Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

leur's univerfités. Cardan [] parle de fa propre intelligence, comme douce d'une telle perfection, qu'elle étoit placée entre les fubftances humaines & la nature divine. Charles Dumoufin a mis à la tête de plufieurs de fes confultations [p[: Moi qui ne fuis inférieur à perfonne, & à qui perfonne ne peut rien apprendre. Jules Scaliger avance dans une de fes lettres [q] que les idées de Xénophon & de Maffiniffa réunies n'expriment qu'imparfaite ment ce qui fe trouve en lui feul.

Jules Scaliger avoit été Cordelier,il étudia beaucoup dés fa jeuneffe. Il vouloit faire croire qu'il ne fçavoit rien à cinquante ans, qu'il avoit paffé la plus grande partie de fa vie à la guerre & à la cour de l'empereur Maximilien, mais qu'en douze ou quinze années il en avoit plus appris que les plus fçavants hommes en toute leur vie. Un certain Riccius lui écrivit en ces termes,, Vous devez être bien sçavant maintenant,car il y a plus de 30. ans que vous étudiez fans difconti nuation.,, Compliment dont Scaliger fe feroit bien paffé.

Huet au contraire eût voulu perfuader qu'il n'avoit pas perdu un moment d'une vie de 91.ans.A peine avoisje quitté la mammelle, dit-il [r], que je

[blocks in formation]

portois envie à ceux que je voïois lire. Le cardinal du Perron datoit de plus loin, on attribuoit fa prodigieufe mémoire à l'envie que fa mére étant groffe de lui avoit euë d'une bibliothéque

20.

Opinions

Chaque auteur fe perfuade quela langue de fon temps eft dans fa per fur les lan fection; & nous ne devons pas dou- gues. ter que Hugues de Berci, Lorri, Clopinel, Marot ne cruffent chacun dans leurs fiécles que leurs vers étoient le modéle du beau langage [s]. On n'en tend prefque plus les vers que le comte Thibaud de Champagne avoit faics pour la reine Blanche vers l'an 1.220. Le préfident Fauchet qui les a confervez, dit qu'ils fe lifoient encore de fon temps, fur les murailles de la falle da château de Provins.

La langue Latinè n'a pas moins varié que la Françoife. On distingue quatre langues Latines, celle de Janus & des anciens Latins; celle de Numa & de la loi des douze tables; celle des meil leurs auteurs & du fiécle d'Augufte; & celle du bas Empire. Polybe qui vivoit du temps de la feconde guerre Punique obferve que de fon temps on avoit peine à entendre le premier traité fait avec les [t] Carthaginois.

[ocr errors]

Du temps de Varron, les vers Sa

[blocks in formation]

liens compofés fous le régne de Numa, ne s'entendoient pas mieux qu'une langue entiérement différente & étrangere. Horace [u] raille ces fçavants entêtés, qui prétendoient trouver le ftyle des Mufes dans un langage furanné qu'on n'entendoit plus.

On peut juger par les formules de Marculphe combien le Latin ufité dans les commencements de la monarchie Françoise étoit altéré & corrompu. François I. le reftaurateur des lettres aïant entendu le difpofitif d'un arrêt qui prononçoit: Deboravit & debotat, pour dire, la cour a débouté & déboute, ce fut une occafion à ce monarque choqué de cette barbarie, de défendre qu'on fe fervit du Latin dans les actes, & d'ordonner qu'ils fuffent écrits en langue vulgaire.

