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véhémence, et principalement à bien étudier et suivre en tout la nature.

L'union de deux qualités opposées en apparence fait toute la beauté de la prononciation: l'égalité et la variété. Par la première, l'orateur soutient sa voix, et en règle l'élévation et l'abaissement sur des lois fixes qui l'empêchent d'aller haut et bas comme au hasard, sans garder d'ordre ni de proportion. Par la seconde, il évite un des plus considérables défauts qu'il y ait en matière de prononciation, la monotonie.

Enfin la prononciation doit être proportionnée aux sujets que l'on traite, ce qui paraît surtout dans les passions, qui ont toutes un ton particulier. La voix, qui est l'interprête de nos sentiments, reçoit toutes les impressions, tous les changements dont l'âme elle-même est susceptible. Ainsi, dans la joie, elle est pleine, claire, coulante; dans la tristesse, au contraire, elle est traînante et basse; la colère la rend impétueuse, entrecoupée; quand il s'agit de confesser une faute, de faire satisfaction, de supplier, elle devient douce, timide, soumise. Les exordes demandent un ton grave et modéré; les preuves, un ton un peu plus élevé; les récits, un ton simple, uni, tranquille, et semblable à peu près à celui de la conversation.

ROLLIN. Traité des études.

ROLLIN (Charles),

Recteur de l'université de Paris, né en 1661 à Paris, mort en 1741. Principaux ouvrages: Traité des études; Histoire ancienne; Histoire romaine; &c.

L'ART DE BIEN LIRE À HAUTE VOIX.

SAINT-ÉVREMONDa disait qu'il n'avait pas vu en sa vie trois personnes qui sussent lire. Ce jugement peut être un peu sévère; mais il n'en est pas moins vrai que les bons lecteurs sont infiniment rares. Il faut, pour bien lire, tant de qualités réunies! La première, c'est d'avoir de l'âme et de se bien pénétrer de ce qu'on lit. Ensuite, il faut bien

parler sa langue; il faut la bien prononcer: sans cela, on ne peut qu'affliger l'oreille de l'auditeur: un mot mal prononcé détruit tout le charme d'une bonne lecture.

Il faut en outre avoir assez d'esprit et de connaissances pour pouvoir juger le morceau qu'on va lire, se décider sur le ton qu'il convient de lui donner: car chaque morceau de littérature a une physionomie et un ton qu'on doit saisir dès les premières lignes; et si quelquefois on n'a pas adressé juste, il faut savoir se rectifier, sans que l'auditeur puisse trop s'apercevoir de la méprise.

Sachez d'abord vous bien mettre à la place de l'auteur, et deviner ses intentions, pour en faire valoir tout le mérite. Animez ce que vous lisez, pour l'embellir encore, et prêter même des charmes à ce qui est médiocre. On fait illusion à l'auditoire, et c'est le triomphe d'un lecteur.

Il importe aussi de ne s'éloigner jamais du naturel, et d'éviter le ton de déclamation; et à ce sujet il faut remarquer que le ton sur lequel on doit lire une pièce dramatique, n'est pas tout-à-fait celui du théâtre; il est de quelque nuance au-dessous; c'est l'habitude d'une part, et la sagacité de l'autre, qui l'indiquent au lecteur.

À l'art de bien saisir le ton général, convenable au morceau qu'on lit, il faut joindre celui de varier à propos ce même ton, de pouvoir passer subitement

“Du grave au doux, du plaisant au sévère.”—BOILEau.

Il faut avoir l'air, en lisant, de causer sur tous les tons avec ses auditeurs; il est même des occasions où (dans les parenthèses, par exemple, qui ne sont que des réflexions isolées,) on doit mettre tant de naturel, je dirais presque, tant de bonhomie, que tout en vous écoutant lire, on croie que la réflexion vous est particulière. Il faut avoir pratiqué l'art de la lecture pour concevoir tout le plaisir que goûte le lecteur, quand il occasionne ces sortes de surprises.

Mais la vraie pierre de touche pour juger du talent d'un lecteur, c'est qu'il puisse lire à l'improviste toutes sortes d'ouvrages. Le bon lecteur se contente, en pareil cas, de parcourir rapidement les cinq ou six premières

lignes, afin de pouvoir disposer son ton, qu'il suivra ensuite

avec assurance.

On lit de la prose ou des vers. La prose paraît plus facile à lire, ou au commun des lecteurs, ou aux personnes qui ne connaissent pas toutes les ressources de l'art; mais tout bon lecteur trouve plus de facilité à lire des vers. La prose porte avec elle une teinte de monotonie qui la rend plus pénible à lire, parce qu'on ne peut guère varier ses inflexions, et qu'un ton toujours le même, et souvent prolongé, fatigue la poitrine, et l'oppresse. Les phrases y sont quelquefois longues, coupées inégalement, et manquent souvent de certain rhythme qui sert à les arrondir et à leur donner de la grâce et de la facilité. La coupe des vers est infiniment plus commode. Les phrases y sont courtes, le sens plus fréquemment arrêté. La césure et lá fin du vers (quoiqu'il faille se garder de faire des pauses maladroites) offrent à chaque instant du repos à la voix. On a, en lisant, bien plus d'occasions de varier ses tons, et la poitrine se trouve soulagée.

