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elle en propre? l'avez-vous tellement retirée & renfermée en vous-même, qu'elle ne fe trouve nulle part ailleurs? Le hazard fait-il tout fans qu'il y ait aucune fageffe hors de vous? Ariftodéme aïant repliqué qu'il ne voïoit point ce fage architecte de l'univers, Socrate lui répond: Vous ne voïez pas non plus l'ame qui gouverne votre corps & qui régle touts fes mouvements. Vous pourriez auffi bien conclure que Vous ne faites rien avec deffein & raifon, que foutenir que tout le fait par hazard dans l'univers. Ariftodéme aïant reconnu un être fouverain, doute cependant de la providence, parce qu'il ne comprend pas comment elle peut tout voir à la fois. Socrate lui replique: Si l'efprit qui réfide dans votre corps, le meut, & le difpofe felon fa volonté, pourquoi la fageffe fouveraine qui préfide à l'univers, ne peut-elle pas auffi régler tout comme il lui plaît ? Si votre œil peut voir les objets à la distance de plufieurs ftades, pourquoi l'œil de Dieu ne peut-il pas tout voir à la fois? Si votre ame peut penfer en même temps à ce qui eft en Egypte, à Athénes, & en Sicile, pourquoi la fageffe divine ne peut-elle pas avoir foin de

étant préfente partout à fon ou

[1] Sed affiduitate quotidianâ, & confuetudine oculorum affuefcunt animi, neque admirantur, neque requirunt rationes earum rerum,quas femper vident; perinde quafi novitas nos magis, quàm magnitudo rerum debeat ad exquirendas caufas excitare. Cic. de nat. deor. lib. 2.

[m] Præclarè ergo Ariftoteles:Si effent, inquit, qui fub terrâ femper habitaviffent, bonis & illuftribus domiciliis, quæ effent ornata fignis atque picturis, inftructaque rebus iis omnibus, quibus abundant ii qui beati putantur, nec tamen exiffent unquam fupra terram: accepiffent autem famâ & auditione, effe quoddam numen & vim deorum : unde aliquo tempore, pate factis terræ faucibus, ex illis abditis

vrage? Socrate fentant enfin que l'in crédulité d'Ariftodéme venoit plutôt de fon cœur que de fon efprit, conclut par ces paroles: ô Ariftodéme, appliquez-vous fincérement à adorer Dieu, il vous éclairera, & touts vos doutes le diffiperont bientôt,

Nous nous accoutumons, dit Cicéron [i], à regarder avec indifférence le magnifique fpectacle de l'univers, comme fi la nouveauté des objets, plutôt que leur grandeur, devoit élever nos efprits à rechercher leur cause & à méditer leur principe.

Le même auteur fait cette hypothéfe [m] après Ariftote: Suppofons que quelques hommes cuflent. toujours demeuré fous terre, dans des maifons ornées de ftatues & de peintures, & embellies de tout ce que l'art peut fournir de plus fomptueux, mais. privées feulement de la lumiére célefte; que là ils euffent oui dire que fur la furface de la terre les preuves. de la divinité s'offrent de toutes parts aux regards des hɔmmes; si après un long féjour dans ces demeures foûter-. raines, la terre venoit à s'entr'ouvrir tout d'un coup, & qu'ils découvriflent. la beauté des campagnes, & l'étenduë des mers; qu'élevant leurs regards ils.

fedibus, evadere in hæc loca quæ nos in-. colimus, atque exire potuiffent: cùm repentè terram & maria, cælumque vidiffent, nubium magnitudinem, ventorum.. que vim cognoviffent, afpexiffentque fo-. lem,ejufque tun magnitudinem pulchritu.. dinemque, tum etiam efficientiam cognoviffent, quod is diem efficeret, toto cœlo. luce diffulâ: cùm autem terras nox opacaffet, tum cœlum totum cernerent aftris diftinctum & ornatum, lunæque luminum varietatem tum crefcentis, tum fenefcentis, eorumque omnium ortus & occafus, atque in omni æternitate ratos immutabi. lefque curfus;hæc cùm viderent, profectò & effe deos, & hæc tanta opera deorum. effe arbitrarentur. Cic, de nat,deor. lib. 20

contemplaffent les cieux & le foleil; & qu'une belle nuit venant à fuccéder à l'éclat de la lumière, ils confidéraffent auffi pour la prémiére fois la lune, & le firmament paré de fes étoiles, avec. quelle ferveur & quels tranfports s'écrieroient-ils: Ah! ce magnifique & ravissant spectacle ne nous laisse aucun doute que la terre & les cieux ne foient les ouvrages de la Divinité.

