Page images
PDF
EPUB

moins certain dans l'ordre des chofes naturelles, que le nombre de fix pris abstractivement, & féparé de toute fubftance réelle, n'a pas plus de force que le nombre de deux. On a peine à comprendre combien d'auteurs graves ont attribué des vertus chimériques à ces nombres confidérés en eux-mêmes, & fans relation à aucun objet materiel. Ces opinions, malgré la réputation de leurs auteurs, ne peuvent être placées que parmi les plus abfurdes. Pythagore a établi les principes de toutes chofes dans les nombres. Le point, felon ce philofophe, eft l'unité; la ligne le nombre de deux; la fuperficie le nombre de trois; le corps compofé de points, de longueur, largeur & profondeur, le nombre de quatre. Tout l'univers fe gouverne par les proportions harmoniques qui confiftent dans les nombres. Lorfqu'on objectoit à Pythagore que les nombres étoient hétérogénes aux corps, ou d'une nature différente, il répondoit que c'étoit en cela même, que les nombres pouvoient être les principes des chofes corporelles: car de dire que la matiére eft le principe de la matiére, c'eft ne rien dire. Le principe d'une chofe doit être différent de cette chofe; en quoi Ariftote penfa depuis comme Pythagore, lorfqu'il établit la privation pour un de fes principes. C'est ainfi, ajoutoient les Pythagoriciens, que les lettres font les éléments du difcours de l'orateur, quoique ce difcours foit d'un autre genre que les lettres. Mais il eft faux que les lettres foient les éléments du difcours de l'orateur. Les lettres font des fignes d'inftitution, qui repréfen

[x] Impar numerus mas eft, par fœmina vocatur: itèm arithmetici imparem patris & parem matris appellatione vemerantur. Macrob, in fomn, Scipion. lib.1.c. 6.

tent le difcours de l'orateur, dont elles ne font en aucune maniére les principes: & il manque à la réponíe de Pythagore de nous dire qui lui a enfeigné que les nombres font les éléments des corps matériels, puifque leur liaison & leur rapport ne peuvent être apperçus naturellement. Platon à l'exemple de Pythagore, a attaché une grande puiffance aux nombres.

Agrippa dans le fecond livre de fa philofophie occulte, traite de leur vertu. Selon cet auteur fublime & myftérieux, l'échelle numérique eft dans le monde archétype l'effence divine; dans le monde intellectuel, elle eft l'intelligence fupréme; dans le monde célefte le foleil; dans le monde élémentaire la pierre philofophale; dans le petit monde ou dans l'homme le cœur; dans le monde infernal Lucifer, ou le prince des anges des ténébres. Quelle impudence d'écrire & de débiter férieufement de pareilles rêveries pour en impofer aux fimples!

Le nombre impair eft le plus [x] parfait, fuivant Macrobe; & il eft le fymbole de la concorde, parce qu'il ne peut être partagé, au lieu que le nombre pair, par l'égalité de fes parties, fouffre facilement la divifion, dont il est le fymbole. Le nombre impair [y left confacré aux divinités céleftes, le nombre pair aux infernales.

Vitruve [z] ordonne fort férieusement, de conftruire les degrés d'un temple, en nombre impair, afin que le pié droit montant le prémier, entre auffi le prémier.

L'unité a été regardée, comme le principe général. Tout commence par

[y] Le 43. fymbole de Pythagore porte: Tois μὲν ἐρανίοις περισσὰ θύειν, ἄρτια δὲ τοῖς λθα γίοις .

[z] Vitruv, lib. 3. c. 3.

un Ce principe, fimple, & fans compofition de parties, eft l'image de l'immortalité.

Averroës dit que les anciens avoient en grande recommandation la proportion double, comme celle qui joint le ciel à la terre, & qui eft le lien des fubftances fpirituelles, & des

corps.

