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CHAPITRE CINQUIEME LA pofie, fi l'on veut l'en croire,

De la Poësie.
SOMMAIRE.

1.La poëfie, langage des dieux. 2. Les plus anciens auteurs ont écrit en vers.. 3. Reproches faits à la poëfie. 4. Défenfe de la poefie. 5. Honneurs rendus à Homere. 6. De la confideration où étoient les poëtes Grecs. 7.Témoignages peu avantageux à la poësie. 8. Del Iliade & de l'Odyffee.9.Critique d'Homere par Perrault. 10. Critique de Virgile&d Horace par le même. 11.Jugements des critiques contraires bizarrės. 12. L'antiquité la plus reculée paroit moins éloignée de nons, fi l'on en juge par le gout des ouvrages, que les auteurs qui vivoientily a 200.. ansiz. Des prémiéres piéces du théa tre François.14.Caprice des produc. tions de l'efprit. 15. Pourquoi le poëme Epique réfut difficilement.16.Difpute littéraire au fujet des Odes des tragédies 17.Dela rime. 18. Entraves données à l'efprit.19. Variations dans. legout. 20. Rien n'est plus infuppor table qu'un poëte mediocre. 21. L'étude des anciens nécessaire pour per fectionner un beau naturel..

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I.

La poefe

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eft le langage des dieux. Les héros langage lui font redevables de la gloire de des dieux. l'immortalité [a] dont les mufes, font les fouveraines difpenfatrices. La poëfie fe vante d'être la mére de la theo. logie payenne, de la philofophie, & des loix. Herodote allure [b] que les. divinités de la Gréce étoient tirées. d'Homére & d'Héfiode: M. l'abbé. Banier eft d'un fentiment différent [c], il croit que les poëtes ne peuvent étre les auteurs de la théologie payenne, plus ancienne qu'Homére & qu'Hélio de de quinze cents ans, & qu'ils n'ont fait qu'en conferver la tradition. Les anciens poëtes, comme Orphée, Mufée, Linus furent les prémiers philo. fophes parmi les Grecs: ils ont passé [d] pour les fondateurs des fociétés. Les loix furent d'abord écrites en vers. Ce qui honore la poefie infiniment davantage, c'eft de trouver dans la fainte écriture plufieurs cantiques, les pfeaumes de David, & le témoignage de la grande quantité de vers [e] qui avoient êté composés par Salomon...

2.

Les plus

teurs ont

écrit en

Les plus anciens auteurs de la Gréca écrivirent en vers, avant que la profe y anciens aufût en ufage.Apulée[fJobferve que Pherécyde, quitta le prémier ce ftyle me- vers. furé, & fuivant Strabon [g], Cadmus [b] Phérécyde, & Hécatée [] furent.

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les prémiers qui écrivirent en profe. Il paroît d'abord affez furprenant qu'une manière d'écrire génante & réguliére,telle que la poëfie ait êté en ufage avant la profe, qui eft bien moins affervie aux régles, mais la raifon n'en fera pas difficile à découvir, fi l'on confidére que la prémiére intention qu'ont eue les hommes en écrivant,a été d'aider la mémoire, & que les vers fe re, tiennent beaucoup mieux que la profe. Si l'on ne peut refufer à la poëfie la Reproches gloire d'avoir produit les plus anciens fades théologiens, des philofophes, & des législateurs de la Grèce, elle s'elt attiré beaucoup de reproches par toutes les fables [ki monftrueufes qu'elle a mifes au jour. Elle a répandu la fuperftition fur la terre, & placé le crime dans le ciel.La vertu a été fouvent dif famée par la poëfie, comme celle de Pénélope par Lycophron & par Ovide, [] & celle de Didon par Ennius & par Virgile. La poëfie a été une four ce de maximes pernicieufes, & fes charmes ont été [m] un poifon dangereux pour les bonnes mœurs. Elle a fourni des armes à la vengeance [n]la

[k].... pictoribus atque poëtis
Quidlibet audendi femper fuit æqua
poteftas. Hor...
1 Penelope juvenum vires tentabat
in arcu,

Qui latus argueret, corneus ar-
cus erat.. Ovid.
Im] Eloquar invitus, teneros ne tange
poëtas. Ovid. de remed. amor.

[n] Archilochus natif de Paros, pour fe venger de Lycambe, qui lui avoit refufé fa fille, aprés la lui avoir promife en mariage, fit contre lui des vers fi piquants, que Ly cambe fe pendit de défefpoir. Archilochus inventa les vers Jambes.

