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fet du fentiment & des circòftances. Antoine [o] découvrit la poitrine d'Aquilius, pour lequel il plaidoit,& montra aux Juges les cicatrices des blessures qu'Aquilius avoit reçûës pour la patrie.

Le difcours d'un prémier préfident qui foutient les droits du roi, eft ferré, grave, plein de vigueur & d'autorité. Un général s'exprime d'une maniere courte, remplie de feu, propre à infpirer le courage & la confiance. Les régles & les ornements de la rhé torique, les périodes mefurées, les métaphores, les antithefes, les apof. trophes puifées dans l'art, tout genre d'éloquence, qui peut être le fruit de l'étude, feroit froid & déplacé. Chaque caractere,chaque fituation demande un genre d'éloquence particulier. Peut on donc réduire en un art véritable cette espéce de talent,dont les principes font fi différents, & trés fouvent oppofés, fuivant les perfonnes, les païs & les conjectures? Hannibal [p] avant la bataille du Ticin, dic à fes foldats: La fupériorité de la valeur doit être de

Tom. 1.

[o] Cic. in Verr. orat. 5. init. [p] T. Liv.lib.21.

[q] Le p. Daniel, regne d'Henri VI

Anno 1590.

[r] Eft enim & fcientia comprehendenda rerum plurimarum, fine qua verborum volubilitas inanis atque irridenda eft, & ipfa oratio conformanda non folùm electione, fed etiam conftru&tione verborum: & omnes animorum motus quos hominum generi natura tribuit, penitus pernofcendi, quod omnis vis ratioque dicendi in eorum, qui audiunt, mentibus aut fedandis aut excitandis exprimenda eft. Accedat eodem oportet lepos quidam, facetiæque, & eruditio libero digna, celeritafque & brevitas & refpondendi & lacefiendi, fubtili venuftate atque urbanitate conjuncta. Tenenda præterea eft omnis antiquitas, exemplorumque vis, neque le

notre côté, puifque l'aggreffeur eft plus rempli de confiance, que celui qui fe tient fur la défenfive. Ét il finit par ces mots: Il ne vous reste aucune reffource? vous êtes placés entre la victoire & la mort: jamais les dieux ne mirent les hommes dans des circonf tances plus favorables pour vaincre.

Avant la bataille [9] d'Ivri, Henri le Grand parcourant les rangs, & montrant aux foldats fon cafque furmonté d'un panache blanc, leur difoit avec un air de confiance, qui leur annonçoit la victoire: Enfants, fi les cornétes vous manquent, voici le figne du ralliement, vous le trouverez toujours au chemin de la victoire & de l'honneur: Dieu est pour nous. Cicéron fait un portrait fi accompli l'orateur [r], qu'il ôte l'efperand'arriver à tant de perfection. L'orateur, felon lui, doit réunir un grand nombre de fciences, exceller dans le choix & dans l'arrangement des expreffions, connoître touts les mouvements dont le cœur humain eft fufceptible, avoir de l'enjouement & de

de

ce

F

gum aut juris civilis fcientia negligenda eft. Nam quid ego de actione ipfâ plura dicam? quæ motu corporis, quæ geftu, quæ vultu, quæ vocis conformatione ac varietate moderanda eft: quæ fola per fe ipfa quanta fit, hiftrionum levis ars & fcena declarat, in qua cum omnes in oris atque vocis moderatione elaborant, quis ignorat quàm pauci fint fuerintque quos animo æquo fpe&tare poffimus? Quid dicam de thefauro rerum omnium memoria, quæ nifi cuftos inventis cogitatifque rebus & verbis adhibeatur, intelligimus omnia, etiam fi præclariffima fuerint, in oratore peritura. Quamobrem mirari definamus quæ caufa fit eloquentium paucitatis, cùm ex iis rebus univerfis eloquentia conftet, quibus in fingulis elaborare permagnum eft. Cic. de orator: lib. x.

