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porté que Servius [z] Tullius étant enfant parut avoir la tête toute en feu, lorsqu'il fut préfenté la prémiére fois à Tanaquil femme de l'ancien Tarquin; & que L.Martius [o]haran guant les troupes Romaines enEspagne après la défaite & la mort des Scipions, fa tête parût environnée de flammes. Alexandre defcendant de cheval bleffa par mégarde Lyfimachus au front, de maniére que pour arrêter le fang qui couloit en abondance, Alexandre ôta fon diademe, & en ceignit la tête de Lyfimachus: ce qui fut le préfage de fa roïauté.

Le cheval Séjan, ainfi nommé à caufe de fon maître Cneïus Seius, étoit d'une beauté rare & remarquable, mais il attiroit des malheurs pernicieux à touts ceux à qui il appartenoit. Seïus fon prémier maître fut condamné à mort; Dolabella qui l'éut enfuite fut tué dans les guerres civiles; Caffius à qui il paffa, fe fit ôter la vie par un efclave ; & MarcAntoine fon dernier maître périt mal heureusement, comme tout le monde le fçait, après la bataille d'Actium. L'or de Thoulouze [p], qui fut en levé des temples de cette ville par le conful Q. Cæpio, attira une fin trai gique à touts ceux qui le poffédé rent. En forte que le cheval Séjan, & l'or de Thoulouze, ont paffé [9] en proverbes pour défigner les préfages les plus funeftes.

Tibére avoit un ferpent [r] ap

D

[n] Tit. Liv. lib. 1. Val. Max. lib. 1. c. 6. [o] Tit. Liv. lib. 25. Cic. de divinas. lib.2. Val. Max, kb. 1. c. 6. Jul. Obfeq.c. 36. Frontin.ftratag.lib.2.c. 10.

[p] Aul. Gell, noct, Attic. lib. 3. c. 9. [q] Erafm. Adag.

[] Erat ei (Tiberio) in oblectamentis ferpens draco, quem ex confuetudine

privoifé Un jour qu'il vouloit lui donner à manger fuivant fa coutume il le trouva mort, & rongé par des four. mies. Il interpréta ce préfage, comme un avertiffement de fe défier du peuple

Un lion aïant renversé un trophée érigé par Caranus roi de Macédoine [s] & mis en piéces les ornements qui l'accompagnoient, les Macédoniens regardérent ce préfage comme finiftre, & depuis ce temps-là, ils quittérent la coutume qui étoit générale parmi les Grecs de dreffer des trophées lorfqu'ils remportoient quelque avantage fur les ennemis.

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Callimaque percé de plufieurs coups [] mourut debout à la bataille de Marathon. Il demeura à la vûë des deux armées tout droit & foutenu par les traits qui étoient reftés dans fes bleffures. Les Athéniens le regar dérent comme un trophée, & comme un préfage de la victoire.

Dinocrate travaillant aux murail les d'Alexandrie, & la chaux lui aïant manqué [#], il fe fervit de farine, pour cimenter le cordon qui regnoit autour de ces murailles: ce qui fut remarqué depuis, comme le préfage d'une extréme abondance.

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Au couronnement de la reine Elizabeth de Hainault, femme de Phi lippe Augufte, un officier remuant une baguette fit tromber l'huile de trois lampes fur le roi & la reine; ce qui fut pris pour le préfage des bénédictions, dont Dieu combleroit ce régne, Fff 2

manu fuâ cibaturus, cùm confuptum à formicis inveniffet, monitus eft, ut vim multitudinis caveret .Suet. in Tiber, c. 72. [s] Alex. ab Alex. genial, dier, lib. 1. c. 22. [r] Plutarch, in parallel.

[x] omnes ambitus lineales farinâ af perfit. Amm, Marcell, lib, 22,

11.

Remarques

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Auguste cependant avoit l'efprit [y] toujours rempli des préfages, d'augures, de fonges qu'il avoit faits, ou que d'autres avoient eus à fon fujet. Non content des fuperftitions de Rome, il en alloit chercher d'étrangéres: il fe fit initier dans les mystéres de Cérés Athénienne. On peut juger de fa foibleffe à cet égard, par la remarque qu'il fit [z], qu'il avoit penfé périr dans une fédition, un jour que celui qui l'avoit chauffé le matin, lui avoit mis un foulier au pié gauche le prémier.

Aléxandre n'étoit pas moins fuperftitieux. L'événement le moins digne d'attention [a] pour peu qu'il lui parut extraordinaire, étoit regardé comme un préfage par ce roi.

