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Les accessoires étant retranchés, la proposition subsisteroit encore: ce sont des idées qui ne sont pas absolument nécessaires au fond de la pensée, et qui ne servent qu'à la développer. Un prince qui aime la vérité, et qui veut se corriger, ne doit pas écouter les flatteurs : le sens et la vérité de cette proposition ne dépendent pas des accessoires que j'ai ajoutés au sujet, elle en est seulement plus développée; car qui aime la vérité et qui veut se corriger, fait voir pourquoi un prince ne doit pas écouter les flatteurs.

doit choisir.

Or le choix des accessoires n'est pas une comment on les chose indifférente; car, lorsque je fais une proposition, je compare deux termes, c'està-dire, le sujet et l'attribut: je les considère donc sous le rapport qu'ils ont l'un à l'autre, et je ne dois par conséquent rien ajouter, qui ne contribue à rendre ce rapport plus sensible, ou plus développé. Voilà ce que sont les accessoires · dans l'exemple précédent; ils démontrent la nécessité de ne pas écouter les flatteurs.

Si, pour en substituer d'autres, je disois: Règles pour le un prince qui est incapable d'applica

choix des accesso1res du sujet.

La règle est la

même pour les ac

cessoires de l'attribut.

tion, et qui craint d'étre contrarié dans
ses goûts frivoles, ne doit pas écouter
les flatteurs je ferois une proposition
peu raisonnable, ou même ridicule. Car
être incapable d'application et craindre
d'être contrarié dans ses goûts n'est pas
une raison pour ne pas
écouter les flatteurs.
Si je voulois donc conserver ce caractère au
prince, il faudroit changer l'attribut de
la proposition et par conséquent le fond de
la pensée je dirois, par exemple, un
prince qui est incapable d'application,
et qui craint d'étre contrarié dans ses
goûts frivoles, est fait pour étre le jouet
de ses flatteurs.

:

Quand on modifie le sujet d'une proposition, il le faut donc considérer relativement à ce qu'on en veut affirmer : il faut que les accessoires, dont on l'accompagne, contribuent à le lier avec l'attribut: par conséquent, c'est au principe de la plus grande liaison des idées à vous éclairer sur le choix des accessoires dont le sujet peut être accompagné.

Comme on considère le sujet par rapport à l'attribut, il faut considérer l'attribut

tribut déterminent

verbe.

par rapport au sujet; et toutes les modifications ajoutées de part et d'autre, doivent conspirer à les lier de plus en plus. Quant au verbe, il ne peut être modifié Le sujet et l'at que par des circonstances, et il est évident les accessoires du que le choix des circonstances ne peut être déterminé que par le nom et l'attribut, considérés ensemble. Tout ce qui ne tient pas à l'un et à l'autre, est au moins superflu: ce sont là deux points fixes, d'après lesquels l'écrivain doit terminer et circonscrire sa pensée.

Si une proposition est composée de plusieurs noms et de plusieurs attributs, la règle sera encore la même. On ne doit jamais ajouter que les accessoires qui contribuent à la plus grande liaison des idées: ce principe est général, et ne souffre point d'exception.

Souvent les écrivains deviennent diffus, par la crainte d'être obscurs, ou obscurs par la crainte d'être diffus. Mais si vous observez le principe de la liaison des idées, vous éviterez également ces deux inconvéniens. Peut-on manquer d'être clair et précis, quand on dit tout ce qui est nécessaire

Dans la plus grande liaison des idées

can tous les

est

l'unique régle

Il ne faut pass'appesantir sur une idée qu'on veut modifier.

au développement d'une pensée, et qu'on ne dit rien de plus.

J'ai déjà dit, Monseigneur, que les préceptes ne nous apprennent jamais mieux ce qu'il faut faire, que lorsqu'ils nous font remarquer ce qu'il faut éviter. Voyons donc comment on peut se tromper dans le choix des accessoires.

Quelquefois un écrivain croit modifier une pensée, lorqu'il s'appesantit pour dire une même chose de plusieurs manières. Or il est évident que ces répétitions embarrassent le discours, et nuisent par conséquent à la liaison des idées.

L'ennuyeux loisir d'un mortel sans étude est la plus rude fatigue que je connoisse si, pour ajouter des modifications à ce loisir, je dis : ce loisir est celui d'un homme qui est dans les langueurs de l'oisiveté, qui est esclave de sa láche indolence, on verra que je m'arrête sur une même idée, et que les accessoires de langueur et d'indolence ne caractérisent pas le loisir par rapport à l'idée de fatigue qui est l'attribut de la proposition. On doit donc blâmer Despréaux, lorsqu'il dit:

Mais je ne trouve pas de fatigue si rude
Que l'ennuyeux loisir d'un mortel sans étude,
Qui ne sortant jamais de sa stupidité,

Soutient dans les langueurs de son oisiveté,
D'une lâche indolence esclave volontaire,
Le pénible fardeau de n'avoir rien à faire.

Le dernier vers est beau, mais le poëte n'y arrive que bien fatigué.

Gardez-vous d'imiter ce rimeur furieux,
Qui de ses vains écrits lecteur harmonieux
Aborde en récitant quiconque le salue,
Et poursuit de ses vers les passans dans la rue.
Despréaux.

De ses vains écrits, lecteur harmonieux, ne fait que ralentir le discours. Dans la rue est inutile, et ne se trouve à la fin du vers que pour rimer à salue. Enfin les épithètes furieux, vains, harmonieux ne signifient pas grand chose, ou du moins sont bien froides. Cette pensée ne perdroit donc rien, si on se bornoit à dire gardez-vous d'imiter ce rimeur, qui aborde en récitant quiconque le salue, et poursuit de ses vers les passans. En ajoutant tout ce que je retranche, Despréaux a voulu peindre, et il répand en effet des

:

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