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fur les faignéca.

opinions elles n'égalent pas le danger des fai gnées. Chryfippe de Cnide, & Era fiftrate, appellé par Macrobe [z] le plus illuftre des médecins, étoient d'avis de fupprimer [0] entiérement les faignées quelques-uns n'en admettent l'ufage qu'en cas que le danger de la fermentation du fang preffe & menace fi fort qu'on n'ait pas le temps d'y remédier autrement qu'en ou vrant la veine. D'autres paroiffent avoir pour principe d'épuifer entiérement leurs malades de fang. Celfe & Galien l'ont prodigué beaucoup plus qu'Hippocrate, mais bien moins que Hos médecins. A la vérité Galien fai gnoit jufqu'à la défaillance; il fe fondoit fur ce qu'un pareil épuifement de fang fait à la fois, caufoit dans la machine une révolution qui emportoit la maladie. Ilappelle cette méthode, couper [p] la gorge à la fiévre. Il dit qu'il a tiré [q] dans un jour jusqu'à 54. onces de fang. Il n'approuve pour tant pas ces grandes faignées: & il avouë qu'il avû deux malades en mourir. Ainfi n'étant pas bien d'accord avec lui-même, il confeille de ne pas tirer à la fois tout le fang qu'il eftà propos d'ôter aul malade, & de faire plûtôt une feconde faignée; & même l'on veut, une troifiéme. Il y a donc apparence [r] que. Galien n'ordonnoit guéres que trois ou quatre faignées tout au plus dans une maladie. Pour Hippocrate, il ne faifoit faigner ni les enfants, ni les vieillards, & il défendoit la faignée dans la fièvre. Si quelqu'un a un ulcére à la tête, dit-il,

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il faut le faigner, pourvû qu'il n'ait pas de fiévre. Il eft à propos, ajoutet-il, de faigner ceux qui perdent tout d'un coup la parole, pourvû qu'ils foient fans fiévre..

Celfe eft d'avis [s] que fi l'on a en vûë tout le corps en général, il faut faigner au bras; mais que s'il s'agit feulement de quelque partie affectée, il faut faigner à la partie même, ou à la plus voifine. Il rapporte au même endroit le fentiment oppofé de quelques médecins, qui veulent qu'on faffe la faignée le plus loin qu'il fe peut, de la partie malade, parce qu'ils prétendent que par ce moien on détourne de cette partie le cours rapide du fang, & qu'on la furchargeroit au contraire, en forte que la fluxiony feroit augmentée, fi l'on faignoit auprès ou à la partie même. Parmi les modernes les uns tiennent pour les faignées dérivatives, les autres pour les faignées révulfives.

Les médecins Italiens font dans le fyftéme de purger le fang, & de n'en tirer prefque jamais. En effet la diéte & les purgations prifes à propos corrigent les mauvaifes qualités du fang & en diminuent le volame par la lie, au lieu que la faignée fait fortir la liqueur la plus pure, l'humeur la plus fubtilifée qui foit dans le corps, en tirant des veines ce qui a été filtré par touts les canaux, où le mouvement de la circulation l'a fait passér. : Unautre effet de la faignée fort dangereux, eft de corrompre ce qui refte de fang dans les veines, parceque le

[n] Macrob. Saturnal.lib.ult.c.ss

[o Galen, de curandi ratione per vena fectionem, c. z. Id. de fanitate tuenda, lib.4.c.10.

[3] Ω'ςε τινὰς τῶν παρόντων εἰπεῖν, ἔσφα ξας, ἄνθρωπε τὸν πυρετόν, Galen. methodo

medendi, lib. 9. c. 4.

[9] Galen, de curand, ration. per ven. festion. c. 12.

[r] Le Clerc, hift.de la médec.part.1, ch.19. [s] Celf, lib. 2. c. 10.

vuide qui s'y eft fait, eft auffi-tôt remplacé par un chyle imparfait, par une bile acre, & par le fediment des humeurs qui dominent fur-tout dans un corps malade: ce n'eft qu'à la longue -& par la circulation, que ces mauvai. fes humeurs font changées en un fang pur, fluide, & d'auffi bonne qualité, que celui qui a été tiré. Toute la matiére, continue dans le canal pancréatique, „dans le réfervoir de Pecquet, dans les veines lactées fecondaires & même dans les radicales, paffe dans la cavité droite du cœur, & n'étant pas fuffifamment préparée & atténuée,y produit la fanguification la plus défectueufe.11