CHAPITRE QUATRIÈME.

Des Ames.

SOMMAIRE.

1. Rien n'eft plus humiliant pour l'efprit de l'homme, que de ne pouvoir fe connoitre. 2. Les lumiéres naturelles font très-bornées fur la connoiffance de l'ame. 3. Explication de Defcartes, de la manière dont les objets corporels agiffent fur l'ame.4. On ne peut concevoir l'action de la

.

.

mortalité de l'ame. 12. Question du Sentiment d'Ariftote fur l'immortalité de l'ame, débattue avec beaucoup de ・chaleur. 13. L'opinion des Saducéens de la mortalité de l'ame étoit nouvelle parmi les Juifs. 14. Preuves de l'immortalité de l'ame, par les livres de Pancien Teftament. 15. Diverfes opi nions fur l'égalité ou l'inégalité des ames. 16. Différentes définitions de l'ame. 17. Différentes opinions fur la nature de l'ame. 18. De la Metempfychofe. 19.Difficultés métaphyfi ques fur les fubftances fpirituelles. 20. De la grandeur des fubftances fpirituelles. 21. Comment on doit entendre ce que les pères ont dit de la matérialité des fubftances spirituelles. 22. Les pères de l'Eglife, en combattant quelque erreur, sembloient ne pas craindre l'extrémité contraire. 23. Notions fort obfcures des prémiers Chrétiens fur les ames. 24. Allégorie de Platon du char de l'ame. 25. Théologie Païenne fur les purifications des ames. 26. De quelques ames, dont on a dit qu'elles s'abfentoient de leurs corps. 27. Diftinction de plufieurs ames dans l'homme, fuivant quelques philofophes. 28. Affinage des ames par trois changements.

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matière fur l'efprit. s. Raisons pour R Fefprit de l'homme, que de ne plus humi

IEN n'eft plus humiliant pour Rien n'eft

Thypothefe du fiége de l'ame dans la glande pineale. 6. Objections de quel. ques Anatomiftes fur la glande piné ale. 7. Diverfes opinions fur la réfidence de lame. 8. Philofophes partagés fur l'immortalité de l'ame. 9. Opinion de Platon qui diftinguoit trois ames réfutée par Albert le Grand. 10. Preuves de Platon & de Cicéron de l'immortalité de l'ame. 11. Autres preuves naturelles de l'im

pour

pouvoir fe

pouvoir fe connoître lui-même, de ne prit de pouvoir comprendre quelle eft fa pro- l'homme, pre nature, comment il exerce fes fa- que de ne cultés, quelle peut être fon union avec connoître. un corps, de quelle efpéce font les liens qui l'attachent à une portion de matiére, de quelle façon une fubftance fpirituelle peut agir fur les objets fenfibles & matériels, & recevoir des impreffions de ces mêmes objets, qui

2.

Lumiéres

fur la con

l'ame.

n'ont avec elle aucune forte d'analogie ni de rapport.

Cesames qui agiffent fur leur propre corps, & par les opérations de ce corps fur toute forte d'objets corporels, n'ont au contraire aucune action fur les autres fubftances fpirituelles qui leur font femblables: car on ne trouve pas qu'aucune ame opére la moindre chofe fur une autre ame, fi non par l'intervention de deux corps.

L'Ecriture fainte fait connoître que naturelles les lumiéres purement naturelles font très bornées très bornées fur la connoiffance de l'anoiffance de me, qui a toujours été un écueil pour les plus grands génies guidés par la raifon feule. Ceft ainfi qu'il faut entendre ces paroles de l'Eccléfiafte:,, Et j'ai dit [a] en mon cœur: Dieu jugera le jufte & l'injufte, & alors ce fera le temps de toutes chofes. J'ai "dit en mon cœur, touchant les en"fants des hommes que Dieu les ›› éprouve, & qu'ils font femblables » aux bêtes. C'eft pourquoi les hommes meurent comme les bêtes, &

"

"

"" leur fort eft égal. Comme l'homme

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meurt, les bêtes meurent auffi. Les uns & les autres refpirent de même, » & l'homme n'a rien de plus que la

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bête? tout eft foumis à la vanité, &, tout tend en un même lieu; ils ont " touts été tirés de la terre, & ils retournent touts dans la terre. Qui connoît fi l'ame des enfants des hommes monte en haut, ou fi l'ame des » bêtes defcend en bas? & j'ai reconnu >> qu'il n'y a rien de meilleur à l'hom-,, me, que de fe réjouir dans fes œuvres, & que c'eft là fon partage; car qui le pourra mettre en état de connoître ce qui doit arriver après lui?

