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fois Pierre Laffitte. Les positivistes actuels peuvent-ils l'imiter? Je ne le pense pas.

Il n'est pas davantage possible aujourd'hui de donner l'enseignement complet de la doctrine, car on manquerait de professeurs et l'on n'aurait pas d'élèves.

Peut-être aurait-on pu tenter, depuis la retraite de Pierre Laffitte, une sorte d'enseignement mutuel à l'usage des seuls positivistes qui auraient ainsi trouvé le moyen de compléter leur instruction sans s'astreindre à de trop grands efforts. On avait, semble-t-il, les moyens de réaliser ce projet dans une certaine mesure, au moins relativement aux professeurs. Plusieurs positivistes ont, en effet, un bagage scientifique sérieux, quoique fragmentaire, et qui n'est pas le même pour tous. Il leur aurait été possible en se concertant d'ébaucher un programme d'enseignement encyclopédique. Mais on était alors préoccupé de l'érection du monument d'Auguste Comte à Paris, sur la place de la Sorbonne, et nul ne songea à organiser un tel enseignement. Plus tard, on eut d'autres soucis et l'on n'y pensa pas davantage.

On crut pouvoir imiter, au moyen de conférences faites au même lieu par des orateurs différents, traitant chacun à son point de vue particulier, l'un des aspects divers sous lesquels on peut envisager la sociologie ou la morale positives, l'enseignement populaire supérieur que donnait Pierre Laffitte dans ses cours publics annuels. Mais il est évidemment impossible d'atteindre ainsi à l'unité rigoureuse de doctrine qui distingue les leçons faites par un professeur unique à un auditoire fixe et assidu. D'autre part, comment conserver le caractère hautement scientifique que doit toujours avoir l'enseignement positiviste à des conférences faites par des hommes qui n'auraient pas tous une forte culture scientifique? Si bien doué qu'on puisse être sous le rapport des facultés d'expression et quelque érudition que l'on

possède, on ne saurait faire longtemps illusion à un auditoire un peu attentif quand on n'a qu'une connaissance superficielle du sujet que l'on traite. Ce n'est pas impunément que le geai se pare des plumes du paon. Il n'y a de véritable enseignement que tout autant qu'une même branche de la science est exposée, dans une série de leçons, par le même professeur, qui, naturellement, doit être compétent.

En réalité, les positivistes français actuels -- je ne veux parler que d'eux, ne connaissant pas assez les autres ne me semblent pas, pour les raisons que je viens d'indiquer, en mesure d'enseigner sérieusement leur doctrine, ni d'en faire de convenables applications. Ils ne pouvaient que se préparer en s'organisant le plus solidement possible, à agir sur le public quand le moment serait

venu.

C'est ce que n'ont pu ni voulu comprendre ceux qui se sont naguère séparés de nous. Ils se sont gravement mépris sur le degré de maturité de l'esprit public et surtout sur leurs propres forces. Ils n'auront fait, par leur présomptueuse scission, que retarder encore l'avènement du Positivisme.

Quant à nous, prolétaires pour la plupart, nous n'avons ni le désir, ni la possibilité de haranguer les foules; nous ne nous sentons à l'aise que dans des réunions peu nombreuses où chacun ait le droit de dire ce qu'il pense et ne craigne pas de le faire. Nous n'avons d'autre ambition que de faire le moins mal possible ce que nous croyons être notre devoir. Or, notre devoir actuel est d'assurer l'existence et, s'il se peut, la perpétuité de la Société positiviste fondée par Auguste Comte. Efforçonsnous donc d'attirer à nous des recrues et d'en faire de véritables positivistes, connaissant la doctrine dans son ensemble, sinon dans ses moindres détails, et bien convaincus qu'elle seule répond, telle qu'elle est, aux

besoins les plus légitimes et les plus urgents des sociétés modernes et, en particulier, de la France. Nous ne nous occuperons nullement du public, puisque nous ne pouvons avoir présentement aucune action sur lui; mais nous avons l'espoir que notre société, rajeunie et plus nombreuse, comptera dans son sein, bientôt peut-être, des hommes capables de prouver à tous que le Positivisme a des représentants autorisés, et aux positivistes étrangers, trop enclins à l'action isolée, que la maison d'Auguste Comte continue à être le foyer de la religion. qu'il a fondée et le centre de ralliement de ses fidèles.

