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Pomponace; plufieurs fçavants s'offenférent, non feulement du tort qu'il faifoit à la réputation d'Ariftote, mais encore de ce que Pomponace nioit les preuves naturelles de l'immortalité de l'ame. Les prédicateurs déclamérent contre Pomponace; le patriarche de Venife défendit la lecture de ce traité, & le fénat défendit de le débiter. Pomponace [k] compofa trois ljvres d'apologie pour répondre à fes adverfaires. Il y foutint de nouveau, qu'Ariftote n'a pas crû l'immortalité de l'ame,& qu'on ne peut la prouver par des raifons naturelles; que pour lui, il croïoit l'ame immortelle, & qu'il étoit prêt de mourir pour foutenir cette vérité, parce que Dieu l'a révélée aux hommes. Enfuite la chaleur de la difpute lui faifant franchir les bornes de la raifon, il s'efforce de prouver que l'immortalité eft contraire aux principes naturels ; que c'eft prophaner la foi,que de mêler les raifons naturelles avec ce qu'elle nous enfeigne, & qu'il eft indigne d'un Chrétien de fe mettre en peine de prouver l'immortalité de l'ame, par des preuves tirées de la natu& par des raifonnements humains. Puifque j'ai parlé de l'opinion des des Sacucé- Saducéens, de la mortalité de l'ame, mortalité il eft à propos d'obferver que ce fenti. ment n'étoit pas ancien parmi les Juifs. Il commença du temps d'Antigone, préfident du Sanhedrin après Simon

I 3.

L'opinion

ens de la

de l'ame nouvelle

Juifs.

re,

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14.

par les

ment.

le Jufte. Antigone [1] aïant enfeigné qu'il ne falloit pas obéir à Dieu, & pratiquer la loi en vue des récompenfes ou des peines, fes difciples prirent occafion de dire qu'il n'y avoit après cette vie, ni peines ni récompenfes. On lit dans le Talmud, que le nom de Saducéen fut tiré de Sadoc disciple d'Antigone. Le fentiment de cette Preuve fecte fur la mortalité de l'ame, étoit l'immo contraire aux livres de Moyfe [m] lité de l' qui dit que Dieu forma l'homme du res de limon de la terre, & qu'il lui infpira cien T un foufle de vie, & que l'homme fut animé d'un foufle de vie: par où il eft clair que l'ame a une origine bien différente du corps. De plus, il eft dit[ n ] que Dieu a fait l'homme à fon image. Jacob dit: Je dormirai avec mes péres, expreffion qui marque clairement l'attente d'un réveil & d'une réfurrection. Si les ames, fuivant Moyse, n'étoient pas immortelles, le Dieu des vivants ne fe nommeroit pas le Dieu d'Abraham, d'Ifaac & de Jacob. Balaam [o] fouhaite de mourir de la mort des Juftes: & leur mort aïant été le plus fou vent malheureufe & violente, le fouhait de Balaam ne peut le rapporter qu'au bonheur d'une autre vie. Ces paffages ne font tirés que des livres de Moyfe, reconnus pour feuls canoniques par les Saducéens. Les livres [p] de Job, de [9] Salomon, des [r]pro. phétes & des Machabées [s] s'expri

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15.

fur l'égalité

des ames.

ment fur l'immortalité de l'ame, & fur la réfurrection des corps, dans les termes les plus formels & les plus clairs. Diveries La plus grande partie des philofophes a pinions foutenuque Dieu a créé les ames égales, u inégalité & que leurs opérations plus ou moins parfaites dépendent des organes des corps qu'elles animent. Platon & Def. cartes font du fentiment oppofé, que Dieu en créant les ames, a mis de la dif. férence entr'elles; ce que Platon[ t ]exprime par leur formation des differents métaux d'or, d'argent & de fer.

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[1] Plat. de republ. 1 3.

[u] Brantom, hom,illuftr.t.x. art. de M. de Monpezat.

[x] Eff. de Montagn. liv. 1. ch.43. Charron de la fageffe, liv. 1. ch.37. édition de Bourdeaux,ou liv.1.ch.41. édition de Paris.

I.