La bile ou le phlegme, felon que ces humeurs dominent, en un mot touts Jes excréments du fang s'introduifent dans les veines à la place de celui dont le malade a été privé. C'eft comme fi pour éclaircir le vin dans un tonneau, ontiroit la liqueur qui eft au haut, & qu'on y laiffât toute la lie ou comme fi pour rendre un canal plus net, on en faifoit fortir une eau courante, & qu'on y attirat à la place l'eau croupie de quelque marre voisine... po redat L'expérience aft conforme à ce raifonnement. Saignez un homme bien fain plufieurs fois de fuite, fon fang viendra de plus en plus corrompu. Pourquoi le fang d'une prémiére fai gnée eft-il très-bon, & celui d'une troifiéme ou quatrième faignée fort mau vais, fi cè n'eft que la lie des humeurs, qui s'est mêlée parmi le fang, à la place de la partie la plus fubtile qui en a été tirée, y porte la corruption, & les fucs les plus nuifibles?

1 Sanguinem univerfa carnis non comedetis quia anima carnis in fanguine eft: Levitia 61780

[[ Sanguis eorum pro animâ eft.

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L'action des vaiffeaux qui aide la circulation, en eft altérée, les efprits font diminués & amortis, la fermentation corrompuë, le fang devient grof. fier, féreux, crud, & péfant; toute la machine déja attaquée par la maladie, tombe dans le dérangement. De-là lés artéres ont beaucoup à travailler pour épurer ce nouveau fang, & le rendre affez fluide, pour qu'il puiffe circuler. Les mauvais effets des faignées le manifeftent d'une maniére évidente au dehors; le malade enfle par les jambes, s'il eft debout: par le vifage & les mains s'il eft couché.

L'averfion de la nature pour. r ce ré méde indique qu'il lui eft contraire. On fent de la répugnance à voir cou ler le fang, parce qu'il eft le principe de la vic. Vous ne mangerez point le fang, dit Moyfe[], parce que la vie eft dans le fang. Il dit[] ailleurs, que de fang des bêtes eft leur ame. quay

Ceft fur ce principe que plufieurs ont foutenu que le fang n'eft jamais trop abondant, mais que quelquefois il fermente trop. Les médecins Orientaux ne faignent jamais: ils difent que fi le por boult trop, il ne faut pas diminuer la liqueur, mais l'action du feu

a

Nos médecins font dans des principes fort différents; ils font beaucoup plus feigner que les médecins Grecs. Les vieillards mêmes ne font pas exemts de cette méthode, quoique Riolan [x] reconnoiffe que les hom mes qui ont paffé quarante ans, font beaucoup moins de fang. 11.1

Les partifans des faignées difent qu'elles font néceffaires pour prévenir les dépôts, mais leurs adverfaires fouFfff 30

Deuter. cap. 12.
Le même fentiment fait dire à Virgile
Purpuream vomit ille animam.
[x] Riolan. physiol. §. 7.

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dans la peti

tiennent que les faignées caufent les dépôts, au lieu de les prévenir; par deux raifons la premiére qu'elles ôtent à la nature la force de chaffer par la tranfpiration Fhumeur qui fe tourne en abcès; la feconde, que tirant des veines, ce qu'il y a de plus fpiritueux & de plus fluide, la matiére impure qui s'y introduit, eft beaucoup plus fujéte à former des obftructions & des dépôts.

Ceux qui défapprouvent en généDes faignées ral l'ufage des faignées, ont bien plus te vérole d'éloignement pour elles dans la petite vérole. Comment un mal peu redouté de nos péres, & qu'on voit cncore fans effroi dans les campagnes, eft-il devenu un fleau: fi terrible dans les villes, où il y a de fçavants méde çins? n'eft-ce point qu'ils veulent pren dre fur eux un foin dont la nature est jaloufe; & qu'ils veulent faire fortir le venin par les moiens qu'ils imaginent, fans avoir affez d'égards à ceux que la nature a choifis?

53. Médecins

Il femble que la nouvelle phyfique devenus plusait rendu les médecins beaucoup plus entrepre- entreprenants. Chacun a mis la nature en fyftéme, non pour difcourir, mais pour operer. d

nants.

540 Différents

Les médecins en dernier lieu ont donné dans la géometrie, & dans la pure mechanique. Tout devient aujourd'hui figure ou calcul. On cherche dans la folution des problémes d'algébre la force du mal & le degré de puillance des remédes.

De-la eft venu le mépris des anciennes maximes, & le changement des anciennes méthodes..

