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i

12.

Sentiments

ne.

régulier, & ces organes du corps humain, dont la structure paroît fi admirable.

Le fentiment de Pline [d] eft que la nature a produit touts fes ouvrages, en aqueftion, confidération de l'homme feul; mais lemonde qu'elle lui a fait païer bien cher cette fa. our l'hom-veur,& qu'il y a lieu de douter fi c'eft une bonne mére, ou une marâtre cruelle. Cette prérogative de l'homme, d'avoir été l'objet des ouvrages de la nature, eft niée par plufieurs philofophes. Sénéque [e] dans plufieurs endroits de fes ouvrages, foutient que le monde n'a pas été formé pour les hommes; que les dieux ont eu une intention plus haute, & des objets plus relevés; que cependant les avantages de l'homme font entrés pour beaucoup dans la confidération de leurs ouvrages. Suivant le raifonnement de Velleius dans Cicéron [f], les dieux n'ont fait le monde, ni pour eux-mêmes, ni pour les hommes. Ils ne l'ont pas fait pour eux-mêmes, puifqu'ils s'en étoient bien paffé pendant une infinité de fiécles: ils ne l'ont pas fait pour les hommes, car ce feroit ou pour les fages qu'ils auroient travaillé, ou pour les

Tom. I.

[d] Cujus hominis) caufâ videtur cuncta alia genuiffe natura, magnâ fævâ mercede contra tanta fua munera non fit ut fatis æftimare, parens melior homini, an triftior noverca fuerit. Plin. lib. 7. c. 1. [e] Senec, de benef. lib. 6. c. 23. de ira lib. 2.c.27.& natural, qusft lib. 6. c. 3. [f] Cic de nat. Deor. lib. 1.

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[g] Tum porrò puer, ut fævis projectus ab undis

Navita, nudus humi jacet infans, indigus omni

Vitaï auxilio, cùm primùm in lumi

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fols: les fages font en si petit nombre, que ce n'étoit pas la peine d'entreprendre pour eux un tel édifice; les fols ne meritoient pas une faveur, qui par leur folie ne fert qu'à les rendre malheureux. Lucréce fait tous fes efforts pour prouver que le monde n'a pas été fait pour les hommes, en décrivant les peines dont les hommes font accablés, les accidents aufquels ils font exposés, la foibleffe du corps humain, en comparaifon de ceux des bêtes. Un enfant qui vient de naître, dit-il [g], se trouve dans une indigence femblable à celle qui feroit caufée par le plus affreux naufrage. Il fait retentir l'air de fes gémiffements, comme s'il prévoïoit touts les maux aufquels il eft def tiné au lieu que les autres animaux croiffent & fe fortifient fans reffentir un fi grand nombre de befoins, la nature paroiffant en prendre un foin. particulier.

Pline [b]fait une peinture auffi trif te de cet enfant qui vient au monde, qui a les piés & les poings liés dans un maillot, & qui commence la vie par des pleurs & par des fupplices qu'il endure pour le feul crime d'être né. N n

At variæ crefcunt pecudes, armen-
ta feræque ;

Nec crepitacula eis opus funt, nec
cuiquam adhibenda eft
Alma nutricis blanda atque infracta
loquela:

Nec varias quærunt veftes pro tem-
pore cœli:

Denique non armis opus eft, non monibus altis,

Queis fua tuentur, quando omnibus omnia largè

Tellus ipfa parit, naturaque dædala

rerum. Lucret. lib. 5.

[b]Jacet manibus pedibufque devinctis, flens animal, cæteris imperaturum, & à fuppliciis vitam aufpicatur, unam tantum ob culpam, quia natum eft. Plin, prefat. lib. 7.

Erafme donne de grands éloges au coq de Lucien [k]. Cet Oifeau aïant paffé au moïen de la métempfychofe, par toutes les conditions les plus relevées & les plus abjectes; après avoir été philofophe, femme, roi, poiffon, cheval, grenouille, éponge même, aïant à peine une ame fenfitive, il jugea que le pire de touts les états eft celui de l'homme, parce que chaque efpéce eft contente des bornes que la nature lui a prefcrites, & que l'homme feul fe tourmente pour les franchir.

Gryllus, un des compagnons d'Ulyffe, qui avoient été changés en pourccaux par Circé, foutient [à Ulyffe, que la condition des bêtes eft préférable à celle des hommes.

