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prême. Les transformistes ont aussi, à leur manière, mais bien moins systématiquement, et avec plus d'insuffisance, indiqué comme quoi chaque espèce, et par suite la nôtre, est profondément modifiée par l'influence des milieux. Mais cette conception est singulièrement vague : d'abord parce qu'on lui donne un caractère absolu et presque chimérique, et en second lieu, parce qu'on ne fait pas la classification des trois sortes d'influences, et qu'on ne conçoit pas la prépondérance croissante de l'influence sociologique.

a

Des conséquences générales importantes se déduisent de cette proposition. En premier lieu, elle trace le cercle général des fatalités auxquelles chaque vie individuelle est soumise. Il est clair que nous ne choisissons ni notre espèce ni notre époque, ni notre famille. La naissance détermine ainsi le cercle fatal dans lequel nous devons nous mouvoir, et nous impose, à nous, comme à ceux qui doivent d'abord nous diriger, une résignation nécessaire, non passive, mais active, qui est le premier des devoirs. En second lieu, ce grand théorème fait voir que, dans l'éducation de tout individu, outre une partie fondamentale propre à l'espèce à un moment donné, il y des particularités individuelles que la naissance impose et dont il faut savoir tenir compte, surtout dans la Famille. En troisième lieu, ce poids du passé, souvent perturbateur, a produit toute une échelle de perturbations pathologiques, depuis la simple insuffisance jusqu'à la criminalité. Il y a donc là tout un héritage que nous ne pouvons pas repousser; car, dans l'évolution collective, il n'est pas permis d'hériter sous bénéfice d'inventaire. Voilà, par conséquent, de tristes fatalités individuelles dont il faudra apprendre à tenir compte, non plus spontanément, mais systématiquement, par la Famille, par la Patrie et aussi par l'Humanité tout entière quand aura surgi un sacerdoce capable et digne d'embrasser

Conséquences générales

de cette conception.

Conception générale

des

Sacrements.

l'ensemble des affaires humaines. Certes, je ne suis pas de ceux qui poussent à un énervement dans la répression sociale; mais néanmoins on se sent pris d'une profonde commisération pour ces déshérités qu'une naissance fatale livre plus ou moins à tant de tristes déboires dans la vie humaine. Il existe donc là uu devoir imprescriptible, et il faudra faire tous nos efforts pour le remplir.

Il résulte de notre proposition que chaque individu étant un produit de l'Humanité, il doit être élevé pour elle; et c'est un grand problème à la solution duquel tous doivent concourir. Mais il est évident que, si dans les phases successives de chaque existence individuelle, il est, d'un côté, nécessaire d'avoir la conception de l'ensemble auquel on est lié, il est, de l'autre, très difficile de s'y élever, et, de plus, quand on l'a comprise, de la conserver, au milieu des entraînements spéciaux de la vie. De là, la nécessité, dans chaque société, d'une autorité philosophique compétente qui, dans chacune des phases principales de l'existence, rappelle au point de vue d'ensemble et indique avec précision les devoirs généraux qui se rapportent à la phase correspondante. De là l'institution des sacrements. Le sacrement est donc une réaction de la vie publique sur la vie privée, afin de rappeler systématiquement chaque existence individuelle au point de vue de l'ensemble de la vie collective, en lui indiquant les conditions qui la rattachent à celle-ci. L'antipathie aveugle de l'esprit révolutionnaire fait méconnaître une nécessité qui s'impose d'autant plus que la société se complique davantage. Cette grande opération doit être essentiellement spirituelle, et être accomplie par un pouvoir distinct du pouvoir temporel, ayant un caractère universel et non local, général et non spé cial, perpétuel et non temporaire, qui puisse, en un mot, grâce à une doctrine générale et scientifique, parler pour

l'espèce et en son nom, au nom du passé et en vue de l'avenir.

Il y a, nécessairement, autant de sacrements qu'il y a de phases principales dans chaque existence individuelle. En voici la liste, telle qu'elle a été dressée par Auguste Comte 1. Présentation; 2. Initiation; 3. Admission; 4. Destination; 5. Mariage; 6. Maturité; 7. Retraite; 8. Transformation; 9. Incorporation. Nous les examinerons successivement, à mesure que nous suivrons la marche de la vie individuelle, depuis la conception jusqu'à la mort.

