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que ceux qui étoient émanés immédiatement des démons, ils n'ont ceffé qu'avec l'idolâtrie, quoiqu'ils euffent perdu leur crédit long-temps avant la venue du Sauveur. C'eft de cette efpéce d'oracles la plus commune & la plus générale, que Minutius Felix a dit que les oracles ont commencé à fe taire, à mesure que les hommes ont commencé à fe polir. Mais quelque décriés que fuffent les oracles, les impofteurs trouvoient toûjours des dupes, les fourberies les plus groffiéres n'en aïant jamais manqué.

C'eft à ce fujet que S. Clément d'Alexandrie a dit: Vante-nous [o], fi tu veux, ces oracles pleins de fo. lie & d'impertinence, ceux de Claros, d'Apollon Pythien, de Dodone, d'Amphiaraus, d'Amphilochus. Tu peux encore y ajoûter les augures & les interprêtes des fonges & des préfages. Fai nous paroître auffi, devant F'Apollon Pythien, ces gens qui devinoient par la farine, ou par l'orge, & ceux qui ont été fi eftimés, parce qu'ils parloient du ventre. Que les fecrets des temples des Egyptiens, & que la nécromantie des Etrufques demeure dans les ténébres; toutes ces chofes ne font certainement que des impostures extravagantes & de pures tromperies, pareilles à celles des jeux de dez. Les chèvres qu'on a dreffées. à la divination, & les corbeaux qu'on a inftruits à rendre des oracles, ne font pour ainfi dire que les affociés de ces charlatans qui fourbent touts les hom

mes.

Daniel découvrit [p] l'impofture des prêtres de Bel, qui rentroient

[o] Tradut. de M. de Fontenelle hift.des oracles.

[p] Danielc.14.

[q] Jofeph, antiq. liv. 18.6. 4.

fecrettement dans le temple, pour y prendre les viandes offertes, & qui faifoient accroire au roi que l'idole les confumoit. Mundus [q] étant amoureux de Pauline, le plus agé des prêtres d'lfis alla trouver cette dame, & lui dit que le dieu Anubis avoit de la paffion pour elle, & qu'il lui commandoit de l'aller trouver. Il l'en ferma enfuite dans une chambre, il n'y a avoit point de lumiére, & où Mundus fon amant, qu'elle croïoit être le dieu Anubis, étoit caché. Cette imposture aiant été découverte Tibére fit crucifier ces déteftables prêtres, & avec eux Idé affranchie de Mundus, qui avoit conduit toute l'intrigue. Il fit abattre le Temple d'Ifis, jetter fa ftatue dans le Tibre & à l'égard de Mundus, il fe contenta de l'éxiler.

Eufébe attribuë [r] le plus grand nombre des oracles à la fraude, & à l'impofture des hommes.

Théophile [s] évêque d'Alexandrie non feulement détruifit les temples des faux dieux, mais découvrit les fourberies des prêtres en faifant voir que les ftatuës, dont les unes étoient d'airain, & les autres de bois, étoient creufes en dedans, & aboutifoient à des routes obfcures & pratiquées dans le mur.

Lucien [] en découvrant les im poftures du faux prophéte Alexandre dit, que les oracles redoutoient principalement la fubtilité des Epicuriens & des Chrétiens. Le faux prophéte Alexandre feignoit quelquefois d'être épris de fureur divine, & par le moïen d'une herbe qu'il mâ

[r] Eufeb.praparat. evangel, lib. 4. c. 1. [s] Théodorer. hift. ecclef. lib. 5.c. 22. [] Lucien dans le faux prophéte

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choit qu'on nommoit l'herbe au foulon, il écumoit extraordinairement, ce que les peuples attribuoient à la force du dieu qui le poffédoit. Il avoit préparé long-temps auparavant une tête de dragon faite de linge, qui ouvroit & fermoit la gueule, , par le moïen dun crin de cheval. .. il fe tranfporta la nuit à l'endroit où l'on creufoit les fondements du temple, & y aïant

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trouvé de l'eau, foit de fource, ou CHAPITRE NEUVIÈME.

bien de pluïe, il y cacha un œuf d'oye, où il avoit enfermé un petit ferpent, qui ne venoit que de naître. Le lendemain il vint tout nud de grand matin dans la place publique, n'aïant qu'une écharpe dorée à la ceinture, tenant en main une faux, & agitant fa chevelure, comme font les prêtres de Cybéle, puis montant fur un autel élevé, il dit que ce lieu étoit heureux d'être honoré de la naiffance d'un Dieu.. enfuite

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il courut vers le lieu où il avoit caché fon cuf d'oye, & entrant dans l'eau, commença à chanter les louanges d'Apollon & d'Efculape & à inviter celui-ci à defcendre, & à se montrer aux hommes. A ces mots il enfonce une coupe dans l'eau, &. en retire un œuf mystérieux, qui tenoit un dieu enfermé, & lorsqu'il l'eut dans fa main, il commença à dire qu'il tenoit Efculape. Chacun étoit attentif à contempler ce beau myftére, lorsqu'aïant caffé cet œuf, il en fortit un petit ferpent, qui s'entortilloit autour de fes doigts.