Discours de M. G. de PIZA

Ministre du Brésil, au Palais du Luxembourg
Le 14 Novembre 1907.

Nous reproduisons avec plaisir le discours si éminemment positiviste prononcé par notre confrère M. de Piza, ministre du Brésil, dans la manifestation Franco-Américaine organisée le 14 novembre dernier au Sénat (Palais du Luxembourg) par la Commission interparlementaire d'arbitrage; en l'honneur de M. Léon Bourgeois et ses collègues de la délégation française à la seconde conférence de la Paix, ainsi que des membres des commissions Américaines de passage à Paris :

Messieurs,

En l'absence de mon cher compatriote et ami, M. Ruy Barboza, l'éminent ambassadeur du Brésil à la Conférence internationale de La Haye, qui, se trouvant malade, n'a pas pu vous apporter son salut cordial, reconnaissant et éloquent, je sors volontiers de ma profonde obscurité pour vous dire

toute notre sympathie pour votre pays et toute notre admiration pour la belle initiative et le mouvement si généreux représenté par le Groupe Parlementaire de l'Arbitrage international.

Vous possédez, Messieurs, tous les éléments de victoire dans la lutte entreprise contre l'esprit de destruction et l'instinct de guerre, car vous comptez dans vos rangs des talents magnifiques, des volontés invincibles et les cœurs les plus chauds, pleins d'ardeur et d'amour pour la famille, la patrie et l'humanité. Grâce aux lumières répandues dans le monde occidental par la puissante philosophie française, qui nourrit l'Amérique latine et plus particulièrement le Brésil, la jeune République brésilienne, qui aura demain dix-huit ans et que j'ai l'honneur de représenter ici, a inscrit dans sa constitution le principe de l'arbitrage international et l'interdiction de la conquête. Ce n'est pas la seule empreinte laissée sur notre esprit et notre cœur par l'enseignement fécond et généreux de la France, la grande nourricière intellectuelle et morale des peuples occidentaux.

La noble devise: Ordre et Progrès, qui fait tant d'honneur à notre drapeau, nous la devons à votre Auguste Comte, la plus vaste intelligence, le cœur le plus riche et le plus généreux de l'histoire, comparable à Aristote et à Descartes, par l'ampleur de son talent, et à saint Paul, par l'ardeur de ses convictions.

J'ai dit votre Auguste Comte, j'allais dire notre Auguste Comte, car, comme je le rappelle souvent, s'il appartient à la France par son berceau, il appartient à l'humanité tout entière par la profondeur de son génie et par sa grandeur intellectuelle et morale.

Vous voyez, Messieurs, que nous sommes heureux et fiers de proclamer hautement notre dette imprescriptible envers la France.

Votre puissante patrie a éclairé notre chemin. Elle nous a montré la large voie des sciences positives, guidant les intelligences vers la vérité. Elle nous a montré le régime scientifique et industriel, guidant l'activité pacifique vers le travail utile, organique et fécond. Elle nous a montré la morale positive et la religion relative et altruiste, guidant le sentiment vers le beau, comme le chemin le plus court et le plus sûr menant à l'idéal humain le plus pur et le plus élevé. Nous suivrons jusqu'au bout cette route tracée par l'expérience

millénaire de l'humanité et complétée, il y a un demi-siècle, par le génie inépuisable de la France.

Ayant toujours dans le cœur la noble formule française, l'amour pour principe, l'ordre pour base, le progrès pour but, nous chercherons à atteindre le grand idéal de fraternité internationale par la culture systématique de la sympathie et de la générosité. C'est la manière la plus efficace et ce sera toujours le meilleur moyen de faire honneur à la patrie de saint Bernard et de Jeanne d'Arc, de Descartes et d'Auguste Comte, à la noble nation centrale, la belle République française, héritière de Rome et d'Athènes, qui répand des torrents de lumière sur l'Occident tout entier.

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