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le point n'eft donc pas un corps. Il est donc incorporel, & par conféquent incapable d'entrer dans la compofition des lignes, des furfaces, des cercles, des fphéres, & d'aucun des objets corporels, que la Géométrie confidére. La longueur, largeur, & profondeur font corporelles, ou incorporelles; fi elles font corporel les, elles font donc des corps en les prenant féparément, & tout & tout corps n'eft pas un compofé de longueur, largeur, & profondeur; elles font incorporelles il eft impoffible, que l'aflemblage des chofes incorporelles forme des corps. Si les points, les lignes, & les furfaces, fi la longueur, largeur, & profondeur, ne font point des corps, tout le fondement de la Géométrie eft ruincux, & fi les principes en font faux, aucun théoréme ne peut fubfifter.

La réponse à ces fubtilités eft que le Géométre n'examine pas, fi les points, les lignes, & les furfaces exiftent, ou non ; il lui fuf. fit de les confidérer de l'entendement, auffi bien que la longueur, largeur, & profondeur, qui n'exiftent pas féparément ; mais que l'entendement peut divifer, en faifant abstraction d'une ou de deux de ces dimenfions ; & alors il les regarde comme des dimenfions corporelles, dont l'affemblage forme les

corps.

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Il eft impoffible, ajoute Sextus Em

piricus, de couper une ligne en deux parties égales; car on la fuppo fe de cinq points: or les Mathematiciens enfeignent que le point est indivisible; donc cette ligne ne peut être coupée en deux parties égales, puifqu'il y auroit trois points d'un côté, & deux de l'autre, ou qu'il faudroit couper le point, qui eft fuppofé indivifible. On ne peut, par la même raifon, divifer également le cercle en deux hémisphères, puil qu'il faudroit partager le point, qui eft au centre. Il eft aifé de répondre, que le point n'existe pas réellement, qu'il n'est qu'un objet de l'entendement, & que par conféquent il ne peut faire une inégalité dans la fection d'un corps. L'antiquité faifoit grand cas de ces fophifmes, que la Philofophie méprife fort aujourd'hui.

Jofeph Scaliger a été au folide & a prétendu relever des paralogifmes dans Euclide, & dans Archiméde; mais il a échoué lui-même dans fes raifonnements, il a imité le ferpent, [7] qui avoit entrepris de ronger la lime, & il a paru qu'il critiquoit ce qu'il n'entendoit pas.

Jofeph Scaliger [m] ne croïoit pas, qu'un bel efprit put être grand Mathématicien. Il demandoit, pour cette fcience, des efprits lourds & patients. Il fe fouvenoit de fes Cyclométriques, où il s'étoit vanté de démontrer la quadrature du cercle; fur quoi il fut trés defagréablement

[...& fragili quærens illidere dentem, Offendet folido. Hər.

[m] Jofeph Scaliger parle ainfi de Clavius & des Mathématiques. Putabam Clavium effe aliquid. I eft confit en

Mathématiques, fed nihil aliud fcit. Eft Germanus; un efprit lourd & patient; & tales debent effe Mathematici. Præclarum ingenium non poteft effe magnus Mathematicus. Scaligeran.

relevé, [n] & furpris en flagrant Paralogifme.

Pythagore, Platon, Euclide, Archiméde, & tant d'autres excellents Géométres, ont été des efprits du prémier ordre. Platon eftimoit telle ment la Géométrie, [o] qu'il avoit écrit fur fa porte: Qu'il n'entre ici, que des Géométres.

Saint Evremond [p] a attaqué les Mathématiques, par le travail qu'el les coutent, & l'application qu'elles « demandent. Quand je fonge, dit-il, « aux profondes méditations, que les Mathématiques exigent: comme elles « vous tirent de l'action, & des plai"firs, pour vous occuper tout entier, «fes démonftrations me femblent bien "chéres, & il faut être fort amoureux « d'une vérité, pour la chercher à ce "prix-là. Vous me direz, que nous "avons peu de commodités dans la «vie, peu d'embeliffemens dont nous "ne leur foïons obligés. Je vous l'a« vouerai ingenuëment, il n'y a point «de louanges, que je ne donne aux "grands Mathématiciens, pourvu que « je ne le fois pas. J'admire leurs in"ventions, & les ouvrages qu'ils pro« duifent; mais je pense que c'eft affez "aux perfonnes de bon fens de les fçavoir emploier: car à parler fage,, ment, nous avons plus d'intérêt à ,, jouir du monde, qu'à le connoître. Le Cardinal du Perron appelloit

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[n] Jofeph Scaliger fut réfuté par Viet dans l'ouvrage intitulé: Munimen adverfùs nova cyclometrica; leuἀντιπελεκυς .

[ + ] Πρὶ τῶν προθύρων αυτὸ γράψας ὑπῆρκε Πλάτων. Μηδες αγιομέτρητος ἐισίτω με 7lu seyn. Joann. Tzetz Chil.8. hiftor. 249. [p] St. Evrem, jugement des fciences dans fes œuvres mêlées.

