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L'hyperbole, du grec vπèp (huper) au delà, et ßúdλw (balló) je jette, est une augmentation, une exagération excessive. Virgile dit de la princesse Camille, qu'elle surpassait les vents à la course, et qu'elle eût couru sur des épis de blé sans les faire plier, ou sur les flots de la mer sans y enfoncer, et même sans se mouiller la plante des pieds.

"Illa vel intactæ segetis per summa volaret

Gramina, nec teneras cursu læsisset aristas :
Vel mare per medium, fluctu suspensa tumenti,
Ferret iter, celeres nec tingeret æquore plantas."
VIRG. Eneid, vii. 808.

* L'antithèse, du grec dvrì (anti) contre, et béois (thésis) proposition, est une figure par laquelle on oppose les mots aux mots, les pensées aux pensées. En voici un exemple tiré du fabuliste français La Fontaine, parlant du chêne :

"Celui de qui la tête au ciel était voisine,

Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts."

y La périphrase, ou circonlocution, du grec repì (peri) autour, et opáσis (phrasis) discours, exprime en plusieurs paroles ce qu'on aurait pu dire en moins, et souvent en un seul mot. Par exemple: Le vainqueur de Darius au lieu de dire Alexandre; l'astre du jour, pour dire le soleil, &c.

2 Les Furies ou Euménides; Alecton, Mégère et Tisiphone. On les représente coiffées de couleuvres, tenant des serpents et des flambeaux dans leurs mains.

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L'ellipse, du grec év (en) en, et λeíïw (leipổ) je manque, est le retranchement de mots nécessaires pour rendre la construction pleine. Ex. "Est-il rien qui soit plus utile que la science? Rien de plus utile. C'est-à-dire: Il n'est rien de plus utile," &c.-Manuel étym.

Pour que l'ellipse soit permise, il faut que l'esprit puisse suppléer sans effort les mots sous-entendus: toute ellipse qui rend le sens louche et équivoque est vicieuse.

tb La langue romane, Lingua romana, qui existait en France sous les deux premières races de nos rois était un Latin corrompu qui a donné naissance à la langue française.-Voyez, ci-après, l'Origine de la langue française, et le Man. étym.

cc Lucius Apulée, dans son Ane d'or, fait dire deux mots latins à un soldat romain; et, dans ces deux mots, il ne manque pas de lui faire faire une faute de langue.

dd Théophraste, philosophe, disciple d'Aristote. vulg.)—Voyez La Bruyère, page 149.

ee Romulus fonda Rome en 753 (avant l'ère vulg.).

(323 avant l'ère

ff Le siècle d'Auguste ; Virgile, Horace, Properce, Tite-Live, Tibulle, Ovide, Vitruve, &c.

MADAME DE SÉVIGNÉ À M. DE COULANGES.

Je m'en vais vous mander la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus miraculeuse, la plus triomphante, la plus étourdissante, la plus inouie, la plus singulière, la plus extraordinaire, la plus incroyable, la plus imprévue, la plus grande, la plus petite, la plus rare, la plus commune, la plus éclatante, la plus secrète jusqu'aujourd'hui, la plus digne d'envie; enfin une chose dont on ne trouve qu'un exemple dans les siècles passés, encore cet exemple n'est-il pas juste: une chose que nous ne saurions croire à Paris, comment la pourrait-on croire à Lyon? une chose qui fait crier miséricorde à tout le monde; une chose qui comble de joie madame de Rohan et madame de Hauteville; une chose enfin qui se fera dimanche, et qui ne sera peut-être pas faite lundi. Je ne puis me résoudre à vous la dire, devinez-la: je vous la donne en trois.

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Hé bien! il faut donc vous la dire; M. de Lauzun épouse dimanche, au Louvre-devinez qui? Je vous le donne en quatre, je vous le donne en dix, je vous le donne en cent. Madame de Coulanges dit: "Voilà qui est bien difficile à deviner! c'est madame de la Vallière."-Point du tout, madame.-" C'est donc mademoiselle de Retz?"Point du tout: vous êtes bien provinciale!1. "Ah, vraiment, nous sommes bien bêtes !2" dites-vous: "c'est mademoiselle Colbert."- Encore moins.-"C'est assurément mademoiselle de Créqui."- Vous n'y êtes pas. Il faut donc à la fin vous le dire.-Il épouse dimanche, au Louyre, avec la permission du roi, mademoiselle de . . . . mademoiselle.... devinez le nom; il épouse Mademoiselle, fille de feu Monsieur3; Mademoiselle, petite-fille de Henri IVa; mademoiselle d'Eu, de Dombes, mademoiselle de Montpensier, mademoiselle d'Orléans; Mademoiselle, cousine germaine du roi; Mademoiselle, destinée au trône; Mademoiselle, le seul parti de France qui fût digne de Monsieur. Voilà un beau sujet de discourir. Si vous criez, si vous êtes hors de vous-même; si vous dites que nous avons

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menti, que cela est faux, qu'on se moque de vous, que voilà une belle raillerie, que cela est bien fade à imaginer; si enfin vous nous dites des injures, nous trouverons que vous avez raison; nous en avons fait autant que vous; adieu. Les lettres qui seront portées par cet ordinaire vous feront voir si nous disons vrai ou non.

MADAME DE SÉVIGNÉ À M. DE POMPone.

Il faut que je vous conte une petite historiette qui est très-vraie et qui vous divertira. Le roi se mêle depuis peu de faire des vers; MM. de Saint-Aignan et Dangeau lui apprennent comment il faut s'y prendre.

