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Leur chef était le dernier descendant de ce Vercingétorix qui balança si longtemps la fortune de Jules. Il semblait que par cette mort l'empire des Gaules, en échappant aux Romains, passait aux Francs. Ceux-ci, pleins de joie, entourent Mérovée, l'élèvent sur un bouclier, et le proclament roi avec ses pères, comme le plus brave des Sicambres. L'épouvante commence à s'emparer des légions. Constance, qui, du milieu du corps de réserve, suivait de l'œil le mouvement des troupes, aperçoit le découragement des cohortes. Il se tourne vers la légion chrétienne: "Braves soldats, la fortune de Rome est entre vos mains. Marchons à l'ennemi...." À l'approche des soldats du Christ, les barbares serrent leurs rangs; les Romains se rallient. . . . Le combat recommence de toutes parts. La légion chrétienne ouvre une large brèche dans les rangs des barbares; la clarté du jour pénètre au fond de cette forteresse vivante. Romains, Grecs et Gaulois, nous en. trons tous dans l'enceinte des Francs rompus. Aux attaques d'une armée disciplinée succèdent des combats à la manière des héros d'Ilion. Mille groupes de guerriers se heurtent, se choquent, se pressent, se repoussent; partout règnent la douleur, le désespoir, la fuite. Filles des Francs, c'est en vain que vous préparez le baume pour des plaies que vous ne pourrez guérir! L'un est frappé au cœur du fer d'une javeline, et sent s'échapper de ce cœur les images chères et sacrées de la patrie; l'autre a les deux bras brisés du coup d'une massue, et ne pressera plus sur son sein le fils qu'une épouse porte encore à la mamelle; celui-ci regrette son palais, celui-là sa chaumière; le premier ses plaisirs, le second ses douleurs: car l'homme s'attache à la vie par ses misères autant que par ses prospérités. Les Sicambres, tous frappés par devant et couchés sur le dos, conservaient dans la mort un air si farouche, que le plus intrépide osait à peine les regarder....

Cependant les bras fatigués portent des coups ralentis; es clameurs deviennent plus déchirantes et plus plaintives. Tantôt une grande partie des blessés, expirant à la fois, laisse régner un affreux silence; tantôt la voix de la dou

leur se ranime et monte en longs accents vers le ciel. On voit errer des chevaux sans maîtres, qui bondissent ou s'abattent sur des cadavres. Quelques machines de guerre abandonnées brûlent çà et là comme les torches de ces immenses funérailles.

La nuit vint couvrir de son obscurité ce théâtre des fureurs humaines. Les Francs, vaincus, mais toujours redoutables, se retirèrent dans l'enceinte de leurs chariots. Cette nuit, si nécessaire à notre repos, ne fut pour nous qu'une nuit d'alarmes à chaque instant nous craignions d'être attaqués. Les barbares jetaient des cris qui ressemblaient aux hurlements des bêtes féroces; ils pleuraient les braves qu'ils avaient perdus, et se préparaient euxmêmes à mourir. Nous n'osions ni quitter nos armes ni allumer des feux. Les soldats romains frémissaient, se cherchaient dans les ténèbres; ils s'appelaient, ils se demandaient un peu de pain ou d'eau, ils pansaient leurs blessures avec leurs vêtements déchirés. Les sentinelles se répondaient en se renvoyant l'une à l'autre le cri des veilles. . . .

L'aurore nous découvrit un spectacle qui surpassait en horreur tout ce que nous avions vu jusqu'alors.

Les Francs, pendant la nuit, avaient coupé les têtes des cadavres romains, et les avaient plantées sur des piques devant leur camp, le visage tourné vers nous. Un énorme bûcher, composé de selles de chevaux et de boucliers brisés, s'élevait au milieu du camp. Le vieux Pharamond, roulant des yeux terribles, et livrant au souffle du matin sa longue chevelure blanche, était assis au haut du bûcher. Au bas, paraissaient Clodion et Mérovée : ils tenaient à la main, en guise de torches, l'hast enflammé de deux piques rompues, prêts à mettre le feu au trône funèbre de leur père, si les Romains parvenaient à forcer le retranchement des chariots.

Nous restons muets d'étonnement et de douleur. Les vainqueurs semblent vaincus par tant de barbarie et tant de magnanimité. Les larmes coulent de nos yeux, à la vue des têtes sanglantes de nos compagnons d'armes : chacun

se rappelle que ces bouches muettes et décolorées prononçaient encore la veille les paroles de l'amitié. Bientôt, à ce mouvement de regret succède la soif de la vengeance. On n'attend point le signal de l'assaut; rien ne peut résister à la fureur du soldat; les chariots sont brisés; le camp est ouvert : on s'y précipite.

...

C'en était fait des peuples de Pharamond, si le Ciel, qui leur garde peut-être de grandes destinées, n'eût sauvé le reste de ses guerriers. Un vent impétueux se lève entre le nord et le couchant; les flots s'avancent sur les grèves; on voit venir, écumante et limoneuse, une de ces marées de l'équinoxe, qui, dans ces climats, semblent jeter l'Océan tout entier hors de son lit. La mer, comme un puissant allié des barbares, entre dans le camp des Francs, pour en chasser les Romains. . . .

CHATEAUBRIAND. Les Martyrs.

(Voyez la page 63.)

a Aujourd'hui la diane se dit d'une batterie de tambour qui a lieu à la pointe du jour, pour éveiller les soldats ou les matelots.

b Centurion, officier romain qui commandait une division militaire appelée centurie. La marque de cette dignité était un cep de vigne.

