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I.

Difference des préfages

gures.

CHAPITRE ONZIEME.

Des Préfages.

SOMMAIRE.

fouvent été fuffifante pour exciter aux entreprifes les plus téméraires

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ou

pour détourner de celles qui avoient le 1plus d'apparence de réüssir.

1. Différences des présages & des au gures. 2. Huit espéces de préfages. 3. Des paroles fortuites. 4. De la lecture des paffages à l'ouverture de certains livres. 5. Des monftres , pluïes, météores, & autres préfages racontés par les biftoriens. 6. Expli cation des météores pris pour des préfages. 7.Conjectures générales fur les préfages. 8. Autres exemples hiftoriques de prefages. 9. Des Cométes. 10. Préfages de différentes espèces. 11. Remarques fuperftitienfes. 12. Des treffaillements, tintements, éternuë ments. 13. Des chûtes, 14. Des rencontres. 15. Apparitions de fpectres. 16.Des jours heureux ou malheureux. 17. Des noms. 18. Superftitions grof fières fur les noms des saints.

E fujet de ce chapitre eft fort femblable à celui du chapitre pré& des au- cédent. Il paroît feulement que les augures s'entendoient des indications & des fignes recherchés, & interprétés fuivant les régles de l'art augural, & par les Augures en titre d'office; & que les préfages qui s'offroient fortuite ment, étoient interprétés par chaque particulier, d'une maniére plus vague & plus arbitraire.

L'opinion des préfages a fait tant d'impreffion fur les efprits, qu'elle a Tom, 1.

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2,

Huit efpé

On diftingue huit principales efpéces de préfages, 1. les paroles fortui- ces de prétes; 2.0 la lecture des paffages à l'ouvera fages. ture de certains livres; 3°. les naissances des monftres, les pluïes extraordinai. res, les météores & autres accidents, 4°. les treffaillements, les tintements d'oreilles, les éternuëments; 5o. les chûtes imprévuës; 6°. la rencontre de certaines perfonnes, ou de certains animaux ; 7. les jours heureux ou malheureux; 8°. les noms.

Des paro

Les Romains regardoient comme des 3. avertiffements des dieux, certaines pa- les fortui roles fortuites[a], qui étoient pronon- tes. cées fans deffein, & qui fe rapportoient indirectement à des prédictions de l'avenir.

Après que Rome eut été détruite par les Gaulois, un de ces préfages empêcha les Romains de transférer leur féjour à Véies. Dans le temps même que le fénat délibéroit fur cette importante affaite, un capitaine qui venoit relever la garde à la porte du lieu où le fénat étoit affemblé, cria à l'enseigne de fa compagnie de s'arrêter, & de planter fon drapeau dans l'endroit où il étoit: Car nous devons[b] demeurer ici, ajouta le capitaine. Cette parole fortuite, regardée comme une marque de la volonté des dieux, détermina [ c ]à rester à Rome, & à la rebâtir.

Les Romains furent même perfua dés qu'une voix aërienne les avoit avertis de la marche & de l'approche des Gaulois; & pour en remercier les Eee

[ a Les Romains appelloient cette espèce de préfage, omen pour orimen, felon Feftus.

[6] Hic optimè manebimus. [c] Plutarch. in Camil, »

Dieux, ils bátirent un temple fous le nom d'Aïns Loqumteins. .Cæcilia femme de Métellus [d]avoit une niéce prête à marier; elle la mena de nuit dans une chapelle, pour chercher des préfages nuptiaux, c'étoit la coutume, quand on fongeoit à marier une fille. La tante s'affit, & la niéce fe tint debout. Elles furent longtemps aux écoutes fans rien entendre. La fille fe fentant laffe d'être debout, pria fa tante de la laisser afleoir pour quelques moments: Très volontiers, répondit la tante, je vous cède ma place Ces paroles furent le préfage qu'on cher choit, Cecilia mourut bientôt, & fon mari époufa la jeune niéce.

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La Pythie étant entraînée au temple par Alexandre, pour lui rendre un oraale en un jour défendu, elle fe plaignit de cette violence, & dit au roi: Je ne vous céderois pas, fi vous n'étiez invincible. Je ne veux point d'autre oracle, dit auffitôt Alexandre, cette parole eft la réponse du dieu.

