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Lyfimachus n'en jugea pas favorablement, & dit que comme les endroits qui ont été frappés de la foudre, font confacrés à la religion, & demurent fermés afin que perfonne n'y paffe, il craignoit que par ce fonge Dieu ne l'avertît que Lacédémone lui feroit fermée. L'explication de Lyfimachus fut vérifiée par l'événement, Lacédémone fut fauvée par un fecours inopiné.

Tite Live rapporte que Titus Latinus étant devenu paralytique fe fit porter au fénat, & dit qu'il avoit vû en fonge Jupiter, qui lui avoit ordonné d'avertir le fénat, qu'aux derniers jeux on lui avoit produit un danfeur qui lui avoit déplû. Latinus ajoutoit qu'aïant jugé ce fonge indigne d'être rapporté au fénat, il avoit vu mourir fon fils fubitement, & que lui même en peu de jours étoit devenu paralytique; que dans ce trifte état Jupiter lui étoit apparu en fonge une feconde fois, & lui avoit dit que la mort de fon fils, & fa propre paralyfie étoient les peines de fa defobéiffance, & que s'il vouloit éviter la mort, il s'acquitât au plûtôt de fa commiffion. En même temps qu'il par loit, il retrouvoit l'ufage de fes membres, & il fortit du fénat de fon pié. L'embarras fut grand d'expliquer ce que c'étoit que ce danfeur qui avoit déplû au Dieu enfin on fe fouvint que vers le temps des derniers jeux, un maître avoit fait fouetter cruellement un efclave, lequel par la violence de la douleur avoit fait plufieurs postures qui imitoient les danfes des farceurs. Le maître fut châtié de son inhumanité,& par arreft du fénat on recommença les jeux.

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Pompée eut un fonge trompeur, veille de la bataille de Pharfale. Il lui fembla qu'il arrivoit à un spectacle, & que le peuple le recevoit avec des acclamations extraordinaires.

Sylla aïant rêvé [] que la Parque l'appelloit, le lendemain il communiqua ce fonge à fes amis fit fon testament; la fièvre le prit le foir, & il mourut dans la nuit, âgé de foixante ans.

Céfar fongea [u] qu'il avoit commis un incefte avec fa mére, & les devins prédirent fur ce fonge, que la terre, mére commune des hommes feroit foumife à fa puiffance.

Pendant la nuit qui précéda l'affaffinat de Jules Céfar, Calphurnie sa femme [x] le vit en dormant tout fanglant & percé de coups. Ce fonge de Calphurnie, ni les augures finiftres de la veille ne furent point inventés après l'événement. L'impreffion qu'ils firent fur Céfar qui n'étoit point fuperftitieux, & les inftances de Calphurnie pour qu'il ne fortît point cette matinée là, le déterminérent à ordonner à M. Antoine qui étoit alors conful, de féparer le fénat. Mais Brutus étant arrivé fur ces entrefaites, & craignant que le fecret de la conjuration ne fût découvert, il représenta fi vivement à Céfar qu'il alloit par ce contr'ordre affliger le fénat, & allarmer toute la ville de Rome, qu'il l'entraîna au fénat malgré lui.

Cicéron raconta dans le capitole [y] qu'il avoit vû en fonge un jeu. ne homme qui defcendoit du ciel au moïen d'une chaîne d'or, qui avoit un fouet à la main, & qui s'étoit arrêté à la porte du capitole, Apper

[t] Appian. de bell.civil. lib. 1.

[u] Dio Caff. lib. 37. le héros de Balthaz. Gratian. de la traduct. du P, Canapevilla, remarq. fur lech, 18,

[x] Dio Caff. lib. 44

[y] d. lib. 45. Suet. in Offav. cap. 94.

cevant pour la prémiére fois Octave qui fut depuis l'Empereur Augufte, il le reconnut pour être celui qu'il avoir vû en fonge, & le dit à touts les affiftants,

Catulus fongea auffi [z] que Jupiter Capitolin avoit choifi Octave au milieu d'une troupe de jeunes gens, pour dépofer la ville de Rome dans fon fein; & étant monté au capitole, il y rencontra Octave qu'il ne connoiffoit point; mais fa figure lui rappellant celle qu'il avoit vûë en fonge, il ne douta point que ce ne fût le jeune homme qui lui avoit apparu en dormant.

