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dire les Chrétiens, & qu'il eft défendu

de fecourir un Chrétien ou un Idolâ

tre qui eft en danger. Le Talmud dé- CHAPITRE QUATRIEME.

fend de faluer un Chrétien, fi ce n'eft en le maudiffant intérieurement, ou de lui fouhaiter un bon voïage,à moins qu'on n'ajoûte tout bas : Tel que celui de Pharaon dans la mer ou d'Aman au gibet.

Les Rabbins répondent gravement que pour qu'une femme fe rende fufpecte, il fuffit qu'elle foit avec un homme autant de temps, qu'il en faut pour faire cuire un œuf & l'avaler. On peut juger de leur impertinence par les chofes que le rabbin Akiba appelle les Secrets de la loi dans le paffage Latin qui eft ici [r] rapporté.

On a remarqué que le progrés des fciences & des arts accompagne celui des armes [s], que les temps féconds en grands capitaines, l'ont été en auteurs célébres : & c'eft une opinion qui femble fondée fur l'hiftoire [t], que la nature produit dans les mêmes fiécles les hommes excellents en tout genre, comme fi elle en faifoit un triage, pour les faire paroître à la

De l'eloquence.

SOMMAIRE.

1. L'éloquence confifte dans l'opinion. 2. De Démofthene & de Cicéron. 3. Du goût des anciens. 4. L'ars doit être caché. 5. La perfection confifte dans les bienséances. 6. Por trait de l'orateur. 7. Pouvoir de l'éloquence. 8. Eloges bizarres. 9. Precautions contre la féduction de l'éloquence. 10. De l'Areopage. 11. Les orateurs bannis de Rome. 12. L'éloquence fatale aux grands orateurs. 13. Les préceptes de la rhétorique peuvent être nuisibles. 14-L'éloquence eft l'image des mœurs. 15. De l'opinion que l'éloquence ne fe forme que dans les républiques.

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[r] Dixit Rabbi Akiba ingreffus fum aliquandò poft Rabbi Jofuam in fedis fecretæ locum, & tria ab eo didici. Di díci primò quòd non verfus Orientem & Occidentem, fed verfus feptentrionem & auftrum convertere nos debeamus. 2.0 Quòd non in pedes erectum, fed jam confidentem fe retegere liceat. Didici 3.0 quòd podex non dextrâ fed finiftrâ manu abftergendus fit. Ad hæc objecit ibi Ben Hafas ufque adeò verè perfricuifti frontem ergà magiftrum tuum, ut cacantem obfervares? refpondit ille: le

gis arcana hæc funt, ad quæ difcenda id neceffariò mihi agendum fuit. Dia. crit. de Bayle, art. Akiba.

[s] Bailler, jugem.des fçav. r. 1.p.124

[] Velleius Paterculus en rapporte plu fieurs exemples à la fin du prémier livre. Cujufque clari operis capacia ingenia in fi militudinem & temporum & profectuum femetipfa ab aliis feparaviffe. Vell. Paterc lib. 1.

[a] Oratoris autem omnis actio opinionibus continetur, non fcientiâ. Cic. de orator. lib. 2,

dans des régles certaines. Cette fcience de parler eft tellement fuperficielle, qu'un mauvais mot fait plus de tort qu'un raifonnement défectueux, & que la multitude eft plus frappée d'un fon que d'une maxime.

La fuite des raifonnements, l'enchaînement des preuves, la finesse des tranfitions, le choix des mots donnent la force & l'agrément aux difcours; mais le défordre eft néceffaire aux paffions vives; elles ne fouffrent ni liaisons ni expreffions recherchées. L'émotion ne peut fubfiiter avec l'arrangement, ni letrouble [b] avec la régularité; & l'orateur ne peut faire paffer dans les efprits de ceux qui l'écoutent, des mou. vements dont lui-même n'eft pas agité. Ne fera-t-on pas obligé de convenir que l'éloquence ne dépend que du caprice & du hazard, fi l'on confidére que ce qui perfuade & ce qui plaît dans un temps, eft fans effet, & méprifé même dans un autre? L'homme eft fi inconftant, que la bizarrerie du goût régle les affections de fon cœur; & le même difcours qui a fait verfer des larmes, exciteroit des éclats de rire, s'il étoit prononcé devant un autre peuple, dans une autre fiécle, ou feulement dans d'autres conjonctures.

