Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

Yonne. En 1419. les uns ont dit que le duc de Bourgogne en abordant le Dau phin, fe mit à genoux pour le faluer, & qu'alors le Dauphin fit figne à Tannegui Duchatel, qui déchargea furle vifage du duc un coup de hache, dont il lui abbatit le manton, & que le duc percé en même temps de plufieurs coups tomba mort: D'autres ont raconté que le duc de Bourgogne voulut enlever le Dauphin, & que ceux qui accompagnoient le Dauphin, fe jettérent fur le duc & le tuérent. D'autres ont écrit que trois gentilshom mes du feu duc d'Orléans étoient venus à cette entrevûë, dans la réfolution de faire ce coup, pour venger la mort de leur maître ; ce qu'ils éxécutérent fi promptement qu'il fut impoffible de l'empêcher.

Aléxis Piémontois en parlant d'un élixir propre à faire revenir la vûë aux aveugles,dit [d],, que cette cau fut or» donnée par une confultation & affem. » blée des plus fçavants médecins d'l»talie pour faire retourner la vûë de » l'empereur de Conftantinople l'an 1438, lorfqu'il étoit au concile à Fer » rare avec le pape Eugéne VI. & la » vûë lui retourna auffi belle que ja » mais, par le moïen de cette eau.,,Le pere le Brun observe que s'étant char. gé de vérifier ce fait, il a confulté avec foin les hiftoriens contemporains qui ont parlé de l'empereur Jean Paléologue, & de ce qui fe paffa à Ferrare en 1438. que ni Blondus, ni Ducas, ni Calcondyle n'ont écrit que Jean Paléologue eût perdu & recouvré la vûë à Ferrare; que Sylveftre Scyropule,loin de faire entendre que l'empereur d'O

33

[blocks in formation]

rient pendant fon féjour à Ferrare & a Florence ait été aveugle, ou même qu'il ait eu le moindre mal d'yeux, dit au-contraire qu'il négligeoit les affaires du concile, parce qu'il étoit conti-` nuellement à la chaffe, ce qui ne convient guéres ni à une vûë perduë, ni même à une vue affoiblie.

Varillas dans fes anecdotes de Florence, rapporte que Pierre de Médicis voïant fon pére mort jetta de colére [e] fon médecin Léoni dans un puits où il fe noïa. Ange Politien qui étoit préfent, témoigne dans une de fes lettres, où il rapporte toutes les circonftances de la mort de Laurent de Médicis pére de Pierre, que Léoni de dé plaifir de n'avoir pas pu guérir ce feigneur, comme il fe l'étoit promis, fe noia [f] lui-même. A qui ajoûterons→ nous foi, à Ange Politien ou à Varillas? peut-être que les ennemis de Pierre de Médicis, pour noircir la réputation, lui ont attribué cette brutalité d'avoir noïé le médecin Léoni; peutêtre auffi qu'Ange Politien attaché à la maifon de Médicis a voulu épargner à Pierre la honte de ce crime. Voilà où nous en fommes en lifant l'hiftoire ; nous ne fçavons à qui nous fier, toujours en danger d'être les dupes ou de la flatterie des écrivains ou de leurs calomnies.

Quelques hiftoriens ont dit que Philippe II.fit étrangler D. Carlos fon fils. Paul Pialecki évêque & fenateur Polonois dit [g] que Philippe II. fit mourir D. Carlos, mais il en parle ambi. guëment, fans décider fi ce jeune prince mourut de poifon ou de la douleur

L

[f] Petr. Caftellan. in vita illuftr. medicor in Petr. Leonio,

[] Mémoir d'Amelot de la Houff. 1. p. 203. ་

d'être en prifon. Saint Evremond dit que l'Espagnol qui étrangloit D. Carlos, lui crioit: Paix, monfeigneur, tout ce que l'on fait, eft pour votre bien. Rien a-t-il plus l'air d'un conte fait à plaifir que cette ironie cruelle & barbare? Le fénateur Vénitien André Morofini raconte dans fon hiftoire de Venife que D. Carlos n'aïant point d'armes pour fe tuer, réfolut de ne plus manger; mais comme il étoit gar dé de trop prés pour exécuter ce deffein, il s'avifa d'avaler le diamant de fa bague. Cette pierre lui étant reftée dans le corps, fans lui caufer aucun mal, las de vivre & réfolu de mourir, il fe mit à manger & boire avec excés, & la diffenterie fuccédant à l'indigestion, il mourut au bout de quel ques jours. Cabrera s'accorde avec l'hif. torien de Venife. Le plus grand nom bre des hiftoriens prétend que fa mort ne fut pas volontaire, mais ordonnée par Philippe II. à qui l'on fait dire à ce fujet, que quand il avoit de mauvais fang, il fe le faifoit tirer. Le trait d'histoire n'est pas affez ancien, pour devoir être enveloppé de tant d'obfcurité. D. Carlos mourut le 24. Juillet 1568.à quatre heures du matin,âgé de vingt-trois ans & quinze jours.