Le jour de la mort d'Henrill.& quel ques moments avant que le fatal tournoi commençât[e], un enfant de cinq à fix ans amené par fon pére, s'écria auf fitôt qu'il apperçut les lices ouvertes Hélas! ils veulent tuer le roi! & quel que chofe qu'on lui pût dire, il ne ceffa de répéter les mêmes paroles, pleurant & fe débattant fi fort qu'il fallut l'em

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tinte, qui dit: Partons d'ici. Les faints anges protecteurs du temple déclarérent hautement qu'ils l'abandonnoient.

La prise de Jérufalem par Tite fut annoncée par plufieurs préfages, & entr'autres par celui-ci [g]. Quatre ans avant que la guerre fut déclarée, un païfan fe mit à crier: Une voix eft fortie du côté de l'Orient, une voix eft fortie du côté de l'Occident, une voix est fortie du côté des quatre vents. Voix contre Jérufalem & contre le temple voix contre les nouveaux mariés & contre les nouvelles mariées, voix contre tout le peuple. Depuis ce temps, ni jour ni nuit il ne ceffa de crier, Malheur à Jérufalem. Il redoubloit fes cris les jours de fête; il fut pris & interrogé, & condamné au fouet. Il ne répondit jamais que malheur à Jérufalem. Il continua fept ans à crier de cette forte. Au temps du dernier fiége, il fe renferma dans la ville, tournant autour des murailles, & criant de toute fa force: Malheur aú temple, malheur à la ville, malheur à tout le peuple! A la fin, il ajouta, Malheur à moi même; & en même temps il fut emporté d'un coup de pierre lancée par une machine,

paffiges à

Anciennement on a eu beaucoup De la lec d'égard aux préfages tirés du fens des ture des mots qui fe préfentoient à l'ouverture ouverture de certains livres. Spartien [h] & Lam. de certains pride [] font mention des forts Virgiliens confultés par Adrien & par

Miffus in imperium magnum, cui de-
inde fubibit, &c.

Sors excidit. Spartian. in Adrian.
[i]Huic fors in templo Præneftinæ ta-
lis extitit, cum illi Heliogabalus infidia-
retur:

...

Si quà fata afpera rumpas, Tu Marcellus eris. El,Lamprid in Alex

Sever.

livres.

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Alexandre Sévére. Plufieurs Chrétiens confultoient les livres facrés: on nom moit cette espèce de fort, Le fort des faints. Cette coutume étoit fort répanduë au cinquième fiécle. Les conciles de Vanne, d'Agde & d'Orléans au commencement du fixiéme fiécle, condam nérent cette fuperftition dont l'ufage cependant continua. Grégoire de Tours [k] rapporte que Chramne fils de Chlotaire, voulant fçavoir le fuccés de fa révolte contre fon pére, vint à Dijon où les clercs confultérent pour lui le livre des prophétes, les épîtres de S. Paul, & les évangiles. Grégoire de Tours [7] blâme ceux qui vont confulter les devinereffes; mais il ne défaprouve pas qu'on ait recours aux livres faints, pour connoître l'avenir. Il dit qu'il pratiqua lui même [m] cette coutume l'an $77.Il rapporte que Mérouée fils de Chilpéric confulta trois livres, le pfeautier, le livre des rois, & l'évangile, pour fçavoir s'il feroit roi.

On ne peut autorifer cet ufage par l'exemple de S. Auguftin, lorfqu'il confulta les épîtres de S. Paul, pour fçavoir ce que Dieu demandoit de lui . Ce pére dit lui-même [z], qu'il ouvrit les épîtres de S. Paul dans cette vûë; mais cette confultation avoit été précédée d'une voix du ciel, qui lui avoit

[k] Greg. Turon. lib.4.c.16.

[1] Gregor.Turon.l.5.c.14.& 49.&l.8.c.4. [m] Ego verò,referato Salomonis libro, verficulum, qui primus occurit, arripui. [n] Nihil aliud interpretans, nifi divinitùs mihi juberi, ut aperirem codicem, & legerem quod primum capitulum inveniffem. S. Aug. Confeff. lib. 8. c.12.