Hor.

Archilochum proprio rabies armavit Jambo. Archilochus, fuivant Cicéron, vivoit du temps de Romulus. Eufebe & Scaliger font ce poëte un peu moins ancien, le placent vers la 29. olympiade environ du

plus furieufe. Ce langage des dieux n'a pas toujours été traité avec beaucoup d'eftime. La poefie, dit S. Evrémond; demande un génie particulier, qui ne s'accommode pas trop avec de bon fens. Tantôt c'eft le langage des dieux, tantôt c'eft le langage des fols, [o] rarement celui d'un honnéte homme. Elle fe plaît dans les fictions, dans les figures, toûjours hors de la réalité des chofes; & ceft la réalité feule qui peut fatisfaire un entendement bien fain.

Défense de

La poële a une défenfe tres naturelle, qui eft de dire qu'elle ne fe fert la poësie. de la fiction, que pour amener les hommes à la vérité.

Rien n'eft beau que le vrai, le vrai feul eft

aimable.

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C'eft par une douce & utile féduction qu'elle a formé les prémiéres fociétes: ce qui a donné lieu aux fables d'Amphion qui bâcit les murs de Thébes au fon de fa lyre, & d'Orphée qui par la douceur de fon chant adoucit les bêtes féroces. Combien les bons poëtes ont-ils été utiles? [p] Or

Temps de Manaffés roi de Juda, i de Tullus Hoftilius, roi de Rome.

[o] Les poetes ne peuvent pas s'offenfer qu'on dife d'eux, ce qui a été dit de touts les grands efprits: Sive Platoni credimus, fruftra poëticas fores compofui pepulit: five Ariftoteli, nullum magnum ingenium fine mixtura dementiæ fuit. Sen. de tranquill, animi. Pétrone a dit: Plus poëtice quàm humané locutus es. [ρ]ος φέλιμοι των τοιητῶνοι γενναῖοι γεγένηνται. PASSEN Ορφεύς μὲν γὰρ τελευτας θ' ήμιν και τέδειξε, φόνων τ ̓ ἀπέχεσθαι. Μεσαίος δ ̓ ἐξαπεσεις των νόσων χρη

σμός Η σίοδος δὲ

Τῆς ἐργασίας καρπῶν ἄρας ἀφότες ὁ δὲ
θεῖος Ο μπρος

Από το τιμήν και κλέος ἔλες πλήν το θ
ὅτι χρῆς ἐδίδαξε
Τάξεις, ερτες, ὑπλίσεις τ ̓ ἀνδρῶν.
Ariftoph. in ranis,

Honneurs rendus à Homére.

phée a enfeigné aux hommes les myf téres & les facrifices, & à fuir les meurtres: Mufée leur a appris la guérifon des maladies, & à confulter les oracles. Héfiode leur a montré à culti ver la terre, & leur a fait connoître le tems des femences & des moiffons; & le devin Homére par où croïez vous qu'il ait acquistant de gloire & de réputation? parce qu'il leur a enfeigné des chofes trés neceffaires, à ranger des troupes, à les armer, & à être ferme & courageux.

On ne pourroit fans une grande injuftice imputer à la poëfie l'abus qui a été fait de fes attraits innocents en eux mêmes, autrement il s'enfuivroit que c'est un crime que de penfer & de parler, n'y aïant rien dont on ait tant abufé que de la penfée & de la parole. La poëfie elle-même a condamné [q] les ouvragestrop libres.

Nos Sappho modernes ont fait briller leurs talents, fans fortir de la modef. tie de leur fexe. Une jeune éléve des Mufes [r] répand leurs dons dans fes ouvrages, fans y méler aucun des défauts imputés à la poësie.

Ptolémée Philopator [s] fit bâtir un

temple à l'honneur d'Homérés qui y paroiffoit fur un throne environné des fept villes qui fe difputoient l'honneur de fa naiffance [t]. Un peintre repréfenta Homére avec une fource qui jailliffoit de fa bouche, où les autres poëtes alloient puifer.