Le nombre de trois eft le prémier des impairs; il eft l'abregé de la nature, aïant l'avantage [a] de réunir en lui, un commencement, un milieu, & une fin. Faites trois nœuds, de trois couleurs, dit Virgile [b], car la divinité aime le nombre impair. Suivant les rits hébraïques de Léon de Modéne, le livre de la loi, dans certains jours folemnels, eft lû par trois perfonnes, & ces jours là, on doit faire trois repas, mais dans les jours de jeûne, il n'eft permis de manger, qu'après avoir vû au ciel au moins trois étoiles. I eft auffi preferit de louer Dieu trois fois le jour, & de s'incliner trois fois le jour à la Triple élévation du livre de la loi. Les Chaldéens & les & les Egyptiens croïoient que touts les attributs de la divinité le réduifoient à trois, puiffance, intelligence, amour. Ils diftinguoient auffi trois fortes de mondes, terreftre, aërien, & intellectuel: trois principales propriétés, figure, lumiére,

& mouvement.

D'autres fe font déclarés pour le

τα

[4] Κατάπερ γάρ φ σι καὶ οι Πυθαγέριοι, τὸ πᾶν καὶ τὰ πέντα τοις τρισὶν ἄρισται. Τελευση γὰρ καὶ μέσον καὶ ἀρχὴ τὸν ἀριθμὸν ἔχει τὸν τῶ παντός. Ταυτα δέ τόν της τριάδος . Ariftot. de calo, lib. 1. c. 1.

[6] Necte tribus nodis ternos, Amarylli, colores..... numero Deus impare gaudet. Virg.

[c] Les trois confonances font le diatessaron qui eft l'intervalle de trois à quatre,ou le quart en fus ; le diapente qui eft l'intervalle de deux à

nombre de quatre, qui renferme [c} les trois confonances, principe de toute harmonie. Pythagore juroit par le nombre [d] de quatre, fource du cours éternel de la nature.

Hippocrate juroit par le nombre de cinq [e], fymbole de la fanté. Le nombre de fix eft vanté par le rapport qu'il a aux fix jours de la création.

Pallas prit le Septénaire, pour marque de la virginité; & Théodore de Samothrace [f] prouve l'excellence de ce nombre, parce que Jupiter avoit paffé les fept prémiers jours après fa naiffance, à rire continuellement. C'eft fur le fondement de la perfection du nombre Septénaire, qu'Hippocrate [g]a été d'avis, que les enfants nés à fept mois devoient plûtôt vivre, que ceux nés à huit. Opinion fuivie par Galien, & par le plus grand nombre des médecins, & dont on n'eft on n'eft pas encore bien défabufé.

Suivant Macrobe [b], l'octénaire eft le fymbole de la juftice.

Plufieurs ont préféré [i] le nombre de neuf, comme le prémier quarré, produit par le prémier nombre impair, & il a l'honneur [k] d'être confacré aux Mufes. Les dieux apportés à Rome du païs des Sabins, étoient appellés Novenfiles, à caufe de leur nombre de neuf. Ce nombre, fuivant les Pythagoriciens, eft le complément de la prémiére progreffion numérique: il étoit affecté

trois ou le tiers en fus, & le diapafon, qui eft Tintervalle de deux à quatre, ou la porportion double.

[1] Με τήν τετρακτὺν παγὰν αεννάς φύσεως.
[e] Le Vayer, lett. 44.

[f] Ap Phor.biblioth.c.190.
[g] Hippocr. de feptimeftri partu.
[b] Macrob. in (omn. Scipien. lib. 1. c. 5.
[i] Col. Rhodig. lib. 22. c. 8.

[k] Qui mufas amat impares,

Ternos ter cyathos attonitus petet.Hor,

[ocr errors]

aux morts. Les funérailles [7] duroient neuf jours. A la fête des Lémurales, le pére de famille jettoit neuf fois des feves noires par-deffus fa tête, & frappant fur un vafe d'airain, il répétoit jufqu'à neuf fois, fortez, mânes paternels.

Comme les opinions font mêlées de vérités & d'erreurs, joignons quelques obfervations férieufes aux fuperftitions & aux fables concernant les propriétés numériques.

