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& trois ans ,

OMME c'est ici'vrai-semblablement la dernière Edition de mes Ouvrages que je reverrai , &

qu'il n'y a pas d'aparence qu'agé, comme je suis , de plus de soixante

& accablé de beaucoup d'infirmités, ma course puisse être encore fort longue le Public trouvera bon que je prenne congé de lui dans les formes, & que je le remercie de la bonté qu'il a eue d'acheter tant de fois des Ouvrages si peu dignes de son admiration. Je ne sçaurois attribuer un si heureux succès qu'au soin que j'ai pris de me conformer toûjours à ses fentimens , & d'attraper autant qu'il m'a été possible , son goût en toutes choses. C'est effectivement à quoi il me semble que les Ecrivains ne sçauroient trop s'étudier. Un Ouvrage a beau être aprouvé d'un petit nombre de Connoilleurs, s'il r’est plein d'un certain agrément & d'un certain fel, propre à piquer le goût généyrai, que

ral des Hommes , il ne passera jamais pour : un bon Ouvrage; & il faudra à la fin que les Connoiffeurs eux-mêmes avouent qu'ils se' font trompés en lui donnant leur aprobation. Que li on me demande ce que c'est que cet agrément & ce fel, je répondrai que c'est un je ne sçai quoi qu'on peut beaucoup mieux sentir que dire. A mon ayis néanmoins , il consiste principalement. à ne jamais présenter au Lecteur que des pensées vraies & des expressions juftes. L'Esprit de l'homme eft naturellement plein d'un nombre infini d'idées confuses du

, que souvent il n'entrevoit qu'à demi ; & rien ne lui est plus agréable que lorsqu'on lui offre quelqu'une de ces idées bien éclaircie, & mise dans un beau jour. Qu'est-ce qu'une pensée neuve, brillante , extraora dinaire ? Ce n'est point, comme se le perfuadent les ignorans , une pensée que personne n'a jamais eue, ni due avoir. C'est au contraire une pensée qui a dû venir à tout le monde, & que quelqu'un s’avise le premier d'exprimer. Un bon mot n'est bon mod qu'en ce qu'il dit une chose que chacun pensoit , & qu'il la dit d'une manière vive fine & nouvelle. Considérons, par exemple, cette replique si fameuse de Louis douzième à ceux de ses Ministres qui lui curveilloient de faire punir plusieurs pertonnes , qui, sous le règne précédent ; &

que c'est

lorsqu'il n'étoit encore que Duc d'Orléans, avoient pris à tâche de le desservir. Un Roi de-France, leur répondit-il, ne vange point les injures d'un Duc d'Orléans. D'où vient que ce mot frappe d'abord, n'est-il pas aisé de voir

parce qu'il présente aux yeux une vérité que tout le monde senç & qu'il dit mieux que tous les plus beaux discours de Morale, Qu'un Roi lorsqu'il est une fois sur le Trône , ne doit plus agir par des mouvemens particuliers, ni avoir d'autre vúe que la gloire et le bien général de son Etat Veut-on voir au contraire, combien une pensée fausse est froide & puérile ? Je ne sçaurois raporter, un exemple qui le fasse mieux sentir que deux vers du Poété Théophile, dans sa Tragédie intitulée, Pyrame

Thisbé; lorsque cette malheureuse Amante ayant ramassé le poignard encore tout sanglant dont Pyrame s'étoit tué elle querelle ainsi ce poignard ,

Ah ! voici le poignard, qui du sang de son S'est souillé lâchement. Il en rougit le traitre.

Maitre

Toutes les glaces du Nord ensemble ne font pas , à mon sens , plus froides que cet

, te pensée. Quelle extravagance, bon Dieu ! de vouloir que la rougeur du sang , dont est teint le poignard d'un Homme qui vient

a s

pas moins

de s'en tuer lui-même, soit un effet de la honte qu'a ce poignard de l'avoir tué ? Voici encore une pensée qui n'est fausse , ni par conséquent moins froide. Elle est de Benserade, dans ses Métamorphoses en rondeaux, où parlant du Déluge envoyé par les Dieux, pour châtier l'infolence de l'Homme, il s'exprime ainsi :

Dieu lava bien la tête à Con Image.

fe

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Peut-on , à propos d'une aufli grande cho

à que le Déluge, dire rien de plus petit , ni de plus ridicule que ce quolibet , dont la pensée est d'autant plus fausse en routes manières; que le Dieu dont il s'agit en cet endroit , c'est Jupiter ; qui n'a jamais passé chez les Payens pour avoir fait l'Homme à fon image : l'Homme dans la Fable étant , comme tout le monde sçait, l'ouvrage de Prométhée.

Puis donc qu'une pensée n'est belle qu'en ce qu'elle est vraie , que l'effet infaillible du vrai , quand il est bien énoncé, c'est de frapper les Hommes , il s'ensuit que ce qui ne frape point les Hommes , n'est ni, beau ni vrai, ou qu'il est mal énoncé : & qùe par conséquent un Ouvrage qui n'est point goûté du Public, 'est un très-méchant Ouvrage. Le

gros

des Hommes peut bien durant

quelque tems , prendre le faux pouí

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:

Je vrai, & admirer de méchantes choses : mais il n'est pas possible qu'à la longue une bonne chose ne lui plaise ; & je defie tous les Auteurs les plus mécontens du Public, de me citer un bon livre que le Public ait jamais rebuté, à moins qu'ils ne mettent en ce rang leurs Ecrits, de la bonté desquels eux seuls sont persuadés. J'avoue meanmoins , & on ne le sçauroit nier , que quelquefois, lorsque d'excelens Ouvrages viennent à paroître , la Cabale & l'Envie trouvent moyen de les abaisser , & d'en rendre en aparence le succès douteux : mais cela ne dure guères ; & il en arrive de ces Ouvrages comme d'un morceau de bois qu'on enfonce dans l'eau avec la main : il demcure au fond tant qu'on l'y retient, mais bientôt la main venant à se lasser , il se relève & gagne le dessus. Je pourrois dire un nombre infini de pareilles chofes sur ce sujet , & ce feroit la matière d'un gros Livre: mais en voilà assez, ce me semble , pour marquer au Public ma reconnoissance, & la haute idée que j'ai de fon gout & de fes jugemens.

Parlons maintenant de mon Edition nouvelle. C'est la plus correcte qui ait encore paru ; & non - seulement je l'ai revue avec beaucoup de foin, mais j'y ai retouché de nouveau plusieurs endroits de mes Ouvrages. Car je ne suis point de ces Auteurs

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