On voit les fçavants faire valoir les langues, fuivant l'affection qu'ils ont pour elles, & à proportion qu'ils croient y exceller. Plufieurs donnent au Grec la préférence fur toutes les langues, comme à la fource de la philofophie, des mathématiques, de Îa médecine, & au modéle de l'éloquence & de la poësie. Quintilien [x] éléve le Grec fort au deffus du Latin pour la richeffe & les graces du ftyle. Henri Etienne dit que Robert Etienne fon pére lui a fait apprendre le Grec avant le Latin, & qu'il confeillera toûjours cette méthode. Quintilien

[blocks in formation]

obferve que la langue Latine eft en tiérement dérivée du Grec, & a suivi les dialectes Eolien & Dorique. Vivés de même avis que Quintilien rapporte au Grec l'origine du Latin, & au Latin l'origine des langues Efpagno le, Italienne & Françoise. Un fçavant d'Allemagne [y] écrivit en 1726. une lettre Latine, où il fe propofe de montrer que la langue Grecque eft la mére de toutes les langues,& furtout de l'Hébraïque. Le pére Thomaffin au contrai. re trouvoit la fource de toutes les langues dans l'Hébreu.

Cicéron [z] fe plaint de ce que la langue Latine eft regardée comme inférieure à la Grecque, & il exhorte les Romains à rendre leur langue plus abondante & plus riche que la Grecque. Sénéque [a] dit que le Latin n'a pas moins de richeffe, mais moins de licence que le Grec. Ce jugement de Sénéque peut s'appliquer avec beaucoup de jufteffe à notre langue.

C'est un grand avantage de la langue Françoife que cette conftruction di recte & cet arrangement naturel des mots qui fuit l'ordre de la penfée. Par là elle est moins propre aux figures hardios que le Grec & le Latin: mais la clarté & la retenue font fon cha ractére, & l'ornent des graces les plus naturelles. Tout ce qui eft obfcurou guindé eft incompatible avec elle. Nos bons auteurs fe conformant à fon gé

nie,

[y] Continuat des mémoir, de littérat, ¿ d'hist. t. 6. part. 1.

[x] Et fi,quod fæpè diximus,& quidem cùm aliquâ querelâ non Græcorum modo, fed etiam eorum qui fe Græcos magis quàm noftros haberi volunt, nos non modò non vinci à Græcis verborum copiâ, fed effe in eâ etiàm fuperiores elaborandum eft. Cic. de finib. bonor. & malor. lib.3.

[4] Non minus habet facultatis, fed minus licentiæ, Sen.

dre? Il y a mille écueils femblables dans notre langue, où il eft impoffible qu'un étranger ne vienne pas échouer à touts moments.

C'est cette tyrannie de l'ufage qui fait toûjours paroître les langues vivantes moins abondantes & moins ri

ches, parce qu'elle diminue béaucoup leur hardieffe & leur effort.

Huet prétend que la richeffe des langues vient de l'étendue des empires: parce que chaque peuple aïant fes coûtumes, fes modes, & fes inclinations particuliéres, & chaques païs fes biens propres & naturels, il a fallu des termes particuliers pour les exprimer & que ces termes ont paffé dans la langue générale. Que c'eft la caufe qui a rendu les langues Grecque, Latine & Arabe les plus fécondes de toutes les langues.

tue, sont fait leur principale étude de la clarté. On a dit que Malherbe & Moliére foient leurs ouvrages à leurs fervantes, pour connoître s'ils s'étoient rendus affez intelligibles. Mais notre langue d'ailleurs eft plaine de caprices. Elle s'éloigne fouvent de la régle, & l'on peut dire que fouvent, rien n'eft plus François que ce qui eft irrégulier. Quelques conftructions des plus effentielles varient parmi ceux qui écrivent le mieux [b]. L'ufage ennemi des loix & des formalités, & ne reconnoiffant aucune autorité légitime [c] ne peut être constant ni uniforme. C'est ce caprice de l'ufage qui rend le François trés-difficile à apprendre. Les étrangers [d] peuvent-ils fçavoir les différents ufages de neuf & de nouveau qui fignifient la même chose ? Qu'on dit un habit neuf & non un habit nouveau? Une chanfon ou des fleurs nouvelles, Si l'on abandonnoit l'ancienne or& non une chanfon ou des fleurs neu- thographe, comme quelques auteurs ves? Et cependant que neuf & nou- l'ont confeillé en dernier lieu, outre veau fe peuvent dire quelquefois de la que ce feroit perdre entiérement la même chofe, comme voilà une penfée trace de l'étymologie des mots, qui neuve & une penfée nouvelle. Aprés cft fouvent trés-utile pour déterminer avoir oui dire plufieurs fois dix francs leur vraie fignification, & pour faire & quatre-vingts francs [e], comment fentir leur énergie, il arriveroit infailpourront-ils deviner qu'on ne dit point liblement, de ce que l'écriture fuiquatre-vingts-dix francs? Sentiront-ils vroit la prononciation, qu'il fe forjamais la différence qu'il y a entre ache, meroit dans les langues vivantes autant ver de fe peindre & s'achever de pein- de différents dialectes, qu'il y a de dif