Les bêtes manquent à la verité de prévoïance; il ne leur arrive donc jamais que des maux imprévûs & inopinés. Quel avantage fur les hommes, qui font plus tourmentés des maux qu'ils craignent, que de ceux qu'ils éprouvent! Les poëtes ont feint que Prométhée [m], dont le nom fignifie prévoïance avoit été livré par les dieux jaloux à des maux rigoureux, pour avoir procuré au genre humain de trop grands avantages; ils devoient plutôt mettre Prométhée à la tête des génies malfaifants, comme aïant attiré aux hommes les calamités les plus funeftes.

Sur quoi eft fondée la vanité de l'homme Chaque efpéce de bête peut fe croire la plus favorifée de la nature.

[i] Proinde nunquam fatis laudarim gallum illum Pythagoram, qui cùm unus omnia fuiffet, philofophus, mulier, rex, privatus, pifcis, equus, rana, ut opinor, etiam & fpongia, tamen nullum animal judicavit calamitofius homine, propterea quod cætera omnia naturæ finibus effent contenta, folus homo fortis fuæ limites

Pourquoi un oifon ne dira-t'il pas, Toutes les parties de l'univers font faites pour moi? La terre me fert à marcher, le foleil à m'éclarier, les étoiles à m'envoïer leurs influences. Les eaux font destinées à m'abbreuver, à me baigner, à me rafraîchir. Il n'eft rien que la voûte du ciel regarde avec tant de complaifance que moi. Je suis le mignon de la nature; l'homme, cet animal fi fier me loge, me nourrit, me fert. C'eft pour moi qu'il travaille; les femailles & les moiffons préparent mes aliments. Si l'homme me mange, ne mange til pas auffi fon femblable? & je mange bien moi les vers, qui tuent & mangent l'homme. Une grue feroit encore mieux fondée à vanter l'excellence de fa condition pour la liberté de fon vol, & la possesfion de la belle & haute région de l'air. La brebris ne doit-elle pas regarder en pitié un animal nud, & fouffrant toutes les injures de l'air, privé des vêtements qu'elle a reçus de la nature? Le lion ne doit-il pas méprifer l'homme, animal foible, défarmé, & exposé à toute forte d'injures? C'est ainsi que la nature [] flateufe eft habile à infpirer l'amour propre à tout ce qu'elle produit.

3

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L'abus qu'il fait de fes lumiéres, n'en diminuë pas l'excellence; & cette inquiétude qui l'agite, fe change en une paix intérieure, lorfque ceffant de fe tourmenter pour des biens terreftres & périffables, il n'eft occupé que de remplir d'une maniére vertueufe les devoirs de fon état, & qu'il travaille à mériter les biens céleftes & éternels, pour lefquels feuls il a été créé.

L'homme eft appellé [q] l'image & la reffemblance de Dieu. Il eft vrai qu'il eft déchû de ce prémier état par le péché d'Adam; mais la nouvelle alliance qui s'est faite entre Dieu & l'homme, par la médiation du divin Sauveur, a réparé la perte que l'homme

[P] Galen.de ufu partium, lib. 1. c. 4, [q] Genef.c. 1.

[r] Nonne omnes funt administratorii fpiritus,in minifterium miffi propter eos, qui hereditatem capient falutis? S. Paul.. epift. ad Hebr. c. 1. v. 14.

[s] Quod fi jam ignorem rerum primordia quæ fint,

Hoc tamen ex ipfis cœli rationibus. aufim

Confirmare, aliifque ex rebus redde..

re multis,

Nequaquam nobis divinitus effe pa

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avoit faite, & l'a comblé des biens encore plus précieux,que ceux qui étoient attachés à fa prémiére condition : & fuivant que S. Paul [r] nous l'apprend, les anges mêmes font créés pour le fervice des élus.

I 3.

aux objec

Il est aifé de répondre aux objections. contre la providence fondées fur quel- Réponses ques prétendues [s] defectuofités de tions conla nature, & fur les fouffrances [t]tre la pro des gens de bien, & la profpérité des méchants. Voici les principales de ces. objections.

Cicéron a dit que les méchants qui, profpérent, portent témoignage contre les dieux; & Sénéque []a appellé. le bonheur de Sylla le crime des dieux.