Les Macédoniens étant furpris des honneurs extraordinaires qu'Alexandre rendoit à Jaddus grand prêtre des Juifs, il leur répondit qu'avant fon départ de Macédoine il avoit vû en fonge un homme femblable à ce grand prêtre qui lui avoit prédit fes conquê

tes.

Archelaus Ethnarque [a] vit en fonge dix épis de blé mur, que des bœufs mangérent. Un Efféen nommé Simon expliqua ainfi ce fonge: qu'il préfageoit un changement dans la fortune d'Archélaüs, parce que les boeufs en labourant changent la forme de la terre; que ces dix épis marquoient dix années, parce que chaque année la terre en produit de nouveaux, & que la dixième année feroit la fin de la domination.

Plutarque, Dion Caffius, Velleius Paterculus, & Valére Maxime ont attefté qu'Arctorius médecin d'Octavien Cefar, qui fut depuis furnommé Augufte, l'avertit en conféquence d'un fonge qu'il avoit eu, de ne pas refter dans la tente quoiqu'il fût malade, le jour de la bataille de Philippes. Octa

[2] Dio Caff. lib. 45. [a] Jofeph, antiq. lib. 17. ch. 15. [b] Suer, in Calig. c. 57.

vien fut redevable de la vie à ce confeil. Brutus battit & enfonça les troupes d'Otavien, força fon camp, entra dans fa tente, & aïant rencontré sa litiére, il la fit percer de plufieurs coups, croïant l'y trouver plutôt qu'à la tête d'une légion; mais Octavien par pru. dence s'étoit caché dans un marais, où l'on ne s'avifa pas de le chercher; & fa bønne fortune non feulement lui conferva la vie, mais lui procura la victoire par la valeur d'Antoine qui défit l'aile commandée per Caffius.

Caligula, la veille de fa mort [b], fongea qu'il s'étoit élevé jufqu'au trône de Jupiter, qui d'un coup de pié l'avoit précipité sur la terre.

Pline le jeune [c] rapporte comme témoin oculaire, que fon affranchi nommé Marc vit en fonge un homme affis fur fon lit, qui lui coupoit les cheveux; & que le lendemain cet affranchi trouva fes cheveux coupés fur fon lit; que dans le même temps un de fes efclaves vit en fonge deux hommes, vêtus de blanc, qui entroient dans fa chambre par la fenêtre, & qui après lui avoir coupé les cheveux, s'en retournoient par le même chemin. Cet efclave trouva à fon réveil un paquet de fes cheveux coupés autour de lui. Pline eftime que ces deux fanges de fon af franchi & de fon efclave lui préfageoient un grand danger évité par la mort de Domitien.

Monique mére de S. Auguftin [d] vit en fonge un jeune homme qui l'affura que fon fils renonceroit aux er reurs des manichéens. S. Jérôme rapporte qu'il fut fouetté en fonge pour trop aimer les lettres prophanes, & furtout la lecture de Cicéron; & qu'il

trouya

[c] Plin. epift. lib. 7. epift. ad Suram. [d] s. Ang, confeff.lib. 3. c. 11.

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trouva à fon réveil les marques des coups.

S. Auguftin [e]a raconté une hiftoire qu'il avoit apprife à Milan dont il dit que la vérité ne doit pas être révoquée en doute. Un homme aïant hérité de fon pére,on vint lui demander le païe ment d'une dette confidérable,en lui re.