[blocks in formation]

férentes prononciations: & comme on vit autrefois la langue Grecque parta. gée en autant de dialectes, qu'il y avoit de peuples qui la prononçoient diffé. remment; le François fe diviferoit en autant de dialectes qu'il y a de provinces, où les prononciations font diffé

rentes.

C'est une fingularité de la langue Hébraïque, que les lettres [f] font autant de mots expreffifs, & que celles qui font de fuite dans l'alphabet, étant jointes enfemble, forment des fentences. Les noms [g] propres Hébreux font fignificatifs, & renferment quelquefois un fens fort étendu. Les uns tiennent que la langue & les charactéres Hébraïques ont été changés [b]; d'autres que le changement n'eft arrivé qu'aux charactéres qui font Affyriens, & non Hébraïques, mais que l'ancienne langue a été confervéesquelques-uns foutiennent qu'il n'y a de changement ni à la langue ni aux charactéres. Mais un auteur, quelques bons garants qu'il ait, ne doit pas s'arrêter long-temps fur une langue qu'il ignore.

Saint Auguftin, Saint Jerôme, Saint Profper, Saint Epiphane ont prétendu [] que la divifion des langues à la tour de Babel s'étoit faite en 72. langues originales, fondant leur fentiment fur ce que le dixième chapitre de la Genéfe fait mention de 72. perfonnes, dans la confufion qui furvint. Corneille de la Pierre reftreint le nombre des langues méres qui fe formérent alors, au nombre de cinquante-cinq, autant qu'il y eut de familles différentes des defcendants de Noé qui se diviférent. Suivant le fentiment le plus commun, Heber & fes defcendants confervérent feuls la langue primitive des prémiers patriarches: & cette langue fut appellée Hébraïque à caufe d'Heber qui la retint dans fa famille. Huet [k]cftime aprés Theodoret que la prémiére langue, qui fut en ufage depuis la création du monde jufqu'à la conftruction de la tour de Babel, fut éteinte lors de la confu. fion qui arriva au fujet de cet édifice, & que la langue Hébraïque elle-même fut une de celles qui s'y for

mérent.

[f] Eufeb. praparat. evangel. lib. 10-c. 2. [g] S. Hieronym. de interpr. nom. Hebraic. Un feul nom Hébreu renfermoir quelquefois plufieurs phrases. Dieu dit à faie de donner-à fon fils un nom qui fignifie, Preffezvous d'enlever les dépouilles: Ravagez fans délai les terres des ennemis. Et dixit Dominus ad me : Voca nomen ejus, Accelera fpolia detrahere: Feftina prædari. far.c.8 v. 3. La plupart des noms Grecs étoient auffi fignificatifs. Pythagore veut dire parlant comme un oracle. Les difciples de Pythagore le citoient comme un oracle, raison de décider étoit, Illa dit. Demosthé ne fignifie puiffant fur le peuple. Il y a beau coup de ces noms propres qui conviennent fi parfaitement à la réputation laiffée par ceux

la

qui les ont portés, qu'on fer oit disposé à croire qu'ils ne leur ont été donnés que dans un age avancé, fil'histoire pouvoit laisser sur ce la quelque doute.

[b] Agripp. de vanit. fcientiar. c. 2.

