mitation des Phéniciens des voïages de long cours: mais ils étoient encore très ignorants dans l'art de la navigation. Pour les détourner de ces entreprifes hazardeufes, Homére leur repréfenta les navigations d'Ulyffe pleines de périls, & les malheurs caufés dans la maifon de ce prince par fa trop longue abfence. Plufieurs critiques ont foutenu au contraire qu'il n'y avoit jamais eu d'Homére [m];que l'Iliade & l'Odyffée étoient des recueils de chanfons déta chées? que la prémiére conjecture pour appuier leur fentiment, fe tire du nom. de rapfodie [»] donné à ces poëmes: & la feconde [ de ce qu'on n'a jamais pu convenir du pais d'Homére; que fuppofé qu'un feul auteur, nommé Homére, ait fait les quarante-huit livres qui compofent l'Iliade & l'Odyffée, il eft prefque indubitable que ce n'eft point ce même homme qui en a formé ces deux grands poëmes. Elien [p]dit qu'Hométe n'avoit ja mais compofé l'Iliade & l'Odyffée que par morceaux, fans unité de deffein, & qu'il n'avoit point donné d'autres noms à ces diverfes parties qu'il avoit produites fans ordre & fans arrangement, que les noms des matiéres dont il traitoit; qu'il avoit intitulé la colére d'Achille le chant qui a été depuis le prémier livre de l'Iliade; le dénombrement des vaiffeaux celui qui eft de venu le fecond livre ; le combat de Pâris & de Ménélas, celui dont on a fait le troifiéme & ainfi de touts les autres. Il ajoute que ce fut Lycurgue de Lacé démone qui apporta de l'Ionie diverfes poëfies feparées les unes des autres, & que ce fut Pififtrate qui les arrangea, & en conftruifit les deux poëmes de l'Iliade & de l'Odyffée, en la maniére que nous les avons aujourd'hui de vingt quatre livres chacun, en l'honneur des vingt quatre lettres de l'alphabet. Cicéron [9] reprend Homére d'avoir plutôt donné aux dieux les foibleffes des hommes,que d'avoir élevé les hom. mes aux qualités divines. Homére a rencontré dans Perrault un cenfeur plus dangereux que Zoile. d'Homére Critique Il femble, dit-il [r] qu'Homére veuille parPerrault. infinuer par le charactére d'Achille qu'il fuffit à un gran capitaine d'avoir du courage & les piés bien légers, & qu'il lui eft permis d'être injufte,brutal, impitoïable,fans foi & fans loi. On ne peut voir fans indignation & fans dé. goût un des héros de l'Iliade le faracux Ulyffe fe coucher le foir avec les pourceaux,& fe battre le lendemain à coups de poing contre un vilain gueux pour les reftes de la cuifine de Pénélope.[S] Qui pourroit lire fans dégoût la comparaifon d'Ulyffe qui fe tourne dans fon lit fans pouvoir fommeiller, avec un boudin qui rotit fur le gril. Homére dit que la cuiffe de Ménélas qui cft fort blanche, & fur laquelle coule fon fang, reffemble à de l'yvoire que l'on a teint en pourpre ; que cet yvoire eft taillé en bolettes de bride de chevaux; que ces bossettes font enfermées dans le cabinet d'une femme Carienne ou Méonienne; que plufieurs chevaliers voudroient bien les avoir droient bien les avoir, mais qu'elles G 2 (p)Cl. Ælian.variar.hiftoriar.lib.13.c.14. (9) Humana vitia ad deos tranftulit, mallem divina tranftuliffet ad nos. Cic. (r) Perrault,parall. des anc. & des moder nes. (S) Ulyffe affectoit alors de fe cacher. font réfervées pour les rois,& qu'elles fervent d'un grand ornement & au cheval & à celui qui le méne. Dans le même livre de l'Iliade qui et le quatrième, Homére dit encore que Lycaon prit fon arc bien poli, fait des cornes d'une chévre fauvage qui faifoit de grands fauts, &qu'il avoit autrefois atteinte fous la poitrine, lorí qu'elle fortoit d'un rocher où il l'attendoit. Or cette chévre tomba à la renverfe fur une pierre, & fes cornes qui étoient longues de feize palmes, furent accommodées par un ouvrier poliffeur de cornes, qui leur mit des bouts dorés aprés avoir bien poli le tout. La princeffe Nausicaa étant arrivée