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François.

avec les mœurs & le goût de notre fiécle, je fuis étonné de n'y pas trouver plus de différence; & Homére me paroît bien plus proche de nous, que les auteurs, qui vivoient, il y a deux cents ans. Voici un exemple qui fervira de preuve à ma propofition.

3. Les piéces de théatre parmi nous ont Des prémiéres piéces commencé par jouer l'hiftoire de la vie du théatre & de la paffion de N.S. cela s'appelloit jouer les myfteres, & lorfqu'on repréfentoit la vie de quelque faint, cela s'appelloit jouer le myftere d'un tel faint. Dans l'edition de la tragedie de la paffion donnée au public l'an 1539 qui contient les additions faites par très-éloquent & fcientifique docteur maître Jean Michel, on lit au titre ces paroles naïves: Lequel mystére fut joué à Angers moule triomphamment, & derniérement à Paris. Comme dans cet ouvrage il n'y a point d'acteur qui n'ait fon nom particulier, les deux gardes du fepulchre s'appellent l'un Marchantonne, & l'autre Rubion. Voici en quels termes Marchantonne affure à Caïphe & aux autres Juifs, qu'il aura trés grand foin, que le corps du crucifié ne foit pas dérobé.

MESSEIGNEURS,
Nous promettons fur nos honneurs.
De veiller fi bien nuit & jour
Et d'y faire fi bon féjour,
Que nous vous répondrons du corps,
Pourvu que foïons les plus forts,
Ou y en aura de torchés.

Rubion ajoûte.

Je fois pendu ou écorché,
S'il en approche chien ou chat,
Si je ne l'affomme tout plat

Du prémier coup, fans marchander,

Et puis m'en vienne demander
De fes nouvelles qui voudra.

Ces vers font un peu éloignés du goût dramatique, qui a régné cent ans après dans les pieces de Corneille.

En 1420. lorfque le roi de France & <t le roi d'Angleterre entrérent dans Paris << (9), fut fait en la ruë Kalende devant le ce palais un moult piteux mystére de la << paffion notre Seigneur au vif, felon qu'elle eft figurée au tour du cueur de notre Dame de Paris, & duroient les " échafaulx environ cent pas de long, vẻ. ‹‹ nant de la rue de la Kalende, jufqu'aux « murs du palais, & n'étoit homme qui « veift le mystére, à qui le cueur ne apiteaft.

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En 1424.devant le Châtelet(r), avoit ung moult bel myftére du vieil tefta- " ment & du nouvel, que les enfants de << Paris firent, & fut fait, fans parler, ne « fans figner, comme ce fuffent ymages « enlevées contre ung mur.

Alain Chartier (s)parlant de l'entrée de Charles VII. à Paris en 1437. dit: Tout au long de la grand rue S. Denys, " auprés d'un jet de pierre l'ung de l'au- « tre, étoient faits échaffaulx bien & ri- a chement tendus,où étoient faits par per. « fonnages l'annonciation notre Dame, Ja nativité notre Seigneur, fa paffion, la réffurrection, la pentecôte, & le jugement qui féoit très bien : car il fe jouoit " devant le Châtelet, où eft la juftice du « roi. Et emmy la ville avoit plufieurs «< autres jeux de myfteres, qui feroient trop longs à raconter, & là venoient gens de toutes parts, criant, Noël, & les autres pleuroient de joie.

L'hiftoire de la ville de Lyon (1) fait

mention

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e

(g) Journal de Paris, fous Charl.VI.& Charl. VII. imprimé à Paris en 1729. in-4. 8.72.

(r)ib.p. 102.

() Alain Chartier, hift. de Charl. VII. p. 209.

(1) Hift. de la ville de Lyon par Rubis, liu. ·3.6.53.

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mention d'un théatre public dreffé à » Lyon en 1540.,, Et là par l'efpace de Et là par l'espace de » trois ou quatre ans, les jours de diman» che, & les fêtes après dîner furent repréfentées la plupart des hiftoires du " vieil & du nouveau teftament, avec la » farce au bout pour récréer les affiftants. "Il paroît par la bibliothèque de la Croix du Maine, que dés l'an 1540. quelques-unes de ces comédies faintes avoient été imprimées. Certaines proceffions qui font encore ufitées en beaucoup d'endroits, font des reftes des anciens jeux des mystéres.