Epicure [x], Ennius [y], Lucréce & Pline [z], en reconnoiffant l'exiftence des dieux, nioient leur providence. Funefte aveuglement! Nier la providence, c'eft dépouiller Dieu de fon effence, c'eft lui ôter les attributs de fageffe, de toutepuiffance, de bonté, de juftice, de miféricorde, qui font Dieu même.

Il s'eft élévé des opinions également. abfurdes & impies fur le mal. Les uns,

Nn 2

in Rufin. S. Ambrof.in epift. Paul ad Corinth.
1. Minut. Felic. Oftav. c.
[u]Crimen Deorum Sylla tam felix. Sen.
Abftulit hunc tandem Rufini pœna
tumultum,

Abfolvitque deos. Claudian.:
Nullos effe deos inane cœlum
Affirmat Celius, probatqne, quod fe
Factum, dum negat hæc, videt

beatum. Mart.

vidence.

Cum fanum Locris expilaffet Dionyfius, navigabat Syracufas; cùmque fecundif. fimum curfum teneret, videtis, inquit, amici, quàm bona à diis immortalibus navigatio facrilegis detur. Cic. de nat,deorum lib. 3.

[x] Diog. Laert. in Epic.

[y] Ego deûm genus femper effe dixi & dicam cœlitum,

Sed eos non curare arbitror, quid agat humanum genus. Ennius 。. [2] Plin. lib. 2. c. 7%.

comme les Manichéens,les Marcionites, les albigeois ont foutenu qu'il y avoit deux principes [4], indépendants l'un de l'autre, & également éternels: les Perfes avoient auffi leur Oromafe & leur Arimanius;d'autres,endétruifant la liberté, comme les Calviniftes [b], ont attribué par une conféquence néceffaire,la caufe du mal à la fource de tout bien.

La liberté de l'homme eft un des biens des plus prétieux & des plus effentiels qu'il tienne de fon créateur; mais lorfque l'homme en a abufé, il a fait du principe du bien, la fource du mal même. La nature corrompue s'eft révoltée contre Dieu, dont l'effence eft de n'être pas moins jufte que miféricor. dieux. Les péchés de l'homme lui ont fait perdre la grace de fon créateur;& le mal ne peut nou plus être attribué à Dieu,que les ténébres au foleil [c],lorf qu'il va éclairer l'autre hémisphére.

Leibnits a eu une idée très finguliére fur le mal. Le fyftéme de fa Théodicée eft qu'il y a plufieurs mondes poffibles; que Dieu compara le bien & le mal contenus dans chaque monde, & la proportion de bien & de mal qui fe trouve entre eux touts; que le monde actuellement exiftant a été préféré, comme renfermant plus de bien & moins de mal, ce qui l'a fait paffer de l'état de poffibilité à l'état d'exif. tence. On auroit peine à trouver dans toute l'antiquité une idée métaphifique plus creufe, que cette penfée d'un philofophe de nos jours.

En vain la critique des impies atta[a] Diet, de Bayle, art. Manés art. Marcion.

[b] Calvin inftit.

- [c] Quare peffimè agunt, qui verbis turpibus audent

Irritare Deum fummum, qui caufa bonorum

Cunctorum eft, à quo per fe propriequemali nil

Effe poteft ufquam, nifi contingen tex, uti fol

que-t-elle le grand ouvrage de l'uni vers; ce qui paroît défectueux à notre efprit borné, eft une portion du dessein général que nous ne fommes pas capables de confidérer avec des vûës affez étendues & affez fimples, pour juger de la perfection de tout. Quand nous verrons en Dieu, à la fin des fiécles, le total de fes ouvragesdans leur vrai point de vûe,& leurs proportions par rapport aux deffeins de la majefté divine, nous connoîtrons avec bien plus d'étenduỡ la fageffe infinie & la providence de l'être fupréme: perfuadés maintenant de la foibleffe & des bornes étroites de nos lumières, contentons-nous de dire (d):Qui peut fçavoir les deffeins de Dieu? qui peut pénétrer dans fes volontés?

