Page images
PDF
EPUB

10.

Découver

les influences céleftes: & il s'en trouve d'affez fublimes, pour s'attacher à une quinteffence extraite des raïons du foleil, & de la lumiére, fource de l'or potable, & de la poudre de projection, ou de la pierre philofophale. Ils ne promettent pas moins [d] que de rajeunir l'homme par l'un, & de lui procurer des richeffes inépuifables par l'autre.

Mais la préfomption outrée, ou la tes utiles de mauvaise foi de quelques alchimistes la Chimie. ne doit pas préjudicier à une science,qui fait de très utiles découvertes, & qui peut en faire touts les jours encore. Car il arrive quelquefois, comme dit Quintilien [e], que celui qui fe propose un objet exceffif, & auquel il ne parvien dra jamais, fait dans fon chemin des progrès imprévûs,& auxquels il n'avoit jamais penfé. Vérulam eftime que nulle fcience n'eft fi capable de faire connoître la nature, que la chimie.

II.

Superche

[ocr errors]

Les alchimiftes convaincus le plus ries des fouvent de leur propre ignorance, ne Chimistes cherchent qu'à dupper, & à embarquer des gens riches. Ils colorent leur pauvreté de quelque menfonge honnête: & après avoir excufé leur mifére le mieux qu'il leur eft poffible, ils étalent les richesses inépuifables en idées, qu'ils ont en leur difpofition. C'eft le cas d'appliquer la réponse [ƒ] d'Ennius. Il fe mocquoit de quelques devins de fon temps, qui demandoient

une drachme, pour enfeigner des thréfors cachés, & leur difoit, qu'il la leur donnoit de bon cœur à prendre fur ce qui fe trouveroit par leur moïen.

Les chimiftes eux-mêmes [g], tels que Roger Bacon, André Libavius, Jean Bohnius, Robert Boyle, Herman Boerhaave, & plufieurs autres ont publié, & condamné les abus de cet art.

Beaucoup d'auteurs [b]se sont égaïés à décrire les artifices de ces alchimiftes plus altérés par les befoins de la nature, que par leurs fourneaux.

Cédréne[] rapporte qu'un impofteur qui fe difoit chimiste, après avoir trompé plufieurs perfonnes, eut la hardieffe de préfenter à l'empereur Anaftafe un mords de cheval, qu'il difoit d'or maffif, & garni de pierreries; mais que l'empereur aïant découvert que le tout étoit faux, le fit enfermer dans une prifon, d'où il ne fortit jamais.

Un autre chimifte aïant dédié à Léon X. un livre, dans lequel il fe vantoit d'enseigner la maniére de faire de l'or[k], ce pape lui envoïa une gran de bourfe vuide, & lui fit dire que puifqu'il fçavoit faire de l'or, il n'avoit befoin que d'un lieu, où il put le ferrer.

On conte qu'un alchimifte avoit une verge de bois ou de fer creufe en dedans, remplie de limaille d'or & bouchée avec un peu de cire, ou de la fciure fine du même bois. Il la mettoit dans le creufet, fous prétexte de

remuer

[d] Quis dubitat quin omne fit hoc ra

tionis egeftas? Lucret, lib.1. [e] Evenit nonnunquam, ut aliquid grande inveniat, qui femper quærit, quod nimium eft. Quintil. inftit.lib.2.c.12. [f] Cic. de divinat. lib.1.

[g] Hermann. Boerhaave de chemia er

rores fuos expurgante. [h] Erafin. in colloq. Agripp. de vanit. fcientiar.c.yo. Barclaïus in Euphorm. fatiric. part.1.Mémoir de l'Acad. des fcienc.ann. 1722 Naudé, apol.ch.12.14.17.18. 20.

[i] Cedren, hift. compénd.in Anaft.imper. [k]Bayle républ.des lettrJuin 1684.art.6.

remuer les matiéres expofées au feu,& d'examiner le degré de leur fublimation. La cire étant auffi-tôt fondue, ou la fciure confumée, il versoit par ce moïen dans le creufet la quantité d'or, qu'il avoit promis d'y faire

trouver.