Le premier de tous les sacrements est celui de la Présentation; il a lieu quelque temps après la naissance, sans qu'une rigueur aussi stricte soit nécessaire que pour le baptême des chrétiens. Il s'adresse essentiellement aux parents et consiste dans une appréciation publique de leurs devoirs généraux, et aussi de ceux du public, dans l'éducation de l'enfant, d'après la conception scientifique du but de la destinée humaine. Il contient, en outre, des considérations spéciales relatives à l'enfant présenté, d'après les renseignements recueillis par le pouvoir philosophique ou transmis par les parents. Il y a là des indications d'une grande délicatesse, et souvent d'une grande importance, quoiqu'il faille, dans beaucoup de cas, se tenir dans une sage mesure en réservant pour le conseil privé des indications plus précises. En n'oubliant pas que la fonction médicale s'incorpore, à l'état normal, dans la fonction philosophique ou sacerdotale, on comprendra toute la portée de mon indication.

Nous avons conservé du catholicisme l'institution, si remarquable moralement, du parrain et de la marraine. Les diverses familles se lient ainsi entre elles, et souvent dans de grandes inégalités de situation, dans l'intérêt de la Famille, de la Patrie et de l'Humanité. Une telle insti

Sacrement

de la Présentation.

tution pourra, dans beaucoup de cas, servir de base au système de protection, ou même d'adoption, par lequel on peut corriger, beaucoup plus qu'on ne le croit, les imperfections du classement spontané des individus dans l'échelle des fonctions humaines. La sacerdoce pourra aussi, grâce à l'organisation de la Présentation, poser les bases d'un système précieux de statistique morale et sociale. A l'état normal, la grande exposition dogmatique, qui sera toujours la base de la Présentation, devra être précédée et suivie de manifestations esthétiques qui en augmenteront l'intensité. Mais le sacerdoce parle au nom de l'Humanité, tout en indiquant l'ensemble des devoirs relatifs à la Famille et à la Patrie. Néanmoins l'enfant appartient d'abord directement à la Famille. De là, les fêtes de famille par lesquelles on a célébré et on devra toujours célébrer l'avènement d'un nouvel être. L'enfant appartient aussi à une Patrie : de là, la nécessité d'une opération par laquelle l'individualité du nouvel être est affirmée avec précision en indiquant les conditions de sa naissance, le lieu, l'époque et les parents. Il faut que cette opération soit toujours indépendante du pouvoir philosophique, et c'est là un des résultats les plus heureux et les plus organiques de la Révolution française. On doit pouvoir naître, vivre, se développer et mourir, en dehors de toute forme religieuse déterminée, sous peine de retomber sous l'oppression spirituelle, de toutes la plus détestable.

Le Positivisme a déjà pratiqué, en France et en Angleterre surtout, sur une assez grande échelle, le sacrement de la Présentation. Et voici les formules que j'ai construites à ce sujet :

1. Reconnaissez-vous que votre enfant doit être élevé pour le service de la Famille, de la Patrie et de l'Huma

nité ?

2. Promettez-vous de vous attacher à développer en lui la force morale, c'est-à-dire l'effort sur lui-même, pour tendre à déterminer et à augmenter sans cesse la prépondérance de l'altruisme sur l'égoïsme, de manière à constituer, dans un corps sain, un cœur droit, un caractère ferme et un esprit sensé ?

3. Le parrain et la marraine promettent-ils d'aider de toutes leurs forces les parents dans l'accomplissement de leurs devoirs envers l'enfant ?

Mais le Positivisme, par l'établissement du sacrement de la Présentation, a fait, non une création, mais une systématisation de l'évolution spontanée de notre espèce. En effet, dès que les Sociétés ont été sédentaires et véritablement organisées, la naissance de l'enfant a été célébrée, non-seulement par des fêtes de famille, mais aussi par une intervention croissante de la société. Au début, l'enfant appartient absolument au père, qui en dispose comme de son bien. Ainsi, dans les plus beaux temps de la Grèce, l'enfant était présenté au père et si celui-ci détournait la tête, l'enfant était tué; si, au contraire, il était conservé, on l'inscrivait sur les registres de sa tribu. Telle est la première ébauche véritable de la présentation. L'introduction des noms de famille, d'abord dans les classes aristocratiques, constitua un grand progrès; car de cette manière la liaison de l'enfant, et plus tard de l'homme, à une famille déterminée, était constamment rappelée par une partie de la dénomination même appliquée à l'individu. Mais c'est au catholicisme qu'appartient la gloire d'avoir systématisé la présentation, sous forme théologique, en instituant la cérémonie qui, dès le début, incorporait l'enfant dans une église déterminée, destinée, en espérance du moins, à embrasser le genre humain. C'est là le rôle véritable du baptême. Il repose sur la conception théologique du péché originel,

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