Sans fortir de la même affemblée, quelle forte de pathétique peut em. braffer des efprits & des charactéres entiérement oppofés, convenir à des conditions & à des profeffions différentes, réunir les fentiments de ceux entre lef quels l'éducation & les interéts ont mis une fi grande diverfité? Les orateurs eux-mêmes ont fenti que l'art ne

(6) Cura verborum derogat affectibus fidem. Quintil.

(c) Plutarch, in Demofth. Adag.grac.cent. 6. Zenob, proverb, 28, Erafm, apophth, lib.8.

pouvoit être leur guile, lorfqu'ils ont fuivi des routes contraires les unes aux autres; car les preceptes d'un art véri, table font uniformes,& ne font point fujets à varier fuivant les temps& les lieux.

Démofthene [c] plaidant pour un homme accufé d'un crime capital, & ne pouvant venir à bout de fe faire écouter du peuple, il s'avifa de faire ce conte: J'allois à Mégare fur un âne que j'avois loué. Dans la route me trouvant incommodé de la chaleur, & n' appercevant aucun abri pour me mettre à couvert, je voulus me garan tir pendant quelque temps de l'ardeur du foleil, par l'ombre de ma monture. Le conducteur s'y oppofa en me foutenant qu'il m'avoit loué le corps de fon âne, mais que l'ombre n'étoit pas du marché. La difpute s'échauffa... Alors s'appercevant que les Athéniens prétoient filence, pour entendre la fuite de l'avanture, Démofthéne releva éloquemment la puérilité de fes auditeurs, leur reprochant de donner à l'ombre d'un âne, l'attention qu'ils refufoient au falut d'un homme.

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Démofthene eft grand, dit Longin De Démol[d], en ce qu'il eft ferré & concis; & thene & de Cicéron au contraire, en ce qu'il eft Cicéron. diffus & étendu. On peut comparer ce prémier, à caufe de la véhémence, de la rapidité, de la force, & de la violence avec laquelle il ravage, pour ainfi dire, & emporte tout, à une tempête & à un foudre pour Cicéron on peut dire, à mon avis, que comme un grand embrafement, il confume & dévore tout ce qu'il rencontre, avec un feu qui ne s'éteint point, qu'if E 3

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répand divertement dans fes ouvrages, & qui à mesure qu'il s'avance, prend toûjours de nouvelles forces.

Démofthéne [e] a effacé tout ce qu'il y a eu d'orateurs célébres dans touts les fiècles, les laiffant comme abattus & éblouis, pour ainfi dire, de fes tonnerres & de fes éclairs. Car dans les parties où ilexcelle, il eft tellement élevé au-deffus d'eux qu'il répare entiérement par là celles qui lui manquent : & certainement il eft plus aifé d'envifager fixement & les yeux ouverts les foudres qui tombent du ciel, que de n'être point ému des violentes paffions qui régnent en foule dans les ouvrages. Cicéron [f] fe fert de la même métaphore des foudres & des éclairs, pour exprimer le ftyle de Démofthéne.

Ces foudres & ces éclairs ont été traités par Sénéque de féchereffe & de dureté de ftyle [g]. Pytheas difoit que les penfées de Démofthéne fentoient T'huile [b], comme travaillées longtemps à la lampe, & manquant de naturel. Démofthene eut beaucoup d'ob ftacles à furmonter pour devenir ora teur. Il alloit déclamer fur le bord de la mer [i] au bruit des vagues, pour s'accoûtumer aux tumultes des affem. blées populaires, & pour fe fortifier la voix & il fe mettoit des cailloux fous la langue, pour la délier, & rendre fa prononciation plus libre. Il redoutoit l'afcendant de Phocion, & le voiant un jour arriver à l'affemblée du

(e) Ibid. c. 28.