La tragédie doit fa naiffance à l'Ilia de & à l'Odyffée [x], comme la comé die doit la fienne [x[au Margités d'Homére. Les fciences & les arts ont rapporté leurs fources à ce Prince des poëtes. Plutarque le fait auteur de toutes les festes des philofophes; les nations y ont cherché leur origines: les noms d'Achille & d'Hector font en ufage parmi la nobleffe Chrétienne. Aprés plufieurs milliers d'années, on a fait fervir les fictions d'Homére à des déclarations de guerres & à des traités d'alliances. Les Romains pour entrer dans la guerre des Etoliens & des Acarnaniens, prirent prétexte de ce que ces derniers n'avoient pas été au fiége de Troïc. Mahomet II avant que de faire la conquête de Conftantinople, écrivit au pape Pie II. que les Turcs & les Italiens tiroient de Troïe une origine

commune

[q] Jean Fiera Mantouan a fait un poëme contre les poëtes lafcifs.

[r] Madle. Malcrais de la Vigne du Croific en Bretagne.

[s] Cl.Elian.variar.hiftoriar.lib.13.c. 22. [t] Suivant le p. Petau, Homére a été contemporain de Salomon: Boffuet le rapproche jufqu'en l'année 3119. du monde, 885. Avant Jésus-Chrift,du temps d'Athalie reine de Juda, & de Lycurgue Législateur des Lacédémoniens. Hérodote, liv. 2. marque qu' Homére vivoit 400. ans avant lui, ce qui revient à 340. ans aprés la guerre de Troie, car on place communément Hérodote 740. ans aprés la guerre de Troie.

On n'a rien de certain fur les poëtes qui ent précédé Homére, C'est une question in

décife de Chronologie, lequel a été plus ancien d'Homére ou d'Héfiode. Ariftote a cru qu'il n'y eut jamais d'Orphée, Ariftot. ap. Cic. de nat, deor, lib. 1.

L'existence de Mufée & de Linus n'a rien de plus affuré.

Mélampe d'Argos, fils d'Amythaon, vivoit environ deux cents ans avant la guerre de Troje. Homére en a parlé: il avoit composé plusieurs milliers de vers fur l'enlé vement de Proferpine autres fujets.

[u] Platon au 8. livre de la républ. dit: Il eft temps d'examiner la tragédie, & Homére qui y a donné lieu.

[x] Le Margités étoit un poëme, on Ho mére dépeignoit Margités, comme un homme fort vain, & qui n'étoit propre à rien.

commune, & qu'ils avoient le même intérêt de fe venger des Grecs.

Homére a reçu les hommages de toute l'antiquité; Ariftote, Ciceron, Velleius Paterculus, Quintilien, & Longin font comblé de louanges. Zoile pour avoir voulu critiquer Homére, a rendu fon nom auffi odieux que celui de l'envie même. Cafaubon dit qu'on ne peut fouhaiter rien de pire à ceux qui mèprifent Homère que de ne pas connoître leur abfurdité. L'Odyffèe (comme Longin le remarque)fe fent un peu de la vieilleffe de fon auteur. Mais Dacier ne peut fouffrir qu'on trouve aucune imperfection dans les auteurs illuftres de l'antiquité. Il dé clare qu'il eft plus tranfporté d'amira tion pour l'Iliade,mais qu'il aime mieux rody flée. On a été jufqu'à dire (y) qu'Homére dans fes poëlies a fait l'hiftoire des héros de l'écriture fainte fous des noms fuppofés.

Il s'eft élevé une émulation entre les fçavants, qui trouvera plus de conformité entre la fainte écriture & la mythologie. Huet dans fa demonftration évangelique rapporte à Moyfe toutes les divinités de la fable: Voffius (z) à Noë. Bochart, Goropius Becanus, Lavaur, le P. Laffiteau, M. Ramfai ont épuifé cette matiére. Plufieurs auteurs anciens, comme l'historien Jofeph, Eufebe de Cefarée, S. Clement d'Alexandrie, Théophile d'Antioche, Arnobe ont donné l'exemple de ce zéle. C'est un deffein fort pieux, & qui renferme plufieurs avantages de prouver que les plus anciens idolâtres ont puiTom. 1.

(y) M. Labbé Banier, explic, hiftoriq. des fabl. 1. 1. entret. 3. pag. 66. Voyez le livre intitulé: Homére Hébraïfant, & le p.Thomaffin, lecture des poëtes

(z) Voff.de orig.& progr.idol.lib.1.c.18. 19. (4) Pretiofiflimum humani animi opus.

fé leurs idées dans les livres de Moyfe, & même dans la tradition des Patriarches, mais le grand détail fur cette matiére offre à l'efprit un contrafte de vérités & de fables auquel il a peine à s'accoûtumer.