[y] S. Aug. de civit. Dei, 1.22.c.17. [2] Plutarch. de placit. philofophor. I 4.c.2. [a] plato dixit animam effentiam fe moventem; Xenocrates numerum fe moventem; Ariftoteles xxx; Pythagoras & Philolaüs harmoniam; Poflidonius ideam; Afclepiades quinque fenfuum exercitium fibi confonum; Hippocrates fpiritum tenuem per corpus omne difperfum; Heraclides Ponticus lucem; Heraclitus Phyficus fcintillam ftellaris effentiæ; Zeno concretum corpori fpiritum; Democritus fpiritum infertum atomis, hâc facilitate motûs, ut corpus illi omne fit per

à telle bêté,. Charron a emprunté cette même réfléxion de Montagne.

S. Auguftin [] blâme le fentiment de ceux qui ont écrit que les femmes ne participeront à la réfurrection, qu'en changeant de fexe.

16.

de l'ame.

Plutarque [z]rapporte les définitions Différentes de l'ame par plufieurs philofophes. Tha- définitions lés l'a définie, une nature fe mouvante toujours & de foi-même : Pythagore, un nombre fe mouvant foi-même: Pla ton, une fubftance fpirituelle fe mouvante par fon effence & par nombre harmonique: Ariftote, l'acte prémier d'un corps organifé, aïant la vie en puissance: Dicéarque, l'harmonie & la concordance des quatre éléments: Afclépiade, un exercice commun de touts les fentiments enfemble. On trouve auffi dans Macrobe[ a ] différentes définitions de l'ame, données par les philofophes anciens.

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d'atomes légers & ronds; fuivant Protagoras d'Abdére, difciple de Démocrite, l'ame n'eft autre chofe que les cinq fens; felon Héraclite, c'eft [e ]une évaporation des humeurs; Macrobe a attribué une autre opinion à Héraclite, & il lui fait dire que l'ame eft une étincelle [f] de l'effence des étoiles. Epicharme tiroit du foleil la fubftance des ames. Zénon [g] & les Stoïciens enfeignoient que l'ame eft un feu. Epicure, dit Plutarque, croit que l'ame eft un mêlange de quatre chofes, de feu, d'air, de vent, & d'un quatriéme principe qui n'a point de nom, & qu'il explique par une force fenfitive. Héraclide de Pont, croïoit que l'ame étoit une portion de la lumiére; Marc Antonin, qu'elle étoit quelque chofe de femblable au vent [b] & une exhalaifon du fang. Il dit ailleurs[i]que l'ame eft une portion de la divinité qui habite au dedans de nous: ce que Sénéque exprime [k] par ces paroles: Dieu eft près de toi, il eft avec toi, il eft au dedans de toi-même. L'ame, felon Hippocrate, eft un efprit délié, répandu par tout le corps; felon Critolaus, c'eft une cinquième effence, tirée du plus fubtile des quatre éléments; fuivant Pythagore; & Phi

[e] Elæepravadoμíaow Ariftot, de ani

mál.1.c.2.

[f] Scintillam ftellaris effentiæ. Macrob. loc. citat.

[g] Zenoni ftoïco animus ignis videtur. Cic. loc. citat.

[h] Anima, quafi auos, ventus.
[i] Réflex. de M. Anton. l.v 3.

[k] Propè eft à te Deus tecùm eft,intus eft. Sen. epist. 41.

[1] Nihil effe omninò animum, & hoc nomen totum inane, fruftraque & animalia & animantes appellari, neque in homine effe animum vel animam, nec in beftiâ; vimque illam omnem quâ agamus aliquid, vel fentiamus in omnibus corporibus vivis æqualiter effe fufam, nec feparabilem à corpore effe, quippe quæ nulla fit, nec fit quidquam nifi corpus unum & fimplex ita figuratum, ut temperatione

lolaüs, c'eft une harmonie, une perfe &tion des organes du corps. Dicéarque foutenoit qu'il n'y avoit point d'ames [1], que cette faculté d'agir & de fentirétoit également répandue dans touts les corps vivants, qu'elle en étoit inféparable, & que ce n'étoit rien autre chofe, que le corps lui-même figuré, & tempéré de maniére qu'il pût agir & avoir du fentiment.

Platon [m]& Macrobe [n] difent que Dieu a compofé l'ame de l'univers, de l'arrangement & de la vertu des nombres.

