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de la Phyfique & de l'Anatomie. On ne peut faire remonter les commencements de la médecine dogmatique, au delà des temps de Pythagore & d'Hippocrate. Les Afclepiades ou defcendants d'Efculape qui exerçoient feuls la médecine avant les prémiers Philofophes Grecs, étoient des Empiriques qui appliquoient fans raifonnement les remédes que la tradition leur avoit enfeignés de pére en fils.

Hippocrate[] fut le prémier qui puifa dans la philofophie,& qui fonda fur fes principes une méthode rai fonnée,

Les Empiriques avoient trois fonde ments [f] de leur art: l'obfervation qui confiftoit dans ce que chacun avoit expérimenté foi-même; l'histoire, ou les differents recueils des obfervations rédigées par écrit ; & la substitution d'une chofe femblable, qui étoit un nouvel effai qu'ils faifoient, après avoir comparé une maladie avec une autre maladie, une partie du corps avec une partie pareille, un reméde éprouvé avec un reméde de même nature. Ils effaioient, par exemple, dans les dartres, les remedes de l'héréfipelle; dans les maladies des bras, ce qui s'étoit pratiqué dans celles des jambes, & s'il leur manquoit des coins, qui font un fruit apre, ils emploïoient les nêfles qui ne Trois prin- le font pas moins L'obfervation, l'hif cipes des toire & la fubftitution étoient donc les empiriques. trois fondements de leur arts & ce que

30.

31. Raifons des

Glaucias appelloit le trépié [] de la médecine.

Les Empiriques[] foutenoient que empiriques, toutes les queftions qui rouloient fur

[r] Democriti autem, ut quidam tradiderunt, difcipulus Hippocrates Coüs, primus quidem ex omnibus memoriâ dignis, ab ftudio fapientiæ difciplinam hanc feparavit, virarte & facundiâ infignis.

les caufes naturelles, étoient plus dangereufes qu'utiles, la nature étant incompréhensible, & le médecin ne pouvant être guidé que par l'expérience. Pourquoî, ajoutoient-ils, croira-t-on plûtôt Hippocrate, qu'Hérophile, ou Hérophile plûtôt qu'Afclepiade? ils fe contredifent perpétuellement dans les principes & dans les conféquences. Si l'on demande des cures, touts en ont fait, ou plûtôt la nature, & le tempérament des malades en ont fait en leur faveur, & on ne fçaura de quel côté fe ranger. Si l'on s'en rapporte aux raifonnements, on les entend difcourir avec une égale probabilité, ou bien ceux qui parlent le mieux, & qui ont plus de talent de s'énoncer, l'emportent aux dépens d'une verité qui perfifte à fe fouftraire à nos recherches. Les moïens que la nature emploie, font différents felon la nature des lieux ; un raifonnement qui eft bon pour l'Italie, ne vaut rien pour l'Egypte, & il est peut-être pernicieux pour les Gaules. Les Phyficiens parviendront-ils à diftinguer fuivant les differents climats, da nature qu'ils font fi éloignés de connoître en tout?

Ils demandoient encore aux dogma. tiques, fi les raifonnements leur enfeignoient les mêmes choses que les expériences, ou s'ils enfeignoient le contraire: & pouffant cette obje&tion ils difoient, que fi les raifonnements leur enfeignoient les mêmes chofes que les expériences, ils étoient fuperflus; & que fi l'on en inféroit quelque chofe qui fût contraire aux expériences, ils étoient préjudiciables.

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32. R&fponfes

tiques.

Les Empiriques ne s'embarraffoient jamais de chercher les caufes cachées des maladies, & ils ne confidércient les caufes évidentes que comme des moïens de difcerner les espéces des maladies, fans raifonner fur la manière dont ces caufes agiffent, & fans fe mettre en peine d'autre chofe que des remédes que l'expérience leur avoit indiqués.