[] S. Auguftinus, Hieronymus, Profper, Epiphanius numerant 72. gentes & linguas, in quas divifi funt homines in difperfione Babel: tot enim perfonæ puta 72. c. 10. Genefeos nominatæ & enumeratæ reperiuntur. Verùm demendus Caïnan, demenda nomina patrum, nec enim patres diverfam à filiis fecère familiam aut gentem. Cornel, à Lapid. in c.10. Genef.

[k] Huet. demonftrat. evangel. prop. 4. c. 13,

Le pére Pezron [1] prétend prouver que la langue Celtique ou l'ancien Gaulois a été la langue de Gomer & de la famille des Titans, dont étoient Saturne, Jupiter, & plufieurs autres divinités du Paganifme, & qu'elle eft une des anciennes langues nées à la confufion de la tour de Babel.

Goropius Becanus donne à la langue Tudefque ou Allemande [m] l'avanta ge d'avoir été la prémiére langue du monde, la langue d'Adam & d'Eve; & il établit ce fentiment fur ce que la fignification des anciens noms Hébreux eft pure Tudefque.

Les Egyptiens [n] avoient deux fortes de lettres, les unes facrées & hiéroglyphiques, les autres populaires & communes. Les charactéres hiérogly. phiques peuvent fervir pour toute forte de langues. Ammien Marcellin [o] rapporte que chaque lettre Egyptienne fignifioit un mot, qu'un feul mot exprimoit toute une penfée. Par exemple,la représentation d'une abeille fignifioit un roi, & toutes les qualités qui lui conviennent. Le Vautour défignoit la nature, parce qu'on ne peut remarquer aucune différence de fexe dans cet oifeau.

La langue Turque a fept fortes d'écritures [p] la prémiére réfervée pour l'alcoran; la feconde pour les affaires, & le barreau; la troifiéme peu différente fert aux juges & aux poëtes, la quatriéme eft d'ufage pour les regiftres; la cinquiéme pour les titres des livres & des patentes imperiales; la fi

xiéme & la feptiéme s'emploient trésrarement.

21.

Projet

mune à tou

Wilkins évêque de Chester vers le milieu du dernier fiécle forma le pro- d'une écrijet d'une écriture repréfentative des ture idées par elle-même, & publia un li- tes les lanvre Anglois fous le titre de langage gues. philofophique ou de charactére réel. Leibnitz a eu le même deffein, & il y a beaucoup travaillé pendant les derniéres années de fa vie. Ces characté res feroient communs & généraux pour toutes les langues, exprimant la penfée immédiatement & indépendamment de la diverfité des mots, comme les mêmes chiffres & les mêmes fignes algébriques font emploiés par ceux qui parlent diverfes langues.

22.

Les Rab

travagants

Les Rabbins font les plus extravagants de touts les auteurs. Leur igno- bins font rance eft ridicule. Jean Albert Fabri- les plus excius. [9] a recueilli la plupart des fa- des auteurs. bles qu'ils ont débitées, concernant les patriarches & l'hiftoire de l'ancien teftament. Un d'eux a dit que le faux prophéte Mahomet étoit cardinal. Le Talmud porte que Dieu le lit pendant les quatre prémiéres heures du jour, & que Dieu eft inconfolable de la défruction de Jérufalem. On trouve dans le Talmud qu'il faut s'abftenir de tirer de l'eau des puits, la veille du Sab. bath, auffi-tôt aprés le foleil couché; parce que les ames du purgatoire, qui n'ont que ce jour-là pour fe rafraichir dans les puits, s'y rendent le plûtôt qu'elles peuvent. Le Talmud & les Rabbins enfeignent qu'on doit mau

E 2

[De l'antig de la nation & de la langue des Celtes, p. 188.

[m] Cornel, à Lapid. comment. in cap. 11, Genef.

[n] Herodot. Euterpe.

[o] Amm. Marcell. lib. 17. [p] Journ. des fçav. Mai 1732. ́[q] Joann. Albert, Fabric.Cod, pseude-pigr veter, teftam

« PreviousContinue »