Ces exemples montrent clairement,

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[a] Le nom de Sibylle eft riré de vids, qui qui fignific efprit, volonté, confeil. en langage Eolique fignifie Dieu, & de Bonn

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riftote [b] qui en a auffi fait mention, ne nous a pas appris non plus ce qu'il en penfoit.

Les Grecs ont donné le nom de Sibylles à toutes les femmes infpirées d'un efprit prophétique. Bekker croit que c'étoit des femmes fçavantes, qui faifoient la fonction des prêtrefles. Suivant Diodore de Sicile, il n'y a eu qu'une Sibylle; fuivant Martianus Capella, il y en a eu deux ; Pline & Solin en comptent trois; au calcul de Lactance & de faint Auguftin, il y en a eu dix. Elien [c] en a nommé quatre, l'Erythrée, la Samienne, l'Egyptienne & la Sar dienne; & il dit que quelques auteurs en ajoutent fix autres. Varron en a compté dix [d], la Delphique, fille de Tiréfias, que Varron croit la plus ancienne de toutes. C'eft celle dont Chryfippe a fait mention dans fon traité de la divination, & dont [e] Diodore de Sicile a parlé. L'Erythrée, qui a prédit la prife de Troïe; la Cumée, Cimmérienne, ou Italique, qui prophétifa peu après la guerre de Troie : elle fe nommoit Déïphobe c'est celle dont Virgile parle dans la quatrième éclogue, & dans les troifiéme & fixiéme livres de l'Eneïde. La Samienne, du temps de Numa elle eft appellée Pytho par Eratofthéne, Eufebe la nomme Eriphile. La Cumane, qui apporta les livres Sibyllins à Tarquin, appellée Amalthée, Démophile, ou Hié

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.

rophile. L'Hellefpontiaque, du temps de Cyrus; la Lybique, dont Euripide fait mention; la Perfique, ou Chaldéenne, suivant faint Justin, & qu'il fait fille de l'hiftorien Bérofe contemporain d'Alexandre: c'eft celle que d'autres ont nommée Sambetha, & ont fait fille de Noë; la Phrygienne, qui prophétifoit à Ancyre, dont le temps eft incertain; & la Tiburtine, nommée Albunée.

Quelques auteurs ont encore compté parmi les Sibylles, la Colopho nienne, fille de Calchas, nommée Lampufia; Caffandre, fille de Priam [f], la Sibylle Epirote; la Teffalienne, nommée Manto; Carmenta, mé re d'Evandre; Fauna, femme & four de Faunus roi d'Italie.

Thomas Hyde [g] prétend que ce qui a donné lieu à fuppofer des Sibylles, c'eft le figne de la Vierge, dont l'étoile la plus éclatante s'appel le l'Epi.; que les Chaldéens & les Perfes avoient coutume de repréfenter cette étoile, comme une fille qui tenoit une gerbe d'épis à la main; que le nom de Sibylle vient d'un mot Perfan qui fignifie épi. Comme ces anciens peuples tiroient leurs prédictions des aftres, ils attribuérent à ce figne qui repréfentoit une vierge, la vertu d'annoncer l'avenir. Ce qui donna lieu aux Grecs, qui apprirent les fciences des Orientaux, & qui y mêlérent leurs fictions, d'inventer fur ce fondement la fable des Sibylles.

[b] Ariftot. de mirabilib. auscùltat.

[c] Cl. Elian, variar, hiftor lib, 12. 6. 35. [d] Varro, apud Lactant, inftit, lib. 1.c.6. [e] Diod. Sic. lib. 4.

[f] Vosez fur les Sibylles, Opfopaus de Sibyllis; Salmafius, in exercitat, ad Solin. O

nuphrius, de Sibyllis & carminibus Sibyllinis; Blondel des Sibylles; Van-Dale de libris Romanorum Sibyllinis; Th. Hyde de religione veter Perfar. c. 32. les traités de Petit & de Gallois fur les Sibylles.

[g] Th. Hyde, loc, citat.

2.

Livres ven.

Sibylle de

Cumes.

Saint Auguftin [b] dit que la Sibylle Erythrée a prophétifé du temps de Romulus, & la Samienne du temps de Numa, de Manaflés, & du prophéte Ifaïe. Jofeph [i] cite au fujet de la tour de Babylone, une Sibylle à laquelle il ne donne aucun nom particulier. Pline [k] fait mention de trois ftatues de Sibylles qui étoient à Rome.

Virgile [1] nous donne une idée peu avantageuse de la Sibylle de Cumes qu'il décrit. Il la repréfente comme une infenfée, écrivant fes vers fur des feuilles d'arbres, qui fervoient de jouet aux vents, & qu'elle ne fe donnoit pas la peine d'arranger, en forte que ceux qui alloient la confulter ne revenoient pas plus fçavants, & maudiffoient la Sibylle.

