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Enfin Malherbe vint ; & le premier en France,
Fic fentir dans les vers une jufte cadence :
D'un mot mis en la place enseigna le pouvoir ,
Et réduisit la Muse aux règles du devoir.
Par ce fage Ecrivain, la langue réparée
N'offrit plus rien de rude à l'oreille épurée.
Les Srances avec graces aprirent à tomber ;
Ec le vers sur le vers n'ola plus enjamber.
Tout reconnue ses loix, & ce Guide fidéle
Aux Auteurs de ce tems fert encor de modéle.
Marchez donc sur ses pas, aimez fa pureté ,
Et de son tour heureux imitez la clarté.
Si le sens de vos vers tarde à se faire entendre,
Mon esprit aussi-tôt commence à se détendre ;
Ec de vos vains discours prompt à se détacher,

à Ne suit point un Auteur. ,. qu'il faut toujours cher

cher. Il est certains Esprits , dont les sombres pensées Sont un nuage épais toujours embarrassées.. Le jour de la raison ne le sçauroit percer. Avant donc que d'écrire , aprenez à penser. (4) Selon que notre idée est plus ou moins obscureL'expression la fuit ou moins nette , ou plus pure. Ce que l'on conçoit bien, s'énonce clairement, Es les mois pour le dire arrivent aisémene.

Sur-tout, qu'en: vos écrits la langue révérée , Dans vos plus grands excès vous soit toujours fa

crée. En vain vous me frapez d'un fon mélodieux, Si le terme est impropre, ou le tour vicieux, Mon esprit n'admet point un pompeux Barbarisme.

(4) Ibiil. 11!. Verbaque provifam rem non in vita fequentut

Ni d'un vers empoulé l'orguëilleux Solécisme.
Sans la langue en un mor , l'Auteur le plus divin
Eft toujours , quoiqu'il fasse , un mauvais Ecrivain.
(5) Travaillez à loifir, quelqu'ordre qui vous presse,
Et ne vous piquez point d'une folte vitesse.
Un stile si rapide , & qui court er rimant
Marque moins trop d'esprit , que peu de jugement.
J'aime mieux un ruiffeau, qui sur la molle arène ,
Dans un pré plein de fleurs lentement se promène ,
Qu'un torrent débordé , qui d'un cours orageux
Roule, plein de gravier , sur un terrain fangeux.
Hârez-vous lencement , & sans perdre courage,
Vinge fois sur le métier remettez votre ouvrage..
Polissez-le sans cesse , & le repolissez ,
Ajoutez quelquefois, & souvent effacez.
C'est peu qu'en un ouvrage, où les fautes four-

millenc,
Des traits d'esprit femés de tems en tems pétillent.
Il faut que chaque chose y foit mise en son lieu ;

Que le début, la fin, répondent au milieu ;
Que d'un art délicat les piéces assorties
(7) N'y forment qu'un seul tout de diverses par-

ties:
Que jamais du sujet le discours s'écartant,
N'aille chercher trop loin quelque mot éclatant-

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(3) Ibid. v.292.

Carnem reprehendite , quod non
Multa dies & multa litura coërcuit, atque
Períectum decies non caftigavit ad unguem..

(6) Ibid. 152.
Primo ne medium, medio ne discrepet imum

6) Ibid. vf. 23.
Denique, fit quodvis simplex dumtaxas & unuta.

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Craignez-vous pour vos vers la censure publique ! Soyez-vous à vous-même un sévère Critique. L'ignorance toujours est prête à s'admirer.

Faites-vous des amis prompts à vous censurer , Qu'ils soient de vos écrits les Confidens fincères, Es de tous vos défauts les zélés adversaires. Dépouillez devant eux l'arrogance d'Auteur : Mais sçachez de l'ami difcerner le Flateur, Tel vous semble aplaudir qui vous raille & vous jouë: Aimez qu'on vous conseille , & non pas qu'on vous

louë. (8) Un Flâteur auffi-côt cherche à se recrier. Chaque vers qu'il entend le fait extasier. Tout est charmant , divin ; aucun mor ne le blesse Il crépigne de joye., il pleure de tendresse j Il vous comble par-tout d'éloges faftueux. La vérité n'a point cet air impétueux.