La prémiére fociété de comédiens en France fut érigée en confrérie, fous le titre de la paffion de N. S. Ils obtin rent des lettres patentes du 4. Décembre 1402. pour leur établissement à Paris.

Chez nos dévots aïeux () le théatre ab

horré

Fut long-temps dans la France un plaifir

ignoré.

De pelerins, dit-on, une troupe groffiére
En public à Paris y monta la prémiére,

de Bourgogne, à condition de n'y jouer
que des fujets prophanes, licites, &
honnêtes; & leur fit de très-expreffes
défenfes, de représenter aucun mysté
re de la paffion, ni autres mystéres fa-
crés.

14.

Il y a beaucoup de caprice dans toutes les productions de l'efprit, comme Caprice des producdans les autres ouvrages de la nature. tions de Le poëme Dramatique parmi les an- l'esprit. ciens fut long-temps dans l'enfance, & l'effai du poëme Epique le plus difficile de touts a été un coup d'un grand maître: au lieu que parmi les modernes le poëme Dramatique atteint ou furpaffe même tout ce que l'antiquité à fourni en ce genre, mais qu'il ne fe voit rien qui égale les deux poëmes d'Homére & de Virgile.

utht diffi

La plupart de ceux qui en ont cher- 15. Pourquoi ché la caufe, & entr'autres le P. Rapin le foëme [x] l'ont attribuée à la monotonic de la épique nérime, qui à la longue fatigue l'oreille, cilement. & rend un ouvrage languiffant. Le P. Bougeant réfute cette opinion, & trouve la véritable raifon du peu de réuffite de nos poëmes Epiques dans le mêlanFrançois prémier confirma cet étage de la véritable religion avec l'interbliffement des confréres de la paffion par lettres patentes du mois de Janvier 1518.Long-temps auparavant le cardinal Le Moyne avoit acheté l'hôtel de Bourgogne, & l'avoit donné à une troupe de comédiens, qui récitoient les actes de la paffion de Jésus-Christ, ou de quelques martyrs, à condition qu'ils ne représenteroient que des piéces pieufes.

Un arrêt du parlement de 1541. défendit la repréfentation de ces fortes de jeux, mais par un arrêt du 19. Novembre 1548. le parlement permit aux comédiens de s'établir dans l'ancien hôtel

Tom. I.

[u] Des-Preaux, ars poëtique, chant 3.

vention des divinités du Paganifme, &
avec ce merveilleux qui conftitue la vé-
ritable effence du poëme Epique. Je
raporterai les propres termes du P. Bou-
geant, comme très-propres à dévelop-
per & à faire valoir fa penfée.

Par quelle fatalité eft-il arrivé que
depuis la renaissance des lettres, ni les
François ni les autres nations, après
avoir égalé à peu prés les anciens dans
tout le refte, & les avoir même fur-
paffés
paffés en plusieurs choses, n'ont pû
encore produire aucun poëme Epique,
qui foit véritablement eftimable en
genre de poëme Epique, quoiqu'on y

H

[x] Le p. Rapin, réflex. fur la poësie.

trouve d'ailleurs beaucoup de beautés? ce feroit une injuftice d'en attribuer la caufe au défaut de génie dans les modernes. L'Ariofte, le Taffe, Milton, fans parler de plufieurs autres, en ont eu fuffifamment pour réüffir, fi la chofe eût été poffible. C'est encore une erreur parmi nous de s'en prendre ala rime, dont l'uniformité, dit-on; & les chûtes continuelles fatiguent l'efprit & l'oreille. Elle a au contraire de la grace & de la force; elle fixe l'attention & la mémoire; elle entraîne l'efprit, flatte l'oreille, embellit l'expreffion, elle relève les penfées les plus fimples, & donne une nouvelle force aux plus fublimes. Ne donne-t-elle pas un nouvel agrément au poëme du Lutrin? Nelit-on pas tout de fuite toutes les tragédies de Racine fans être fatigué de la rime? Seroit-ce, comme quelques-uns s'imaginent, que nos auteurs fe font attachés à des fujets trop récents? La plupart de nos modernes ont pris des fujets fort anciens. Tels font la Jérufalem délivrée, Clovis, Pharamond, Conftantin, & encore plus le paradis perdu, qui eft fans contredit le plus ancien de touts les fujets. Il n'y eut jamais de fujet de poëme plus récent que celui de l'Iliade, lorfqu'Homére le publia, & cependant l'Iliade ne laiffa pas d'attirer dès lors l'admiration de toute la Gréce. La véritable rai. fon du peu de fuccès de poemes épiques de nos modernes, c'eft qu'ils ont choifi

[y] L'Ariofte méle faint Jean avec les Parques, avec l'Hippogriphe, & autres fables Arieft. Orland. furiof.cant. 34. Stanz. 58.