[ 2 ] Ο δὲ ἐπὶ τὸ σώματ ς ἀληλιμμένα διέγραψε τα σχήματα. Diog. Laërt. [r] Vitruv.de architect, lib.9.c.3.

un efprit perdu, celui qui fe livre aux difficultés des Mathématiques.

Application

Archiméde fe donnoit fi peu de relache, que lorfqu'il fe frottoit le corps exceive d'huile, fuivant l'ufage des Anciens, des Géoil traçoit, [9] avec le doigt, des figures fur fon corps.

Archimede [r] fortit un jour du bain, transporté hors de lui même, & s'écriant, Je l'ai trouvé. Il s'agiffoit de la folution d'un probléme qui lui avoit été propofé par le roi Hieron, de découvrir quelle quantité d'alliage étoit entrée dans une Couronne, qu'on vouloit faire paí fer pour être d'or pur. Archimede remarqua dans le bain, que fon corps faifoit fortir l'eau de la cuve pleine, à proportion de l'efpace, qu'il y occupoit. Comme il ne fçavoit pas l'Hydroftatique [f], il plongea dans un vafe plein d'eau fucceffivement les uns après les autres, la couronne, & deux lingots, l'un d'or, & l'autre d'argent, d'un poids égal à celui de la couronne. I recueillit la quantité d'eau, que chaque corps faifoit fortir du vafe, & le métal plus pefant occupant moins d'efpace, & faifant fortir moins d'eau, il jugea par la quantité d'eau, que la couronne fit fortir du vafe, de la quantité d'or & d'argent, dont elle étoit compofée.

,

&

De Thou [] rapporte que Viet

[s] L'Hydroftatique eft la partie de la Méchanique qui confidére la pefanteur des corps liquides, ou des corps folides pofés fur les li queurs.

[r] Tam profundâ autem meditatione fuit, ut fæpius vifus fit totu n triduura continuum in cogitatione defixus ad menfam lucubratoriam federe, fine cibo fomno, nifi quem cubito innixus, nec fe loco movens ad refocillandam per intervalla naturam capiebat. Thuan. lib.129.

mérres.

7.

Mathémati

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دو

دو

دو

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Mathématicien étoit dans une fi profonde & fi continuelle méditation qu'il paffoit des trois jours & trois nuits de fuite, attaché à la table, fur laquelle il travailloit, fans boire ni manger; & ne donnant au fommeil que quelques moments par intervalle, qu'il ne pouvoit refufer à l'accable

ment de la nature.

Diodore[] mourut de dépit, de ne pouvoir réfoudre un probleme. Ce qui a été jugé par les GéoméUtilité des tres digne de tous les efforts de leur attention, des efprits fuperficiels l'ont ques. traité d'inutile.,, On traite volontiers d'inutile ce qu'on ne fçait point dit M. de Fontenelle [x], c'est », une espèce de vengeance. La four,, ce du malheur des Mathématiques eft manifefte. Elles font épineufes fauvages, & d'un difficile accés. Les quatre lunes de Jupiter ont été plus utiles par rapport à la Géographie, & à la Navigation que la nôtre propre La détermination des longitudes par les fatellites, un niveau plus con mode, & plus jufte, ne font pas des nouveautés auffi pro,, pres à faire du bruit qu'un Poëme agréable, ou un beau difcours d'é;, loquence. Il s'en faut beaucoup qu'il y ait dans les Mathématiques ,, autant d'usages évidents que de propofitions ou de vérités. C'est

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Paradoxes

métrie.

Lavéponse eft qu'à l'égard de ces
définitions, on ne peut raifonnable-
ment en demander la démonftration,
le Géométre ne faifant qu'expliquer
-ce qu'il entend par les termes que les
définitions renferment; que la vérité
de ces axiomes a une entiére évidence,
& que fi l'on refufoit d'en reconnoî-
tre la certitude, il feroit facile au
Géométre de la démontrér. Enfin fi
ces définitions ne paroiffent pas allez
claires, ni ces axiomes affez évidents,
quelques défauts dans la méthode des
Géométres ne pourroient pas être im-
putés à la Géométrie.

nombre des degrés du petit angle qui
lui répond.

Une autre objection eft [z] que le
rond le globe ou la fphére ne fe
trouvent parfaitement en aucun lieu ;
que la nature ni l'art ne parviennent
jamais à leur entiére juftelle. On ré-
pond que le cercle & le globe à la
vérité ne font jamais exactement par.
faits; mais qu'en les fuppofant tels,
les démonftrations font précises dans
la fpéculation, & que leur applica-
tion a toute la jufteffe nécellaire à
l'ufage qu'on en peut faire.

La Géométrie a fes paradoxes. On de la Géo- ne peut mener qu'une feule tangente à un cercle par le même point de contact [a]; au lieu qu'on peut faire paffer une infinité de circonférences de cercles par ce même point. L'angle obtus ne deviendra jamais une ligne droite, en fuppofant qu'il s'augmente par une progreffion, qui aille en diminuant, & que la fomme de cette progreffion foit moindre que le Tom. I.