Suivons les indications de la natufailonne- re, difoient les anciens médecins, elments fur la le fait effort vers la circonférence ; aidons ce mouvement par des cordiaux. Mais qu'en est-il arrivé à ces réme

petite véro

je.

des ont fouvent irrité le mal. Un feu falutaire que la nature avoit allumé pour fon foulagement, & dont elle fçavoit ménager la proportion, a été converti par les cordiaux en un incendie; & le malade succomboit aux rávages qu'une chaleur exceffive caufoit dans la tête ou dans les poulmons.

Les médecins témoins de ces accidents, les ont imputés à la nature, quoique la petite vérole foit moins une maladie, qu'une crife ou un effort de la nature pour chaffer le venin qui l'incommode. Ces médecins plus hardis que les prémiers, ont entrepris d'ouvrir un nouveau paffage à l'humeur par les vifcéres. De peur que fon iffue par les pores ne fût pas suffifante, ils ont voulu y faire diverfion, en tachant d'évacuer le venin en partie par les plus forts purgatifs; mais l'opération de la nature s'eft trouvée interpretée,& le reflux du venin a suffoque le malade loose!

Les partifans de fa faignée ont raifonné différemment ; ils fe font fondés fur ce que l'éruption des puftules eften raifon réciproque de la réfiftance de la peau ou ce qui revient au même, que l'éruption des puftules fe fait à proportion, que le fang fait effort d'un côte, & que de l'autre la peau céde.

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માં

- Sur ce principe, ils le font attachés à diminuer la réfiftance de la peau: & comme de fréquentes obfervations leur ont appris que la tenfion de la peau augmente à proportion du mouvement du fang, ils ont pris le parti pour ouvrir les pores & pour relacher la peau, de diminuer l'action & le mouvement du fang par les faignées; la faignée, felon eux, devant relacher les parties, dont le referrement & la

tenfion étoient des obftacles au paffage de l'humeur. Mais l'humeur de la petite vérole, que la nature prévoïan te avoit féparée du fang, y rentre par les faignées; un principe de mort in troduit dans les veines au lieu du principe de vie qu'on en tire, empoisonne le cœur, & y porte le coup mortel.

C'eft fur les mêmes idées de relache ment de la peau, que les médecins Anglois font lever le malade, afin d'é viter la chaleur du lit, ( qu'on avoit cependant toujours regardée comme favorable à la tranfpiration) & qu'ils tachent de calmer le fang dans la petite vérole, à grandes dofes d'opium, comme s'ils avoient deffein de fixer le venin, au lieu de le laiffer fortir.do 207, Un médecin Boulonnois vient d'inventer une autre route: il prétend ramollir la peau par les bains d'huile: & : un médecin François à l'exemple du bain d'huile a propofé en dernier lieu le bain [y] d'eau fraîche; parce que, dit il, une des proprietés de l'eau eft d'amolir la peau, & d'en pénétrer le tiflu, puifque l'eau même siinfinue dans les pores. Ainfila mode va venir peut-être de baigner dans l'eau froide pendant l'eruption de la petite vérole.

Le médecin qui tient pour le bain d'eau fraîche eft M. Bruyer d'Ablain court; dans le Journal de Verdun du mois de Mai 1732. il obferve que s'il y a quelque différence du bain d'eau fraîche au bain d'huile, c'eft que le bain d'eau fraîche eft plus falutaire, plus propre à calmer le mouvement du fang, & à lui donner une fluidité que l'huile ne peut lui communiquer. Le médecin Boulonnois, qui emploie le bain d'huile eft M. Pozzi. M. Bruyer, après avoir foutenu que le bain d'eau fraîche ne peut être dangereux, ajou

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i

te: J'avouërai cependant que je ne fçai comment le terme d'eau fraîche m'a échapé, j'ai voulu parler d'eau commune; & fi je n'ai pas dit, qu'elle devoit être tiéde, c'est que je fçavois, que le bain froid n'eft plus en ufage dans la médecine depuis long-temps. D'où il réfulte, que fon opinion eft, que ce reméde profcrit par la médecine, feroit pourtant fans danger, & pourroit être pratiqué dans la petite vérole. Il ne laiffe donc aucun doute que par l'eau fraîche il n'ait entendu l'eau froide ; & ce qu'il a avancé par inadvertence, il le foutient avec réflexion. Son opinion eft fondée fur ce principe, qu'un corps perd autant de fon mouvement qu'il en communique. Le raifonnement & le reméde font d'un médecin entiérement affranchi des préjugés.