Ta politeffe, de la préfence d'efprit, pour attaquer & pour répondre.Il faut qu'il poffede l'hiftoire & les loix, & que toutes ces qualités foient foutenues de graces de la taille & du vifage, des avantages du gefte & de la voix, & mifes en œuvre par une mémoire heureufe & fidelle. Il paffe enfuite aux louanges de l'éloquence [s]. 11 ne trouve rien qui lui foit comparable, foit pour la gloire & la diftinction qui lui font attachées, foit pour le plaifir & la fatisfaction qu'elle donne, foit pour le crédit & l'autorité qui l'accompagnent.Rien n'eft fi grand & fi élévé que de commander aux affections des peuples, de difpofer des fuffrages des juges, de conduire la gravité du Sénat, de fecourir les malheureux, de repouffer les dangers, de contenir les hommes dans le devoir. Rien de fi nécessaire que d'avoir des armes toujours prêtes pour attaquer les méchants, ou repouffer les injures, Xénophon fait dire à Socrate que la de l'élo- perfuafion a plus de force que la violence méme. La condamnation d'Ariftide accufé par Thémiftocle montra It] que les difcours artificieux l'emportent quelquefois fur la justice:

Pouvoir

quence.

wi

L'éloquence de M. Antoine l'orateur [] avoit arrêté & fléchi les

[] Quid enim eft aut tàm admirabile qnam ex infinita multitudine hominum exiftere unum, qui id quod omnibus à naturâ fit datum, vel folus, vel cùm paucis facere poffit? aut tàm jucundum cognitu, atque auditu, quàm fapientibus fententiis gravibufque verbis ornata oratio & polita? aut tàm potens, tàmque magnificum quàm populi motus, judicum religiones, fena tûs gravitatem unius oratione converti? quid porro tàm regium, tàm liberale, tàm munificum quàm opem ferre fupplicibus, excitare afflictos, dare falutem, liberare periculis, retinere ho

meurtriers envoïés meurtriers envoïés par Marius, la férocité de ces affaffins étoit défarmées, lorfqu'Annius leur chef[x], qui étoit refté à la porte de la maifon, entra dans la chambre où étoit Antoine, & lui coupa la tête de fa propre main. Cefar avant le jugement de Ligarius, dit: Entendons Cicéron, la réfolution eft prife, il n'en fera ni plus ni moins [y]. L'éloquence de Cicéron triompha de cette refolution, & Céfar laila tomber les papiers qu'il tenoit en fa main.

Archidame roi de Lacédémone aïant demandé à Thucydide, lequel étoit le plus fort à la lutte, de lui ou de Périclés; cela feroit difficile à verifier, répondit Thucydide [z], car quand je l'ai abattu en luttant, il perfuade à ceux qui l'ont vû, qu'il n'est pas tombé.

Cicéron témoigne que Carnéade [a] n'a jamais foutenu d'opinion fans l'établir, & qu'il n'en a iamais combattu fans la détruire. Les Athéniens aïant envoïé à Rome une ambaffade compo fée de Carnéade, de Critolaus, & de Diogène le Stoïcien, les Romains fe plaignirent [b] de ce que le deffein des Athéniens avoit été de dominer dans les déliberations, par des ambaffadeurs

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Eges

£ cloquents, Caton le cenfeur [e] opina qu'ils fuffent promtement renvoies, parce que Carnéade avoir l'art d'embrouiller la verité par fes propofitions fubtiles.

Paul V. difoit: Prions Dieu qu'il infpire le cardinal duPerron,car il nous a. perfuadera [d] tout ce qu'il voudra. C'est la préfomption de l'éloquence qui lui a fait entreprendre, par maniére de jeu à la vérité, mais cependant pour faire briller fon pouvoir, de louer les chofés les plus déceftables, & d'élever les plus viles: comme quand Ifocrate a fait l'éloge de Bufiris, Alcida mus de la mort, Polycrate de Clytemheftre, Phavorin de Thertite, de la fiévre, & de l'injuftice, Cardan de Nêron, Lucien de la mouche & des parafites, Heinfius du poulx, Eraf me de la folie, Synefius des têtes chauves, le Vayer de l'âne, Ménage la métamorphofe du pédant en perroquet; &, pour ne pas oublier les poëtes, lorfqu'Homére a décrit la guerre des grenouilles & des rats, que Virgile a fait un poëme fur le moucheron, & que Pafferat a compofé l'éloge du