[] Hi verò qui de paginis evangelicis fortes legunt, etfi optandum eft, ut hoc potiùs faciant, quàinad dæmonia confulenda concurrant, tamen etiam ifta mihi difplicet confuetudo, ad negotia fæcularia & ad vitæ hujus vanitatem, propter aliam vitam loquentia oracula divinè vel

fait entendre ces paroles: Prenez & l fez. A la vérité S. Auguftin[o]en dé faprouvant les forts des faints,les excuse en quelque maniére.

Pierre de Blois [p] les condamne bien plus févérement: il les appelle des obfervations fuperftitieufes, & des fortiléges. Le concile d'Auxerre, l'an 578., condamna cet ufage, conformément aux conciles tenus dans le commencement du même fiécle. De temps en temps cette fuperftition recommençoit. On lit dans Cédréne [9], que l'empereur Héraclius confulta les livres faints; pour fçavoir quels quartiers il devoit affigner à fon armée. Les capitulaires de Charlemagne [Jont renouvellé les défenfes de cette fuperftition en 789.

S.

autres ac

contés par

Les hiftoriens ont parlé des produc Des monftions monftraeufes de la nature, com- tres,pluïes, me de préfages fort importants. Tite- météores & Live eft plein de ces obfervations. Tan- cidents, ratôt quelque monftre étoit né ; tantôt les hiftoquelque bête avoit proféré des paroles riens. diftinctes, tantôt les eaux des riviéres & des lacs avoient paru teintes de fang; tantôt une idole avoit changé de fituation fans qu'on y couchât; une autre fois on avoit entendu plufieurs coups de tonnerre dans la plus grande férénité de l'air. Auffi-tôt que quelque prodige avoit été publié [s], il

Eee 2

le convertere. S. Aug. epift.55. ad Januarium 2. in edit, Benedictin.

[] Sortilegi funt qui fub nomine fictæ religionis, fuperftitiofà quâdam obfervatione rerum pollicentur eventus. Petr. B'efenfis, de praftigiis fortuna.

[q] Cedren, hiftor, compend. in Heracl. [] Ut nullus in pfalterio, vel in evangelio, vel in aliis rebus fortiri præfumat, nec divinationes aliquas obfervare.

[s] Romæ autem, & circà urbem multa eâ hyeme prodigia facta: aut, quod evenire folet, motis femel in religionem animis, multa nunciata & temerè credita funt..... prodigia eo anno mul

s'en joignoit une foule d'autres, & les efprits étant émus par la fuperftition, il n'y avoit plus de bornes à débiter ni à croire les préfages. Polybe[] dit que l'hiftorien doit être extrémement réfervé à les rapporter. Mézerai en eft rempli à l'exemple de Tite-Live.

Les poëtes fe font fort étendus fut cette matiére des préfages, qui eft plus de leur reffort, que de celui des hiftoriens, On trouve les prodiges les plus menaçants décrits par [ ] Horace & par[] Virgile. Lucain [y létale en vers pompeux touts les préfages de la guerre civile, Silius Italicus [z] fait un pareil dénombrement de prodiges; Stace [a], Claudien [b], Pétrone [olont inféré dans leurs ouvrages de femblables defcriptions.

Sans nous arrêter aux récits poëtiques, qui tiennent plus de la fiction que de la vérité, combien de prodiges affûrés par les hiftoriens! Suivant Tite-Live, un bœuf prononça diftinctement [d]: Rome, prens garde à toi. Suivant Suétone, une Corneille prédit dans le capitole la mort de Domitien, en difant [e]: Tout ira bien. Suivant [f] Pline, la révolution de Tarquin, & le changement de l'état

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monarchique de Romé en république furent prognostiqués par un chien qui parla, & par un ferpent qui aboïa. Suivant le même Pline [g], Alexandre le Napolitain [b], & Lycofthéne[ i ], les malheurs & le défespoir des Sagontius affiégés par Hannibal, furent annoncés par un enfant, qui au moment de fa naiffance, rentra dans le ventre de fa mére. Suivant Philoftrate [k], un enfant qui nâquit avec trois têtes fut un figne de la fin funefte de trois empereurs Galba, Oton & Vitellius. N'oublions pas ce qui eft rapporté [] par Ammien Marcellin, que dans la ville de Piftoïe, environ à la troifiéme heure du jour, un âne monta dans la tribune aux haran, gues,d'où s'étant mis à braire de toute fa force, les habitants en furent effraïés comme d'un préfage très menaçant...