Les impofteurs chimiftes [7] fe fervent fouvent de creufets ou de coupelles doublées, dont ils ont garni le fond de chaux d'or & d'argent; ils recouvrent ce fond, avec une pâte faite de poudre de creufet, incorporée avec de l'eau gommée, ou un peu de cire: ce qu'ils accommodent de maniére, que cela paroît le véritable fond du creufet, ou de la coupelle. D'autres fois ils font un trou dans un charbon, où ils coulent de la poudre d'or ou d'argent, qu'ils referment avec de la cire, ou bien ils imbibent des charbons, des diffolutions de ces métaux, & ils les font mettre en poudre pour projetter fur les matiéres qu'ils doi vent tranfmucr. Ils mêlent d'une infinité de maniéres différentes l'or & l'argent, dans les matiéres fur lefquelles ils travaillent: car une petite quantité d'or ou d'argent ne paroît point dans une grande quantité de mercure, de régale, d'antimoine, de plomb, de cuivre, ou de quelque autre métal. On mêle très aifément l'or & l'argent en chaux, dans les chaux de plomb, d'antimoine,& de mercure. On peut enfer mer dans du plomb des grenailles, ou des lingots d'or & d'argent. On blanchit l'or avec le vifargent, & on le fait paffer pour de l'étain, ou pour de l'argent: on donne enfuite pour tranfmutation, l'or ou l'argent qu'on retire de

ces matières.

Tom. I.

[1] Mémoir. de l'Acad. des fcienc, ann. 1722. p.62.

Quelques-uns [m] en ont impofé, avec des cloux moitié fer, & moitié or, ou moitié argent. Ils font accroire qu'ils ont fait une véritable transmutation de ces cloux, en les trempant à demi, dans une prétenduë teinture. Il y a toute apparence que les fameufes hiftoires de la tranfmutation des métaux en or ou en argent, par le moïen des la poudre de projection, ou des élixirs philofophiques, n'étoient rien autre chofe, que l'effet de quelque fupercherie d'autant plus que ces prétendus philofophes n'en laiffent jamais voir qu'une ou deux épreves, après lefquelles ils difparoiffent. Ce qui peut en impofer le plus, dans les hiftoires fuprenantes qu'on a racontées de ces chimistes, c'eft le défintéreffement qu'ils marquent dans quelques occafions, où ils abandonnent le profit de ces tranfmutations, & l'honneur même qu'ils pourroient en retirer: mais ce faux défintéreffement eft une des plus grandes fupercheries, car il fert à répandre & à entretenir l'opinion de la poffibilité de la pierre philofophale, qui leur donne moïen par la fuite d'exercer d'autant mieux leurs fupercheries, & de fe dédommager amplement de leurs avances.

Antoine Bragadinexécuté en Baviére en 1591. pour crime de fauffe monnoïe, avoua qu'il mettoit dans les creufets de l'or véritable, parmi les matiéres qu'il promettoit de convertir en or, pour faire croire qu'il fçavoit compofer ce métal.

[blocks in formation]

gent les fucs de la terre en un nombre immenfe de différentes plantes, & que cette tranfmutation fe fait au travers de mille & mille fibres & organes diffemblables, & de tant de parties diffé rentes des graines, des troncs, des feuilles, des fleurs, & des fruits, à plus forte raifon la pierre philofophale, qui eft la quinteffence féminale de l'or & de l'argent, ou la femence d'un or digéré, & exalté au fupréme degré de perfection, renfermant en foi toutes les propriétés fpecifiques du mixte dont elle a été extraite, peut convertir en or les métaux moins par faits avec d'autant plus de facilité, que toutes les parties des métaux font femblables & homogénes, & qu'il ne s'agit que de les épurer de plus en plus, en féparant toute l'impureté, qui leur eft hétérogéne, pour tranf muer le métal le plus groffier, & le plus imparfait, dans le plus pur & le plus précieux qu'il n'eft pas plus difficile de changer, au moien de la femence argentifique, le vif-argent en argent véritable,que d'épaffir au moïen de la préfure, le lait en un fromage, qui eft un lait plus digéré. Qu'il y a la même poffibilité à changer le vif-argent enor, par la femence de l'or, laquelle aïant en foi la teinture aurifique, la communique par un feu plus long au vifargent, qui eft entiérement difpofé à la recevoir, étant rouge en dedans, quoique blanc à l'extérieur, comme on le connoît évidemment, lorfqu'on le précipite; & qu'ainfi le vif-argent étant de fa nature prefque auffi pefant que Por, il devient plus pefant & plus brillant que l'or commun, par fa coagulation au feu, & par la filtration de la femence aurifique.

[n] On appelle adeptes, ceux qui ont acquis la fcience, Quafi fcientiam ade.

ptos.