Qu'un angle obtus, par exemple 150. degrés, augmente dans la prémiére heure de dix degrés, de cinq degrés dans la feconde heure, & ainfi en continuant, felon le même rapport pendant toute une éternité, cet angle bien loin de devenir une ligne droite, ne pourroit jamais augmen ter jufqu'à vingt degrés. Et femblablement les deux côtés de l'angle aigu ne fe joindront jamais, fi cet angle diminue par une progreffion, dont la fomme foit moindre que le nombre de fes degrés.

La ligne hyperbolique ne peut pas non plus toucher jamais fon afympto te, quoiqu'elle en approchât toujours. Il y a des chofes qu'on peut démonrrer, & qu'on ne peut concevoir: ainfi l'on peut dire que la Géométrie conduit l'efprit au delà de fes limites.

9.

L'efprit

mer à des

Les Mathématiques font les fcien ces qui ménagent le plus l'étendue de ne doit pas l'efprit, & elles le forment à la ju- s'accoûtufteffe, & à la précifion; mais il faut certitudes fe garder d'accoûtumer fon efprit à la géométri certitude mathématique. On ne doit pas la chercher [b] dans le plus grand nombre des chofes naturelles où elle ne peut le trouver.

ques.

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De même que la Phyfique moder ne a pénétré bien plus avant que l'an- l'efprit hucienne dans les fecrets de la nature que l'Aftronomie nouvelle par fes in Rouvelleftruments, & fes calculs a changé tout l'état des cieux; que la Médecine s'eft les fciences,

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ment des

lettres,dans

[x] Agrip. de vanit. fcientiar c. 11.
[] Elém. d'Euclide livr. 3. propofit. 16.

[b] Arifter, Metaphyfic. lib. 2. c. 3:

qui ont des ornée dans les derniers temps de pluebjets cor- fieurs découvertes, foit par rapport à porels. J'Anatomie, foit par rapport aux fpécifiques auffi la Géométrie moderne a porté les travaux beaucoup plus loin que l'ancienne, & dans la fpéculation, & dans l'ufage. Archimede, après avoir fervi de guide aux nouveaux Géométres, feroit obligé de les prendre pour les guides à fon tour dans les fections coniques, dans les théorèmes des courbes, & dans le fyftême de l'infini.

II.

l'infini.

On peut regarder le fyftême de l'inDu fyfene géomé. fini comme une révolution presque totrique de tale arrivée dans la Géométrie. L'audace de manier l'infini, dit M. de Fontenelle, [c] a reculé de plus en plus les anciennes limites de la Géométrie; mais n'eft-il point arrivé au fyftême de l'infini, comme à certains conquerants [d] de changer fes mœurs & fes loix, en étendant fon empire? Cette Géométrie nouvelle eft une fcien. ce, qui emploie pour principe ce qu'on ne peut concevoir. Elle a paru même chancelante, & peu affurée des vérités qu'elle a découvertes; fa méthode a été fufceptible de plufieurs contradictions. Il s'eft trouvé un Géométre, qui voulant bien recevoir les infiniment petits du prémier ordre a rejetté abfolument ceux du fecond, & de tous les ordres inférieurs, toujours infiniment plus petits les uns que les autres. Dans l'Académie des fciences [e], il s'eft élevé des conteftations fur ce fyftême : & c'est en quoi

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je dis que la Géométrie a paru changer fes mœurs & fes loix, puisqu'el le eft entrée en compofition avec le problématique. Leibnits a cru devoir adoucir l'idée des infinis, en les réduifant à des incomparables. M. de Fontenelle obferve que toute cette matiére eft environnée de ténébres assez épaiffes de là vient que quelques-uns de ceux qui embraffent les idées de l'in fini ne les prennent pourtant que pour des idées de pure fuppofition fans réalité, dont on ne fe fert que pour arriver à des folutions difficiles, qu'on abandonne dès qu'on y est arrivé, & qui reffemblent à ces échafaudages qu'on abat auffi-tôt que l'édifice eft conftruit. M. de Fontenelle remarque auffi que la Géométrie a une obfcurité effentielle du côté de l'infini, dont la rai fon eft que de ce côté-là, elle tient à la Phylique, à la nature intime des corps que nous connoiffons peu, & peut être auffi à une Métaphyfique trop élevée, dont il ne nous eft permis que d'appercevoir quelques raïons. Ne peut-on pas conclure de cet aveu que comme la Phyfique a acquis des certitudes par l'alliance de la Géométrie; cette Géométrie nouvelle en s'affociant à la Physique, & à la Métaphyfique, a contracté un caractére différent de l'ancien. Elle confidére dans les lignes, des parties infiniment petites, c'est-à dire des parties plus petites, qu'aucune grandeur déterminée ce qui fait connoître avec le fecours de la Géomé

[c] M. de Fontenelle, préf. des élém. de la géom, de l'infini.

[d] C'est ainsi qu'Alexandre, & que les Romains enfuite imitérent les mœurs des

Afintiques, en subjuguant l'Afie. [e] Hift.de l'Acad. des fcienc, ann, 1701. pag. 87.

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