préfentant le billet que fon père avoit fait. Cette dette à la quelle il ne s'attendoit pas, lui caufa beaucoup de chagrin, & le furprit d'autant plus, que fon pére ne lui en avoit point parlé, & n'en avoit fait aucune mention dans un teftament qu'il avoit laiffé. Lorfqu'il avoit l'efprit agité de ces inquiétudes, il vit en fonge fon pére qui lui apprit en quel endroit étoit la preuve, que cette dette avoit été acquittée. L'héritier chercha dans l'endroit qui lui avoit été indiqué en fonge, & y trouva effectivement la preuve que fon pére avoit fait le païement qu'on lui redemandoit. S. Auguftin eft d'avis que les défunts n'ont aucune part à ces vifions, qui arrivent par le miniftére des efprits exécuteurs de la volonté de Dieu Alexandre jurifconfulte Napolitain [f] rapporte un événement fort extraordinaire, qui étoit arrivé récemment. Ferdinand d'Aragon étant en paifible poffeffion du roïaume de Naples, un ancien évêque de cette ville que le peuple révéroit comme un faint, apparut en fonge à un prêtre qui étoit en réputation d'une grande fainteté, & l'avertit de porterà Ferdinand un livre de prédictions, qui étoit enfoui dans un endroit qu'il lui défignoit. Le prêtre eut plufieurs fonges femblables, & n'y aïant pas

Tom. I.

[e] Pro certo, cùm Mediolani effemus, audivimus, &c. S. Aug. de curâ pro mortuis gerendá. Eugypp.1.2.c.306.

[f] Alex. ab Alex. genial, dier. lib. 3 c.15. [g] Thuan,lib, 12.

ajouté foi, le faint évêque lui apparut dans le tempsqu'il étoit pleinement éveillé,& lui ordonna avec menace de faire ce qui lui étoit enjoint. Le lendemain le prêtre fut à la tête d'une proceffion folemnelle à l'endroit qui lui avoit été marqué, & après avoir fait fouiller la terre il y trouva un livre couvert de plomb,qui fut porté au roi.Ce livre contenoit des préditions fur le roïaume de Naples,& on y découvroit très clairement les ravages & les malheurs qui y furent caufés peu de temps après par les François & les Espagnols.

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Muftapha [g] que Soliman II. fon pére fit mourir inhumainement fut averti en fonge de fa malheureufe destinée.

Le fultan Ofman [b]aïant deffein de quitter Conftantinople, & de transférer le fiége de fon empire à Damas ou au Caire, il fut étranglé par les Janif faires révoltés. Il avoit rêvé avant cette révolution, qu'étant fur le chemin de la Mecque, le chameau fur lequel il étoit monté s'étant tout d'un coup dérobé fous lui avoit volé vers le ciel, & qu'il ne lui étoit resté que la bride dans la main. Son oncle Mustapha, à qui il demanda l'explication de ce fonge, lui dit que le chameau étoit l'empire prêt à lui échaper, & dont la révolte étoit prédite.

Le roi Gontran fetrouvant fatigué à la chaffe [i], fe retira à l'écart & s'endormit n'étant accompagné que d'un domeftique. Pendant fon fommeil il fortit de fa bouche une petite bête qui fe donnoit de grands

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[h] Mercur. François,t. 8.ann. 1622.

[i] Heidfeld. in sphynge.c. 14. Marinus Merfennus in genefim. Joann Jonfon.rhaumategraph classi, 10.c.7. art.5.

mouvements pour paffer un ruiffeau. Le domeftique de Gontran mit fon épée en travers fur le ruiffeau, & cet animal étant paffé deffus alla vers une montagne, entra dans une fente, & revenant une heure après par le même chemin, rentra dans la bouche du roi. Gontran alors s'éveilla, & raconta à celui qui l'accompagnoit, qu'il avoit eu un fon ge, pendant lequel il lui fembloit qu'il paffoit un fleuve fur un pont de fer, & qu'il trouvoit un thréfor dans une montagne.Son domeftique lui aïant fait de fon côte le récit de ce qu'il avoit vû, ils allérent ensemble vifiter la fente de la montagne, où la petite bête étoit entrée, & ils y trouvérent une grande quantité d'or & d'argent.

La reine Catherine pria inftamment [k] Henri II. de ne point entrer en lice, le jour qu'il y fut bleffé à mort; parce qu'elle l'avoit vû en fonge le vifage couvert de fang.