در

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"

Salomon fait entendre par là [b], " que l'homme par la feule raison peut à peine appercevoir la différence qui eft entre fon ame & celle des bêtes. On voit en effet que plufieurs grands ef prits parmi les Paiens, ont douté de l'immortalité de l'ame.

La liaifon des efprits & des corps, dit S. Auguftin [c], eft quelque chofe d'incompréhenfible à l'homme; & c'est néanmoins dans cette liaifon que tout l'homme confifte.

3.

de la mani

Descartes eft allé plus loin qu'aucun philofophe dans l'explication de Explicati la maniére dont les objets corporels de Decan agiffent fur l'ame. Il établit fans au- dont les o cune preuve la glande pinéale, qui jets cor.c rels agile eft une petite glande fufpendue au far fam

milieu

[a] Et dixi in corde meo: Juftum & im. pium judicabit Deus, & tempus omnis rei tunc erit. Dixi in corde meo de filiis homi. num, ut probaret cos Deus,& oftenderet fimiles effe beftiis. Idcirco unus interitus eft hominis & jumentorum,& æqua utriuf que conditio: ficut moritur homo, fic & illa moriuntur : fimiliter fpirant omnia, & nihil habet homo jumento amplius: cuncta fubjacent vanitati, & omnia pergunt ad unum locum: de terrâ facta funt, & in terram pariter revertuntur.Quis no

vit fi fpiritus filiorum Adam afcendat furfum, & fpiritus jumentorum defcendat deorfum? Et deprehendi nihil effe melius quàm lætari hominem in opere fuo, & hanc effe partem illius. Quis enim adducet, ut poft fe futura cognofcat? Ecclef. c. 3. v. 17. & feqq.

[b] Bible de Saci, in folio.

[c] Modus quo corporibus adhærent fpiritus, omninò miras eft, nec compreprehendi ab homine poteft; & hoc ipfe homo eft, S. Aug. de civit, Dei., lib. 21. c 10

concevoir

Ja matiére

milieu des cavités du cerveau, pour le fiége où l'ame réfide, & où elle exerce principalement & immédiatement les fonctions.

Suivant la philofophie Cartefienne, l'objet fenfible frappe l'extrémité du nerf, dans lequel réfide le fens particulier; les efprits animaux qui coulent au travers de ce nerf, font leur rapport au fens commun qui répond aux cinq fenfations; c'est-à-dire, que les efprits animaux émus par l'objet, vont frapper une partie intérieure du cerveau; d'autres efprits plus déliés tracent dans le cerveau une image de l'objet fenfible, & cette image touche un point de la glande pinéale, dans laquelle l'ame réfide.

Mais de quoi nous fert d'approcher One peut de plus en plus de l'endroit que l'ame l'action de habite principalement ? Nous n'en fommes pas plus avancés, pour arriver par nos efforts, pour ainfi dire, jufqu'à fon dernier retranchement. Là notre curiofité eft repouffée, fans pouvoir faire aucun progrés. Nous avons beau imaginer tout ce qu'il y a de plus raffiné dans la matiére, concevoir des efprits animaux, la partie la plus déliée du fang, qui agiffent de la maniére la plus prompte & la plus imperceptible fur la plus fubtile & la plus délicate de toutes les fubftances corporelles, qui eft une glande fufpendue dans les cavités du cerveau: après avoir établi tout cela fans preuves, ou plutôt après avoir fait bien des raifonnements que nous ne concevons pas parfaitement nous-mêmes, après être parvenus jufqu'aux extrémités, de la fubtilité de la matiére, nous y trouvons une barriére infurmontable, qui eft le paffage de cette extrémité à la fubftance fpirituelle, & la maniére dont le corps matériel, quelque délié qu'il foit, peut agir fur l'efprit.

Tom. I.

La philofophie moderne vous donne à choisir de trois hypothéfes. La prémiére attribue à l'ame un pouvoir phyfique de remuer le corps, faculté qu'on peut feulement fuppofer fans l'enten dre dans deux fubftances hétérogénes.

Dans la feconde hypothéfe inventée par Leibnits, & qu'il appelle l'harmonie préétablie, il n'y a aucune influen ce des deux fubftances l'une fur l'autre; il n'y a qu'une rencontre momentanée des deux méchanifmes fpirituel & corporel. Leur correfpondance ne confifte que dans l'identité du temps, Dieu aïant tellement combiné l'un avec l'autre, que lorsque l'ame eft affectée d'une telle modification, le corps éprouve de fon côté celle qui lui répond. Ce fyftéme qui retranche toute communication des deux substan ces, eft une contradiction formelle du fentiment vif & perpétuel que chacun porte au dedans de foi.