Les dogmatiques répondoient que des dogma- l'application des remédes ne peut être que fautive, fielle n'eft guidée par le raifonnement; qu'un reméde quelque éprouvé qu'il foit,ne peut être emploïé avec fuccès, fi l'on ne connoît le tem pérament du malade, les accidents de la maladie, & toutes les circonftances, dont le changement peut rendre pernicieux, ce qui dans une autre occafion aura été utile; que c'est l'étude de la nature qui peut mettre les hommes en état de la foulager dans fes maux; & que l'obfcurité de ces recherches doit exciter dans le médecin un zéle d'au

33. Sentiment de Celle fur cette difpu

te.

tant plus louable, pour fe rendre utile à la fociété au moïen de fes découver

tes.

Le fentiment de Celfe [x] fur la difpute des Empiriques & des Dogmatiques, eft que rien ne contribuë plus à la guérifon des maladies, qui eft le véritable but de la médecine, que les expériences. Il avoue que les raifonne. ments tirés des chofes obfcures n'appartiennent pas proprement à l'art de gué rir les maladies, mais que l'étude & la méditation des chofes naturelles con. tribue beaucoup à perfectionner le mé decin, que files raifonnements trom. pent, les expériences de leur côté jettent quelquefois dans l'erreur; qu'il

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n'y a donc point de doute, qu'il ne faille raifonner dans la médecine rejettant tout ce qui eft obfcur, hors de la fcience, mais non pas hors de la penfée du médecin.

Les nouvelles découvertes ont apporté plus d'ornement que d'utilité à la médecine: depuis que la circulation du fang a été connue, depuis qu'on a pénétré fi avant dans le fecret de l'aconomie animale, la pratique de la médecine n'eft devenuë ni plus fure ni plus heureufe. L'invention d'un fpécifique eft d'un plus grand fruit à la fociété,que touts les raifonnements fur les causes cachées des maladies, & que les découvertes les plus curieufes de l'anatomie.

On a cherché depuis un très grand nombre de fiécles la caufe de la fiévre fans avoir pu encore la trouver : le Kinkina apporté du Pérou, il y a environ foixante ans, guéric infailliblement les fiévres intermittentes, & fait connoître d'une maniére fenfible la différence

des remédes fpécifiques aux raisonnements les plus fçavants des médecins.

Après que le médecin a conjecturé par de profondes recherches, que la maladie eft caufée par une fermentation extraordinaire du fang y& des autres humeurs, il ne fera pas plus en état d'y remédier, s'il ne connoît quel eft ce levain particulier qu'il doit détruire. Le médecin fçaura ou croira fçavoir que ce levain eft un acide ou un aigre, il conclura qu'il faut lui oppofer un alkali, parceque les alkali corrigent les acides, en émouflant leurs pointes; mais il n'en fera pas plus avancé, fi parmi tant d'espéces d'acides & d'alkali, l'expérience ne lui indique quel eft cet alEece 2

[x] Celf. prafat. lib 1.

fcentia immodica fanguini & humoribus Ly1 Febris eft fermentatio feu efferve inducta. Villis de febrib.c.1.1.1.pos.

kali fpécifique, qui doit être emploïć. Galien donne un exemple fort remarquable des raifonnements de plufieurs médecins fur les remédes. Mon maître Pélops, dit-il [z], voulant rendre raifon de l'effet des écreviffes dans la rage, prétendoit que l'écreviffe eft utile dans cette maladie, parceque c'eft un animal aquatique, & que la rage eft caufée par un excés de féchereffe, qui fait que ceux qui en font atteints, ont peur de l'eau. Il ajoutoit que les écreviffes de riviére font plus propres en cette occafion que celles de mer, parceque ces derniéres participent du fel dont l'eau marine eft chargée, & qui eft d'une nature fort féche. Mais quelqu'un lui aïant fait cette objection, fi ce que vous dites eft vrai, d'où vient que touts les animaux aquatiques ne font pas également propres contre ce mal? il répondoit que c'est parce qu'ils n'admettent pas touts la même préparation, que les écreviffes dont on réduit les coquilles en une cendre, qui étant defféchante confume & abforbe le venin. Pélops, pourfuit Galien, tomboit dans ces contradictions, par la vanité qu'il avoit de vouloir rendre raifon de tout; mais moi, fi je ne fuis perfuadé que je fçai parfaitement une chofe,je n'entreprends pas d'en convaincre les autres.

