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24.

Allégorie de Platon

l'ame.

dogmes de la foi. Le concile d'Elvire a fait un canon, pour empêcher qu'on n'allumât des cierges dans les cimetiéres durant le jour, de peur que cela n'inquiétât les ames des faints.

Parmi les opinions débitées fur de char de l'ame, la célébre allégorie de Platon ne doit pas être oubliée. Il repréfente l'ame dans un chariot, qui a deux ailes,deux chevaux, & un cocher. Quand elle eft unie au corps, elle perd les deux ailes, ou elle n'en perd qu'une, ou elles les conferve toutes deux .Les deux chevaux deviennent mauvais, ou l'un des deux feulement devient mauvais, ou les deux reftent bons. Si l'ame à fçû conferver fes ailes, elle vole librement & fans obftacle: felon que les chevaux font bons, le cocher conduit bien ou mal le chariot. Les interprétes de Platon, par le cocher entendent la raifon; par les ailes du chariot, les inclinations qui portent l'homme au bien; par les chevaux, les facultés de l'ame.

25.

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Les Egyptiens, & les anciens Grecs Jes purifica- diftinguoient dans l'ame après la mort, tions des l'entendement & l'ombre ou l'image que Pythagore & Platon ont appellée le char de l'ame. Si l'ame avoit bien vécu, l'entendement fe réuniffoit au foleil, & l'ombre alloit aux champs

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Elyfées: fielle avoit mal vécu, les deux parties, c'est à-dire, l'entendement & l'ombre reftoient dans le goufre appellé Hécaté, où elles étoient purifiées [e] par les châtimens qu'elles avoient mérités. Homére à expliqué cette ancienne théologie, en faisant dire à Ulysse [f], J'apperçus dans les enfers le divin Her cule, c'est à dire, fon image; car pour lui il eft parmi les dieux immortels, & il affifte à leurs feftins: & Virgile fait di. re à Didon [g]: Mon image va defcen. dre aux enfers, dans l'état de grandeur qui lui convient.

Les Manichéens difoient que les ames des juftes alloient auffi-tôt après leur mort, dans le globe de la lune[b]; & que quand il y avoit une voiture fuffifante, ce qui paroifloit lorfque la lune étoit pleine,elle les alloit décharger dans le fo, leil, pour y jouir d'une éternelle félicité ; enfuite de quoi la lune deyenoit nou vel, le,attribuant à ce manége le cours & décours de cette planéte.Ce qui eft à mon avis,quelque allégorie qu'on y attache, un des plus ridicules égarements où les hommes foient jamais tombés.

26.

On a dit, de l'ame d'Ariftée [i],qu'el De quel. le quittoit fon corps quand elle vouloit.ques ames Que cette ame, au retour de fes voia- der on a dit qu'elles ges, fut fort furprise un jour, de trou. quittolent leurs corps.

[ 7 ] Τόν δέ μέτ εἰσενόησα βίην Ηρα

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Odyf. lib. 11.

[g] Et nunc magna mei fub terras ibit imago. Virg. Æneid. lib. 4. Lucréce s'en explique encore plus clairement: ..... effe Acherufia templa,

Quo neque permaneant animæ, neque corpora noftra,

Sed quædam fimulachra modis pallentia miris. Lucret lib. 1. [h] M. l'Abbé Banier, explicat. hiftoriq. des fables. entret. 9. t. 2.p.72.

[i] Herodot. Mel. pom. Max Tyr. differt 22. 28. Orig. contr. Celf. lib. 1. Tzetz. chil. 2. hister 50.

27.

Diftinction

"no mme,

quelques

ver que fon corps avoit été brûlé. Epiménide fe vantoit [k] que fon ame avoit la même faculté de voiager. Plufieurs auteursont rapporté que l'ame d'Hermotime de Clazoméne [, quittoit fon corps, & y revenoit auffi quand elle jugeoit à propros.Diogène de Laerce attribue à Empedocle [m] le même pouvoir, de féparer fon ame de fon corps, qui reftoit quelquefois trente jours, fans fentiment & fans nourriture. Et Suidas ajoûte qu'Empedocle [n] enfeigna même à Paufanias une compofition,qui donnoit cette faculté.

Parmi les anciens, plufieurs étade plufieurs bliffoient deux fortes d'ames dans mes dans l'homme [o], l'une fenfitive, périffa fuivant ble, & commune avec les bêtes; l'au philofophes,fre fpirituelle & immortelle. Nous avons vû même plus haut, que Platon diftinguoit dans l'homme trois ames, la végétante, la fenfitive, & l'intellectuelle..