chez le roi fon pére, fes frères femblables à des dieux dételérent les mules, & portérent les robbes (qu'elle venoit de laver [t]à la riviére) dans le palais dont les murs étoient d'airain, &la porte d'or, aïant à fes côtés des chiens d'argent immortels & non fujets à vieillir, que le fage Vulcain avoit faits pour garder la maifon du magnanime Alcinois. Voilà ajoute Perrault,) une chofe bien remarquable que des chiens d'argent ne vieilliffent pas. Mais peuton concevoir qu'un roi dont le palais eft d'airain, qui a des portes d'or & d'argent, n'ait pas des palefreniers pour dételer les mules de fon chariot? Quatre perfonnes, Ulyffe, fon fils, fon porcher, & fon bouvier tuent cent huit gentilshommes, fans user de furprise, & fans agir avec prompti (t) Perrault devoir étre dans un grand étonnement,s'il apprenoit par quelque relation que le Sultan des Turcs travaille de fes propres mains, à un art des plus mechaniques, non à cause d'un fimple usage,mais pour obéir à un précepte de fa loi: ou s'il lifoit dans Hérodote que la reine de Macédoine paitrilloir le pain elle-même. Hérodot. Uranie. (u) Perrault reproche à Homére de man tude. Ulyffe aprés avoir tué d'un coup de flêche Antinoiis le plus apparent de la troupe, au lieu de continuer à tirer fur les autres, leur fait un grand difcours plein de reproches, auquel Eurymachus répond par un autre dif cours fort ample; Ulyffe le tue d'une feconde flêche, & en fait autant à Amphinomus: il reftoit encore cent cinq amants de Pénélope qui reftent dans l'inaction [], & qui donnent le loifir à Télémaque d'aller querir des armes dans une chambre haute, après en avoir demandé la permiffion à fon pére. Cependant Melanthius le chevrier [ ]d'Ulyffe quile trahiffoit étoit monté dans la même chambre aux armes, d'où il apporta douze boucliers, douze lances, & douze cafques, pour armer douze de ces amants. (Ileft impoffible qu'un feul homme puiffe porter toutes ces armes.) Pendant que ces douze amants nouvellement armés pré. fentent la pointe de leurs lances à UlÌyffe & à Télémaque, ces deux héros & leur porcher font un fort long dialogue. Il faut, dit Ulyffe à fon fils, que ce foit quelqu'une des fervantes de la maifon qui foit caufe de tout ceci. Mon père, reprend Télémaque, c'est ma faute, j'ai laiffé la porte de la chambre ouverte, & je crois que quelqu'un plus avifé que moi s'en eft apperçû. Mais je teprie, divin Eumée, vas fermer cette porte,& prend garde fi ce n'eft point quelqu'u-. ne des fervantes, ou Melanthius fils de Dolius qui foit caufe de tout ceci. Là deffus Eumée dit à Ulyffe: Divin fils de Laërte, prudent Ulyffe, c'eft afsurément le méchant homme que nous foupçonnons qui a fait ce coup là.Ditesmoi donc diftinctement fi je le tuerai,en cas que je fois le plus fort, ou fi je vous l'emménerai ici afin que vous le puniffiez de ces méchancetés. Allez,répond Ulyffe, liez-lui les piés & les mains, & l'attachez à une haute colonne avec une chaîne qui fe plie aifément. Pendant tout ce temps-là pas un des amants ne se remuë, fans qu'on voie aucune raifon de leur étonnante tranquilité. Voilà une espéce de merveilleux dont les modernes n'ont plus l'adreffe de fe fervir. Il y a des traductions malignes qui défigurent les meilleures choses. Ces mots de porcher & de bouvier doivent être entendus dans le fens du fiécle d'Homére. Le mot de Connétable fi relevé parmi nous fe rend en latin par compagnon de l'êtable [y]; feroiton bien fondé dans trois mille ans à regarder avec pitié un roi accompagné de fon connétable? La catastrophe des amants de Pénélope, eft conduite par Minerve, & n'a pas befoin de toute la vraisemblance d'une action ordinaire. Au refte le bon Homére s'endort quelquefois & fur-tout dans l'Odyf (y) Comes Stabuli Le titre de Comte vient de ce mot Latin Comes, qui fignifie compagnon, ilfe donnoit à ceux