M. de Fontenelle a remarqué une fingularité du nombre de neuf; C'eft que fes multiples redonnent toujours neuf, lorfque vous faites une addition des nombres exprimés par les figures, dont ces multiples font compofés [m]; que cette proprieté ne fe borne pas au def fous de cent, & qu'elle s'étend à touts les multiples de neuf poffibles. Bien plus qu'en renverfant l'ordre des figu-, res, dont le chiffre eft compofé, en forte que vous faffiez d'autres nombres, pourvu que ce foient toujours les mêmes figures, vous trouverez auffi toujours ou neuf, ou des multiples de neuf. Et la différence de ces chiffres ainfi renverfés, fera toujours pareillement ou neuf, ou des multiples de neuf. M. de Mairan [n] a découvert une autre propriété finguliére du nombre de neuf, fçavoir que fi l'on change l'ordre des chiffres qui expriment un nombre quelconque, par exemple, de ceux qui expriment vingt-un, ce qui fera douze; de ceux qui expriment cinquante-deux, ce qui fera vingt-cinq; il fe trouve tou

jours que la différence eft neuf ou un multiple de neuf. La même propriété fubfifte, quoi que l'on prenne de plus grands nombres fufceptibles par conféquent d'un bien plus grand nom bre de changements dans l'ordre de leurs chiffres, & elle fubfifte dans touts fes changements. Cette propriété qui fe trouve entre deux nombres, fubfifte auffi entre leurs puiffances quelconques, c'est-à-dire que les différences de leurs quarrés & de leurs cubes, font toujours peufou des multiples de neuf.

Le nombre de dix renferme en foi touts les avantages de l'unité, du nombre de deux, du nombre de trois, & du nombre de quatre, dont il eft compofé. Il paffe chez quelques-uns [] pour le plus parfait de touts, & fes partifans foutiennent que l'excellence de ce nombre eft la raifon, pour laquelle on recommence après lui à compter par l'unité.

Le nombre de quarante eft regardé [p] comme mystérieux, par fa relation avec les quarante ans que les Ifraëlites pafférent dans le défert, avec les quarante jours & quarante nuits de pluie continuelle pendant le déluge univerfel, & avec les quarante jours de jeûne de Notre Seigneur.

L'empereur Julien [9] envoïant cent figues à Sérapion, fait l'éloge du nombre Centénaire, lequel étant compofé de dix dizaines, contient toute forte de perfections: ce qu'il prouve par le bouclier de Jupiter, fait de cent cuirs, fuivant Homére;

par

[1] Au dernier jour de cette neuvaine, on faifoit le facrifice appellé novendiale.

[m]On en peut voir les exemples de la républiq. des lettr. Septemb. 1685. art. 2. p. 944.

[n] Les exemples de cette propriété du

nombre de neuf se trouvent dans l'hift.de l'acad. des fcienc. ann. 1726. p. 36.

[o] Porphyr. in Pythag

[p]Leonard. Vaire, de fafcino, lib. c. 2. 11. [q] Julian, epift. 24.

par les cent mains de Briarée, par les cent têtes de Typhée, par les cent villes de Créte, par les cent portes de Thébes, & autres centaines, qui font un affez plaifant rapport, avec un préfent de cent figues.

C'eft fur les fondements imaginaires des vertus numériques, qu'eft bâtie la fcience de la [r]géomantic, l'une des divinations les plus célébres, & qui par fon impertinence mérite l'explication la plus claire: car les fciences occultes ne confervent quelque crédit parmi les perfonnes fimples, que parce qu'elles demeurent dans l'obfcurité, les uns fe gardant bien de les faire connoître afin d'en abufer, & les autres les méptifant trop pour les mettre au jour []: ce qui fait que peu d'auteurs en ont traité.

Lagéomantie fe fert de points ou de petits cercles tracés au grand air, fur la terre, ou en quelque lieu, & fur quelque matiére que ce foit.

Le géomantien[t] méne de la droite à la gauche, fuivant le fens de l'écritu re Hébraïque,quatre lignes compofées de ces petits cercles en nombre fortuit.

ос

A ces quatre prémiéres lignes, il ajoute trois autres rangées femblables de quatre lignes chacune, comme la prémiére rangée, ce qui fait en tout feize lignes de points ou de petits cercles.Il ob

Tom. I.

ferve enfuite de joindre les points ou petits cercles de deux en deux alternativement par un trait, en allant toujours de droite à gauche, jufqu'à ce qu'il refte à la fin de la ligne un ou deux cercles défunis, en cette maniére.