L'empereur Antonin [p] diftingué l'efprit de l'ame. Tout ce que je fais, dit-il, c'eft un peu de chair, un peu d'efprit, & une ame. Quitte donc les livres, ne te travaille plus tant, tu n'en as pas le loifir. Mais reconnoiffant que tu commences déja à mourir, n'aïes que du mépris pour cette chair, qui n'eft qu'un peu de fang mêlé avec de de fang mêlé avec de Ja pouffiére, des os, une peau, & un tiffu de veines & d'artères. Confidére enfuite ce que c'eft que tes efprits; un vent qui n'eft pas toujours le même, & que tu attires & rejettes inceffamment

[k] Hnet. Alnet. quaft. lib. 2. c. 19..

Orig. contr. Celf lib. 3. Lucian, in encom. mufca Plin. l. 7. c. 52.

[m] Horach ap. Diog. Laërt. in Emped.
[n] Suid. in voce äπnys.

[o] Principio indulfit communis conditor illis

Tantùm animas, nobis animum que-
que. Juven. fat. 15.
Et cùm non aliter poffent mortalia

par la refpiration.Il ne refte que la troifiéme partie, qui eft l'ame. Fais donc ces réflexions; tu es vieux, ne souffre plus qu'elle foit esclave, ne fouffre plus qu'elle foit emportée par des mouvements contraires à fa nature, comme une marionette eft remuée par des refforts étrangers. Ne fouffre plus qu'elle fe fache de ce que les deftinées lui ont envoïé, ni qu'elle veuille éviter ce qu'elles lui préparent.

Hy a trois chofes [9] dont tu es compofé, le corps, l'efprit, & l'ame. Les deux prémiéres ne t'appartiennent que jufqu'à un certain point, & en tant que tu dois en avoir foin; mais la troifiéme eft la feule qui fuit proprement à toi, c'eft toi-même.

dés ames

ments.

Nous avons obfervé dans le chapi- 28. tre des démons, que les Platoniciens, Affinage. & Héfiode avoient diftingué quatre par trois fortes de fubftances fpirituelles; les changeames qui animent les corps humains ;. les héros; les démons ou génies; & les dieux. De-là quelques philofophes ont imaginé une gradation, & pour ainfi dire un affinage des ames. Suivant ces philofophes, après la mort elles deviennent héros; de héros, après certaines révolutions, elles deviennent démons ou genies; & ft elles. ont vécu très faintement pendant qu'elles ont habité leurs corps, elles deviennent de véritables dieux après qu'elles ont achevé de fe purifier C'eft la doctrine, que Plutarque explique à la fin de la vie de Romulus.. Qq 2

fingi,

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Adjunxit geminas: illæ cum corpore lapfæ Intereunt; hæc fola manet, bustoque fuperftes

Evolat. Claudian de 4. Conful. Honor. [] Réflex. de M. Anton, liv. 2. art. 2.. traduct. de Dacier.

[q] Réflex, de M. Anton, liv. 12, art. 3.

ST.

Les philofophes réuffiffent affez à dire ce

tes ne font

de fon concours; que les autres al

CHAPITRE CINQUIÈME. léguent un inftinét qu'ils ne peuvent

Des Bêtes.

SOMMAIRE.

1.Les philofophes réuffiffent affez à dire ce que les bêtes ne font pas, mais ils ne peuvent expliquer ce qu'elles font. 2. La fainte écriture eft contraire à l'opinion Cartefienne. 3. L'ame de la bête est une fubftance mitoienne entre l'esprit & le corps. 4. Un Cartéfien peut dire que les au tres hommes font des automates. 5. Opinions outrées de l'intelligence & du raisonnement des bêtes. 6.Exemples de fidélité, d'industrie, & d'an. tres bonnes qualités des bêtes. 7. Honneurs fignalés reçus par les bê. tes. S. Amours de plufieurs animaux pour des garçons & des filles. 9. Suite des récits concernant les bêtes. 10. Leur docilité. 11. Plufieurs traits au fujet des bêtes rapportés par Montagne, 12. Réponse à l'objection des impies fur l'ame des bêtes.

L

Es philofophes fe font épuifés en raifonnements fur la nature des bêtes. Ils réuffiffent affez à dire, ce que les bê- qu'elle n'eft pas, mais ils ne peuvent pas, mais expliquer ce qu'elle eft. Quelque parils ne peu- ti qu'on prenne fur une queftion fi obfcure, l'efprit n'eft point fatisfait. qu'elles Que les uns traitent les bêtes de fimples automates dépourvûs de fentiments; que les autres leur donnent des ef prits d'un ordre inférieur au nôtre, & que Dieu anéantit par la ceffation

vent expli quer ce

font.

[a]. Job. c. 39 v1. 28%

[b] Ifai. c. 1. v. 3.