.

L'hiftoire fait mention de pluïes de fang, de lait, de chair, de métaux, de blé, de grenouilles, de poisons, de briques, de laine, de cendres, de fer, de pierres, & de diverfes autres matières. Ces phenoménes paffoient pour des préfages, dont on faifoit l'application aux événements qui arrivoient enfuite. Les Romains envoiérent cher,

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cher la déeffe Cybéle à Peffinunte, à l'occafion de quelques pluies de pierres qu'on avoit vû tomber. On trouve des exemples de ces différentes pluies dans plufieurs auteurs [m]. Gauzlin Archevêque de Bourges a écrit des caufes de la pluie de fang qui tomba en 1017. Les phyficiens modernes ont changé ces pré. fages en des effets naturels [n],qu'ils ont expliqués par la force des volcans qui avoient enlevé dans les airs ces fortes de matiéres à une hauteur prodigieufe. Mais quelle phyfique feroit aflez feconde en inventions, pour rendre raifon de touts les phénoménes fabuleux & ridicules qu'on trouve écrits?Comme celui qui eft rapporté par Avicenne [], qu'un homme engendré dans les nuës, fut apporté fur terre par une pluie.

L'orage arrivé en Bourgogne en cet te année 1732, a été affez violent pour enlever & tranfporter des hommes:mais perfonne affurément n'eût été assez stupide pour regarder ces hommes, comme formés dans les nuës.

On a vû dans les airs [p] des armées &

[m] Tit.Liv.lib 24.39.40.43. Mézer.dans le regne de Childebert I.en 533. dans le regne de Louis XII.en 1500. Larrey, hift. d'Anglett. 2.p.618. Thuan.hift.lib 5.Le Vayer, phyfiq.du prince, ch. 17. Deipnofoph. d'Athénée, liv. 8. ch.r. Chevraana,t.1 p. 342. Plin. lib.2.c.56. Georg. Pachymer.in hiftor. Andronic.lib.1.c.18. Jul. Obfeq.c.38.104.

Gaffarel, curiofités inouies, ch.1z.fait mention d'une pluie de fang tombée en Suiffe lan 1454.qui formoit des croix fur les habits, fans diftinction d'âge, de fexe, ni de qualité. Jean François Pic Comte de la Mirandole a fait ces wers fur cette pluie de fang.

Permixtamque crucem rubro fpectavimus olim:

Nec morum difcrimen erat: facer atque prophanus

Jam confpecta fibi geftabant myftica,

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des combats: Pline. [9] dit même qu'on a entendu le bruit des armes, & le fon des trompettes aëriennes dans le temps de la guerre contre les Cimbres. Ce qui eft arrivé plufieurs fois auparavant & depuis, ajoute Pline [r], & pendant le troifiéme confulat de Marius, on viten l'air des batailles d'armées entiéres.

Nous n'aurons pas peine à croire fur ce fujet les hiftoriens prophanes, fi nous les comparons à ce qui eft rapporté au fecond livre des Macabées,où l'hiftorien facré entre dans un grad détail de ces metéores. On apperçut [s] pendant quarante jours au dessus de Jérufalem, des hommes à cheval, habillés de drap d'or, & armés de lances, des chevaux rangés en ordre de bataille,des cafques,des épées nuës, & toute forte d'armes & de cuiraffes, qui jettoient un éclat éblouissant.On voïoit les foldats fe battre de près, & on diftinguoit les uns qui fe couvroient de leurs boucliers, & les autres qui lançoient leurs :raits.

En l'année 1108, l'air parut rempli [1] de météores effroïables. On vit deux Eee 3

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[] Contigit autem per univerfam Hierofolymorum civitatem videri diebus quadraginta per aëra equites difcurrentes; auratas ftolas habentes, & hafis, quafi cohortes, armatos, & curfus equorum per or dines digeftos, & congreffiones fieri cominùs, & fcutorum motus, & galeatorum multitudinem gladiis diftri&tis, & telorum jactus, & aureorum armorum fplendorem, omnifque generis loricarum. Macab.l.2.c.5, [] Mézer. dans le regne de Philippe 1.

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