() Un sage ami , toujours rigoureux , inflexible

(8) Ibid, ul. 418.
Tu seu donatis, feu quid donare velis cui
Noliro ad veríus cibi factos ducere plenum
Lætitiæ , clamabit enim : pulcre, benè, recte,
Pallescer fuper his , etiam fillabit amicis
Ex oculis rorem , salier , tundec pede terram.
Ut , qui conducti plorant in funere, dicunt
Eç faciunt prope plura dolentibus ex animo: fic
Derifor vero plus laudatore movetur.

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9

(9) Ibid vs. 438.
Quinctilio fi quid recitares; corrige, sodes,
Hoc, aiebat , hoc; melius te posle negares
Bis, terque expertum fruftra , delere jubebat
Et malè tornatos incudi reddere versus , &c.
Vir bonus &c prudens versus reprehendet inertes,
Culpabir duros : incompris allinet atrum
Transverfo calamo signum ; ambitiosa recidec
Ornamenta : parum claris lucem dare coger,
Arguet ambigué dictum, mutanda nocabic.

2

Sur vos fautes jamais ne vous laissez paisible.
Il ne pardonne point les endroits négligés.
I1

renvoye en leur lieu les vers mal arrangés.
Il réprime des mots l'ambitieuse emphase.
Ici le sens le choque : & plus loin c'est la Phrase.
Votre construction femble un peu s'obfcurcir :
Ce terme est équivoque , il le faut éclaircir.
C'est ainsi que vous parle un ami véricable.
Mais fouvent sur ses vers, un Auteur intrairable
A les protéger tous se croit interessé,
Et d'abord prend en main le droit de l'offensé.
De ce vers , direz-vous, l'expression est basse.
Ah! Monsieur, pour ce vers je vous demande grace,
Répondra-t'il d'abord. Ce mot me semble froid ;
Je le retrancherois. C'est le plus bel endroit.
Ce tour ne me plaît pas. Tout le monde l'admire.
Ainsi toujours constant à ne se point dédire :
Qu'un mot dans son Ouvrage ait paru vous blesser :
C'est un citre chez lui pour ne point l'effacer.
Cependane , à l'entendre, il chéric la Critique,
Vous avez sur ses vers un pouvoir despocique.
Mais tout ce beau discours,dont il vient vous flûter,
N'est rien qu'un piége adroit pour vous les reciter.
Aussi-tộc il vous quitte , & content de sa Muse ,
S'en va chercher ailleurs quelque Far qu'il abuse..
Car souvent il en trouve. Ainsi qu'en sors Auteurs,
Notre siécle est fertile en fors Admirateurs.
Et sans ceux que fournic la Ville & la Province',
Il en est chez le Duc, il en est chez le Prince.
L'Ouvrage le plus plat a, chez les Courtisans,
De tout tems rencontré de zélés Parcisans ;
finir enfin

par un trait de Saiire, Un for trouve toujous un plus for qui l'admire.

Et , pour

CHANT II.

TELLE qu'une Bergère , au plus beau jour de

Fête

De superbes Rubis ne charge point fa tête,
Ec sans mêler à l'or l'éclar des Diamans,
Cuëille en un champ voisin ses plus beaux orne-

mens :

Telle, aimable en son air, mais humble dans son

stile ,

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Doit éclater sans pompe une élégante Idylle.
Son cour simple & na'if n'a rien de faftueux,
Et n'aime point l'orguëil d'un vers présomptueux.
Il faut que sa douceur fåte, chatouille, éveille,
Et jamais de grands mors n'épouvente-l'oreille.
Mais souvent dans ce stile un Rimeur aux abois
Jette-là, de dépit , la Flûte & le Haut-bois :
Et follement pompeux, dans sa verve indiscrette ,
Au milieu d'une Eglogue entonne la Trompette.
De peur de l'écouter ; Pan fuit dans les Roseaux :
Et les Nymphes, d'effroi, se cachent sous les Eaux.
Au contraire, cet autre objee en son langage,
Fait parler ses Bergers comme on parle au Village.
Ses vers plats & groffiers, dépouilles d'agrément,
Toujours baisent la terre , & rampent triftement.
On diroit que Ronsard, sur les Pipeaux ruftiques »
Vient encor ffedonner ses Idylles Gothiques,
Et changer', sans respect de l'oreille & du fon,
Lycidas en Pierrot , & Phyllis en Toinon.

Entre ces deux excés la route eft difficile..
Suivez, pour la trouver , Théocrite. & Virgile.

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