qui approchoient le plus du Prince; le titre de Duc eft tiré du mot Latin dux, chef ou commandant; celui de Marquis fignifie dans l'origine le gouverneur d'une marche ou d'une frontiére. (z) Cette comparaison n'est pas juste. Les mots Picards Gafcons ne font pas du bon fage. Un auteur qui écriroit d'un ftyle tout Normand ou tout Poitevin fans mélange ; n'écriroit pas correctement, Il n'y a dans le fée; mais des morceaux détachés pour les traveftir en ridicule, n'ôteront pas à ce prince des poëtes la gloire dont il a joui pendant toute l'antiquité, & qu'il conferve encore malgré les traits fatiriques de ceux qui n'eftiment que ce qui eft conforme au goût de leur fiécle. Perrault n'épargne pas le style fi vanté dans Homére. Ce poëte, continuë-t-il, a foin d'équiper touts fes dieux & touts fes héros de plufieurs épithétes de différentes longueurs pour finir fes vers pompeufement & commodement, & cela non point felon le cas dont il s'agit, mais felon qu'il refte plus ou moins de place à remplir pour achever le vers. Ces épithètes le trouvent répétées, prefque toutes les fois qu'il parle des mêmes perfonnes. Il fe fert fuivant le befoin de fept ou huit particules qui ne fignifient rien. Il emploie indifferemment toute forte de dialectes, ce qui lui fournit des fyllabes longues ou bréves, felon l'exigence de la verfification. Seroit-ce une belle chofe de voir un poëme François [z] orné de mots Picards, Gafcons, Normands, & Poitevins ? J'ofe avancer, dit Bayle [4], qu'il ne faut que lire le difcours de Phénix dans le neuviéme livre de l'IliaG 3 François qu'un feul langage qui foir ben & pur, c'est celui que toutes les perfonnes polies parlent non feulement à la Cour & dans la Capitale, mais dans toutes les Provinces. Au lieu que la langue Grecque étoit partagée en plufieurs dialectes également emploïés par les meilleurs écrivains.Le dialecte Ionien n'étoit pas moins puren foi que l'Atrique & ainfi des autres.Une critique d'Homére ne doit pas étre fondée fur nos idées & fur nos ufages. (a) Diet, de Bayle, not. C. fur Achille, de [b], pour admirer ceux qui admirent encore aujourd'hui ce poëme. Car font-ce là des difcours dignes de la ma jefté du poëme épique? Perrault n'eft pas moins hardi à cenfurer Virgile & Horace. Voici encore quelques traits de fa critique. Je ne l'Enéïde finiffe à la puis fouffrir que l'Enéïde finiffe à la mort de Turnus: le lecteur n'eft point fatisfait de voir les affaires d'Enée demeurées en fi beau chemin [ c ]. Il refte un fecret déplaifir de ne lui voir pas époufer Lavinie, & par ce moïen prendre poffeffion du roiaume des Latins. Cette qualité de pére que Virgile don ne prefque partout à Enée, ne fignifie rien du tout. Il le fait pleurer [d]à tout moment, & ce qui eft abfolument infupportable, c'eft la crainte (e) qui le faifit en toutes rencontres. Dans l'Ode, Mercuri namque te docilis magiftro, &c. Horace après une invocation à Mercure, ajoûte: Il faut que Lydé fcache les peines que fouffrent celles qui commettent de grands crimes; & fà-deffus il conte l'hiftoire des Danaïdes, & comment une d'entr'elles fauva fon époux contre l'ordre (b) C'est le défaut de touts les critiques d'Homére, d'appliquer continuellement le goût de leur fiécle à certaines expressions qu'ils rencontrent dans ce poëte. Nous ne voulons voir la nature qu'embellie de tout ce que l'efprit peut lui préter de plusmajestueux:du temps d'Homére il étoit permis de la peindre quelquefois avec les couleurs les plus naïves. (c) Mapheus Vegins a ajouté un treiziéme livre à l'Eneide. Mais dés que tous les obftales font levés, comme dans le douzieme livre de ce poëme, lation de l'époque eft finie. (d) On prétend que les larmes d'Enée onr rapport au charactère d'Augufie qui s'atrendrifoit aifément: & cette conjecture a d'autant plus de vraisemblance, que tout le