Un célébre médecin parmi les modernes [a] fait fur cela cette réflexion: Il feroit à fouhaiter que touts les méde. cins fuiviffent la maxime de Galien; mais la crainte que l'on a de paffer pour ignorant, fait qu'on veut parler à quelque prix que ce foit, quoique fouvent F'on ne s'entende pas foi-même.

[x] Galen, de fimplic, medicament, faculTatib. lib.11.

[a] Le Clerc, hift. de la médecine, part. 3. liv. 3.ch. 3. p.682. nouv. édit.

[6] Quitam fallere quàm falli nefcit.

Des remé

Les maximes de la médecine contra 34. dictoirement oppofées, ont leur pro- des de prebabilité, & leurs partifans. Les uns caution. exhortent à prévenir les maladies par quelque faignées, & médecines de précaution: les autres croient qu'il y a un extréme danger de faire des remédes de précaution, lorsqu'on fe porte bien: car la fanté n'étant autre chofe que l'harmonie & l'équilibre des différentes humeurs qui compofent le corps humain, faire des remédes de précaution, c'eft fe jetter dans un péril évi dent de déranger cette harmonie & cet équilibre.

35. Sentiments

contraires

decine.

Macrobe dit [bJ qu'Hippocrate ne peut tromper ni être trompé. Julien d'Alexandrie a compofé 48. livres, pour dans la mé prouver qu'Hippocrate dans fes aphorifmes s'eft trompé en tout, & pour les réfuter entiérement. Les livres que nous avons fous le nom d'Hippocrate fe contredifent en tant d'endroits, que cette raifon fait croire qu'ils font de différents auteurs.

Photius fait mention d'un médecin nommé Denys qui avoit compofé un livre contenant cent chapitres, dont il y en avoit so, qui établissoient chacun une opinion particuliére, & 50. autres qui détruifoient ces mêmes fentiments. Par exemple, dans un de ces chapitres, il foutenoit que la digef tion qui fe fait dans l'eftomac eft l'effet d'une chaleur; dans le chapitre fuivant il prouvoit le contraire.

Si nous nous refroidiffons après une agitation violente, nous fommes en danger de gagner une pleuréfie : les fauvages de l'Amérique[c Jau contrai

Macrob.

[c] Lep. Laffiteau, mœurs des fauvag Améric. 1.2. p.372. in-40.

[4] Αρλη, ἐπίδοσις, ἄκμη, χάλασης. [e] Hippocr. de ratione viētus in acutis.

36. uatre pe

re, après s'être excités à une fueur abondante, vont fe plonger dans l'eau froide des riviéres. On connoît par les relations du nouveau monde, qu'il n'y a point de païs, où les hommes vivent fi fainement, & fi long-temps que ceux où la médecine n'eft point en ufage: & parmi nous les conditions qui ont le moins de commerce avec les médecins font les plus faines & les plus robuftes; maisces effets ont apparemment d'autres causes.

Hippocrate diftingue quatre périodes des de dans les maladies; le commencement maladies. [d], l'augmentation, la force, & le déclin: & il regarde la crife, comme le jugement que porte la nature, pour abfoudre ou pour condamner le malade.

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fon. Mais n'eft-ce pas une maxime gé. néralement reçue [b], qu'il eft de conféquence de s'oppofer au commencement du mal, & qu'une maladie invétérée eft bien plus difficile à guérir ? c'eft ainfi que le malade eft continuellement agité par des vents contraires, & fe voit expofé entre deux écueils, comme entre Scylle & Charibde.

vic.

Dans une théfe [i] foutenue & im- 38. De l'ufage primée à Caën en 1717.il éft dit, que de l'eau de l'eau de vie répare les efprits diffipés, léve les obftructions, ouvre les conduits, rend le reffort aux parties relachées, corrige ce qu'il y a de groffier dans les aliments, fubtilife les humeurs, purifie le chyle, & par une fuite néceffaire favorife entiérement la circulation du fang & des humeurs. Arnauld de Villeneuve [k] a fait un grand éloge de l'eau de vie, comme d'un reméde excellent pour plufieurs maux, & fort: propre à fortifier les nerfs. L'eau de vie, fuivant fon fentiment, eft pro. pre par une fimplicité falutaire, à recevoir les impreffions de toutes les faveurs, odeurs, & qualités.