Tertullien a crû que toutes les ames [] avoient été créées en Adam, & qu'elles venoient toutes du prémier homme. Origéne, & plufieurs autres après lui, ont foutenu la préexiftence des ames . des ames. Les Platoniciens s'effor çoient de prouver [p] que l'ame ne peut avoir eu de commencement parce qu'elle fe meut elle-même, & qu'elle eft le principe du mouvement ; Ariftote foutenoit au contraire, que l'ame bien loin d'être le principe du mouvement, mouvement, n'eft capable d'aucune forte de mouvement.

On ignore, dit Lucréce [9], la nature de notre ame; fi elle est née naturæ vigeat & fentiat. Cic.Tufcul. quast.

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avec l'homme, ou fi étant formée d'ail. leurs, elle s'infinue dans les corps tendres & récemment formés: fielle périt avec le corps, étant diffipée par la mort: ou fi elle va habiter les efpaces vaftes & ténébreux des enfers: ou fi elle eft envoiée par une divine puiffance dans les corps des autres animaux.

N'eft ce pas une chofe ridicule,ajoute ce poëter], que les ames fe tiennent toujours prêtes, pour se rendre obéiffantes aux exploits de Venus:& qu'elles foient alertes, pour fe difputer à qui s'infinuëra la prémiére dans un corps?

Examinons les raifonnements de Lucréce fur la mortalité de l'ame. Pourquoi, dit-il [s], la férocité des lions, la fineffe des renards, la viteffe des cerfs eft-elle tranfmife par la génération? fi ce n'eft que la femence contient les qualités de l'ame. Ne la voions-nous pas croître [], & vieillir avec le corps? être affoiblie par des maladies [×], & rétablie par le fecours de la médecine? Or fielle eft attaquée par des atteintes matérielles [x], elle ne peut éviter les coups de la mort.

Touts ces raifonnements portent fur un principe faux, en ce que ce poëte attribue à l'ame ce qui fe paffe unique. ment dans les organes du corps. Si les qualités des péres fe tranfmettent dans la génération, c'est par la reffemblance des tempéraments matériels .

[] Denique connubia ad Veneris partufque ferarum

Effe animas præftò deridiculum effe videtur,

Et fpectare immortales mortalia mem

bra

Innumero numero, certareque præproperanter

Inter fe, quæ prima potiffimaque infinuetur. Lucret. lib.3.

[] Denique cur acrum violentia trifte leonum

Seminium fequitur, dolu vulpibus & .fuga cervis

A patribus datur, & patrius pavor in

Si l'ame paroît croître & vieillir avec le corps, c'eft que les organes qui fervent à toutes fes facultés,fe développent ou s'ufent: & il eft évident de la même maniére, que la maladie n'affoiblit; & que la fanté ne rétablit que le corps. Si l'on donnoit à un vieillard l'œil d'un jeune homme, il verroit auffi clair qu'autrefois. L'affoibliffement de la maladie ou de la vieilleffe ne vient pas. de ce que l'ame a fouffert dans fa propre fubftance, mais de l'altération des organes dont elle fe fert. La dépendance mutuelle que nous éprouvons entre l'ame & le corps ne nous conduit nullement à croire une identité de fubftance. Dieu a pû établir l'une d'elles, comme la caufe occafionnelle des mo. difications de l'autre,fans qu'elles aïent d'ailleurs aucun rapport. Nous obfervons même que la prudence accompa➡ gne ordinairement la vieilleffe, preuve que l'ame ne fe fent pas toujours des infirmités du corps,puifque celle-là gagne fi fouvent, où celui ci perd beaucoup.

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Parmi les différentes opinions qui concernent les ames, comment un tempfychofentiment auffi abfurde que celui de fe. la métempfychofe, a-t'il pû se répandre parmi tant de nations, entre lef quelles les temps, & les lieux ont mis une fi grande diftance, & qui font fi différentes par les mœurs, par l'éducation, & par le génie ? De

citat attus ?

PP 2

Si non certa fuo quia femine feminioqueVis animi pariter crefcit cùm corpore toto Lucret.lib.3. []...gigni pariter cùm corpore & unà Crefcere fentimus,pariterque fenefcere mentem. 1b.lib.3.

