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parti qui mérite la préférence, fuivant que je m'y trouve engagé par le fujet que je traite.

Jean-François Pic comte de la Mirandole & Agrippa, (auquel je n'ai nulle intention de me conformer) ont exé cuté un deffein à peu près femblable à celui-ci: le prémier dans fon ouvrage [d] de l'examen des fciences, le fecond dans le livre qu'il a compofé [e] de la va nité des sciences. Ils ne parlent qu'aux fçavants, ils marquent fuccinctement les exemples de l'incertitude & des contradictions, qui fe trouvent dans les fciences. Ils fuppofent le lecteur affez inftruit pour juger des différentes opinions, dont ces deux auteurs ne parlent que fuperficiellement. J'ai fuivi une route différente : j'entre dans un af fez grand détail des fciences, pour mettre un lecteur qui n'y eft pas verfé, en état d'apercevoir l'empire que l'opinion y exerce. J'en explique les principes; je rapporte les fentiments des auteurs les plus eftimés, avec toute l'étendue néceffaire, pour en donner une idée jufte & compléte, & fouvent dans les propres termes dont les auteurs fe font fervis. J'ai efpéré par là de m'accommo der à toute forte de lecteurs; aux fçavants qui retrouvent avec plaifir dans un feul ouvrage des opinions difperfées dans un grand nombre de volumes; & à ceux qui n'aïant donné aucune application aux matiéres dont je traite, peuvent par cette unique lecture, s'en former une idée, en acquerir même l'intelligence, & juger des opinions qui ont été débitées.

[d] Joan. Francifc. Picus Mirandula, de examine doctrina gentium.

[e] Henricus Cornelius Agrippa, de vani tate fcientiarum.

Je me fuis fervi de tout ce que j'ai trouvé conforme à mon deffein, tant chez les anciens que chez les modernes: & je puis, ce me femble, dire avec Lipfe [f]; que j'ai ramaffé de côté & d'autre les matéreaux, j'ai donné à l'édifice fa conftruction & fa forme.

9. De la ma

forme d

citer.

En citant les auteurs, je n'emploie les termes que le refpect ou la politeffe joi niêre uni gnent aux noms propres ou aux dignités, que lorfque ceux dont je parle, font vivants. Je traite touts les morts fans cérémonie, dont je ne doute pas qu'ils ne nous difpenfent également.

Je crois qu'aucun auteur ne s'avise aujourd'hui d'écrire monfieur de Brantome, ou S. E. monfeigneur le cardinal Mazarin, ou S. A. R. Galton, en parlant de Gafton de France duc d'Orleans, frère de Louis XIII.

On regarderoit comme une affectation de dire M. de Buffy, en parlant de Buffy-Rabutin, ou M. de S. Evremond & je ne comprends pas pourquoi ondevra plûtôt dire M. Racine ou M. Def preaux, que M. Quinaud ou M. Corneille.

Buffy & S. Evremond étoient deux hommes de condition, & le prémier avoit une grande charge. Ils font prefque nos contemporains; le prémier eft décédé en 1693. le fecond en 1703. P. Corneille eft mort en 1684. on trouveroit fort extraordinaire qu'un auteur citât M. Corneille. Mais ce titre refufé à l'âiné, doit-on le donner à Thomas Corneille fon cadet qui a vécu jusqu'en 17092.

Janfenius [glévêque n'a jamais joui

riam variè undique conduxi. Nec aranea
rum fane textus idco melior, quia ex fe fi-
la gignunt; nec nofter vilior, quia ex alie-
nis libamus ut apes. Juft. Lipf. ad capur 1

[flLapides & ligna ab aliis accipio: x-lib. 2. doctrina civilis . dificii tamen extructio & forma tota noftra eft. Archite&us ego fum, fed mate

[g] Certe obfervation, autant que je puis m'en fouvenir, eft tirée du Menagiana.

du monfieur, quifelon les apparences fera continué long-temps à M. Arnaud fimple docteur.