(f) Sed fi recordabere Demofthenis, fulmina tum intelliges, &c. Cic. ad Attic. lib. 15 epift. 2.

(g) Riget ejus oratio, nihil in eâ pla. cidum, nihil lene. Sen, controv.

(b) Erafm. adag. chil. 1. cent. 7. proverb. 71. Lucien dans l'éloge de Démoft, Cl. Elian. variar. hiftoriar. lib. 7. c. 7.

(1) Plutarch. in Demofth, Lucian. in encom. Demofth. Cic, de orator, lib, 1, Quintil, inftit. lib. 10.0, 3.

peuple, il dit: Voilà la hâche de mes difcours.

L'exemple de Démofthéne femble juftifier la maxime, que nous nailsons poëtes, & que nous devenons orateurs. Mais dans l'éloquence, comme dans la poëfie, le travail perfectionne les talents naturels, & ne peut y fuppléer.

Pline [k] dit que Cicéron a paffé les bornes de l'efprit humain: mais. Cicéron n'a pas manqué de critiques, à qui il a paru enflé & trop diffus. Afinius Gallus [7] publia une fatire de fes ouvrages. Calvus l'a trouvé foible & fans nerfs; Brutus [m] l'appelloit rompu & éreinté.

Cicéron [n] ne peût jamais furmonter la timidité qu'il reffentoit toutes les fois qu'il parloit en public. Dion. [o] rapporte que Milon aïant lû dans le lieu de fon exil le plaidoïer de fa défenfe, que Cicéron dans le trouble où il étoit, avoit prononcé tout différemment; il lui fit cette raillerie par une lettre que s'il avoit été défendu de la forte, il n'auroit pas le plaifir de manger les beaux poiffons que la côte de Marseille lui fourniffoit. Q. Fufius Calenus reproche à Cicéron [p], que quand il commençoit à parler,, il étoit auffi tremblant & auffi démonté qu'un homme qui fe trouveroit dans un danger manifefte de perdre la vie, & qu'il n'a prononcé aucune de fes oraisons, comme elles font écrites.

(4) M. Tullius extra omnem ingenii aream pofitus. Plin. lib, 1, init.

(1) Afinius Gallus Ciceronis verba fingula infectatus, edito libro, cui titu lus, Ciceromaftix.

(m) Fractum & elumbem. Quintil. dial. de oratorib.

(n) Plutarch. in Cicer. Erafm, in encom. Moria.

(o) Dio. lib. 40. (P) Idem, lib. 46.

Da goût

Cicéron dans une de fes lettres mande à Atticus qu'il a un volume d'exordes tout prets pour les befoins qu'il en peut avoir. Rien n'eft ordinairement plus froid que des lambeaux ainfi coufus. Les exordes de Cicéron ne paroiffent pas tirés d'un recueil de lieux communs.

Les anciens regardoient une fimplides anciens. Cité pleine de force & de nobleffe, comme feule capable de perfuader. Demetrius de Phalére parmi les Grecs [q] commença le prémier à altérer ce goût fi pur en joignant l'efprit aux fentiments. Enfuite on a donné dans les pointes & dans l'affectation du ftyle: & la famille des Annéens [r] introduifit à Rome un nouveau genre d'éloquence. Alors on préféra le brillant du Ryle au folide, l'efprit au jugement, l'affectation à la nature. On a dit d'un auteur moderne [s], qu'il avoit de l'efprit au huitiéme degré, de l'éloquence au cinquième, & du jugement feulement au fecond degré. Cette cri. tique eft une imitation de Quintilien, quidit [r] de Sénéque: Il feroit à fouhaiter qu'en fe fervant de fon efprit, N

(9) Phalereus primus inclinaffe eloquentiam dicitur. Quintil. inftit. lib. 9.

c. I.