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s'étant préfenté pour faire le panegyrique d'Hercule, ils refuférent de l'entendre, en difant: Qui pourrait blâmer Hercule? Julius Pollux obferve que l'Areopage avoit défendu les exordes & les péroraifons. Ariftote [g] & Quintilien [5] parlent de cette loi.Diodore de Sicile [] rapporte que les Egyptiens ne fouffroient point d'avo cats parmi eux, de crainte que leur éloquence ne déguifat la vérité dans les jugements Averroes remarque dans fon commentaire fur la rhétorique d'Ariftote, que parmi les Arabes il étoit ordonné aux avocats de parler fans. gefte & fans aucun air de déclamation. C'eft à caufe de la loi d'Athénes [k] que. le commencement & la fin dans toutes les harangues de Démofthéne nous paroiffent fi fimples & fi dénués d'ornements. Toureil lifant dans l'acadé mie quelques endroits de fa prémiére traduction de Démofthéne, où il s'éloignoit un peu du fens litteral, Racine s'écria: Ah! le bourreau, ne vat-il pas donner de l'efprit à Démofthéne?

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[g] Ariftot. rhetoricor. lib. 1. c. I.
[b] Quintil inftit. lib. 6.
[i] Diod. Sic. lib. x..

[k] Epilogos illi mos civitatis abitu lerat. Quintil. inftit. lib. 10 cả 1.

[1] Erafm, adag. chil 1. cent. 9. pra verb. 41. & chil. 4. cent. 10. proverb. 6. [m] Aul. Gell, noct. Atticar, lib. 5. co 10. Apul, Florid, lib. 2.

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teigner la rhétorique, moïennant une fomme qui lui feroit païce par fon difciple, s'il gagnoit fa prémière caufe. Evathle inftruit de touts les pré ceptes de l'art, refufa de païer Protagoras: Ce profeffeur le pourfuivit en juftice, & dit aux Juges. Tout jugement eft décifif pour moi, quand il feroit dicté par mon adverfaire. Car s'il m'eft favorable, il porte la condamnation d'Evathle, s'il m'eft contraire, il lui fait gagner fa prémiére cause, & le rend mon débiteur fuivant notre Convention. J'avoue, répondit Evath le, qu'on prononcera pour ou contre moi: l'un & l'autre m'acquitte également. Si les juges prononcent en ma faveur, l'Aréopage vous condamne; s'ils prononcent pour vous, je perds ma caule,& ne vous dois rien fuivant notre convention. Les juges avouérent leur infuffifance pour décider une caufe fi difficile. Si ces juges avoient fait plus d'attention à la chofe qu'aux paroles, ils auroient connu aisément qu'Evathleen avoit affez appris, pour devoir à fon maître la récompenfe promife. Le même Aréopage ne fçachant que décider dans une autre affaire [n],ajourna les parties à comparoître dans cent ans.

[n] Il s'agiffoir d'une femme qui avoit fait mourir fon mari, & le fils de fon mari coupables du meurtre d'un fils, qu'elle avoit eu d'un prémier mariage. Les Aréopagites we purent le résoudre à la condamner à taule de la jufte douleur qui avoit excité fa vengeance, ni à l'absoudre à cause de Tatrocité de fes crimes. Val.Max.lib.8.c. 1.

Ce jugement n'eût pas été fort difficile fui vant notre jurisprudence quidéfend toutes les vengeances particulières.

[o] C'étoit ce qu'on appellair aquam fuAinere. Differtat, de M l'Abbé Sallier fur les horloges des anciens. Dans les mémoir, de Acad. des bell, lettr. t. 4. p. 158.

Epl Eloquio fed uterque perit orator &c. Juv. far. 10. Juvenal dit que Cicéron n'eut en rien à

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Les pré

la rhétorique peu

nudibles.

fier le meurtre de Geta.