On peut appliquer à ce fujet ce que dit Horace[b]du relief que l'ancienneté donne aux poèmes.Eftimerons-nous ancien, demande-t-il, celui qui eft éloigné d'un fiécle? Oui, la révolution d'un fiécle donne l'ancienneté à jufte titre.Mais celui à qui il ne manque qu' un mois ou qu'un an des cent années, le regarderons-nous comme privé des avantages de l'ancienneté? Il ne faut pas s'arrêter à cette bagatelle, celui-la eft encore au nombre des anciens. J'ufe insensiblement de la même permif. fion, & retranchant peu à peu tout ce monceau d'années, comme fi j'arra chois les crins d'une queue de cheval l'un apres l'autre,je fais fentir à celui qui mefure fon goût par l'ancienneté, qu'il bâtic fur un fondement ruineux.

J'avoue qu'en général on ne peut marquer trop de politeffe: mais n'exi ge-t-elle pas que nous évitions des di ftinctions qui ne font fondées ni fur le mérite des ouvrages, ni fur la dignité des perfonnes, ni fur l'ancienneté des auteurs? Ne faudroit il pas même qu'il y cût des limites bien réglées, pour pouvoir fe déterminer par quelqu'une de ces confidérations?

Si je n'ai pas des bornes prefcrites,au. delà defquelles je fois difpenfé de certainségards, n'y a-t-il pas une forte de présomption de retrancher ces égards à qui que ce foit, & ne dois-je pas en re

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montant de proche en proche traiter de la même maniére touts les noms cités?

Quelles idées les étrangers peuventils fe former à ce fujet: & la poftérité me fera-t-elle pas engagée dans des anachronifmes, qui auront un fondement très raifonnable, en regardant comme plus, ancien celui qui eft cité fimplement par fon nom?

Il n'eft donc pas inutile, ce me femble, de fuivre une régle générale, pour affranchir les gens de lettres de la bizar. rerie d' un ufage, qui traite certains noms, avec plus de politefle que d'autres, fans leur attacher aucune prérogative de nobleffe ou de dignité,& quoique ceux, dont on parle avec plus ou moins de cérémonial, foient également modernes.

A l'égard des perfonnes de l'autre fexe, comme c'eft une néceffité de les diftinguer; j'emploie les termes de madame ou de mademoiselle, toutes les fois que leur nom de baptême n'eft pas préfent à ma mémoire,ou lorfqu'elles font connues & citées par les noms de leurs maris. Je dirois donc mademoiselle Scudéri,& madame des Houliéres, ou madame Dacier,quand elles auroient deux cents ans de plus d'ancienneté.

Lorfque j'appelle fimplement par leurs noms touts les auteurs qui font décédés, je déclare que c'est par refpect pour ces illuftres morts. Leur gloire confifte à vivre dans le fouvenir & dans l'eftime des hommes; & il me paroît beaucoup plus convenable de fuppri

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mer une diftinction, qui peut en quel. à fortifier fon ame contre les coups de la fortune. que façon bleffer leurs mémoires.

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Ariftippe difoit [d] que quand toutes les loix feraient fupprimées, le philofophe ne changeroit rien à sa maniére de vivre.

A la vérité, il faut connoître bien peu les hommes pour s'imaginer,comme Plutarque [e], que fans le frein des loix,les préceptes moraux d'un Parménide, d'un Socrate, d'un Héraclite,d'un Platon, auroient affez d'efficace pour entretenir l'ordre & la paix.

Il fe trouve peu de ces fçavants [f] qui regardent les belles maximes, dont ils chargent leur mémoire, comme des régles de leur conduite, & qui travaillent plus a former leur cœur qu'à orner leur efprit.

Leur curiofité eft un écueil: ces livres qu'ils dévorent [g] avec une avidi té infatiable, ont dabord le goût du miel, mais ils fe tournent enfuite en amertume, lorfqu'ils apperçoivent les difficultés & le vuide des fciences.

Quelle eft

Quelle eft donc la vraie fcience, dit Ifocrate [b] c'eft de fupporter avec tranquillité les événements de la vie, la vraie de conformer fa conduite à la fituation icieece. où l'on fe trouve; c'eft de traiter les hommes avec juftice & bienséance; de fouffrir patiemment leurs injuftices & leurs défauts, enfin de ne se laisser ni amollir par la volupté, ni accabler par

φιλόσοφοι, ἔφη, ἐὰν πάντες οι νόμοι αναιρε πῶσιν ὑμάτως βιώσομεν. Diog. in Laërt in Αriftipp.

