette lumière va disparoître. Lisez :

Je rends au public ce qu'il m'a prété: j'ai emprunté de lui la matière de cet ouvrage, il est juste que l'ayant achevé avec toute l'attention pour la vérité,

dont je suis capable, et qu'il mérite de moi, je lui en fasse la restitution. Il peut regarder avec loisir le portrait que j'ai fait de lui d'après nature; et s'il se connoît quelques-uns des défauts que je touche, s'en corriger. C'est l'unique fin que l'on doit se proposer en écrivant, et le succès aussi que l'on doit moins se promettre. Mais comme les hommes ne se dégoûtent pas du vice, il ne faut pas aussi se lasser de le leur reprocher: ils seroient peut-être pires, s'ils venoient à manquer de censeurs et de critiques. C'est ce qui fait que l'on préche et que l'on écrit. L'orateur et l'écrivain ne sauroient vaincre la joie qu'ils ont d'étre applaudis; mais ils devroient rougir d'eux-mêmes, s'ils n'avoient cherché par leurs discours et par leurs écrits que des éloges: outre que l'approbation la plus súre et la moins équivoque est le changement des mœurs, et la réformation de ceux qui les lisent ou qui les écoutent. On ne doit parler, on ne doit écrire que pour l'instruction, et s'il arrive que l'on plaise, il ne faut pas néanmoins s'en

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