Les vers ont le mérite, par la concision des pensées, de produire sur l'oreille des auditeurs de plus agréables et de plus nombreux effets que la prose: mais, pour les lire avec aisance, il faut en connaître le mécanismeb; car tous les vers, suivant le nombre différent de leurs mètres, doivent être lus différemment. Quoiqu'il ne faille pas, comme je viens de le dire, s'arrêter, sans distinction et maladroitement, à toutes les césures et à la terminaison des vers, il ne faut cependant pas omettre de faire sentir, peu ou beaucoup, quand le sens le permet, ces intersections qui entrent pour quelque chose dans la grâce de la composition. Or, il est des vers, tels, par exemple, que ceux de sept syllabes, où le point de pose est très-difficile à saisir, et n'est pas encore connu d'un très-grand nombre de lecteurs. C'est alors que l'habitude de faire des vers guide beaucoup dans ces petites formes à observer quand on lit.

Il n'est pas moins indispensable de bien savoir les règles de la prosodie et de l'accentuation. Cette nécessité n'a pas besoin d'être démontrée. Ajoutons-y les règles de

ponctuation; si on ne les connaît pas parfaitement, si on ne les suit pas avec exactitude, on risque de laisser échapper de faux tons, de faire des pauses ridicules, des enjambements2, etc.; on s'expose enfin à toutes sortes de maladresses.

Avec de l'étude, on peut se procurer les connaissances dont je viens de parler; mais il est encore d'autres qualités que l'on ne peut acquérir par soi-même, et qui sont personnelles au lecteur.

LA PREMIÈRE est la beauté et la flexibilité de la voix. Si la voix n'est pas sonore et pleine, si elle a quelque chose de sourd ou de rude, si elle ne sait pas se plier à tous les tons, si elle n'est pas un peu harmonieuse, jamais elle ne commandera l'attention. Le lecteur aura beau avoir un vrai talent, il ne pourra s'en faire honneur.

LA SECONDE est la bonté de la vue et son agilité. L'œil doit parcourir la seconde ligne dans le temps où la voix prononce la première: sans cela, l'on ne peut assurer son ton, ni en changer adroitement quand on n'a pas pris le véritable. D'ailleurs, avant de commencer la phrase, la vue doit se porter avec vélocité vers le point terminal, pour savoir si c'est un point ordinaire, ou s'il est interrogatif, admiratif, etc., et pour déterminer l'intonation; tout ceci doit être fait sans que le cours de la lecture soit interrompu.

LA TROISIÈME est la rectitude de la prononciation. Il n'est pas question ici de la prosodie proprement dite, mais de la nécessité de prononcer parfaitement chaque syllabe, de manière que toutes soient articulées distinctement, bien séparées de leurs voisines, et qu'aucune ne soit atténuée ni sourde. C'est le moyen de se faire entendre de loin, et d'empêcher l'auditeur de se demander tout bas: Qu'est-ce que le lecteur veut dire?

Enfin LA QUATRIÈME QUALITÉ est le rapport de la physionomie avec ce qu'on lit. Toute gêne des pieds et des mains est à peu près interdite au lecteur, qui d'abord est assis, qui ensuite tient son livre d'une main, et de l'autre en tourne les feuillets; mais l'expression de sa figure peut

ajouter de l'expression à ce qu'il lit. L'œil peut s'animer plus ou moins, le sourcil se froncer ou s'étendre, la bouche admettre ou repousser le sourire, la tête se permettre quelques mouvements; tout cela, bien ménagé, donne de l'âme à la lecture, et concilie l'attention et la bienveillance des auditeurs.

Ajoutons à cela, qu'il faut bien choisir ses lectures, et, dans ce choix, avoir égard à soi, aux auditeurs, aux circonstances. Ceci n'a pas besoin de commentaire.

Une grande attention en lisant, c'est de savoir faire des pauses, afin de pouvoir reprendre sa respiration. On voit des personnes s'étouffer, en voulant finir une période, faute de s'être ménagé des intervalles dans les coupures qu'elles pouvaient y faire.

Il faut surtout se garder, en commençant une lecture, de prendre sa voix autrement que dans le médium. Outre qu'on en est plus le maître, et qu'on se fait beaucoup mieux entendre, on se réserve les moyens de la varier à volonté, soit dans le haut, soit dans le bas, quand le cas l'exige, et sans qu'on en soit incommodé. Il est des lecteurs qui croient qu'en la prenant dans le haut, ils se feront entendre de plus loin: c'est une erreur, et ils se gênent bien inutilement.

D. LÉVI.

LEVI (David-Eugène-Alvarès),

Né en 1794. Auteur vivant et l'un des professeurs les plus distingués de Paris.

a Charles de Saint-Denis de Saint-Évremond de Coutances, écrivain poli et ingénieux du siècle de Louis XIV.

b Voyez le traité de versification dans la partie poétique faisant suite au Répertoire.

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