[e] Plutarch. adverf Color.

[f] Quotus quifque philofophorum in. venitur, qui difciplinam fuam non oftentationem fcientiæ, fed legem vitæ putet? Cic.Tufcul. quaft. lib. 2.

[g] Accepi librum, & devoravi illum: & erat in ore meo tamquam mel dulce: & cùm devoraffem eum, amaricatus eft venter meus. Apecal, c. 10. [b] Ifocr. Panath,

De fon ufa༢༤.

par la mauvaise fortune, ni enyvrer par la profpérité.

La plus ancienne des bibliothéques, au rapport de Diodore de Sicile, a été celle d'Ofymandias roi d'Egypte. On lifoit fur le frontifpice de cette bibliothéque [i], Remédes pour les maladies

de l'ame.

Tel doit être l'ufage de nos lectures. Soïons bien perfuadés [k] que l'humble connoiffance de nous mêmes eft préférable à toute la profondeur de la fcience humaine.

Sans cet ufage de la science, elle n'eft [1] qu'une grande & dangereufe [7]. illufion.

Appliquons nous à acquerir cette connoiffance de nous mêmes, à devenir meilleurs, à vaincre les paffions, dont nous fentons bien que nous avons le plus à craindre, à nous rendre [m] capables d'exercer nos emplois, & à nous acquitter de touts les devoirs de la condition où Dieu nous a placés de la maniére la plus avantageuse à la fociété.

Celui que fa fituation n'appelle pas au fervice de fa patrie, & qui eft porté par fon penchant à la retraite & à l'étu.

[1] Juxins ¡arpeior. Diod, Sic, lib. 1.

[4] Humilis tui cognitio certior via eft ad Deum, quàm profunda fcientiæ inquifitio. De imit. Chrifti, c. 3.

[] Ingens fabula, & longum mendacium. S. Aug.confeff. 4.

[m]... quem te Deus effe

Juffit, & humanâ quâ parte locatus es in re. Perf. Sat. 5. Η', έλαχες, Σπάρτων κόσμοι. Erafm. adag.chil. 2. centur. 5. proverb. 1.

[n] Quemadmodùm omnium rerum, fic litterarum quoque intemperantiâ la boramus. Sen. epist. 106.

[o] C'eft notre ame que l'Empereur Marc Antonin entend, par cette divinité qui habite au-dedans de nous Au milieu d'une morale fublime, quelle extravagante opi

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de, peut en fe renfermant dans la fcience la plus conforme à fon inclination, rendre fon travail utile au public par de nouvelles découvertes.

De l'inten

Il y a une forte d'intempérance [ n ] dans les lettres. Rien n'eft plus mifera- pérance des ble, dit l'Empereur Marc Antonin [o] lettres. qu'un homme qui veut tout connoître & tout embraffer, & qui non content de fonder les abîmes de la terre, veut encore par les conjectures pénétrer dans l'efprit des autres hommes, fans fe fouvenir qu'il lui doit fuffire de connoître cette divinité qu'il a au dedans de lui, & de lui rendre le culte qui lui eft dû. Le culte qu'elle demande, consiste à la tenir libre de paffions, à la garantir de la témérité, & à faire qu'elle ne foit jamais fachèe de ce que font les dieux ou les hommes. Car ce que font les dieux merite nos refpects, à caufe de leur vertu, & ce que font les hommes mérite notre amour, à caufe de la parenté qui eft entre nous.

Une lecture vafte [p] n'a rien que de fuperficiel & d'infructueux. Arrêtons nous aux auteurs excellents [q]. Leur commerce formera peu à peu notre façon de penfer. La foule des livres r]]

B

nion de croire qu'il dépend de nous de renir une divinité libre ! Le passage est tiré des réflex. de M. Anton, liv. 2. §. 13. raduct. de Dacier.