Chacun ajoutoit fes phantaifies aux fuperfti opinions fuperftitieufes: Si un loup Dieu fos. entroit dans un champ ou dans une ville; fi une corneille voloit à gauche; fi l'on rencontroit un liévre un ferpent, une bellette; fi une faliére étoit renversée ; de l'huile répandue; ou des cendres difperfées; c'étoient de mauvais préfages. Etoit-on plus fenfé dans plufieurs obfervations, que quelques perfonnès foibles faifoient encore de nos jours, de deux couteaux trouvés en croix, du nombre [x] Quintil. lib. 6. c. 3. Erafm. in apophthegm. aug.

[r] Aufpicia & omnia pro certiffimis obfervabat. Sed nec fomnia fua aut aliena de fe negligebat. Næ peregrinarum quidem religionum contemptor, cùm Ce reris Attica myfteriis initiari voluerit.

de treize à table, d'une glace de miroir caffée, & autres remarques, dont on eft aujourd'hui pleinement dés abufé?

12.

tintement

Les treffaillements des membres, & Des tref les tintements des oreilles, ont été faillement mis dans le chapitre de la magie, au éternuenombre des moïens, dont les magi- ments. ciens fe fervoient pour faire croire qu'ils pouvoient prédire l'avenir; ici nous les confidérerons comme des préfages, & comme des effets d'un preffentiment fecret, dont la caufe eft inconnue. A l'égard des éternuëments, ils paffent auffi chez les fuperftitieux pour des avertiffements, & pour des fignes de bonheur & de malheur.

Rien n'eft plus frivole que cette opinion des prefentiments, nous nous y arrêterons fort peu. Les pref fentiments que nous devons écouter, ce font ceux qui nous portent. à faire le bien, & à fuir le mal : Ceux de cette espéce ne nous manqueront jamais, fi nous nous rendons attentifs à la voix de la confcience, mais d'ajouter foi à des preffentiments fignificatifs de l'avenir, c'est une foibleffe également vaine & criminelle. Quelques exemples rapportés par l'hiftoire font ou les mouvements d'une confcience agitée de fes crimes, ou des geftes produits par le hazard, & interprétés après les événements, ou les tentations des malins efprits, qui cherchent à jetter les hommes dans l'erreur.

Domitien étoit tellement frappé de la crainte d'un danger prochain [b], vingt-quatre heures avant que d'être

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affaffiné, qu'il fe releva la nuit en furfaut & que le jour même, il rut agité de la plus vive inquiétude. Il demanda l'heure qu'il étoit, & comme on lui eut répondu qu'il étoit fix heures, quoiqu'il n'en fût que cinq, parce qu'il avoit donné à connoître qu'il étoit frappé de l'appréhenfion de la cinquiéme heure, il fentit un mouvement de joie, croïant avoir échappé au danger, il voulut entrer dans le bain, & à l'heure même les conjurés lui ôtérent la vic.

Cardan raconte [c] qu'au moment que fon fils avouoit fon crime, il en fut averti par une impreffion puiffante qui lui expliqua très diftincte ment ce malheur. Je me fentis, ditil, arracher le cœur, & déchirer les entrailles; & je m'écriai: Quoi à l'heure qu'il eft mon fils avoue qu'il s'est défait de fa femme par le poifon? il est donc coupable de ce dont il est accufé, & il va perdre la vie !

Un roi de Lombardie aïant appris [d], lorfqu'il retournoit de la chaffe, qu'une femme venoit d'accoucher de neuf enfants, il entra dans la maison our ils étoient, & après qu'ils eurent été étendus touts enfemble fur un matelas, le roi les retournoit avec un javelot, pour voir s'ils étoient bien conformés. L'un d'eux par un mouvement qui parut avoir un air courageux, faifit de fa petite main le javelot du prince, qui charmé de ce gefte, ordonna que celuilà cût une nourrice, & une éducation particulière. Cet enfant étant devenu grand, & aiant donné plufieurs marques de valeur, fut élû par les Lombards pour fucceffeur du

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(c) Cardan. de libris porpriis.

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(d) Jacob. Pontani Attica bellaria, part. a. Syntagm. 1. C, 14.

(e) Plutarch, in Pyrrh.

même monarque.