Il fit l'autre jour un petit madrigal que lui-même ne trouva pas trop joli. Un matin il dit au maréchal de Grammont: "M. le Maréchal, lisez, je vous prie, ce petit madrigal, et voyez si vous en avez vu un aussi impertinent: parce qu'on sait que depuis peu j'aime les vers, on m'en apporte de toutes les façons." Le maréchal, après avoir lu, dit au roi: "Sire, votre majesté juge divinement bien de toutes les choses; il est vrai que voilà le plus sot et le plus ridicule madrigal que j'aie jamais lu." Le roi se mit à rire, et lui dit : "N'est-il pas vrai que celui qui l'a fait est bien fat?" "Sire, il n'y a pas moyen de lui donner un autre nom." "Oh bien !" dit le roi, "je suis ravi que vous en ayez parlé si bonnement; c'est moi qui l'ai fait." "Ah! sire, quelle trahison! que votre majesté me le rende, je l'ai lu brusquement." "Non, M. le Maréchal, les premiers sentiments sont toujours les plus naturels."

Le roi a fort ri de cette folie, et tout le monde trouve que voilà la plus cruelle petite chose que l'on puisse faire à un vieux courtisan. Pour moi, qui aime toujours à faire des réflexions, je voudrais que le roi en fît là-dessus, et qu'il jugeât par là combien il est loin de connaître jamais la vérité.

MADAME DE SÉVIGNÉ A SA FILLE.

Paris, 2 janvier 1676. Je vous souhaite une heureuse année, ma chère fille, et dans ce souhait je comprends tant de choses que je n'aurais jamais fait si je voulais en faire le détail.

SEVIGNE (Marie de RABUTIN CHANTAL, marquise de),

Née en 1627, morte en 1696. Séparée de sa fille madame de Grignan, elle lui écrivit tous les jours de ces lettres modèles de composition et de style, où elle se plaisait à épancher les sentiments les plus vifs, les plus touchants de la tendresse maternelle. Recueillies par la postérité, les lettres de cette femme célèbre sont considérées comme le chef-d'œuvre épistolaire du siècle de Louis XIV.

a Anne-Marie-Louise d'Orléans-Montpensier, connue sous le nom de Mademoiselle, fille de Gaston d'Orléans, fils de Henri IV, frère de Louis XII.

DE MADAME DE SIMIANE À MONSIEUR

.....

1732.

J'AI si peur que vous ne me souhaitiez la bonne année le premier, que je me dépêche de faire mon compliment; le voici: bonjour et bon an, monsieur, et tout ce qui s'ensuit. Voilà mon affaire faite, et très-bien faite, je le soutiens; car trois mots qui viennent d'un cœur bien sincère et bien à vous valent un trésor.

SIMIANE (Pauline Adhémar de MONTEIL de GRIGNAN,

marquise de),

Née à Paris en 1674, morte en 1737, fille de madame de Grignan et petite-fille de madame de Sévigné.

VOLTAIRE À UNE DEMOISELLE QUI L'AVAIT CONSULTÉ SUR LES LIVRES QU'ELLE DEVAIT LIRE.

Je ne suis, mademoiselle, qu'un vieux malade, et il faut que mon état soit bien douloureux, puisque je n'ai pu répondre plus tôt à la lettre dont vous m'honorez, et que je ne vous envoie que de la prose pour vos jolis vers. Vous me demandez des conseils : il ne vous en faut point

d'autres que votre goût. L'étude que vous avez faite de la langue italienne doit encore fortifier ce goût avec lequel vous êtes née, et que personne ne peut donner. Le Tasse et l'Arioste vous rendront plus de services que moi, et la lecture de nos meilleurs poètes vaut mieux que toutes les leçons; mais puisque vous daignez de si loin me consulter, je vous invite à ne lire que les ouvrages qui sont depuis longtemps en possession des suffrages du public, et dont la réputation n'est point équivoque1: il y en a peu, mais on profite bien davantage en les lisant qu'avec tous les mauvais petits livres dont nous sommes inondés. Les bons auteurs n'ont de l'esprit qu'autant qu'il en faut, ne le recherchent jamais, pensent avec bon sens et s'expriment avec clarté. Il semble qu'on n'écrive plus qu'en énigmes. Rien n'est simple, tout est affecté; on s'éloigne en tout de la nature on a le malheur de vouloir mieux faire que nos maîtres.

Tenez-vous en3, mademoiselle, à tout ce qui vous plaît en eux. La moindre affectation est un vice. Les Italiens n'ont dégénéré, après le Tasse et l'Arioste, que parce qu'ils ont voulu avoir trop d'esprit ; et les Français sont dans le même cas. Voyez avec quel naturel madame de Sévigné et d'autres dames écrivent: comparez ce style avec les phrases entortillées de nos petits romans. Je vous cite les héroïnes de votre sexe, parce que vous me paraissez faite pour leur ressembler. Il y a des pièces de madame Deshoulières qu'aucun auteur de nos jours ne pourrait égaler. Si vous voulez que je vous cite des hommes, voyez avec quelle clarté, quelle simplicité notre Racine s'exprime toujours. Chacun croit, en le lisant, qu'il dirait en prose tout ce que Racine a dit en vers; croyez que tout ce qui ne sera pas aussi clair, aussi simple, aussi élégant, ne vaudra rien du tout.

Vos réflexions, mademoiselle, vous en apprendront cent fois plus que je ne pourrais vous en dire. Vous verrez que nos bons écrivains, Fénelon, Bossuet, Racine, Despréaux, employaient toujours le mot propre. On s'accoutume à bien parler, en lisant souvent ceux qui ont bien

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