0 0 0-0 0-0 0-0 0-0

0 0-0 0-0 0-0

0 0-0 0-0 0-0 0-0

0 0-0 0-0 0-0 0-0 0-0

Quand les feize rangées font préparées, comme celle qui fert ici d'exemple, il faut prendre les deux petits cercles, ou le cercle unique, qui restent à la fin de la prémiére quadrille, & en compofer une figure, qui dans cet exemple fera

On compofe pareillement trois autres figures des trois autres quadrilles; & ces quatre prémiéres figures s'appellent les quatre méres. Les quatre méres produifent les quatre filles, en prénant les cercles collatéraux des quatre méres de droite à gauche, comme dans la figure ci jointe. **

Pour avoir douze figures qui répondent aux douze maifons du foleil, le géomantien avec les huit prémiéres en compofe quatre autres qu'il appelle [z] les petites filles. Pour cet effet il accolle la prémiére & la feconde figure, & en compofe la neuvième en prenant Aaa

[r] L'étymologie de géomantic eft tirée de bles dailleurs, fur lesquelles ces impostures , terra, & de parris, vates, parce que faifoient quelque impreffion, faute d'étre exfes points étoient tracés fur la terre par les pré-pliquées & connues. Il fuffit de les mettre au

miers Géomantiens.

[s] Nobis in arcto, & inglorius labor. Tac. annal. l.4.

[] Petr. Apon. de geomant, c.1. Raguf. de divinat 1.2. epift.3.

[u] J'ai vu des perfones très raisonna

jour pour en faire fentir l'absurdité. C'est dans ce deffein que j'ai entrepris d'exposer clairement la bizarrerie de l'esprit humain au fujet des vains préceptes des fciences ocultes des exemples fabuleux qui les con

cernent.

un feul cercle fi le nombre collatéral eft impair, & prenant deux cercles fi le nombre collatéral eft pair. De la troifiéme & de la quatrième figure, il compofe tout de même la dixiéme; de la cinquiéme & de la fixième, il compofe l'onzième ; & de la feptiéme & huitième, il compofe la douzième.

Pour parvenir à un jugement dans toutes les formes, il ajoute encore quatre figures, fçavoir deux témoins, un arbitre & unfur-arbitre, ce qui fait en tout feize figures. De la neuviéme & de la dixième, il compofe la treizième de la même façon que nous venons d'expliquer; de l'onzième & de la douzième, il compofe la quatorzićme; de la treiziéme & de la quatorziéme, il tire la quinziéme; & la fiziéme cft extraite de la prémiére & de la quinzième.

Il y a feize différentes figures qui peuvent réfulter de la différente combinaifon des petits cercles, & qui ont chacune une fignification propre, & un rapport aux planétes & aux fi gnes. Par exemple.

[merged small][ocr errors][merged small][merged small][ocr errors]
[blocks in formation]

Les Géomantiens forment donc leurs jugements de la fignification combinée des figures, & aidée du rapport aux planétes, & de la valeur numéraire des lettres qui compofent le nom propre. Ils attendent, difent-ils, un grand fecours de l'influence des planétes fur leur opération. Le ridicule de cette divination est aisé à appercevoir.

La main qui trace les points au hazard eft-elle conduite par les influences? Pourquoi ce nombre de feize lignes & de feize figures, fans en admettre ni plus ni moins? Sur quoi font fondées les proprietés des figures, & leur rapport aux planétes, aux constellations, ou aux fignes du Zodiaque? Les Géomantiens attri buent fouvent à leurs figures des

Quelques figures fe rapportent aux qualités oppofées à celles que les couleurs, par exemple:

[blocks in formation]

aftrologues donnent aux fignes relatifs à ces figures, & on les trouve perpétuellement en contradiction les uns avec les autres, ou avec euxmêmes.

C'eft de cette belle fcience qu'ont parlé ferieusement Pierre d'Apon, fur

« PreviousContinue »