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Comment on

peut s'assurer d'avoir pris le langa

imagination, sans réflexion, est incapable du plus petit raisonnement. Il faut donc éviter d'exprimer le sentiment par un tour propre aux traits ou aux maximes; c'est ce que M. de Fontenelle n'a pas fait dans

ces vers:

Je ne crains rien pour moi, vous êtes immortelle.
Il ne faut pas aimer quand on a le cœur tendre.

Le premier est un trait à la place du sentiment; le second est le tour d'une maxime qui veut être ingénieuse.

Remarquez, Monseigneur, qu'on ne ge du sentiment. prononce pas de la même manière un trait, une maxime, un sentiment. Vous ne prendrez pas le même ton pour dire, il ne faut pas pleurer celui qui meurt pour sa patrie; et pour dire, quoi! vous me pleureriez mourant pour ma patrie? Je dis plus c'est que l'attitude de votre corps ne sera pas la même dans l'un et l'autre cas; vous ne ferez pas les mêmes gestes.

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Voulez-vous donc vous assurer d'avoir parlé le langage du sentiment? considérez si votre discours rend les accessoires qu'on devroit lire sur votre visage, dans vos yeux

et dans tous vos mouvemens. Vous verrez que les tours fins supposent un visage qui ne change que pour sourire à ce qu'il dit; et que les tours de maxime supposent un visage tranquille et froid.

Chaque passion a son geste, son regard, son attitude; elle a ses craintes, ses espérances, ses peines, ses plaisirs. Tout cela varie même suivant les circonstances, et doit avoir un caractère dans le discours comme dans l'action du corps. Si votre ame est sensible, la langue vous fournira toujours les tours propres au sentiment.

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CHAPITRE XIII.

telles

Des formes que prend le discours,
pour peindre les choses
qu'elles s'offrent à l'imagination.

Vous n'ignorez pas, Monseigneur, que

nous ne saurions réfléchir sans former des idées abstraites. Vous avez vu qu'en les formant, nous séparons les qualités des objets auxquels elles appartiennent, nous les considérons comme si elles existoient par elles-mêmes, et nous leur donnons une sorte de réalité. C'est pourquoi notre langage paroît leur attribuer les sentimens et les actions des êtres animés: nous disons: la loi nous ordonne, la vertu nous prescrit, la vérité nous guide, etc.

Nous allons plus loin : nous leur donnons un corps et une ame. Aussi-tôt elles agissent comme nous; elles ont nos vues, nos désirs, nos passions. Ces êtres se multiplient sous nos yeux, ils se répandent

dans la nature, nous les apostrophons, et nous semblons attendre leur réponse.

Nous sommes bien plus fondés à tenir cette conduite par rapport aux objets sensibles. Aussi tous les corps s'animent, tous, jusqu'aux plus bruts, ont leurs desseins; et nos discours ne portent plus que sur des fictions.

Ce langage t celui d'une imegi nation vivement

Ce langage doit être lié à la situation de l'écrivain. Il ne sauroit s'associer avec frappée. le sang-froid d'un homme qui raisonne ou qui analyse; il ne convient qu'à une imagination qui est vivement frappée d'une idée, et qui la veut peindre.

:

Fléchier pouvoit dire les villes que nos ennemis s'étoient déjà partagées sont encore dans le sein de notre empire; les provinces qu'ils devoient ravager ont cueilli leurs moissons, etc. Mais cet orateur, ayant l'imagination remplie du tableau des peuples ligués contre la France, et des succès de Turenne, qui dissipe toutes les armées ennemies, fait une apostrophe qui convient parfaitement à la situation de

son ame.

Villes que nos ennemis s'étoient déjà

Avec quelle précaution il faut per

partagées, vous êtes encore dans le sein de notre empire. Provinces qu'ils avoient déjà ravagées dans le désir et dans la pensée, vous avez encore recueilli vos moissons. Vous durez encore, places que l'art et la nature ont fortifiées, et qu'ils avoient dessein de démolir; et vous n'avez tremblé que sous des projets frivoles d'un vainqueur en idée, qui comptoit le nombre de nos soldats, et qui ne songeoit pas à la sagesse de leur capitaine.

Lorsqu'on personnifie les êtres moraux, il faut avoir égard aux idées qu'on s'en fait communément, et aux actions qu'on leur attribue: c'est à ces deux choses que tout ce qu'on en dit doit être lié.

La victoire, dit M. de Noyon en parounifier les étres lant de Louis XIV, asservie, et insépa

moraux.

le

rablement attachée au char de notre conquérant, lui doit encore plus que tribut qu'elle paie, et ne peut étre assez reconnoissante. Son trophée est formé des armes des ennemis de Louis le Grand; son front n'est couronné que des lauriers qu'il a lui-même cueillis; ses mains sont pleines de nos palmes; la France seule

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