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Conclusion.

dont nous sommes lavés par l'application des mérites du sacrifice de Jésus-Christ, mérites qui nous sont imputés par une pure grâce de la divinité. Le baptême, par une opération purement mystique, nous incorpore alors à la société des fidèles, qui se compose tout autant des successeurs et des prédécesseurs que des contemporains. L'enfant devient, dès lors, véritablement sacré. Il ne me semble pas que l'on ait mesuré l'immense portée de la révolution accomplie ainsi par le catholicisme et le progrès moral et social qui en est résulté. L'insuffisance de ce grand effort tient à la doctrine qui donne à la préoccupation du ciel une si grande prépondérance qu'il était difficile au catholicisme de tenir suffisamment compte dans la Présentation du point de vue de la Famille et de la Patrie. Il accomplit aussi un second progrès, par l'heureuse institution du parrain et de la marraine ; et enfin un troisième, non moins intéressant, par l'institution systématique des prénoms. Dans ces prénoms, le plus souvent multiples, les parents, comme le parrain et la marraine, satisfaisaient à deux conditions: l'un des prénoms rappelait le plus souvent une tradition de famille, le souvenir respecté d'un de ses membres; le second mettait l'enfant sous le patronage d'un type choisi dans la hiérarchie systématique des saints, organisée dans le calendrier catholique.

Le Positivisme, dans le sacrement de la Présentation, a systématisé tous ces résultats. Il reçoit l'enfant comme un produit de l'Humanité, destiné à devenir un jour son serviteur, et, après la mort, son organe, par les résultats incorporés de son action. Mais il conçoit et il montre que l'enfant vient à l'Humanité par une Famille et une Patrie déterminées, qui, à leur tour, par des cérémonies et des opérations spéciales, indiquent et précisent cette double dépendance. Ainsi donc, dès le début, la religion positive systématise ce grand fait que l'enfant, produit par la

Famille, la Patrie et l'Humanité, doit être conçu et accepté comme devant être élevé pour vivre pour ces trois êtres collectifs. Le Positivisme, par cette grande conception qui renouvellera le monde, ne fait néanmoins que donner une forme explicite et scientifique aux aspirations croissantes du genre humain. La fondation de la sociologie positive permettra de modifier dans l'Occident et dans toutes les parties de la Planète ce qui se fait actuellement, quant à la Présentation. Ces modifications, venues de l'inspiration positiviste, seront néanmoins réalisées par les représentants des diverses croyances, de manière à préparer sans secousse la lente transition qui conduira à l'installation définitive de la Religion de l'Humanité.

II

Conditions sociologiques de la première enfance.

de l'enfant.

Nous avons institué la première enfance, c'est-à-dire Dépendance absolu établi quelle position occupe ce premier degré de l'existence individuelle sur la route que doit parcourir l'être pour arriver à réaliser la fin même de notre destinée. Mais pour pouvoir diriger la marche de l'éducation de l'enfant, d'après cette conception, il faut évidemment déterminer les conditions sous l'influence desquelles cette éducation doit s'accomplir. Ces conditions ou ces influences fondamentales, sont sociologiques ou morales. Les conditions sociologiques constituent les influences collectives qui dominent l'enfance. Au contraire, les conditions morales se composent des influences individuelles qui tiennent au corps et à l'àme, c'est-à-dire à la vie organique et animale et aux trois aspects de la vie cérébrale relatifs au cœur, à l'intelligence et au carac

tère. Nous allons nous occuper d'abord des influences sociologiques, qui se rapportent aux trois êtres collectifs : la Famille, la Patrie et l'Humanité. La théorie de ces influences est dominée par un principe fondamental, à savoir la dépendance presque absolue de l'enfant, par rapport aux influences sociologiques, dépendance qui va sans cesse en augmentant, avec l'évolution même de l'Humanité.

