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idées. Cela arrive surtout lorsqu'on transporte dans sa langue naturelle les mots d'une langue étrangère, Comme nous ignorons le motif de la première imposition des noms, il est rare que nous puissions apprécier leur juste valeur; et nous n'avons pour règle qu'un usage qui varie, ou des autorités qui se combattent. Il faut donc qu'étant exprimée par des signes devenus arbitraires, la vérité perde à nos yeux ce qu'elle a de certain et d'évident. Dès lors, il n'est plus d'opinion qu'on ne puisse attaquer ou défendre avec des argumens également spécieux; rien d'absurde qu'on ne puisse ériger en principe; rien d'assuré qu'on ne puisse ébranler; et il ne reste à la bonne foi que l'ignorance ou le doute.

Les hommes ne seront heureux, dit Platon, que lorsqu'ils seront gouvernés par des philosophes. Voilà la philosophie sur un trône.

Où est le philosophe, dit Rousseau, qui, pour sa gloire, ne tromperait pas le genre humain? Voilà la philosophie sur des tré

taux.

Ainsi, la philosophie est tout ce qu'il y a d'excellent, de sublime; elle est tout ce qu'il y a de pernicieux, de vil.

Quand les choses en sont venues à ce point, quand les mêmes mots expriment ce qu'il y a de plus opposé, la parole n'est plus un bien, elle est un mal; elle devait rapprocher les esprits, unir les âmes: elle empêche toute communication d'idées et de sentimens.

Je ne puis donc pas vous dire ce que c'est que la philosophie. On a rendu cette définition impossible.

Nous avons appris, il est vrai, que philosophie est la même chose qu'amour de la sagesse, et que, pour les anciens, la sagesse était ce que les modernes appellent du nom de science. Mais quelle science devait-on cultiver pour mériter, et pour obtenir le titre de philosophe ?

Suffisait-il d'imaginer quelque système sur le débrouillement du chaos, sur le combat des élémens, sur la naissance des dieux et des hommes ? Fallait-il, comme Platon, dédaigner tout ce qui est sujet au changement; comme Anaxagore, passer sa vie dans la contemplation des astres; comme Socrate, se donner tout entier à la morale? Fallait-il, avec Zénon, soutenir que la douleur n'est pas un mal? Fallait-il rire avec Démocrite, pleurer avec Héraclite?

Les Grecs, auxquels nous devons le mot philosophie, ne savaient donc pas toujours eux-mêmes ce qu'ils disaient lorsqu'ils le faisaient entrer dans leurs discours; et, comme nous, ils l'employaient au hasard. Qui penserait que les Stoïciens, les graves Stoïciens, quand ils s'arrêtaient avec tant de complaisance sur les puérilités de la dialectique, fissent en effet de la philosophie, qu'ils fussent inspirés par le désir de la science, par l'amour de la sagesse ?

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Mais s'il faut renoncer à définir la philosophie; s'il est peu raisonnable de vouloir deviner ce qu'on entend par un mot que chacun entend à sa manière; et, si nous n'avons pas le droit de prescrire ce qu'il faut entendre, il nous sera permis du moins de dire ce que nous entendons.

Quel que soit le nombre de nos connaissances, quel qu'en soit l'objet, toutes peuvent être ramenées à deux points de vue. Ou nous faisons l'étude de ce qui est hors de nous, ou nous nous étudions nous-mêmes.

Des savans, pour expliquer l'ordre de l'univers, observent l'infinie variété des phénomènes qui produisent cet ordre. On les appelle physiciens.

D'autres observent les phénomènes non moins variés de la pensée et de la sensibilité; ils cherchent à en découvrir les lois. Nous les appellerons philosophes.

Les physiciens et les philosophes, après avoir également reconnu la nécessité d'un législateur suprême, se sont partagé la nature. Les premiers ont pris tout, à l'exception de l'esprit humain. Les derniers ne se sont réservé qu'eux-mêmes, que leur intelligence. Il se pourrait que leur part ne fût ni la moindre, ni la moins importante.

Depuis deux cents ans, la physique a fait des progrès que n'avaient jamais soupçonnés les siècles antérieurs, et qui feront l'étonnement de la postérité. Chaque jour éclaire des découvertes nouvelles, des prodiges nouveaux. Les observations naissent des observations, les expériences des expériences. L'immensité des faits, auparavant cachés dans le sein de la nature, et qui maintenant se laissent apercevoir, s'accroît d'année en année, et presque d'un moment à l'autre.

La philosophie, depuis la même époque, n'est pas moins riche en observations nouvelles sur ce que nous sentons au dedans de nous, que la physique sur ce que nous apercevons au dehors. Ses progrès, il est vrai, n'ont

le même éclat; ils ne frappent pas égalepas ment: mais qu'on pense à Bacon, à Descartes : de combien de préjugés ne nous ont-ils pas guéris! De combien d'erreurs, consacrées par l'assentiment des siècles, ne nous ont-ils pas désabusés! Et, après nous avoir si bien avertis de ne pas nous engager dans les fausses routes qu'ils venaient de signaler, quels soins ne se sont-ils pas donnés pour nous faire connaître la véritable, pour nous y placer, pour nous y guider!

Les aphorismes de Bacon et les règles de Descartes devaient former des disciples dignes de succéder à ces grands hommes. Aussi, l'héritage de leurs pensées s'est-il accru sans cesse des fruits de nouvelles méditations.

Tout a été examiné, discuté, analysé par le génie de Malebranche, de Locke, de Leibnitz, de Condillac, et par quelques autres philosophes dont les recherches utiles ou ingénieuses placent les noms à la suite de ces noms célèbres.

Des affections et des qualités qu'un instinct conservateur nous force de rapporter aux différentes parties de notre corps, ou à des ou à des corps étrangers, ont été rendues à l'âme, à laquelle seule elles appartiennent. Après un tel triom

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