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chantait, s'approcha de ces murs, comme ses héros de Jérusalem, avec respect et reconnaissance. Mais la veille du jour choisi pour le couronner, la mort l'a réclamé pour sa terrible fête : le ciel est jaloux de la terre, et rappelle ses favoris des rives trompeuses du temps.

Dans un siècle plus fier et plus libre que celui du Tasse, Pétrarque fut aussi, comme le Dante, le poète valeureux de l'indépendance italienne. Il ranima l'antiquité par ses veilles, et, loin que son imagination mît obstacle aux études les plus profondes, cette puissance créatrice, en lui soumettant l'avenir, lui révéla les secrets des siècles passés. Il éprouva que connaître sert beaucoup pour inventer, et son génie fut d'autant plus original, que, semblable aux forces éternelles, il sut être présent à tous les temps.

Notre air serein, notre climat riant ont inspiré l'Arioste. C'est l'arc-en-ciel qui parut après nos longues guerres: brillant et varié comme ce messager du beau temps, il semble se jouer familièrement avec la vie, et sa gaieté légère et douce est le sourire de la nature, et non pas l'ironie de l'homme.

Michel-Ange, Raphaël, Pergolèse1, Galilée, et vous, intrépides voyageurs, avides de nouvelles contrées bien que la nature ne pût vous offrir rien de plus beau que la vôtre ! joignez aussi votre gloire à celle des poètes. Artistes, savants, philosophes, vous êtes comme eux enfants de ce soleil qui tour à tour développe l'imagination, anime la pensée, excite le courage, endort dans le bonheur, et semble tout promettre ou tout faire oublier.

Connaissez-vous cette terre où les orangers fleurissent, que les rayons des cieux fécondent avec amour? Avezvous entendu les sons mélodieux qui célèbrent la douceur des nuits? Avez-vous respiré ces parfums, luxe de l'air déjà si pur et si doux? Répondez, étrangers, la nature est-elle chez vous belle et bienfaisante?

Ailleurs, quand des calamités sociales affligent un pays, les peuples doivent s'y croire abandonnés par la Divinité; mais ici nous sentons toujours la protection du ciel, nous

voyons qu'il s'intéresse à l'homme, et qu'il a daigné le traiter comme une noble créature.

Ce n'est pas seulement de pampres et d'épis que notre nature est parée, mais elle prodigue sous les pas de l'homme, comme à la fête d'un souverain, une abondance de fleurs et de plantes inutiles qui, destinées à plaire, ne s'abaissent point à servir.

Les plaisirs délicats soignés par la nature sont goûtés par une nation digne de les sentir; les mets les plus simples lui suffisent; elle ne s'enivre point aux fontaines de vin que l'abondance lui prépare: elle aime son soleil, ses beaux-arts, ses monuments, sa contrée tout à la fois antique et printanière; les plaisirs raffinés d'une société brillante, les plaisirs grossiers d'un peuple avide, ne sont pas faits pour elle.

Ici les sensations se confondent avec les idées, la vie se puise tout entière à la même source, et l'âme comme l'air occupe les confins de la terre et du ciel, Ici le génie se sent à l'aise, parce que la rêverie y est douce; s'il agite, elle calme; s'il regrette un but, elle lui fait don de mille chimères; si les hommes l'oppriment, la nature est là pour l'accueillir.

Ainsi, toujours elle répare, et sa main secourable guérit toutes les blessures. Ici l'on se console des peines même du cœur, en admirant un Dieu de bonté, en pénétrant le secret de son amour; les revers passagers de notre vie éphémère se perdent dans le sein fécond et majestueux de l'immortel univers.

Il est des peines cependant que notre ciel consolateur ne saurait effacer; mais dans quel séjour les regrets peuventils porter à l'âme une impression plus douce et plus noble que dans ces lieux!

Ailleurs les vivants trouvent à peine assez de place pour leurs rapides courses et leurs ardents désirs; ici les ruines, les déserts, les palais inhabités laissent aux ombres un vaste espace. Rome maintenant n'est-elle pas la patrie des tombeaux !

Le Colisée, les obélisques, toutes les merveilles qui, du fond de l'Egypte et de la Grèce, de l'extrémité des siècles, depuis Romulus jusqu'à Léon X1, se sont réunies ici, comme si la grandeur attirait la grandeur, et qu'un même lieu dût renfermer tout ce que l'homme a pu mettre à l'abri du temps, toutes ces merveilles sont consacrées aux monuments funèbres. Notre indolente vie est à peine aperçue, le silence des vivants est un hommage pour les morts; ils durent, et nous passons.

Eux seuls sont honorés, eux seuls sont encore célèbres; nos destinées obscures relèvent l'éclat de nos ancêtres, notre existence actuelle ne laisse debout que le passé, il ne se fait aucun bruit autour des souvenirs2! Tous nos chefsd'œuvres sont l'ouvrage de ceux qui ne sont plus, et le génie lui-même est compté parmi les illustres morts.

Peut-être un des charmes secrets de Rome est-il de réconcilier l'imagination avec le long sommeil. On s'y résigne pour soi, l'on en souffre moins pour ce qu'on aime. Les peuples du Midi se représentent la fin de la vie sous des couleurs moins sombres que les habitants du Nord. Le soleil comme la gloire réchauffe même la tombe.