[u].......! ... mentem fanari,corpus ut ægrum Cernimus, & flecti medicinâ poffe vide-. mus. ib.

[x].. corpoream naturam animieffe neceffe eft,

Corporeis quoniam telis i&tuque labo rat. 1.

cier [y] tâche de juftifier Pythagore, de l'opinion de la métempfychofe, & d'établir que ce philofophe n'en a jamais parlé comme d'un dogme, mais comme d'une parabole morale, pour infpirer à l'ame l'averfion de fes défauts; & qu'on doit entendre allégoriquement ce que Pythagore enfeignoit, que les ames qui ont été violentes & farouches [z], font envoïées dans des corps d'ours; celles qui font coupables de rapines & de brigandages, dans des corps de loups; les ames trompeufes & de mauvaise foi, dans des corps de renards; jufqu'à ce qu'après une longue fuite d'années & plufieurs paffages dans des corps d'animaux, elles boivent [a] de l'eau du fleuve d'oubli, & font rétablies dans leur prémiére condition d'ames humaines;

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L'opinion de la métempfychofe tirée des Egyptiens, a été enfeignée par Orphée, & autres poëtes, beaucoup plus anciens, que Pythagore. Hérodote [b]dit que les Egyptiens croïoient la métempfychofe, & que Pythagore puifa chez eux cette opinion. L'empereur Julien rapporte [ c ]que Zamolxis l'enfeigna aux Gétes: Céfar attribuë la [d] même opinion aux Druides Gaulois Appien, aux [e ] Allemands: faint Auguftin[f], aux Manichéens, & il s'eft trouvé, parmi les Chrétiens, d'autres hérétiques qui enfeignoient la métempfychofe : les Al

[y] Dacier vie de Pythagore.
[z]..... muta ferarum

Cogit vincla pati, truculentos ingerit urfis, Prædonefque lupis,fallaces vulpibus addit. Atque ubi per varios annos, per mille figuras

Egit, Lethæo purgatos flumine tandem
Rurfus ad humanæ revocat primordia
vitæ. Claudian, in Rufin lib.2.
[a] Has omnes ubi mille rotam volve-
re per annos,

Lethæum ad fluvium Deus evocat ag-.
mine magno:

bigeois ont foutenu les tranfmigrations fucceffives des ames dans des corps humains, & même dans les animaux. Les Pharifiens [g], fuivant Jofeph, foutenoient la métempfychofe, & le tétrarque Hérode [b] croïoit que l'ame de Jean-Baptiste avoit passé dans le corps de Jésus-Chrift. Les Brachmanes des Indes [i] s'eftiment heureux de mourir, en tenant une queue de vache, eftimant que cette pofture peut baucoup contribuerà faire recevoir leurs ames dans les corps des vaches, & que c'est l'état le plus tranquille, & la meilleure fituation des ames, enattendant qu'elles retournent dans un corps humain,

Dans le neuviéme fiécle, Ratramne réfuta, par ordre d'Odon évêque de Beauvais, les erreurs d'un moine de l'abbaïe de Corbie, qui avoit écrit que touts les hommes étoient d'une même fubftance, & n'avoient qu'une méme ame méme ame. Ce fentiment revenoit affez à celui des Stoïciens.

Matthieu Palmieri, poëte Florentin du quinziéme fiécle, avance dans fon poëme de la cité de la vie, que nos ames font des anges, qui dans la révolte de Lucifer fe tinrent neutres, & ne voulurent prendre aucun partisque Dieu par punition relégua ces anges dans des corps, afin qu'ils puf fent être fauvés ou damnés, fuivant la conduite vertueufe ou criminelle,

Scilicet immemores fupera ut convexa revifant

Rurfus, & incipiant in corpora velle reverti Virg. Æneid,lib.6.

[b] Herodot. Euterp.

[c] Julian. in Cefarib.

[d] Cafar, comment, de bell, Gall. 1.6. [e] Appian. in Celtic.

[f] S. Aug. lib. de hærefib. c.46. [g] Jofeph antiq. liv. 18. ch. z. dr de la guerre contre les Rom. liv.2, ch.12.

[b] Matth.c.14. V.2.

[i] Lep. Laffiteau, mœurs des fauvag Amêric.1.1. p.411, in 40

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