Dans le troifiéme fyftéme des caufes occafionnelles, qui eft celui de Def. cartes & du P. Mallebranche, Dicu eft le lien & le méditateur de l'union de l'ame, & du corps. Les rapports réciproques établis par l'auteur de la nature, dans l'union de l'ame & du corps, font que l'ame a des affections à l'occafion de certains mouvements du corps, & que le corps exécuté des mouvements à l'occafion de certaines affections de l'ame. Nous ne pouvons rien imaginer au delà. L'étude la plus profonde de la nature, & la connoiffance la plus parfaite de l'anatomie, peuvent bien faire quelque progrés dans la découverte des effets que cette liaifon mutuelle produit au dedans de nous, & des refforts qui font remués par elle; mais l'efprit humain ne concevra jamais comment le fait cette communication des impref fions dans deux natures différentes, &

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foutenir

l'ame dans

néale.

en quoi confifte fa propre union, l'union d'une fubftance fpirituelle avec

un corps.

Quoique jaïe dit que Descartes avanRaifons de ce fans preuves, que la glande pineale l'hypothée eft le fiége principal de l'ame, il faut du fiége de avouer qu'il en donne une raifon vrai la glande pi femblable & ingénieufe; fçavoir, que les autres parties de notre cerveau font doubles, de même que nous avons deux yeux, deux mains, deux oreilles, & que comme nous n'avons qu'une feule penfée d'une même chofe en même temps, il faut qu'il y ait quelque lieu où les deux images tranfmifes par les deux yeux, où les deux autres impreffions qui viennent d'un feul objet, par les organes doubles des fens exté rieurs, fe puiffent affembler, & ne former qu'un espéce avant qu'elles parviennent à l'ame, afin que l'ame n'apperçoive pas deux objets au lieu d'un.

C'est une hypothéfe très foutenable, que les images & autres impreffions reçûës par les organes extérieurs de fens, fe réuniffent en cette glande par l'entremise des efprits, qui rempliffent les cavités du cerveau; & il n'y à aucun autre endroit dans le corps où elles puiffent être ainfi unies. Cette petite glande eft tellement fufpenduë en, tre les cavités du cerveau qui contiennent les efprits animaux qu'elle peut être mûë par eux en plufieurs dinérentes façons, & qu'elle peut auffi obeïr facilement aux impreffions qu'elle reçoit de l'ame. Les différents mouvements de la glande pinéale pouffent les efprits qui l'environment vers les fibres du cerveau, qui les conduifent par les nerfs dans les mufcles, au moien defquels ils remuent les membres. L'alté ration qui eft produite dans le cœur,

par le mouvement des paffions, n'est lentie comme dans le cœur, que par l'entremise d'un petit nerf qui defcend du cerveau vers lui, ainfi que la douleur eft fentie dans le pié par l'entremise des nerfs qui communiquent du pié au cerveau.Le fentiment que l'ame rappor✩ te au cœur, ne prouve donc en aucune maniére qu'il foit le fiége des paffions.

:

La glande pinéale a toutes les qualités convennables au fiége de l'ame. Il doit être une partie unique, afin que l'action du même objet fur deux organes, comme deux yeux, deux oreilles, ne produife fur l'ame qu'une feule impreffion fecondement cette partie doit être fort proche de la fource des efprits animaux, pour pouvoir aifément remuer les membres: troifiémement, elle détermine le cours des efprits animaux, d'une maniére conforme à la volonté. La glande pinéale réunit toutes ces propriétés.

anatomilles

au fujet de

On objecte à l'hypothéfe Cartéfien Objections ne fur cette glande pinéale, que les de quelques anatomiftes ne trouvent aucuns nerfs qui y aboutiffent, & qu'elle eft même la glande fouvent imperceptible. La réponse eft, que la communication des nerfs à la glande pinéale fe fait par l'entremise des fibres du cerveau, qui font fi déliées, qu'elles reffemblent à une efpéce de moële, au milieu de laquelle la glande eft fufpenduë.

Sténon, célébre anatomifte, foutient [d] que la glande pinéale n'eft point capable des mouvements que Defcartes lui attribuë; que les vaiffeaux dont elle eft entourée ne font point des artéres qui puiffent lui fournir la matiére d'efprits animaux, mais feulement des veines. Ce qui eft de certain, c'eft que la glande eft environnée d'une fubftance fidélicate, qu'il eft bien dif

[d] Lep. Daniel, dans le voïage du monde de Descartes. P.75.

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