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Constance de Nysse, général des armées romaines sous l'empereur Honorius. Ce général fut associé à l'empire vers l'an 420.

d Framée, arme nationale des Francs: c'était une javeline en fer étroit et tranchant.

e Angon. Demi-pique dont le fer, semblable à celui d'une lance, était accompagné de deux crocs acérés.

↑ Pharamond, chef des Francs dans le commencement du cinquième siècle. Les Francs, peuple de la Germanie, essayant de secouer le joug des Romains, firent, sous la conduite de Pharamond, diverses incursions dans la Gaule, vers l'an 420, époque où ce chef fut élu roi.

Les Sicambres étaient des peuples belliqueux de la Germanie. On confond souvent leur nom avec celui des Francs.

Clodion, surnommé le Chevelu, succéda à Pharamond vers l'an 428. Vaincu par Aétius, général romain, il effaça cette défaite par des victoires; et, s'avançant du Rhin vers la Somme, s'empara de diverses places, jusqu'à Amiens, où il mourut en 448, laissant le trône à Mérovée, son deuxième fils.

h Probus (M. Aurelius Valerius), empereur romain, mort l'an 282 de J.-C.

i Pœan, du grec πaιàv (paian), chant guerrier.

* Bardit (on prononce le t), chant de guerre des anciens Germains. 1 Corps d'infanterie romaine.

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Vercingétorix, célèbre général gaulois, fut choisi pour chef suprême de la ligue formée contre César dans les Gaules l'an 53 av. J.-C.

ATTILA.

ENFIN il paraît, ce terrible Attila, au milieu des flammes qui ont consumé la ville d'Aquilée; il s'assied sur les ruines des palais qu'il vient de renverser, et semble à lui seul chargé d'accomplir en un jour l'œuvre des siècles. Il a comme une sorte de superstition envers lui-même, il est l'objet de son culte; il croit en lui, il se regarde comme l'instrument des décrets du Ciel, et cette conviction mêle un certain système d'équité à ses crimes. Il reproche à ses ennemis leurs fautes, comme s'il n'en avait pas commis plus qu'eux tous; il est féroce, et néanmoins c'est un barbare généreux; il est despote, et se montre pourtant fidèle à sa promesse; enfin, au milieu des richesses du monde, il vit comme un soldat, et ne demande à la terre que la jouissance de la conquérir. Attila remplit les fonctions de juge... il prononce sur les délits portés à son tribunal d'après un instinct naturel, qui va plus au fond des actions que les lois abstraites dont les décisions sont les mêmes pour tous les cas. Il condamne son ami coupable de parjure, l'embrasse en pleurant, mais ordonne qu'à l'instant il soit déchiré par des chevaux. L'idée d'une nécessité inflexible le dirige, et sa propre volonté lui paraît à luimême une nécessité. Les mouvements de son âme ont une sorte de rapidité et de décision, qui exclut toute nuance; il semble que cette âme se porte, comme une force physique, irrésistiblement et tout entière dans la direction qu'elle suit. Enfin on amène devant son tribunal un fratricide; et, comme il a tué son frère, il se trouble et refuse de juger le criminel. Attila, malgré tous ses forfaits, se croit chargé d'accomplir la justice divine sur la

CONVERSION DE CLOVIS AU CHRISTIANISME.

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terre, et, prêt à condamner un homme pour un attentat pareil à celui dont sa propre vie a été souillée, quelque chose qui tient du remords le saisit au fond de l'âme.

MADAME DE STAËL. De l'Allemagne. (Voyez la page 80.)

a Attila, roi des Huns, surnommé le Fléau de Dieu, mort en 453. Après avoir ravagé l'Orient, traversé la Pannonie et la Germanie, il entra dans la Gaule, en 451, à la tête d'une armée formidable. Vainqueur plusieurs fois, il fut enfin complètement défait, dans les plaines de Châlons, par les armées combinées d'Aétius, de Mérovée et de Théodoric. Attila, quoique vaincu, aspirait à de nouvelles conquêtes; il passa en Italie, y exerça d'horribles ravages, et, de retour dans la Pannonie, il y mourut au sein des plaisirs.

b Aquilée, ville de la haute Italie, dont la richesse lui valut le surnom de Roma secunda (seconde Rome). Après la destruction de leur ville par Attila, les habitants se réfugièrent dans des îlots de l'Adriatique, où ils fondèrent la célèbre Venise.

Aquilée porte aujourd'hui le nom d'Aglar, mais elle est de peu d'importance, et n'a que 1500 habitants, qui s'adonnent à la pêche.

c Attila s'est montré très-rigoureux observateur de la probité politique et de la foi jurée, dans toutes ses relations avec Rome.

d M. Charles-Nodier cite, dans ses Souvenirs de la Révolution et de l'Empire, un trait de Saint-Just, peut-être imité de celui d'Attila. A l'époque où ce membre du comité du salut public parcourait les lignes de l'armée commandée par le général Pichegru, en Alsace, il surprit un officier au lit et sans vêtements, ce qui avait été défendu sous peine de mort. Saint-Just reconnaît dans cet officier son ami intime, il l'embrasse avec tendresse, et le fait fusiller devant lui.

CONVERSION DE CLOVIS AU CHRISTIANISME.

Il était nécessaire à Chlovisa d'être chrétien pour garder les Gaules, et aux Chrétiens des Gaules, que Chlovis le devînt, pour les préserver.

Chlotilde b y travaillait avec zèle. Elle en avait eu l'espérance avant de quitter la Bourgogne; mais le succès ne répondait qu'imparfaitement à cette espérance. Chlovis flottait indécis entre sa conviction encore incomplète, et le danger d'offenser les vieilles idolâtries des Francs. Les vérités du Christ se manifestaient à lui confusément et avec lenteur. Déjà incrédule aux idoles, il tardait à de

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