Les chofes mêmes qui nous paroif fent les plus défectueufes, renferment plufieurs utilités fenfibles à ceux qui les examinent à fond. On tire d'excellents remédes des ferpents; les araignées purifient l'air; les vers fervent à humilier l'homme. D'ailleurs on peut bien conclure des charactéres de fageffe, que nous remarquons dans le monde, qu'il y a un Dieu, parce qu'alors nous raifonnons fur ce qui nous eft connu ;. mais nous ne pouvons pas inférer de l'ignorance, qui nous empêche de reconnoître ces mêmes charactéres de fageffe en d'autres parties de l'univers,qu'il n'y ait point de providence: parce que ce qui eft connu, ne peut jamais fervir de principe dans un raisonnement.

Le livre de Job, fuivant quelques [e] commentateurs, eft un poëme qui a Producit tenebras, quoties defcendit ad imos:

Antipodas, frigufque abfente creatur ab igni.

Non tamen obfcurus fol eft, neque frigidus ignis. Marcell. Paling. Zodiac, cant. 8. in Storp,

[d] Quis enim hominum poteft fcire confilium Dei? aut quis poterit cogitare quid velit Deus? Sapient. c. 9. v. 13. [e] Préf de D. Calmet, fur Job „

pour objet de défendre la providence contre les objections des impies, qui prenoient occafion de difputer con tre elle, de ce qu'il arrive touts les jours qu'un grand nombre de méchants femble être fort heureux en cette vie, tandis que les hommes de bien traînent fouvent leur vie dans la mifére & dans l'affliction.

Quelques méchants profpérent, la vertu eft quelquefois opprimée, & le vice impuni. Pour en conclure que c'eft une injuftice, il faudroit prouver que les méchants goûtent un véritable bonheur, que le crime n'eft pas à foi-même un bourreau implacable, que la vertu s'eftime malheureufe, que non feulement l'exemple eft quelquefois différé, mais que le crime échappe en tiérement à la vengeance; il faudroit prouver que ce que nous appellons profpérité & fortune, n'eft pas une apparence fauffe & une ombre vaine, qui s'évanouit, il faudroit prouver que eette terre, ce lieu d'exil, où la vertu & le crime ne rencontrent pas toujours ce qui leur eft dû eft le feulendroit où fe doivent recevoir les récompenfes & les punitions; enfin il faudroit prouver que notre efprit eft capable de juger des vûës infinies & gé nérales de la providence.

La foibleffe des objections met la vérité dans un plus grand jour. La prof périté des méchants, & les fouffrances des gens de bien font des preuves très convaincantes d'une autre vie deftinée à remplir lordre troublé maintenant par la malice des hommes. Nous trou

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vons donc dans les événements mêmes qui nous paroiffent irréguliers, la preuve de la providence. Reconnoiffons avec S. Auguftin [f], qu'elle s'étend non feulement aux anges & aux hommes, mais aux animaux les plus petits & les plus méprifables, & que rien dans la nature n'eft abandonné par elle.

14.

des Payens fur la pro

Il n'eft pas étonnant d'entendre par- Sentiments ler ainfi un grand docteur de l'églife; fublimes mais cette même vérité a éclairé quelques efprits dans les ténébres épaiffes vidence. du Paganifme. Cicéron [g] déclare que les dieux font les maîtres & les modérateurs de toutes chofes ; que riem n'arrive que par leurs ordres; que la providence divine a foin non feulement du genre humain, mais de chaque particulier. On ne peut lire fans. admiration ces defcriptions éloquentes que Platon [h]& Cicéron [i] ont faites de la conftruction de l'univers & du corps de l'homme, pour prouver la fageffe de l'ouvrier par la beauté & la régularité de l'ouvrage.

Xénophon [k] fait tenir ce dif cours à Socrate, après avoir dabord fait obferver à Ariftodéme touts les charactéres de deffein, d'art & de fageffe répandus dans l'univers, & furtout dans la conftruction du corps humain. Croïez-vous, ô Ariftodeme, croiez-vous que vous foïez le feul être intelligent; Vous fçavez que vous ne poffédez qu'une petite parcelle de cette matiére qui compofe le monde, une petite portion de l'eau qui l'arrose, une étincelle de cette flamme qui l'anime: L'intelligence vous appartient

Nn 3

eorum geri judicio & numine; neque uni-
verfo generi hominum folùm, fed etiam.
fingulis à diis immortalibus confuli & pro-.
videri. Cic. denat, deor, lib. 2.
[b] Plat. in Tim.

[i] Cic. de nat, deor. lib. 2.
[k] Xenoph. memorabil, Socrat, lib. 1.

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