Les Epirotes [e] aïant chaffé Eacide pére de Pyrrhus, & mis fur le trône Néoprolémne frére d'Eacide, Pyrrhus enfant encore à la mammelle, fut fouftrait à la cruauté de fon oncle, qui vouloit le faire mourir, & il fut porté à Glaucias roi d'Illyrie. Ce prince partagé entre la crainte de Neoptoléme, & la compaffion de cetenfant, délibéroit s'il le recevroit fous fa fauvegarde, lorfque le petit Pyrrhus mis à fes piés, prit le bord de la robe de Glaucias, & paffa fes foibles mains autour des jambes du roi qu'il tenoit embraffées. Dans cette pofture d'un enfant qui ne pouvoit connoître fon péril, Glaucias crut voir un fuppliant infpiré des dieux, & il fe fit une affaire de religion de la protection qu'il accorda au petit prince. Ce fut depuis ce vaillant Pyrrhus qui fit la guerre aux Romains.

Les tintements & les éternuëments n'ont pas par u aux fuperftitieux indignes de leurs obfervations. Ils disent que fi le tintement fe fait fentir dans l'oreille droite, c'eft un figne qu'on parle de nous en bien; fi l'oreille gauche tinte, c'eft qu'on dit du mal de nous. L'éternuëment au milieu du jour étoit un bon préfage; celui du matin un préfage défavantageux. S. Auguftin [f] témoigne que la coutume étoit de fe remettre dans le lit, s'il arrivoit d'éternuer en fe chauffant. L'éternuëment à droit étoit auffi un préfage favorable: c'eft pourquoi Catulle [g] dit: L'amour jufques là contraire, fit connoître en éternuant à droit, qu'il approuvoit ces feux. C'est une fuperftition très ancienne de regarder l'éFff 3

(f) S. Aug. de doctrinâ Christianâ. lib. 1. (g) Amorfinifter ante

Bull.

Dextram fternuit approbationem CA.

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13. Des Chutes.

14.

Des rencontres.

ternuëment comme un préfage. Ulyf. fe dans Homére [b], prend un éternuëment de Télémaque pour un figne de bonheur. La coutume de faluer ceux qui éternuënt, eft apparemment l'ef. fet de cette opinion.

Les chûtes ont auffi paffé pour des préfages. Camille après la prife de Véies [] voïant la grande quantité de butin qu'on avoit faite, pria les dieux de vouloir bien détourner par quelque légére difgrace, l'envie que fon bonheur ou celui des Romains pouvoit attirer. Il tomba en achevant cette prière, & fa chûte fut regardée comme le préfage de fon exil, & de la prife de Rome par les Gaulois.

Céfar débarquant en Afrique fe laif fa tomber; mais fa préfence d'efprit changea en un prognoftic heureux, ce qui eût été trouvé finiftre dans ce préfage. Il étendit les bras, comme pour embraffer cette partie du monde, & dit: Afrique [k], tu es en ma poffeffion.

La fixiéme efpéce de préfages eft la rencontre de certaines perfonnes ou de certains animaux. Augufte fut cenfé [1] avoir un excellent préfage, lorfqu'il trouva dans fon chemin un âne appellé[m] Nicias.

Gaffendi [»] dans la vie de Tycho Brahé, nous apprend que ce feigneur, malgré l'étendue de les connoiffan ces, étoit fi fuperftitieux, que s'il rencontroit un liévre en fon chemin, il rentroit auffitôt chez lui. Le marêchal de Baffompierre paroît fort crédule fur ces fortes de préfages en plufieurs endroits de fes mémoires.

Sandrocottus roi Indien [o] fuïant -(b) Hom. Ody. p. v. 541.

(i) Hift. de l'acad.des bell.lettr. t. 1. p. 54. (k) Dio, lib. 42.

(1) Suiet. n Olav.c.96.

(m) Nicias en Grec fignifie victorieux. (n) Caffend, de vita Tychon. Br, lib. 6,

le courroux d'Alexandre, & s'étant endormi dans l'accablement de laffitude & de chagrin, il vit à son réveil un lion d'une énorme grandeur qui lui léchoit les mains; peu après il rentra dans les bonnes graces d'Alexandre.

Philippe Augufte & Richard Cœurde-lion conférant ensemble de paix [p] auprès d'un orme qui étoit entre leurs deux camps, il fortit du pié de cet arbre un gros ferpent, fifflant,& lançant la tête contre l'un & l'autre roi; & il difparut après que les deux monarques eurent mis l'épée à la main. Les deux armées aïant vû leurs rois en cette pofture, commencérent à s'ébranler comme à un fignal donné, & peu s'en fallut qu'elles n'en vinflent à une rude mêlée, quoique chacun des rois fit figne aux fiens de s'arrêter,

On vit en 1059 une grande multitude de lézards, de couleuvres & autres bêtes venimeufes [9], fe féparer en deux bandes dans une plaine près de la ville de Tournai, & fe battre opiniatrément, jufqu'à ce que l'une des deux étant vaincue, abandonna le champ de bataille, & fe réfugia dans le creux d'un gros arbre où les vainqueurs la pourfuivirent pour achever sa défaite; mais les païfans des environs y accoururent, & les exterminérent.