Mais, pour que ce théorème puisse être bien compris, et développé sous tous ses aspects, il faut d'abord établir la théorie abstraite de la dépendance et de l'indépendance de l'individu. La dépendance objective de l'individu est celle par laquelle nous dépendons des hommes et des choses. Il faut considérer, d'abord, le rapport de ces deux modes de dépendance. A mesure que l'évolution humaine se caractérise, la dépendance par rapport aux hommes va sans cesse en augmentant, en comprenant, bien entendu, par ce mot hommes, non-seulement les contemporains, mais aussi les prédécesseurs dont le nombre va constamment croissant, de telle sorte que le rapport du nombre des contemporains à celui des ancêtres est une fraction indéfiniment décroissante, quoiqu'elle ne puisse jamais devenir nulle. Auguste Comte a exprimé ce grand fait par sa belle formule: les vivants sont de plus en plus gouvernés par les morts. Mais il faut compléter cette grande vue, en remarquant que le poids des prédécesseurs augmente celui des contemporains par l'extension et la complication croissante des sociétés. Quant à la dépendance par rapport aux choses, elle est presque absolue, au début, mais elle va en diminuant, suivant une loi trop peu connue, mais néanmoins certaine : la dépendance par rapport aux choses se trouve diminuée par l'action modificatrice de la société, à travers laquelle nous la subissons. Ainsi, il est bien certain que notre dépendance, par rapport à la température et à

la lumière, a beaucoup diminué par l'invention des moyens de chauffage et d'éclairage; et que notre dépendance, par rapport à la pesanteur, a été beaucoup atténuée par l'invention des moyens de locomotion.

Pour compléter cette théorie, il faut apprécier ce que j'appelle l'indépendance subjective de l'individu. Elle consiste, au fond, dans une certaine dépendance des autres par rapport à lui; elle est l'ensemble des droits de l'individu, en prenant ce mot au sens positif, tel que nous l'avons déjà expliqué. L'indépendance subjective est une conséquence des résultats acquis de notre travail et de ceux qui nous ont été transmis, d'après certaines lois, variables aux diverses époques de la civilisation. Ainsi, il est évident que les capitaux que possède un individu, comme conséquence de son travail, ou comme venus par le don des autres, sont un élément important de son indépendance subjective, puisqu'ils mettent, dans une certaine mesure, les autres dans sa dépendance, et qu'elle assure leur concours plus ou moins forcé, plus ou moins volontaire. Il en est de même des capitaux intellectuels ou des connaissances que l'individu a pu parvenir à acquérir; et enfin la valeur morale, la tempérance, la puissance sur soi-même, l'énergie, la fermeté, constituent une condition de cette indépendance subjective qui concourt et se combine avec la dépendance objective. Cette grande question que nous venons d'étudier n'a jamais été posée systématiquement, et l'esprit scientifique généralisé pouvait seul l'aborder; mais néanmoins les diverses vues qui s'y rapportent ont été plus ou moins considérées, au moins d'une manière implicite. Rousseau, au début de son Émile, pose, quoique d'une manière bien imparfaite, une telle question. Il arrive à ce singulier résultat, dû à une hallucination véritablement métaphysique, de ne vouloir accepter que la dépendance par rapport aux choses, et jamais celle par rapport aux

hommes. Il ne peut pas être conséquent à une pareille conception, aussi voit-on combien il est loin de la réalité effective. Charles Dunoyer entreprit, en 1825, une réfutation décisive de Rousseau et publia à ce sujet un ouvrage important (1). Ce travail a servi de base à l'ouvrage en trois volumes que j'ai déjà cité et où se trouve la conception lumineuse de la division entre les industries qui agissent sur les choses et celles qui agissent sur l'homme. Le travail, très remarquable du reste, de Dunoyer, reste néanmoins trop implicite, le mot liberté désignant à la fois, d'un côté la dépendance objective et de l'autre l'indépendance subjective qui en sont les deux éléments; et, de plus, il a vu trop insuffisamment, sans la méconnaître néanmoins, l'influence sociologique. La création de la sociologie abstraite par Auguste Comte pouvait seule permettre de poser définitivement et de résoudre le problème.

La dépendance objective et l'indépendance subjective varient nécessairement d'après des lois constantes, suivant l'évolution sociale, et, dans chaque société, suivant la situation et l'àge. Arrêtons-nous maintenant à ce dernier aspect.

Dans la première enfance, la dépendance objective de l'enfant est complète et son indépendance subjective est nulle : voilà avec précision la conception de la notion de dépendance sociologique que j'ai énoncée dans le théorème fondamental indiqué ci-dessus. Il résulte de là, que dans cette période, l'enfant reçoit tout, sans aucune réciprocité de sa part. Il y a là une évidente démonstration de l'altruisme propre à notre espèce, car la récipro

(1) L'industrie et la morale, considérées dans leurs rapports avec la liberté, par Charles-Barthélemy Dunoyer, ancien rédacteur du Censeur européen. Paris, 1825, 1 vol. in-8°. L'auteur a pris pour épigraphe << Nous ne devenons libres qu'en devenant industrieux et

moraux. »>

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