Une vieille femme, qu'on a cru dusa Tar- depuis la Sibylle de Cumes, nommée quin par la Amalthée, apporta à Tarquin neuf livres, qu'elle lui affura être remplis des oracles Sibyllins. Tarquin lui en demanda le prix. La Sibylle y mit un prix fi haut [m], que le roi de Rome crut qu'elle radotoit. Alors elle en jetta trois volumes dans le feu, & propofa à Tarquin les fix autres pour le même prix. Tarquin

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la crut encore plus folle: mais lors qu'elle en eut encore brulé trois autres, & offert les trois qui restoient feuls des neuf, pour le même prix fans en rien rabattre, ce procédé parut fi extraordinaire à Tarquin, qu'il envoïa chercher les augures, qui lui confeillérent de paier des trois livres reftants tout le prix que la Sibylle en demandoit. Les auteurs, qui ont parlé [n] de ce fait, ne s'accordent pas, fi ce fût à Tarquin l'ancien, ou à Tarquin le fuperbe, que ces prédictions furent vendu ës par la Sibylle.

Tarquin chargea deux des plus illuftres Patritiens de la garde de ces livres. Suivant Valére Maxime [o], il fit punir du fupplice des parricides, Marcus Tullius duumvir, le faifant jetter dans la mer, enfermé dans un fac, avec uncoq, un ferpent, & un finge, pour en avoir laiffé prendre une copie par Petronius Sabinus: mais Denys d'Halicarnaffe [p], qui l'appelle Marcus Attilius, dit qu'il étoit accufé de parricide.a

3. Livres Si

Les livres Sibyllins étoient confultés dans les grandes calamités, il fa- byllins cone loit un arrêt du Sénat pour y avoir fultés dans recours: & l'hiftoire Romaine nous tés & dans Ccc 3 les dangers

frondes;

Nunquam deinde cavo volitantia prendere faxo,

Nec revocare fitus, aut jungerecar-
mina curat.

Inconfulti abeunt, fedemque odere
Sibyllæ. Virgil. Æneid. lib. 3.

(m) La Tomme que la Sibylle demanda à Tarquin, montoit environ à fix cents louis de notre monnoïe, Georg. VValchius comment.in Lactant.inftit. lib. 1. c. 6.

(n) Den.d'Halicarn. liv. 4. La&ant, inftit. lib. 1. c. 6. Servius in Virgil. Æneid. lib. 6. v. 72. Suid. in vore Σißumas.

(o) Val. Max. lib. 1. c. 1.
(p) Den, d'Halicarn, liv. 4.

les calami

4.

Livres Si

apprend que cette fuperftition étoit toujours terminée par de cruels facri

fices de victimes humaines.

- C'étoit une prêtrife confidérable, que la garde & le rapport au fénat des livres Sibyllins. La fonction de célébrer les jeux féculaires y étoit auffi attachét. Servius [9] dit que ces prêtres furent d'abord au nombre de deux, enfuite de dix, puis de quinze jufqu'à Sylla; & enfin leur nombre fut augmenté jufqu'à quarante. Ce facerdoce ne fut aboli que fous Théodofe avec les reftes du Paganisme.

Dans la cent foixante & treiziéme olymbylling bru- piade, l'an 183. avant Jésus-Chrift, lés & rem- fous le Confulat de C. Norbanus & placés. de P. Scipion [r], le Capitole aïant été brulé, les vers Sibyllins le furent auffi, mais le dictateur Sylla aïant rétabli le Capitole, C. Scribenius Curio, & Cn. Octavius Confuls, firent députer par le fénat P. Gabinius, M. Otacilius, & L. Valerius, à Erythrée & dans plufieurs villes d'Italie, de Grèce, & d'Afie, pour y chercher & rapporter à Rome les livres des Sibylles [s]. Ils ramafferent environ mille vers fous les noms de différentes Sibylles; & ces copies s'étant trouvées pleines de fautes, les prêtres commis à la garde des livres Sibyllins furent chargés de les corriger.

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Cornéliens auroient à Romë la puiffance fouveraine. Lentulus qui étoit iffu d'une branche de la maifon Cornélienne qui portoit le furnom de Lentulus, s'imagina que Sylla & Cinna, qui étoient de la même famille aïant déja vérifié les deux tiers de la prédiction, c'étoit à lui à l'achever. Mais Cicéron l'un des confuls, qui étoit refté à Rome, pendant que C. Antonius l'autre conful étoit à la tête de l'armée contre les conjurés [ - ], fit arrêter Lentulus avant qu'il eut joint Catilina, & il le fit éxécuter dans la prifon avec touts fes complices, fans avoir aucun égard à la loi, fuivant laquelle les citoïens Romains ne pouvoient être condamnés à mort que par le peuple dans l'affemblée des Comices. Cette infraction de la loi fut le prétexte dont le tribun Clodius fe fervit depuis pour faire exiler Cicéron.

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(q) Serv.comment, in Virgil. Æn, 6. v. 7. (r) Tac, hift, lib. 3. Appian. de bell.civil. lib. 1.

(s) Den.Halicarn, liv, 4. Lactant, lib. 1.

Tac annal, lib. 6.

(t) Salluft, de bell. Catilinar. (u) Dio Caf. lib. 44. Suet. in Jul, c. 79. Plutarch, in Caf. Cic. de divinar, lib, 2.

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