[ocr errors]

Les alchimistes obfervent auffi, que Analogiede le vif-argent a une analogic parfaite- vif-argent ment homogéne & fympathique avec de l'or. l'or, ainfi que plufieurs expériences le font connoître. Les chimiftes, & les doreurs, qui craignent que les corpufcules du vif-argent qui s'évaporent, ne fe réuniffent dans leurs têtes, & ne leur jouent quelque mauvais tours mettent une pièce d'or dans leur bouche. Les parties détachées du vif-argent s'arrétent, & s'attachent à cette piéce d'or, la couvrant & l'enveloppaut de maniére, que quand ils la retirent, elle femble être plûtôt d'argent que d'or, quoique l'artifte, ou l'ouvrier ait tenu la bouche fermée. De ces raifonnements & de ces expériences, les alchimistes concluënt, que le vif argent a beaucoup plus de difpofition à recevoir la filtration de la femence aurifique, qu'il ny en a dans les plantes à recevoir la filtration des fucs de la terre, & que cette même femence aurifique a encore plus de vertu pour convertir les métaux imparfaits en or, que la semence végétale n'en peut avoir, pour convertir les fucs de la terre en la subs tance des plantes.

Tels font les principes, fur lesquels les alchimiftes prétendent que les véritables adeptes [n] peuvent aisément changer en or les métaux moins parfaits. Nicolas Flammel dit même, que la conduite du grand œuvre a fi peu de difficulté, & demande fi peu d'application:

Qu'une femme filant fufée
Nen feroit pour peu détournée.

Cela n'eft-il pas bien engageant? touts ces raifonnements néanmoins des alchimiftes me paroiffent [o] avoir un

[o] Certè vix ufquàm plus deliriorum reperias. Hermann. Boerhaave, de chemia errores fuos expurgante..

14.

Objection

défaut, c'eft qu'après avoir comparé les opérations, il faudroit auffi comparer les ouvriers, fçavoir la nature d'une part, & l'artiste de l'autre. ... On fait d'ailleurs une objection contre la générale, qui eft d'une grande force Chimie contre les vertus de la quinteffence féminale, c'eft que le feu, en même temps qu'il décompofe & qu'il diffout les corps, change la forme & la figure de toutes leurs particules, & par conféquent altére & détruit les propriétés des fubftances extraites des mixtes, pour leur en donner peut être d'entié rement contraires: qu'ainfi on ne peut pas dire que la femence extraite d'un cheval brulé, foit propre à engendrer naturellement un autre cheval, ni qu'une plante réduite en cendres conferve la propricté de produire une autre plante: que l'on doit raisonner par rapport au régne du minéral, fur les expériences des deux autres régnes, fuivant les exprettions mêmes des alchi miftes, d'où il résulte que l'agent général de l'alchimie qui eft le feu, eft lui-même oppofe & nuifible à l'objet qu'elle fe propofe.

[ocr errors]

En fuppofant même, qu'on eût trouLe fecret de vé la maniére de fixer & de teindre le Mercure,ne mercure, ce ne feroit après tout que de que de l'or l'or apparent, qui ne pourroit réfifter aux épreuves de la coupelle.

donneroit

aparent.

Si la tranf

auroit nul

16. Quand on auroit un foulfre d'or bien mutation préparé, & qu'on l'appliqueroit à de étoit polli- l'argent, par exemple, il ne feroit que ble, il n'x changer en or, une maffe d'argent égale à celle de l'or, d'où il auroit été tiré : Je fuppofe qu'il lui auroit donné le poids, & toutes les autres qualités néceffaires: mais malgré tout cela, il va

profit.

[blocks in formation]

loit autant laiffer ce foulfre, où il étoit originairement, on n'a rien gagné, fi ce n'est une expérience très curieufe, & certainement on a fait des frais. J'a. voiie que les alchimistes entendent que ce foulfre agiroit à la maniére, ou d'une femence qui végéte, & devient une plante, ou d'un feu qui fe multiplie, dès qu'il eft dans une matiére combustible, & c'est à cela que reviennent les contes de la poudre de projection, dont quelques atomes ont produit, dit-on, de groffes masses d'or; mais quelle phyfique pourroit s'accommoder de ces idées? J'avoue auffi, que fi quelque matiére qui ne fut point or, comme de la rofée, de la manne, du miel, & autres, pouvoit ainfi qu'ils le difent, fournir une portion de l'efprit univerfel, propre changer de l'argent ou du cuivre en or, il pourroit y avoir du profit, mais quelles propofitions, quelles efpérances? cependant, difent-ils, on ne démontre pas, qu'il foit impossible de faire de l'or; on ne démontrera pas non plus qu'il foit impoffible, qu'un homme ne meure pas. Les impoffibi lités, hors les géométriques, ne fe démontrent guéres.