(1) Annæorum familia prifcam eloquentiam immutavit. Tac. les Sénéques, Florus, & Lucain étoient de cette famille.

(s) De Caramuel. jugem, des fçav. de Baillet, T. 2. p. 580.

(t) Vellem ingenio fuo dixiffet, judicio alieno.

(u) Rien ne fait mieux connoître les différents gouts d'éloquence, qui ont régné à Rome, que de comparer les oraifons de Cicéron, Pro lege Maniliâ, pro rege Dejotaro, pro Marcello, pro Ligario, avec les Panégyriques faits par Pline, Pacat, Mamer

tin c.

[x]. . . ut fibi quivis

cut emploïé le jugement d'un autre [u].

Horace[x] fait confifter la perfection d'un ouvrage à être fi fimple, & fi net, que chacun fe perfuade d'en pouvoir faire autant, quoiqu'il fe confu. mât en efforts inutiles, s'il avoit la hardieffe de l'entreprendre; Quintilien [y] au contraire parle d'un maitre qui donnoit pour précepte à fes difciples de répandre fur tout ce qu'ils compofoient, l'obfcurité la plus im pénétrable, & qui mettoit le comble de la louange à dire : Voilà qui eft excellent, je n'y ai rien entendu moi-mê

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Ornamenta. Hor.

Luxuriantia compefcat. Id.

Cicéron, lorfque fon goût fut entiérement formé, critiqua lui-même fon oraison pour

Speret idem, fudet multum fru- Rofcius Amarinus, comme trop chargée d'or

ftraque laboret.

Aufus idem. Hor. art. poët.

nements.

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- Mais il eft dangereux de prendre un trop grand effort. Il faut fouvent pour perfuader & pour plaire, modérer fes forces [c], & contenir fon talent. Claudius Coffus fçavoit trembler à propos [d], & paroître interdit, & par là il s'infinuoit dans les efprits avec plus de force. Ulyffe [e] baiffoit les yeux, il pa roiffoit timide & immobile en commençant à parler, mais fa parole avoit en fuite la véhémence d'une tempête. Gracchus [f] avoit derrière lui un joueur d'inftrument pour lui donner le ton en commençant. La maniére de finir ne demande pas moins de circonf pection, comme étant la partie du difcours, dont dépend le plus l'impreffion qui refte dans les efprits des auditeurs. Ceft un défaut qui choque la délica

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teffe, d'épuifer trop un fujet, & de ne fçavoir pas finir à propos. L'orateur doit imiter la peinture [g] de Timante, qui donnoit encore plus à penfer, qu'elle n'exprimoit. De là vient l'éloquence du filence préférable fouvent à toute forte de difcours. Le filence d'Ajax [b], à la rencontre d'Ulyffe dans les enfers, left plus expreffif que tout ce qu'Homére cût pû lui faire dire. Cicéron [i] dit à Atticus: Alors j'ai emprunté l'éloquence que vous emploïes volontiers, je me fuis tu.

La

5.

pe tion co

bienfé

ces.

On ne doit jamais perdre de vûë cette maxime la plus effentielle de toutes [k], que la perfection de l'art te dan confifte dans les bienféances: & c'eft ce qui ne peut être réduit [7] en régle. Hortenfius manquoit, à la bienféance par des geftes trop affec tés: ce qui lui fit donner par L. Torquatus le furnom de la danfeufe Dionyfia.

Ariftote renferme la rhétorique dans ces trois points, la confidération de celui qui parle, la difpofition de ceux qui l'écoutent,& la maniére de s'exprimer. La bienféance [m] eft le difcernement des charactéres & des conjonctures. La véritable éloquence ne peut donc être enfeignée: elle varie fuivant les perfonnes [2]. Elle eft l'ef fet

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