Environ un mois avant l'exécrable parricide commis en la perfonne facrée d'Henri le grand, la reine Marie étant couchée auprès du roi s'éveilla, en faifant un cri, & le trouva baignée de larmes. Le roi lui aïant demandé ce qui caufoit en elle une fi grande émotion, elle refufa longtemps de le dire, & enfin elle lui avoua qu'elle avoit rêvé qu'on l'affaffinoit. Henri ne fit qu'en rire, faisant souvenir la reine du proverbe, qui traite les fonges de menfonges. Je finirai ce chapitre par des paroles fort remarquables [4] de la reine Mar

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guerite.,, Quelques-uns tiennent qué,, Dieu protége particulièrement les,, grands, & qu'aux efprits où il reluit quelque excellence non commune, leur donne par de bons génies quelques avertiffements fecrets des accidents qui,, leur font préparés ou en bien ou en mal, comme à la reine ma mére, qui la nuit d'avant la miférable course, fongea qu'elle voïoit le roi mon père blessé à l'œil, comme il arriva, & étant éveillée, le pria plufieurs fois de ne vouloir point courir ce jour-là........ étant dangereufement malade à Metz, & aïant autour de fon lit le roi Charles,, ma fœur & mon frère de Lorraine, & force dames & princeffes, elle s'écria comme fi elle eût vû donner la bataille 99 de Jarnac: Voïez comme ils fuïent: „ mon fils a la victoire. Voiez vous dans " cette haie le prince de Condé mort ? Touts ceux qui étoient-là croioient, qu'elle rêvoit; mais la nuit d'après, M. de Loffes lui en apportant la nouvelle, Je le fçavois bien, dit-elle, ne l'avois-je,,

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[k] Mézerai,à la fin du regne d'Henri II.

[1] Mémoires de la reigne Marguer liv.1.

1.

Différentes opinions des

fur la fertu

AC.

Jocket stetit st sett CHAPITRE TREIZIÉME.

De la Fortune, & du Deftin.

SOMMAIRE.

1. Différentes opinions des philofophes fur la fortune. 2. Quelle est la vé ritable caufe des chofes fortuites. 3. Opinions des Philofophes fur le deftin. 4. De la prefcience de Dien.

Left auffi ordinaire de parler de la fortune, & de la nommer à tout prophilofophes pos, qu'il eft rare d'avoir une jufte idée de ce qu'on entend par cette expreffion. Dans toutes les parties du monde [4], cn touts lieux, & à toute heure, on réclame la fortune, on a recours à elle, on ne fait cas que d'elle;le culte qu'on lui rend eft en même temps mêlé de mille outrages; on la blâme de touts les événements malheureux ou injuftes, on l'accufe de protéger ceux qui n'ont aucune vertu on l'appelle aveugle, inconftante, perfi de: mais parmi ceux qui ne penfent qu'à elle, il y en a bien peu qui fçachent ce que c'eft que la fortune,ni qui comprennent le véritable fens des paroles qu'ils répétent fi fouvent.

Les Péripatéticiens difoient que la fortune n'eft autre chofe que les loix de la nature & la volonté de l'homme; les

Stoiciens entendoient par la fortune les decrets d'une néceffité fupérieure aux dieux mêmes; les Platoniciens croïoient que la fortune étoit quelque génie, dont Dieu fe fervoit pour opérer les chofes qui paroifoient fortuites aux hommes, Suivant cette opinion, la fupériorité de la fortune d'Augufte fur celle d'Antoine, a été exprimée par l'afcendant du génie d'Augufte fur celui d'Antoine, Saint Augustin [b] ne s'éloigne pas de ce fentiment des Platoniciens, lorfqu'il dit que les chofes fortuites, dont la fortune a tiré fon nom, ne font pas privées de caufes, mais que ces caufes nous font cachées, & qu'elles doivent être rapportées à Dieu, & aux bons ou aux mauvais anges. Les Epicuriens [c] confidéroient toutes chofes dans la nature comme fortuites, ate tribuant toute forte d'effets au mouvement & au concours des atomes,. comme à la caufe unique & générale Epicure avoit fuivi l'opinion,de Démocrite, qui étendoit fon fyfteme de la rencontre fortuite des atomes à touts les événe ments de la vie, foutenant que comme l'univers avoit été formé au hazard par l'accrochement des atomes, auffi touts les événements étoient produits par le concours fortuit d'une infinité de cir

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