[c] Jerem lament. c. 4. v. 3. [d] Gen. c. 3. Wo Io.

expliquer, & qu'ils ne comprennent pas eux mêmes; que les autres s'imaginent que Dieu, par une action de fa toute puiffance, éléve la matiére, jufqu'à la mettre en état d'éxercer des actes qui font au-deffus de fa portée; que les autres inventent des métempfychofes,touts. s'ils étoient de bonne foi,avoueroient que le fentiment qu'ils foutiennent, loin de les convaincre, n'a même rien qui préfente une idée claire, & qui fe faffe concevoir diftinctement.

2.

La fainte

à l'opinion

Il faut avouer cependant que le fentiment de Defcartes, qui fait les bêtes des machines, a l'avantage de ne renfermer aucune idée qui ne foit à la portée des fens; mais cette opinion eft fi fortement défavouée par les fens mêmes, qu'elle eft peut être la moins vraisemblable. Plufieurs paffages de l'écriture lui font contraires. Il eft dit, dans le livre de écriture Job [a], que le cheval s'anime par la contraire voix des gueriers, & dans le prophéte "Cattefien Laïe [b], que le bœuf & l'ane con- ne.. noiffent l'étable de leurs maîtres. La fille de mon père, dit Jérémie [c], eft devenue cruelle, comme les autruches dans le défert. Suivant l'expreffion de la Genéfe [d], le ferpent étoit le plus fin de touts les animaux. Job parle ain fi de l'autruche: Elle fe montre [e] cruel le à fes petits, comme s'ils n'étoient pas à elle,& fon travail eft vain, fans qu'el le foit en fraïeur pour eux;car Dieu l'a privée de la fageffe, & ne lui a pas donné l'intelligence. L'évangile [f] nous. exhorte a être prudents comme les ferpents.Si les bêtes étoient des machines; elles ne pourroient pas être appellées des êtres vivants, ainsi que Dieu [g]

[e] Job. c: 39. v. 19. [f] Matth. c. 10.

[g] Producat terra animam viventem in genere fuo, jumenta, & reptilia, & be

3.

L'ame: de

ce moienne

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les nomme dans la Genéfe .

Les bêtes ont des fens comme nous, abete eft & qui paroiffent femblables à nos ne fubitan-fens. Mais il eft évident qu'elles ne entre l'ef font pas capables de raifonnement. Si prit & le elles raifonnoient elles fe feroient mieux entendre, & leurs connoiffances ne feroient pas fi bornées. On voit quelques bêtes en particulier à qui l'on fait contracter, ou perdre certaines habitudes; mais on n'a jamais vû une efpéce de bêtes fe raffiner, mettre à profit l'expérience, faire des progrès d'industrie : en touts temps, & en touts lieux, la même efpéce est également renfermée dans les facultés reçues de la nature, fans que l'art y ait rien ajoûté.

La matiére [h] qui dans fon état naturel n'eft qu'une fubftance étendue & impénétrable, n'étant fufceptible que de repos, de mouvement & de fi. gure, ne peut fentir, connoître, défirer, craindre, fouffrir. N'eft-il pas plus vraisemblable que l'ame des bêtes eft une fubftance, qui n'eft réellement m efprit ni corps? Une troifiéme efpéce de fubftance, uniquement capable de paffions & de connoiffances fenfibles, ou de fenfations; mais de fenfations exquifes, lefquelles dans la pratique valent quelquefois des raifonnements; une fubftance dépendante des organes du corps, inutile fans le corps, fans réflexion fur fes connoiffances, fans délibération, fans choix, fans liberté, fans mérite, & par conféquent deftinée à périr avec le corps.

Le P. Mellebranche dit que l'homme ne peut pas affûrer qu'il n'y ait point de fubftance mitoïenne entre les efprits & les corps. Bayle foutient au contraire qu'il eft impoffible que tout ce qui exifte, ne foit pas efprit ou ma

fias terræ fecundùm fpecies fuas. Factumque eft ità. Gen. c. 1. v. 24.

h1 Le P. Berruier, préf. de l'hist,du

tiére, puifque s'il a de l'étendue if eft. matiére; & s'il n'en a pas, il eft efprit. Ce fentiment de Bayle ne prouve autre chofe, fi non que l'efprit humain entreprend de décider ce qu'il ne connoît pas.