Alexandre (4) appelloit les poëmes d'Homére le plus précieux ouvrage de fentendement humain. Il envioit fouvent à Achille le bonheur d'avoir eu un Homére pour célebrer fes exploits, & il regarde l'Iliade, comme ce qu'il poffedoit de plus digne d'être enfermié dans la magnifique caffette de Darius. Alexandre difoit (b) qu'il aimeroit mieux être le Therfite d'Homére que l'Achille d'un Cheerilus. Ce fentiment eft fort indigne d'Alexandre. C'eft le Vayer qui le rapporte, fans citer aucun garand.

6.

De la con

les poëtes

Alexandre à la prise de Thèbes fit grace à la famille de Pindare (c), & fideration conferva la maifon, qui avoit fervi de où étoient demeure à ce poëte. Les Athéniens Grecs. païérent des deniers publics une amen de à laquelle les magiftrats de Thébes avoient condamné Pindare, pour avoir appellé Athénes une ville magnifique & le foutien de la Gréce. La confideration que les Siciliens avoient pour les ouvrages d'Euripide fauva plusieurs prifonniers d'Athénes (d), dans la malheureufe expédition que les Athéniens firent en Sicile fous le commandement de Nicias. Touts ceux qui pouvoient réciter quelques morceaux des tragédies d'Euripide,étoient traités favorablement.

On a dit qu'Ariftophane (e) valoit feul une armée aux Athéniens.

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7.

Témoigna ges peu a

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duire,

Qù le plus fier tyran ne peut avoir d'empire.

Un monarque ne craint pas de comprometre fa couronne par la comparaifon de la poësie. Ces vers font d'un très bon goût pour le temps dans le quel ils ont été compofés,& il ne nous enrefte point de meilleurs de l'ancienne poësie françoife.

Les titres fuperbes de la poëfie trou minavent une compenfation peu honoravantageux ble dans beaucoup de témoignages qui ala pode, lui font défavantageux. Platon (f) chaffe les poëtes de fa republique. Les Lacédémoniens ne voulurent pas souffrir dans leur ville les ouvrages du

(f) Plat. de republ. lib. 3. & 10.

(g)Lacædemonii libros Archilochi è civitate fua exportari jufferunt, quòd eorum parum verecundam ac pudicam le&tionem arbitrabantur. Noluerunt enim eâ liberorum fuorum animos imbui, ne plus moribus noceret,quàm ingeniis prodeffet. Val. Max.lib.6.c.3.

(b) Diog. Laërt, in Pythag.
(i) Suid. in voce Hulay

(k) Jofephus Barberius, de miseri£poë

poëte Archilochus (g), jugeant cette lecture plus propre à gâter les mœurs qu'à former l'efprit.

Xénophane a reproché à Homere & à Héfiode d'avoir attribué aux dieux tout ce qu'il y a de plus infâme parmi les hommes. Diogene de Laërce(b),& Suidas (i) difent que Pythagore a vû dans les enfers l'ame d'Héfiode attachée à une colonne d'airain, & celle d'Homére fufpenduë à un arbre, & environnée de ferpents, & que ces deux ames y font tourmentées à caufe de toutes les fables, que ces deux poëtes ont débitées fur les dieux.

Les anciens poëtes Grecs nous font repréfentés (k) comme de pauvres vieillards la plupart aveugles, qui ont paffé leur vie dans une mifére très-mé prifée (1), & qui alloient de village en village chanter leurs vers, pour mendier leur fubfiftance.

8.

De l'1

Les admirateurs d'Homére trouvent dans l'Iliade le deffein le plus politi-de & de l que & le plus utile à la Grece. Ils pré- dyffee. tendent qu'Homere s'y eft propofé pour objet de faire fentir aux Grecs par les fujets funeftes de la colere d'Achille, que rien ne pouvoit leur être plus nuifible que la difcorde. Ils di fent que l'Odyffée a auffi les vûës générales, & que toutes les fictions tendent à l'utilité de la Gréce. Les Grecs. & furtout les Ioniens fe jettoient dans le commerce & entreprennoient à l'i

Parum Gracor um.

(1) Suivant les uns, Homére eft mort de faim: fuivant les autres il eft mort de chagrin de n'avoir pu expliquer cette énigme proposée par dés pescheurs: "O"oo" "NoμLED NITTOM" ὅσα ἐκ ἔλομεν, φερόμεθα Anthol.l. 1. c. 67.

Nous avons jétré tout ce que nous avons pris, &nous emportons tout ce que nous n'avons pu prendre. Le mot de l'énigme étoit la vermine des pefcheurs.

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