Alexandre Rofa dans un poëme intitulé: Virgilius Evangelizans. décrit ainsi l'inftitution du Saint Sacrement:

Jamque dies cœlo concefferat, almaque Phoebe

des fujets qui fuppofent la véritable religion, & qui ont quelque liaison avec elle: or la véritable religion détruit ce merveilleux qui confifte dans l'intervention desdivinités du Paganisme, qui conftitue la véritable effence du poëme épique. Auffi voïons-nous que les avantures de Télémaque, aux quelles il ne manque que la rime pour être un poë me épique accompli, & auxquelles rien ne manque pour être un ouvrage ache. vé ont été généralement applaudies & admirées, au lieu que le mêlange des idées de la véritable religion avec les fa bles & les divinités du Paganisme [y], n'a pû rien produire qui ait été gouté, malgré l'excellence des morceaux déta. chés, malgré l'agrément de la belle verfification, malgré les defcriptions charmantes, & les plus beaux traits de morale qui y font inférés.

Le poëme de la Henriade vient de nous prouver qu'aucun de ces obftacles n'eft infurmontable; & que ni la monotonie de la rime, ni le choix d'un fujet récent, ni le mélange de la vraie religion avec le merveilleux de la mythologie, n'empêchent de produire du beau & de l'excellent dans le genre du poëme épique.

Le merveilleux des fables eft fi effentiel au poëme épique, qu'on a contefté à Lucain la qualité de poëte, parceque fes narrations tiennent plus de l'hiftoire que de la fiction. Palingénius fe déclare contre ce fentiment [z]. Il

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Noctivago curru celfum pulfabat re verum, Olympum;

Cùm Chriftus Cererem fociis Bac.

Atque fibi folis divûm bonitate tributum,

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16.

Diffute Fineraire au

des & des

fert de cette comparaifon:,, Comme
la voix contrainte dans l'étroit canal,,
d'une trompette fort plus aiguë & plus
forte, ainfi la fentence preffée aux,,
piés nombreux de la poëfie s'élance
plus brufquement, & frappe d'une
plus vive fecouffe.,,.

auroit honte, dit-il, de faire des vers,
s'ils ne pouvoient pas être le langage de
la vérité, & fi le menfonge étoit effen-
tiel à la poësie.

On ne doit, fuivant Strabon[a], ni
prendre pour vrai ni regarder comme
entiérement fabuleux, ce qu'on trou-
ye dans Homére & dans les autres poë-

tes.

Les avanturesde Télémaque on été regardées comme un poëme parfait. L'abbé Fraguier s'eft oppofé à cette idée, & a compofé une differtation [b] pour prouver qu'il ne peut y avoir de poëme en profe.

Il s'eft élevé dans ces derniers temps une difpute qui a partagé quelques uns falet des o- de ceux qui tenoient le premier rang Lagedies. [c] dans l'empire des lettres, fçavoir fi les vers font abfolument néceffaires aux odes & aux tragédies. Montagne [d] pour exprimer l'effet de la poëfie, fe

Omnia judicio perplexa expandere recto,
Dicturos nunquam me deguftaffe beatos.
Aoniæ fontes & facras Phocidos undas,
Nec prortus lauro dignum titulove poëtæ,
Quod non inflatas nugas mirandaque mon
ftra

Scribimus, ac nullas fingende illudimus.

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L'origine de la rime eft contestée.
Caramuel prétend qu'avant Homé-
re on écrivoit en Grec rimé : & il fe
fonde fur une comédie d'un ancien poë-

te nommé Trézeis. Les uns attribuënt
l'origine de la rime aux Provençaux:
les autres foûtiennent que les Proven-
çeaux l'ont empruntée des Arabes, &
qu'une preuve de l'ancienneté de la ri-
me chés les Arabes, fe tire de l'Alcoran
écrit en rimes arabesques. Il femble à
d'autres que les vers Léonins[e] ont été
la vraie fource de la rime.