[p] Illud vide ne ifta lectio multorum autorum, & omnis generis voluminum habeat aliquid vagum & inftabile. Certis ingeniis immorari & enutriri oportet, fi velis aliquid trahere, quod in a. nimo feliciter hæreat. Sen. epift. 2.

[q] Optimis affuefcendum eft, & multâ magis quàm multorum lectione firmanda mens, & ducendus color. Quintil.

[r] Onerat difcentem turba, non inftruit. Satiùs eft te paucis autoribus tradere, quàm errare per multos, Sen. de tranquill, anim,c.9.

ne fait que charger la mémoire, fans laiffer rien de folide.

C'eft retreffir la capacité de l'efprit [s] que de le diffiper par des occupations vaines & indignes de lui. Un homme qui met fon étude à parcourir avec rapidité un grand nombre de volumes, reffemble au voïageur qui paffe dans des contrées fort étenduës, mais fans connoître les mœurs des peuples, & fans apprendre leurs loix. La fcience ne confifte pas à fçavoir beaucoup, mais à faire un bon ufage de ce qu'on fçait.

Nous devons furtout prendre garde que l'intempérance des lettres ne nous détourne des devoirs effentiels. Grotius qui étoit redevable de fon temps aux emplois publics dont il étoit chargé, s'eft attiré de juftes reproches, pour avoir trop fuivi le goût qu'il avoit pour les fciences, & s'être par là diftrait de fes devoirs effentiels. Cicéron dit que l'étude de la philofophie n'a jamais rien pris fur le fervice qu'il devoit à la république, mais qu'il ne pouvoit être prive fans injuftice de la fatisfaction d'emploïer à cette étude le temps, que les autres donnoient à des promenades, à des repas, & à d'autres & à d'autres parties de plaifir.

J'ai connu un magiftrat, qui s'étoit jetté dans les plus profondes recherches en tout genre de littérature. Il poffédoit les auteurs Grecs & Latins, quand il fortit du collège : il avoit appris l'Hébreu en moins de quatre mois. Quelques années après qu'il fut entré en charge, il me témoigna que son attachement à fes devoirs lui avoit fait quitter les études, pour lefquelles il avoit eu une extrême ardeur; qu'il étoit refponfable, non d'un grand pro

[] Hoc habet ingenium humanum, ut cùm ad folida non fuffecerit, in

grés dans les fciences, ou même de l'explication de la fainte écriture, mais de fonzéle pour le bien public, de l'engagement où il étoit entré de rendre la juftice au pauvre comme au riche, & de l'attention qu'il devoit donner à réprimer les abus de la chicane.

voir joint

Il s'eft trouvé quelques genies affez Exemples heureux, pour allier les connoiffances d'un proles plus étendues, aux devoirs aufté- fond feares de la magiftrature. Tiraqueau con- aux occufeiller au parlement, Budé & Gaulmin pations les plus labomaîtres des requêtes, & Jerôme Big- rieufes des non prémier du nom avocat général emplois. ont trouvé le temps de devenir les plus fçavants hommes du monde, au milieu des fonctions laborieufes de leurs charges. La fcience met le comble à l'éloge du magiftrat. Quel fe cours n'en tire-t-il pas ? On difoit du chancelier de l'Hôpital que la fevérité de la juftice étoit temperée en lui, par l'humanité des belles lettres.

Quand on confidére les écrits, qui avoient été laiffés à la pofterité,par Caton le cenfeur, Varron, Cicéron, Céfar, Brutus, Pline, Sénéque, eux qui pour la plupart étoient d'ailleurs fi occupès, & avoient tant de part aux affaires de leurs temps, on a peine à comprendre, comment ils ont pû fuffire à tant de differents travaux. On difoit du garde des fceaux de Marillac, qu'il y avoit pour lui plus de 24. heures à la journée. Le Cardinal de Richelieu, au milieu de fes grandes occupations, a commencé une hiftoire de Louis XIII. la compofé fon teftament politique, & il a travaillé à plufieurs piéces de théatre. Il y avoit plus de cinq cents yers de fa façon, dans la comédie in. titulée: La grande paftorale.

Ceux qui négligent le plus la lec

vacuis & futilibus fe atterat. Verulam. de augm. fcientiar.

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