poëme de l'Enéide eft rempli des louanges indirectes, en même temps les plus délicates de cet empereur. Car il ne faut pas croire qu'un auteur que fon pere leur avoit donné à toutes de tuer leurs maris. A quoi bon cette hiftoire au fujet de la lyre de Mercure & de la cruauté de Lydé (f)? Cette Lydé n'avoit égorgé ni ne vouloit égor ger perfonne. Ceft avoir bien envie de faire un conte. bizares. Combien d'exemples des jugements critiques Jugements oppofés des critiques! Quintilien [g] contraires& ne donne à Virgile que le fecond rang parmi les poëtes, en forte néanmoins qu'il approche plus d'Homére, que les autres n'approchent de Virgile. Jules Scaliger [h] au contraire abaiffe Homére, pour élever Virgile. Autant qu'une femme de qualité efface une petite bourgeoife, dit-il, autant le grand Homére eft effacé par le divin Virgile. Les récits de l'un font tout d'or, ceux de l'autre ne font que de plomb en comparaifon. Homére eft une maffe prodigieufe, mais groffiére & brute: tout eft divindans Virgile, tout y embellit la nature. plus clair. Les gens de lettres ne feront jamais d'accord entr'eux fur ces deux décifions. L'Empereur Adrien préféroit l'hiftorien Cæcilius à Sallufte, l'eloquence de Caton à celle de Cicéron, Ennius à Virgile. Malherbe préféroit Stace à tous les poëtes Latins, & Corneille mettoit Lucain au deffus de Virgile. Un homme de lettres indigné de ce que Martial entroit en concurrence avec Catulle, brûloit touts les ans un Martial à l'honneur de Catulle Plufieurs critiques modernes fe font déchaînés contre le jugement qu'Horace [k] a porté de Plaute. Il faut être ennemi des mufes, dit Scaliger [7]. pour n'être pas touché des plaifante »ries de Plaute & de Laberius. Il n'y a >> pas le fens commun à la décision " >> d'Horace." Lipfe [m] attaque HoY race encore plus perfonellement Ce n'eft pas fans raifon, dit-il, que l'elégance & la politeffe de Plaute pa" roiffent fi aimables, & cet homme de Venuse excite en moi quelque in"dignation, toutes les fois que je lis » le jugement qu'il en a porté. n >> Turnebe [2] pouffe l'invective plus loin, en difant:,, A l'égard de l'eftime que Plaute mérite, je me range bien plûtôt à l'avis des plus honnêtes gens de l'ancienne Rome, que de cet homme de Venufe fils d'un Af» franchi.“ Il semble que ces critiques aïent oublié l'avertiffement de Quinti (4) At noftri proavi Plautinos & nume- Laudavere fales nimium patienter Ne dicam ftultè mirati. Hor. Quis adeo averfus à mufis ut lepore acfalibus Plauti & Laberii non tangatur? Horatii judicium fine judicio eft. (m) Neque præter rem amari élegantes & urbanos Plauti fales, nec Venufini illius aliter cenfentis verfus unquam fine in lien [o] qui dit qu'on doit parler avec C'eft un fentiment affez géneral que les poëtes Grecs ont de plus grandes beautés, & qu'ils ont auffi de plus grands défauts que les Latins. Et comme chacun fe fait honneur de fuivre le jugement de Longin [p], que le fublime avec des défauts eft au dessus du mediocre parfait,[ car on croiroit don ner une marque de petitesse d'esprit, fi l'on penfoit autrement] par ce principe les Grecs doivent avoir la préférence. 12. eft moins goût no fiécle ? Les belles lettres à l'imitation de la philofophie, ont entièrement fecoué L'antiquité le joug de la prevention pour l'anti- cloignée du quité: mais ne peut-on pas dire qu'on gourdele a paffé dans une autre extrémité plus que les auvicieuse, de méprifer ce qui a été ad- turquivimiré pendant une longue fuite de fié. 200.ans. cles par les plus beaux génies. voient,il y a C'est la prévention que nous avons pour notre fiècle, qui nous dicte ces jugements. Lorfque je compare les mœurs & le goût d'une antiquité éloignée de nous de près de 3000. ans, dignatiunculâ legere fe poffe. (2) In huius Plauti falibus æftimandis. (6) Modeftè tamen & circumfpecto ju- |