Elizabeth de France, furnommée Elizabeth de la paix, en mémoire de cellede 1559.qui accompagna fon mariage avec Philippe II. mourut le 3. d'Octobre 1568.deux mois & dix jours aprés D. Carlos. Les hiftoriens Efpaguols difent que ce fut par la faute des médecins qui la firent faigner étant groffe, les nôtres attribuënt fa mort à fon mari. Nous marquerons, dit Mézerai [b], comme la plus monftrueufe avanture qui fe puiffe ima

[ocr errors]

[b] Mézer dans. Charl. IX.

[ocr errors]

giner, que Philippe fecond aïant ap- » pris que D. Charles fon fils unique, avoit correfpondance avec les feigneurs confédérés des Païs-bas, qui, tachoient de l'attirer en Flandre, le fit, arrêter prifonnier, & lui ôta la vie,» foit par un poifon lent; foit en le faifant étouffer entre deux coëttes; " & que peu aprés, fur quelque jalou- » fie il empoifonna Elizabeth fa fem-» me, & la fit périr avec le fruit dont „ elle étoit groffe, ainfi que la reine Catherine fa mere le vérifia par des „ informations fecrétes qu'elle fit faire, & par les dépofitions des domef-,, tiques de cette princeffe, lorsqu'ils » furent de retour en France.,,

Rien n'eft fi outré que les couleurs noires dont Buchanan charge le portrait de l'infortunée Marie Stuart,que d'autres hiftoriens nous ont repréfentée, comme une princeffe accomplie.

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

Voici le jugement que Montagne[i] porte d'une hiftoire écrite par Guillaume du Bellai, & des mémoires de Martin du Bellai fon frére.,,Il ne fe peut nier qu'il ne fe découvre évidemment en » ces deux feigneurs ici un grand dé- » chet de la franchise & liberté d'écrire, qui reluit és anciens de leur for-,, te: comme au fire de Joinville domeftique de faint Louis, Eginard, chancelier de Charlemagne, & de " plus fraîche mémoire en Philippe de » Comines. C'eft ici plûtôt un plai- » doïer pour le roi François contre, l'empereur Charles Quint, qu'une » hiftoire. Je ne veux pas croire qu'ils „ aïent rien changé, quant au gros du fait, mais de retourner le jugement,, des événements fouvent contre raifon à notre avantage, & d'omettre,, tout ce qu'il y a de chatouilleux en,,

[i] Eff. de Montagn, liv. 2. 4. 10.

"

"

[ocr errors]
[ocr errors][merged small]

12.

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

méler à peu prés la verité des faits hi-
ftoriques.

» la vie de leur maître, ils en font mé
tier: témoins les reculements de mef-
» fieurs Montmorenci & de Brion, qui
font oubliés: voire le feul nom
22 Y
de madame d'Eftampes ne s'y trouve
» point. On peut couvrir les actions
» fecrétes, mais de taire ce que tout
le monde fçait, & les chofes qui ont
tiré des effets publics & de telle con-
féquence, c'eft un défaut inexcufa
ble. Somme pour avoir entiére con
noiffance du roi François & des cho
fes advenues de fon temps, qu'on
s'adreffe ailleurs fi on m'en croit.

[ocr errors]

22

כל

De la bon

[ocr errors]

Il eft temps de quitter un fujet auffi e critique inépuisable en lui-même, que celui de hiftoi des contradictions qui fe trouvent en tre les hiftoriens. Pour déméler quel jugement le critique doit porter fur les hiftoires fufpectes, il doit remonter à la prémiére, & peut-être à l'unique fource qu'elles ont; comme par exemple à Marianus Scotus pour le conte de la papeffe Jeanne, à Gaguin pour la prétenduë érection du roïaume d'yve tot. Il faut enfuite confidérer diligemment dans quel temps écrivoit celui qui a le prémier debité le fait incertain, quelle étoit fa profeffion, quel parti il fuivoit, & furtout quel attachement il a eu pour la vérité, & quel. le a été son éxactitude dans touts fes ouvrages.On doit auffi compter & pé. fer les témoignages uniformes, s'il s'en trouve. Ces précautions peuvent dé

[k] Eff. de Mont. liv. 1. c. 25.