Le froid et l'isolement du sépulcre sous ce beau ciel, à côté de tant d'urnes funéraires, poursuivent moins les esprits effrayés. On se croit attendu par la foule des ombres; et, de notre ville solitaire à la ville souterraine, la transition semble assez douce.

Ainsi la pointe de la douleur est émoussée, non que le cœur soit blasé3, non que l'âme soit aride, mais une harmonie plus parfaite, un air plus odoriférant, se mêlent à l'existence. On s'abandonne à la nature avec moins de crainte, à cette nature dont le Créateur a dit: Les lis ne travaillent ni ne filent, et cependant quels vêtements des rois pourraient égaler la magnificence dont j'ai revêtu ces fleurs m!

Improvisation de Corinne dans la campagne de Naples. La lune se levait à l'horizon; mais les derniers rayons du jour rendaient encore sa lumière très-pâle. Du haut de la petite

colline qui s'avance dans la mer et forme le cap Misène, on découvrait parfaitement le Vésuve, le golfe de Naples, les îles dont il est parsemé, et la campagne qui s'étend depuis Naples jusqu'à Gaëte; enfin, la contrée de l'univers où les volcans, l'histoire et la poésie, ont laissé le plus de traces.

La nature, la poésie et l'histoire rivalisent ici de grandeur; ici l'on peut embrasser d'un coup d'œil tous les temps et tous les prodiges.

J'aperçois le lac d'Averne", volcan éteint, dont les ondes inspiraient jadis la terreur: l'Achéron, le Phlégéton P, qu'une flamme souterraine fait bouillonner, sont les fleuves de cet enfer visité par Énée.

Le feu, cette vie dévorante qui crée le monde et le consume, épouvantait d'autant plus que ses lois étaient moins connues. La nature jadis ne révélait ses secrets qu'à la poésie.

La ville de Cumes, l'antre de la Sibylle, le temple d'Apollon, étaient sur cette hauteur. Voici le bois où fut cueilli le rameau d'or. La terre de l'Énéide vous entoure, et les fictions consacrées par le génie sont devenues des souvenirs dont on cherche encore les traces.

Un Triton a plongé dans ces flots le Troyen téméraire qui osa défier les divinités de la mer par ses chants*: ces rochers creux et sonores sont tels que Virgile les a décrits. L'imagination est fidèle, quand elle est toute-puissante. Le génie de l'homme est créateur, quand il sent la nature; imitateur, quand il croit l'inventer.

Au milieu de ces masses terribles, vieux témoins de la création, l'on voit une montagne nouvelle que le volcan a fait naître. Ici la terre est orageuse comme la mer, et ne rentre pas comme elle paisiblement dans ses bornes. Le lourd élément, soulevé par les tremblements de l'abîme, creuse les vallées, élève des monts; et ses vagues pétrifiées attestent les tempêtes qui déchirent son sein.

Si vous frappez sur ce sol, la voûte souterraine retentit: on dirait que le monde habité n'est plus qu'une surface prête à s'entr'ouvrir. La campagne de Naples est l'image des passions humaines: sulfureuse et féconde, ses dangers

et ses plaisirs semblent naître de ces volcans enflammés qui donnent à l'air tant de charmes, et font gronder la foudre sous nos pas.

Pline étudiait la nature pour mieux admirer l'Italie; il vantait son pays comme la plus belle des contrées, quand il ne pouvait plus l'honorer à d'autres titres. Cherchant la science, comme un guerrier les conquêtes, il partit de ce promontoire même pour observer le Vésuve à travers les flammes; et ces flammes l'ont consumés.

O souvenir, noble puissance, ton empire est dans ces lieux! De siècle en siècle, bizarre destinée! l'homme se plaint de ce qu'il a perdu. L'on dirait que les temps écoulés sont tous dépositaires à leur tour d'un bonheur qui n'est plus: et tandis que la pensée s'enorgueillit de ses progrès, s'élance dans l'avenir, notre âme semble regretter une ancienne patrie dont le passé la rapproche.

Les Romains dont nous envions la splendeur, n'enviaient-ils pas la simplicité mâle de leurs ancêtres? Jadis ils méprisaient cette contrée voluptueuse; et ses délices ne domptèrent que leurs ennemis. Voyez dans le lointain Capoue: elle a vaincu le guerrier dont l'âme inflexible résista plus longtemps à Rome que l'univers.

Les Romains, à leur tour, habitèrent ces lieux: quand la force de l'âme servait seulement à mieux sentir la honte et la douleur, ils s'amollirent sans remords. À Baies, on les a vus conquérir sur la mer un rivage pour leurs palais". Les monts furent creusés pour en arracher des colonnes; et les maîtres du monde, esclaves à leur tour, asservirent la nature pour se consoler d'être asservis.

Cicéron a perdu la vie près du promontoire de Gaëte, qui s'offre à nos regards. Les triumvirs, sans respect pour la postérité, la dépouillèrent des pensées que ce grand homme aurait conçues. Le crime des triumvirs dure encore; c'est contre nous encore que leur forfait est commis.

Cicéron succomba sous le poignard des tyrans. Scipion, plus malheureux, fut banni par son pays encore libre: il termina ses jours non loin de cette rive; et les ruines de son tombeau sont appelées la Tour de la Patrie: tou

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