Les Cartéfiens demandent fi l'ame de la bête eft matiére ou efprit; Les: Péripatéticiens répondent qu'elle n'eft ni l'un ni l'autre que c'eft une espéce d'être à qui l'on a donné le nom de matériel, non que ce foit de la matiére, mais parce que ce n'eft point un efprit. C'eft un être mitoïen entre les deux, qui ne fera pas capable de raifonnement ni de penfée, mais feulement de perception & de fenfation; c'est-à-dire, d'une impreffion des objets corporels, pareille à celle que nous expérimentons, lorfque tout à coup l'on nous pique ou l'on nous brû le. L'efprit, difent les Cartéfiens,eft une fubftance qui penfe, qui raifonne;l'ame de la bête, diront les Péripatéticiens, eft une fubftance qui a des fenfations ou des connoiffances fenfitives,. fans penfer & fans raifonner. Mais, dira-t-on, la fenfation ou la connoiffan ce fenfitive eft une penfée: Je demande par quel endroit? Voir du feu,fen-" tir du feu, & penfer à du feu, font des chofes très-différentes, & par con féquent très féparables.

40

peut

hommes

Un Cartéfien [] peut dire auffi fé- Un Carterieufement des autres hommes, que lien que ce font des Automates, qu'il le dit les autres. des bêtes. Dieu ne pourroit-il pas font des faire une machine femblable à un hom- automates. me, qui fît par les loix feules de la méchanique, tout ce que nous voïons faire touts les jours aux hommes? Y at-il plus de mystére dans les difcours fuivis des hommes, que dans une 29 3

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infinité d'actions très- fuivies des bêtes? Parmi les abeilles, les unes vont à la campagne faire les provifions néceffaires fur les fleurs; les autres apportent de l'eau; d'autres font à la porte de la ruche, pour recevoir ce que celles-ci apportent du dehors; il y en a pour le porter dans l'intérieur du laboratoire, où d'autres demeurent pour travailler, & où chacune a fa tâ che. Avant que d'en venir là, il a fallu fe loger, il leur a fallu bâtir leurs maifons avec une régularité furprenante, faire leurs retranchements & leurs enduits contre les autres mouches, contre les araignées, & contre une infini té d'autres petits animaux avides de cette excellente liqueur. Il faudroit dans le fyftême Cartéfien que cette multiplicité d'emplois, cette fuite d'actions, cette machine d'une abeille en particulier, euffent rapport à la dif. pofition des refforts de deux mille autres abeilles, qui travaillent en même temps au même ouvrage, & que les refforts de ces deux mille abeilles fe trouvaffent auffi difpofés de toutes les façons différentes qui concourent à la fin générale, pour laquelle chacune de ces abeilles travaille en particulier.

Une brebis, ou certains chiens s'en fuient [k] aux approches du loup. C'eft, dites-vous, que la préfence de cet objet ouvre le paflage aux efprits animaux, pour entrer dans les muf. eles qui font le mouvement des jambes, qu'on appelle courir. Mais il ne s'agit pas de courfe, il s'agit de fuite. Si la brebis a la tête tournée vers le loup, ces efprits animaux coulant fimplement dans les mufcles des jambes, la

[k] Le P. Danjel dans le voïage du. monde de Defcartes.

[] Quod autem tibi vifum eft non effe animam in corpore viventis animalis, quamquam videatur abfurdum, non ta

feront courir vers le loup, au lieu de le lui faire fuir. Ainfi il faut que les corpufcules qui s'exhalent du loup, & qui lui imprimeroient un mouvement droit, s'il étoit derriére elle, lui fafle dans cette autre fituation décrire un demi cercle, & enfin la pouffent em ligne droite pour la faire courir devant le loup: cette feule demie volte bien expliquée me contenteroit.

La bonne philofophie n'admet point. les fyftémes qui font contraires aux expériences journalières. Nous voïons. les bêtes fufceptibles de prefque toutes. les paffions. Nous remarquons en elles des fignes d'amour, de haine, de colére, de crainte, d'envie, de jaloufie. Elles ne font point paroître d'ambition, à moins qu'on n'appelle ambi tion, certains défirs de distinction, & de préférence, comme dans les chevaux l'ardeur de devancer leurs femblables à la courfe, & dans les chiens la jaloufie des careffes. On trouve en elles l'avarice & le foin d'amaffer. Elles fe reffouviennent, fe corrigent, fupplient, apprennent, entrent, pour ainfi dire, en converfation avec les hommes qui fe mettent à leur portée. Elles guettent, diffimulent, prennent les moïens les plus propres pour parve. nir à la réuffite de ce qu'elles défirent..

L'opinion Cartéfienne fur les bêtes n'eft pas nouvelle. On lit dans S Auguftin[/]que de fon temps on doutoit que les bêtes euffent une ame.On a

prétendu [m] que du temps des prémiers Céfars, trois cents ans avant. S. Auguftin, les Stoïciens avoient soutenu ce fentiment; & Plutarque rapporte [n] que plus de trois cents ans

men doctiffimi homines, quibus id placuit, defuerunt. neque nunc arbitror deeffe.s Aug. de quantitate anima, c.30.

[m]Bayle. rep.des lettr. Octob. 684, art. 15. [n]Plutarch.de placitis philof.lib.5 c. 20.

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