[1] Marcellus en allant reconnoître un poffe, prodigua mal-à-propros une vie, qui étoit un des plus fermes foutiens de la république Romaine.

[m] Sæcula, & perfonæ intereunt; caufæ, & eventa eadem recurrunt.Strad.

11. Fruit de

l'histoire.

La principale étude, en lifant l'hiftoire, doit être celle des hommes & l'étude de des characteres. Qu'il n'imprime pas tant à fon difciple, dit Montagne [k], la date de la ruine de Carthage que les mœurs d'Hannibal & de Scipion, ni tant où mourut Marcellus[], que pourquoi il fut indigne de fon devoir qu'il mourut là. Etadier l'hiftoire, c'eft étudier les opinions, les motifs, les paffions des hommes [m]: & le fruit en doit être d'apprendre à fe connoître foi-même, en connoiffant les autres, de fe corriger par les exemples [n], & d'acquerir de l'expérience fans danger.

Le devoir de l'hiftoire eft de faire

connoître les hommes par l'éxacte vé-
rité des événements: car s'il ne s'agif
foit que de peindre des fentiments &
des mœurs, les romans & les piéces
de théâtre y feroient également pro-
pres. L'auteur de l'hiftoire de Séthos,
qui a inféré dans cet ouvrage une mo-
rale fublime, a raifon de dire dans fa
préface, que les fituations inventées à
plaifir font plus propres à donner de
grands exemples; mais cette étude des
charactéres & des exemples fait incom-
parablement plus d'impreffion, lorf-
qu'elle eft jointe, finon à une perfua-
fion entiére, au moins à une opinion
probable de la vérité des faits.

L 2

[n] Hoc præcipue falubre ac frugiferum, omnis te exempli documenta in illuftri pofita intueri:ut inde tibi tuæque reipublicæ quod imitere, capias, inde foedum incoeptu, foedum exitu quod vites. Tit. Liv. lib. x.

[ocr errors][merged small]

"

CHAPITRE SEPTIÉME.

De la Chronologie.

SOMMAIRE.

1. Les chronologiftes n'épargnent pas la vérité, pour ajuster les faits à leurs fyftemes. 2. Antiquités imaginaires. 3. Opinions diverses fur l'ancienneté du monde. 4. Des cycles. -Des periodes idéales. 6. Différentes manié res de régler les années. 7. Reformation Julienne. 8. Année des Juifs, 9. Réformation Grégorienne. 10. Des épactes. 11. La fcience du temps fondée fur l'aftronomie. 12. Autres exemples d'années différemment réglées, 13. Différents commencements d'an. nées. 14. Variété de dates. 15. Eres principales. 16. Duroiaume des AfSyriens.17. Autres difficultés de chronologie. 18. Opinion de Nevuton.19. Des marbres d'Arondel. 20. Différents fentiments fur l'année de la naiffance de Jésus-Chrift.

:

L'OBJET de ce chapitre eft de conLes chiro- fidérer l'incertitude des opinions n'épargent chronologiques, mais fans entrepren pas la vérité dre de pénétrer cet abîme ténébreux de la littérature.

de l'hiftoire pour Pajuster à leurs fyfté

pes.

[merged small][ocr errors][merged small]

veau, &, pour ainsi dire, de refondre toute l'hiftoire ancienne: rien ne leur coûte pour ajufter les fiécles à leurs nouvelles idées.

Les interprétations forcées, les épo ques reculées ou rapprochées, les régnes ajoûtés ou fupprimés, les temps prolongés ou accourcis, tout leur est propre, pourvû qu'il favorife les déCouvertes qu'ils propofent. Vous di ricz qu'ils travaillent fur les faits, comme un architecte fur les pierres: ils en retranchent tout ce qui ne quadre pas à leur deffein, ils les taillent, & les figurent à leur gré.

[merged small][ocr errors][merged small]

La vanité de certaines nations leur a fait inventer des temps d'une ancien-imaginaires neté imaginaire. La chronologie des Chaldéens [a] remontoit à quatre cents foixante & douze mille ans.