à

Penot étoit un fçavant Chimifte, il fut réduit à une extrême mifére dans fa vieilleffe. Il difoit [9] que s'il avoit un ennemi, dont il voulut tirer la plus cruelle vengeance, il tacheroit de l'engager dans la recherche de la pierre philofophale.

17.

de la tranf

On trouve cependant plufieurs exemples de la trafmutation de métaux en Exemples or. Si ces faits ne font pas véritables, mutation. ils font au moins très circonftanciés,

liii 2

chimiftarum cum Ariftotelicis & Galeni cis, c.2. Joan. Jonston, thaumatograph.natural, claffi 4, c. 26,

& rapportés par des auteurs [r] dignes de foi.

Cœlius Rhodiginus [s] attefte que de fon temps, un François homme de baffe condition, avoit le fecret d'extraire la femence de l'or, de toute forte de métaux. Plufieurs auteurs af furent d'une maniére unanime, qu'Arnaud de Villeneuve a fait des lingots

d'or.

Cardan [+] a écrit qu'un apothi. caire, nommé Antoine, convertit à Venife du vif-argent en or en préfence du Doge Gritti, & des principaux fénateurs.

Van-elmont témoigne qu'il a vû & touché plufieurs fois la pierre philofophale, qui étoit de la couleur du fafran en poudre, mais plus pefante & brillante comme du verre pulverifé.On lui en donna une fois le quart d'un grain, c'est-à-dire de la foixantiéme partie d'une once: il le jetta enveloppé dans du papier, fur huit onces d'argent vif tout bouillant dans le creufet, & incontinent tout ce vif-argent perdit fa fluidité avec un petit murmure, & prit la confistance de la cire jaune: après quoi, comme on l'eut fondu, on y trouva huit onces d'argent très pur à onze grains près. L'empereur Ferdinand III. de fa propre main [] par le moïen d'un feul grain de cette teinture philofophique, changea une demie livre de vif-argent en or, dont il fit

[r] Senners. loc. citat. c. 2. Neander in geogr. Oporinus, in epit. uterq. ap. in epit. uterq. ap. Joan. Jonfton. loc. citat. &c.

[s] Cal. Rhodig, antiq. lection. lib.11.

C. 13.

[t] Cardan, de fubtilit: lib.6.

[u] On lifoit d'un côté de cette médaille: Divina metamorphofis exhibita Prage, 15. Jan. ann. 164 8. in præfentiâ fac. Cæ far. Majeftatis Ferdinandi III. & au revers: Raris hæc ut hominibus eft ars;

faire une efpéce de monnoïe en forme

de médaille.

Ces faits hiftoriques ne peuvent être révoqués en doute, mais ils trouvent leurs folutions dans quelqu'une des fupercheries rapportées ci-dessus.

Les alchimistes s'attribuënt auffi le pouvoir de donner aux pierres précieufes, le degré de perfection qui leur

manque.

18.

Y at-il rien de plus ridicule, que les contes des chimiftes fur leur ArteLongue vi phius, qui par la vertu de la Chimie, phius. a vécu [x], difent-ils, mille vingt cinq ans. Ils croient du temps de Roger Bacon qu'Artephius avoit voïagé dans tout l'Orient, qu'il poffédoit les fecrets cachés de toutes les fciences, & qu'il étoit encore en Allemagne. Jean François Pic comte de la Mirandole fe mocque des réveurs alchimiftes, qui ne faifoient aucune difficulté d'affurer, qu'Artephius étoit le même qu'Apollonius de Thyane.

Les Egyptiens, au rapport de Diodo. re [y] de Sicile, étoient perfuadés, qu'Ifis avoit trouvé le breuvage de l'immortalité, au moïen duquel elle avoit rendu Horus fon fils immortel.

Paracelfe [z] par fon grand arcane, promet les années de Mathusalem: Van-elmont affure que fon extrait des cédres du Liban a le pouvoir de rajeunir: Butler attribue à sa pierre une telle vertu, qu'en paffant feulement le

ità rarò in lucem prodit. Laudetur Deus in æternum, qui partem fuæ infinitæ potentiæ nobis fuis abjectiffimis creaturis communicat. Bayle républ. des lettr. Novembr. 1687. art. 2.

[x] Proh fuperi! quantum mortalia pectora cæcæ.

Noctis habent! Ovid, metam. lib.6.
[y] Diod. Sic. lib. 1.

[z] Hermann. Boërbaave, de chemin fuos errores expurgante.

« PreviousContinue »