Etienne Jodelle & Jean-Antoine de
Baïf [f] ont entrepris de fupprimer

H 2

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Paling. Zodiac. vita, lib. 6.
[a] Strab.lib. 1.

[b] Mémoir. de l'Acad. des bell. lettr. 1.6.
[c] La Motte & M. de Voltaire ont été leo
chefs dés deux partis qui ont foutenu les opini
ons oppofées.L'épitre de Clio fur ce differend eft
un morceau de littérature d'un goût exquis.

[d] Montagne, liv. 1. c. 25.

[e] Les vers Léonins ont été fort à la mode:
ils furent ainfi appellés d'un chanoine régulier
de fains Victor nommé Léon, qui vivoit fous.
les régnes de Louis le Jeune, & de Philippe Au
gnfte.

Dæmon languebat, monachus tunc effe
volebat,

Aft ubi convaluit, manfit ut antè fuit.
Cùm fator rerum privaffet femine cle-

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17.

De la time.

18,

Entraves

la rime, & d'introduire des vers mefurés à la maniére des Grecs & des Romains, ce qui ne leur a pas réüffi. Nicolas Rapin [g] fit la même tentative, en quoi le cardinal du Perron dit que Rapin fut plus beureux que Jean-Antoine de Baif, qui avoit effaïé le même genre de poësie.

On a donné à l'efprit humain desendonnées à traves bien plus génantes encore que l'efprit. celles de la rime. Simmias, Simonide, & quelques autres poëtes Grecs ont imité par la mesure de leurs vers plus ou moins longs certaines figures comme d'un œuf, d'un autel, d'une hache, des aîles. Athénée [b]obferve que Pindare compofa une ode d'où la lettre S étoit excluë.

L'anthologie [] fait mention de vers compofés de manière qu'ils pouvoient être retournés, & que touts les mêmes mots dans un ordre rétrograde faifoient d'autres vers & un autre fens.

L'hiftoire des Cardinaux [k] rapporte des vers dont l'artifice étoit tel, qu'en les lifant dans l'ordre qu'ils pré

[g] Baillet, jugem. des fçav. 1. 5. p. 50. [b] Ce poëme étoit nommé agirov. Athén. déipnof. liv. 10. c. 17.

[i] Anthol. lib. 6. c. 4.

[k] Quidam vates Clementi VI. obtulit libellum fupplicem alicujus doni obtinendi gratiâ, & in eum finem verfus panxit miro artificio elaboratos,qui in laudem pontificis legebantur, modò fupplicationi fuiffet fatisfactum, alias eodem retrogrado ordine vir mercenarius & maledicus in pontificis dedecus compofuerat. Laus tua, non tua fraus, virtus,non co

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fentoient, ils contenoient un éloge, & qu'en renverfant touts les mots dans l'ordre rétrograde, on y trouvoit d'autres vers fort fatiriques. On trouve dans cette même hiftoire des Cardinaux [/] des vers Grecs à la louange de Pierre de Gondi, qui commencent par toutes les lettres qui rangées de fuite forment fon nom.

C'est ce qu'on appelle vers acroftiches, lorfque les premières ou derniéres lettres de chaque vers font lire par leur arrangement un nom ou autre chose intelligible. Cicéron [m] a parlé des vers acroftiches des Sibylles. Saint Auguftin [n] rapporte de ces fortes de vers de la Sibylle Erythrée.

Ovide dans la métamorphofe de la Nymphe Echo a donné un éxemple des fyllabes répétées qui imitent les échos.

Mézerai [o] fait mention d'un poëme de trois cents vers à la louange de Charles le Chauve, dont touts les mots commençoient par la lettre C. On trouve dans les bigarrures de Des Accords [p]

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Copia, non virtus; fraus tua,non tua laus. Gall. purpur. p. 72.

[] Gall. purpur. p. 658.

[m] Cie, de divinat. lib. 2.

[n] Les vers de la Sibylle Erythrée cités par Saint Augustin, forment par leurs lettres initiales ces mots : I'xos Xpiorós 83 vids owrip. Jésus-Chrift fils de Dien, Sauveur. S. Aug. de civit. Dei, lib. 18. c. 23.

[o] Mézerai, dans le régne de Charles la Chauve.

[p] Bigarr.de Des Aca, liu. 1, ch. 14.

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