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Cette fcience ambitieufe qui fe vante de régner fur les affections & fur les volontés des hommes, aura moins de vanité, fielle confidére que ceux qui Font le plus cultivée, ont été livrés à cause d'elle aux plus grands malheurs, que plufieurs villes l'ont bannie de leurs enceintes, & qu'elle eft dans une dépendance perpétuelle de l'ufage & de l'opinion.

15. De l'opi

ne fe forme

ques.

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travaillé pour la liberté mais pour fe Solon [a] & Platon ont dit, que l'é-
;
donner un maître favorable. Il en cou- loquence eft l'image du charactére.L'é- nios que
ta la vie [u] à Papinien pour n'avoir pas loquence du fiécle paffé a fait connoî-Téloquence
voulu emploïer fon éloquence à jufti tre que
tre que les gouvernements monarchi- que dans
ques peuvent produire d'auffi parfaits les republi-
orateurs que les populaires. Le Maître,
Flechier, Boffuet, & plufieurs autres
modernes ont égalé tout ce que l'anti-
quité peut fournir de plus éloquent.
C'eft une opinion trés mal fondée que
l'éloquence ne peut fe former que
dans les républiques.,, Il femble, die „
Montagne [b], que les polices qui dé
pendent d'un monarque, ont moins,,
befoin d'orateurs. La facilité d'une ;,'
commune d'être maniée & contour-,,
née par les oreilles ne fe trouve fi aife-
ment en un feul. On n'a pas vû fortir ;;
de Macédoine ni de Perfe aucun ora-
teur de renom, »Convenons avec Lon-
gin [c], que rien n'éleve davantage
l'efprit que la liberté : mais reconnoif-
fons en même temps que les gouver-
nements républicains ou mixtes mul-
tiplient la fervitude, que les révolu
tions aufquelles ils font exposés, font
de fréquents obftacles au progrés de
l'éloquence, & que la véritable liberté
& la juftice des récompenfes favorifent
davantage les fciences & les arts fous un
gouvernement monarchique.
F 3

Les préceptes de rhétorique peuvent ceptes de être auffi nuifibles qu'utiles. On peut s'en fervir avantageufement pour l'orvent être dre & l'élégance du difcours, mais il faut prendre garde qu'ils n'éteignent le feu naturel, & que par une méchode& une imitation languiffante ils ne vous tirent hors de votre charactére[x], dans lequel feul vous pouvez plaire [y].

14.

L'éloquen

Sénéque [z] fait une remarque fort ce l'image jufte, que le goût eft une image des des mœurs. mœurs: & que l'éloquence eft ferme & vigoureufe, fans pointe & fans affectation, quand la fermeté & le courage régnent dans les cœurs.

[u] Xiphil. ex Dion, libr. 77. Spartian.in
Sever, Get. & Carac.

[x] Tu nihil invitâ dices faciefve
Minervâ. Hor.
Nihil decet, invitâ Minervâ, id eft,
repugnante naturâ; fic ut decorum con-
fervare non poffis, fi aliorum naturam
imiteris omittas, tuam, Cic. de off. lib. 1.
[y] Quintilien le mocque de ces orateurs
qui affettoient de terminer leurs périodes
par ces mots, effe videatur, pour donner
à leur ftyle un air Cicéronien. Quintil. inftit.
lib. 10. c. 2.

[z] Quemadmodum unius ejufque actio
dicenti fimilis eft, fic genus dicendiimi
tatur publicos mores, Sen. epift. 114.

Cujufcumque orationem videris folli citam & politam, fcito animum quoque non minus effe pufillis occupatum... oratio vultus animi eft. Si circumtonfa & fucata eft, & manufacta, oftendit illum quoque non effe fincerum, & habere aliquid fracti. Non eft ornamentum virile concinnitas. Sen. epift. 115.

[a] Solonis dictum vetus, fermonem
imaginem effe operum, Tov Xoyor Erfw-
λον είναι τῶν ἔργων. Sic ait Plato, οἷος ὃ
iyos, TOISTOS & TOOTTOS. Qualis oratio,
talis vita. Lipf. in Sen. epift. 114.

[6] Eff. de Montagne, liv, 1. e, sti
[c] Long, tr, du fubl. c. 33.

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