Les différents écueils des remédes dans la petite vérole font évités dans les campagnes, où la nature n'eft ni furchagée par la chaleur exceffive des cordiaux, ni détournée par des purgatifs donnés à contretemps, ni épuis: fée par les faignées, ni traversée par les obftacles les plus contraires à fon opération. On dira peut-être que les corps des pai fans fortifiés par le travail & par le régimep font bien plus en état de réfifter, & quedeurs petites véroles font moins maligneso Mais l'expérien ce fait connoître que l'humeur eft la même dans le païfan que dans l'homme de la cour ou de la ville. Même fuppuration, même qualité, même abon dance de venin. D'ailleurs ce feroit cette différence de tempéraments qui dévroit le plus empêcher les mé decins de faire des remédes dans la petite vérole à des corps ufés & affoiblis. Car touts les fymptômes de la petite vérole ne faiffent aucun lieu

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55.

Hiftoire fin-.

Galien.

de douter qu'elle ne foit une véritable
crife. La nature a donc les forces fuffi-
fantes, pour fe débarraffer du venin
qui l'incommode. Mais file tempéra-
ment eft ufé ou affoibli, il fuccombera
au moindre obstacle étranger. C'est
auffi ce qu'on voit arriver le plus fou-
vent, quoique chaque méthode quel
que dangereufe qu'elle foit, ne tuë
pas toujours les malades. Quelques-
uns gueriffent, après avoir pris des
cordiaux très forts, d'autres après avoir
été traités par des remédes rafraichif
fants, quelques-uns après avoir été
purgés dans l'éruption, les autres après
même plufieurs faignées faites avant
& pendant l'éruption. La force du
tempérament eft quelquefois affez
grande pour fupporter & vaincre touts
les obftacles étrangers qu'on lui oppo-
fe: mais quelques cures en petit nom-
bre ne justifient pas des méthodes fi
périlleuses.

vous ne prenez pas garde que la natu re eft fur le point de faire elle-même, ce que feroit l'ouverture de la veine Comme Galien parloit encore, le jeune homme fe leva tout d'un coup, & voulut fe jetter hors du lit, criant qu'il voïoit fur le plancher un ferpent rouge qui s'approchoit de lui. Les autres médecins ne faifant pas plus de compte de ce nouvel accident, que de l'avertiffement de Gallien, persistoient toujours à foutenir la néceffité de la faignée; mais le fang que le malade commença en même temps à per-: dre, leur fit connoître que Galien étoit plus fçavant qu'eux. Ce qui le porta à faire ce prognoftic, ce fut qu'il avoit obfervé, que le malade avoit une rougeur qui tenoit depuis le côté du nez jufqu'à la jouë, & qui alloit toûjours en augmentant par rapport à

l'éclat de la couleur, ce qu'il prit
pour un indice certain d'une hémor-
Il faut avouer qu'aucune méthode ragie par la narine du même côté. Cet
n'eft générale ni invariable; & que indice fut encore plus fortement con-
tout dépend du jugement que l'habile firmé par le ferpent rouge que ce jeune
médecin fçait porter fur les différentes homme avoit cru voir. Il eft donc évi-
circonftances, & fur les accidents qui dent que Galien bien éloigné de vou-
furviennent,
o loir déterminer la nature dans une cri-
fe à prendre une autre voie que celle
qu'elle avoit choifie, évitoit même avec
foin de la prévenir..).⠀ .

Une hiftoire très fingulière de Ga gulière de lien fait connoître jufqu'où ce médecin pouffoit l'attention la plus fcrupush leufe, de ne pas troubler les crifes de la nature, à l'exemple d'Hippocrate, qu'il avoit pris pour modéle. Un jeune homme étant dans le cinquième jour d'une maladie aiguë [z], alloit être faigné par l'avis de les médecins. Les indications, leur dit Gallien, que vous avez fuivies, font fort juf tes: vous avez raifon de croire que ce malade a trop de sang [4]; mais

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Les Grands

ger des

médes.

Il femble que les Grands aïent tou 56.
jours été les plus expofés au danger plus ers
des remédes. L'empereur Marc Au- fès au dar-
réle étant indifpofé, Galien lui dit [b]:
Seigneur, fi un particulier avoit vôtre
mal, je lui donnerois, felon ma cou-
tume, du vin avec du poivre, mais
parce que les médecins ne donnent'
pas des remédes vulgaires aux fouve-
rains, je prendrai le parti de vous
ì appliquer

le fang quelquefois abonde trop!
[b] Galen, de pracognitione, c. 11.

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