Dans une autre théle, foutenue & imprimée à Paris en 1729. on fait voir au contraire que rien n'eft plus contraire à la circulation que les liqueurs fpiritueufes, foit par leur effet fur les parties folides, foit par le changement qu'elles apportent aux parties fluides. En effet il faut pour cette circulation que les membranes des parties folides aïent de la foupleffe & du

Eeee 3

[f] Ariftot. polit. lib.3.c.1 5. [] In morbis nihil eft magís periculofum, quàm immatura medicina. Sem. confol. ad Helv.

[b] Principiis obfta, fero medicina

paratur.

Cum mala per longas invaluere moras. Ovid.

[i] Journ. des fçav. Décemb. 1729. [k]Villanovan.de confervanda juventute,

reffort, afin de pouffer les humeurs, & que les humeurs de leur côté aient une certaine fluidité, pour obéir à l'action des vaiffeaux. Or l'eau de vie & toutes les boiffons ardentes raccorniffent les membres, les froncent, & les crêpent, ce qui leur ôte par confequent la fou. pleffe & le reffort qu'elles doivent avoir pour agir fur les liquides: l'eau de vie outre cela épaiffit & coagule les humeurs, ce qui les prive de leur fluidité. Comment après cela ne feroitelle pas plûtôt une eau de mort qu'une eau de vie, étant auffi contraire qu'elle l'eft à la circulation? Que l'eau de vie raccorniffe les parties folides, l'expérience le fait voir, puifque cette liqueur durcit les corps qu'on y conferve, fans quoi elle ne les conferve. roit pas. Qu'elle épaiffiffe & coagule les humeurs, l'expérience ne le fait pas moins connoître, puifque fi l'on jette un blanc d'œuf dans un peu d'eau de vie, il y prend la même confiftance & la même blancheur, que fi on l'a. voit fait durcir au feu. Il n'y a point de ville où l'hydropifie, cette maladie qui ne vient que de la trop grande roideur des folides, & de la trop grande vifcofité des fluides, régne da. vantage qu'à Londres, la ville du monde, où il fe boit le plus d'eau de vie. Que l'on faffe avaler à un chat une cueillerée d'eau de vie, il entre en fu reur, & meurt peu après : que l'on feringue dans la veine jugulaire d'an chien deux onces d'efprit de vin, il

[7] Mithridaticum antidotum ex rebus quinquaginta & quatuor componitur, interim nullo pondere æquali,& quarumdam rerum fexagefimâ denarii unius imperatâ. Quo deorum perfidiam iftam monftrante? hominum enim fubtilitas tanta effe non potuit.Oftentatio artis,& porten. tofa fcientiæ venditatio manifefta eft

meurt à l'inftant: qu'on en donne à un oifeau, il périt fur l'heure. Le chyle, le lait, la lymphe, la bile, la falive, toutes ces liqueurs fe coagulent par l'efprit de vin, & felon l'auteur de la thefe, s'offifient même & fe pétrifient. Rien n'eft plus capable d'épaiffir le chyle, & de nuire par cet endroit à la digeftion, que l'eau de vie: ce qui doit la rendre par conféquent très contraire à la circulation.

m

dicaments

Pline haïffoit les compofitions d'un Sentiment grand nombre de médicaments. Il fe ré- de Pline crie [] contre l'antidote de Mithridate, far les où l'on faifoit entrer cinquante quatre drogues différentes, parmi lesquelles il y en avoit dont on n'emploïoit que le poids de la foixantiéme partie d'un denier. Il entroit dans la thériaque d'Andromachus plus de foixante drogues, dont notre thériaque eft encore compofée aujourd'hui. Hippocrate & fes fectateurs fe fervoient peu de médicaments, & ceux qu'ils emploïoient étoient fort peu compofés. Hérophile & ceux qui le fuivirent entafférent les différentes drogues dans leurs compofitions. C'eft ce que Pline appelle une of tentation & une perfidie, & l'invention de quelque divinité mal-faifante.

Il n'approuvoit pas non plus les remédes qu'on tire des païs éloignés . La nature, difoit-il [m], cette bonne mére, cette fage ouvriére, n'a pas fait les emplâtres, les antidotes, les collyres. Les ouvrages de la nature se trouvent tout faits & tout achevés. Les

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