[ocr errors]

Les Egyptiens regardoient toute les antiquites Grecques, quoique fouvent fort exaggérées, comme l'enfance de l'hiftoire. Dans le dialogue de Timée de Platon, un prêtre Egyptien dit à Solon: O Solom, vous autres Grecs, vous êtes toujours enfants, & vous ne parvenez jamais à un âge mur. Votre efpriteft toujours jeune, & n'a aucune vraie connoiffance de l'antiquité.ll eft arrivé plufieurs inondations & conflagrations fur la terre caufées par le changement des mouvements célestes. Votre hiftoire de Phaeton qui paroît une fable, neft pourtant pas fans quelque fondement véritable . Nous autres Egyptiens nous avons con.

Les chronologies Chaldaïque & Egyprienne font encore fort éloignées de l'antienneté fabuleuse de la chronologie Japonoife. hift. nasur. civil. & ecclef. dé l'empire du Japon. par Engelbert Kampfer. liv. 2.

dreries fur

fervé la mémoire de ces faits dans nos monuments & dans nos temples; mais ce n'eft que depuis peu que les Grecs ont connu les lettres, les Mufes, & les fciences.

Paffons de ces antiquités chimériques à quelque chofe de plus réel: nous ne parlerons que des difficultés les plus célébres & des opinions les plus conteftées

Les fidéles du temps des Apôtres Citions donnoient fix mille ans de durée au monde, avant la venuë de Jésus-Chrift. mon- Il y a eu depuis de grandes variations dans le calcul de ces années. L'hiftorien Jofeph par fon détail met plus de fix mille ans depuis la création jufqu'à Jéfus Chrift; Jules Africain compte cinq mille cinq cents ans; Eufébe cinq mille deux cents ans; Ufferius fuivi par le plus grand nombre quatre mille quatre ans; Scaliger trois mille neuf cents cinquante ans; le pére Pétau trois mille neuf cents quatre-vingtquatre ans ; le pére Labbe quatre mille cinquante trois ans ; Voffius cinq mille cinq cents quatre-vingt-dix ans; les tables Alphonfines dont le calcul eft le plus étendu, fix mille neuf cents quatre-vingt-quatre ans. Chevteau dans fon hiftoire du monde donne une lifte de plus de cinquante calculs diffé rents dont le moindre fait naître notre Seigneur l'an du monde trois mil fept cents quarante, & le plus étendu met entre la création du monde & la naiffance du Meffie fix mille neuf cents

quatre-vingt-quatre ans. Fabricius[b] a raffemblé plus de cent quarante opinions fur la durée du monde depuis fa création jufqu'à Jésus-Chrift.

L'opinion qui ne met que quatre mille ans entre la création & le Meffic, quadre à merveille avec une ancienne tradition qui portoit que le monde dureroit fix mille ans,par proportion aux fix journées de la création aufquelles on applique ces paroles [c]: A vos yeux mille ans font comme le jour d'hier qui eft paflé. Ce fyftéme parta ge tout le temps de la durée du monde en trois temps égaux, deux mille ans avant la loi, deux mille ans fous la loi, & deux mille ans fous le régne du Meffie. Mais la chronologie ne fe regle pas par des proportions & des fymmétries comme l'architecture.

Les grandes difficultés qui fe trouvent à calculer les fiécles & les années depuis la création du monde jufqu'à Jésus-Chrift, naiffent de la contrariété qui eft entre le texte Hébreu de la

Genéfe [d], le Pentateuque Samaritain, & la verfion des Septante.

Le texte Hébreu compte 1656. ans, [e] depuis la création du monde, jufqu'au déluge; le Pentateuque Samaritain n'y met que 1307. ans; le calcul des Septante monte à 2242-ans ; celui de l'hiftorienJofeph à 22 56.ans.Depuis le déluge jufqu'à la fortie de l'Egypte, le texte Hébreu ne compte que 797. ans, ou, felon d'autres 87. Le Pentateuque Samaritain compte 1447. ans> L}

mo fere fit, qui in hoc capite cum alterius opinione concordet. Hujus diverfita

[6] Fabricii bibliograph, antiquar. [c] Quoniam mille anni ante oculos tuos, tanquam dies hefterna quæ præteritis una hæc eft præcipuaque caufa, quod it Pfalm. 89 v.4

[ocr errors]

[4] Annorum numerus, qui ad æram, Chriftianam à mundo condito fluxerunt, nullâ certâ ratione fed verifimili conjectura colligitur. Hinc illa in mundi annis putandis varietas autorum, ut ne

annorum illorum calculus non aliunde quàm ex facrorum librorum hiftoriâ deducitur. Ea porre minus liquidam & explicatam temporum fubductionem continet. Petav-ration.tempor. part.2.lib.2.c.1, [e] Méth, pour étud l'hift.t. 1. 6. Av

« PreviousContinue »