Nicolas de Clémange qui affiftoit au concile de Conftance, raconte qu'à l'ouverture de ce concile, tout le monde étant placé dans fon rang, on vit tout à coup un affreux hibou s'élancer d'un coin de l'églife où fe tenoit l'asfemblée; que le hibou regardoit fixe(0) Alex. ab. Alex genial, dier. lib. 2.c. 31. ) Mézer. dans le regn, de Phil Aug, ann

8

1195.

(9)Mézer dans le regn.d'Henril. ann,1059. (r) Rich. Dinotus, de bell, Gallic, apud Delrium, difquifit, magicar. lib.4.c.3. quest.6

ment le pape, en jettant des cris affreux; ce qui fut un très mauvais préfa. ge pour Jean XXIII. qui y fut dépofé. La veille de la bataille de Dreux [r], deux liévres qui partirent entre les deux armées, effuiérent grand nombre de coups de fufil, & s'enfuirent chacun de leur côté: le lendemain la bataille fe donna, les deux armées fe retirérent en defordre, le champ de ba

taille demeurant vuide.

La levrette [] de Charles de Chatillon, comte de Blois, paffa dans le camp ennemi, & fe donna au comte de Montfort avant la bataille d'Aurai, dans laquelle Charles de Blois perdit le duché de Bretagne & la vie. La ville de Cyzique[t] étant affiégée par Mithridate, & les habitants manquant de victime pour la fête de Proferpine, une geniffe qui étoit confacrée à la déeffe, & destinée à fervir au facrifice, quitta les pâturages où elle étoit nourrie, au delà des lignes des affiégeants, fe jetta à la nage, traverfa unbras de mer, & entrant dans la ville, fe préfenta elle-même à l'autel pour être immolée. Peu après Lucullus fit lever ce fiége à Mithridate, & remporta une victoire compléte fur ce

monarque.

Lorsqu'on creufoit les fondements du capitole [] fous le régne de Tarquin le Superbe, on trouva la tête d'un homme; elle paroiffoit encore fraiche & dégoutante de fang. Les dieux témoignérent par ce préfage, que tel étoit l'ordre des deftinées, que Rome fût la capitale du monde.

Livie femme d'Augufte aïant ren

contré une poule qui portoit dans fon bec une branche de laurier, elle la tira du bec de cette poule, & la planta dans fon jardin. Non feulement cette branche prit racine & forma un grand arbre, mais elle devint en peu de temps une foreft de lauriers, où les Céfars prenoient toujours ceux dont ils ceignoient leurs têtes dans les triomphes. Ces lauriors fleurirent tant que la race d'Augufte dura ; & on obferva qu'ils féchérent le jour même que Néron, le dernier empereur de cette famille fut tué. Un aubépin qui étoit tout à fait mort fleurit [x] dans le cimetiére des faints Innocents, le jour de S. Barthélemi de l'année 1572. De Thou fe mocque de toutes les conféquences que les prédicateurs en tiroient, pour prouver au peuple que le maffacre des hérétiques avoit été agréable à Dieu.

15.

tions de

Dans la famille de Torelli à Parme, [y] toutes les fois qu'il devoit mou- o Apparirir quelqu'un de la parenté, une vieil- spectres. le femme paroiffoit dans le coin d'une cheminée. Une ancienne tradition portoit qu'elle avoit été affaffinée par fes petits enfans, & que fon cadavre coupé en morceaux avoit été jetté dans les lieux. Une jeune fille étant malade, on crut que c'étoit fait de fa vie, parce que le fpectre parut ; mais la fille fut guérie, & un de fes cousins mourut fubitement.

Les apparitions de la femme blanche [z] de Rozenberg, font attestées par plufieurs auteurs, & cette croïance eft fort répandue dans l'Allemagne. Le fpectre apparoît, fuivant l'opinion

[] Le P. Lobineau, hift. de Bret. [] Plutarch.in Luccull,

[u] Varr. de ling. Larin. lib. 4. Dionyf. Halyc. lib. 4. Plutarch, in Camill,

[x]Thuan, lib, 52,

(y) Cardan de rer. varier, lib. 16. c. 93, (z) Le monde enchanté de Bekker, liv 4. ch. 17.

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