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des Préadamites.

de l'infini. Ce qui exifteroit ne pourroit pas être une chofe produite, car il faudroit qu'elle eût été produite par une caufe éternelle, ou par une caufe qui eût elle même été produite. Elle ne peut pas avoir été produite par une caufe éternelle, puifqu'il vient d'être prouvé que ce qui exifte ne peut être éternel; elle ne peut pas non plus avoir été produite par une caufe qui eût elle-même été produite, parce qu'il feroit impof fible de trouver une prémiere caufe, & qu'il faudroit remonter à l'infini. Cet argument de Gorgias,par lequel il prétendoit détruire l'exiftence de touts les êtres, & notre propre exiftence dont Hous ne pouvons pas douter, fournit une excellente preuve de la divinité, puifqu'il en résulte cette vérité évidente, qu'il eft impoffible qu'aucun être exifte, à moins qu'il n'y ait une être infini & éternel; qui rempliffe touts les lieux de fon immenfité, & qui foit la cause univerfelle de touts les êtres.

L'opinion hérétique [e] d'Ifac de Opinion la Péreyre auteur du fyftême des Préadamites a été, que la création du monde dont il eft parlé dans le fecond chapitre de la genéfe eft différente de celle dont il eft parlé dans le prémier. Que Moyfe dans le prémier chapitre a parlé de la création des hommes en général dans toutes les parties du monde, & que dans le fecond il n'a parlé que de la création particulière d'Adam & d'Eve. Il fuppofe qu'entre ces deux créations, il y a peut être un grand nombre de fiécles; que Moyfe a diftingué Adam des autres hommes; pour cette raifon feulement qu'il a été la tige de la nation Juive; que le déluge ne fut pas univer

[e]La Péreyre publia en 1655.fon livre initulé Præadamitæ, & il l'accompagna d'un autre intitulé: Syftema theologicum ex Præadamitarum hypotefi. Ces deux liures

fel; mais particulier à la Judée, & que touts les hommes ne defcendent pas de Noë; que les Gentils créés dans les différentes contrées de la terre habitable long temps avant Adam mouroient non pour avoir péché, mais parce qu'ils étoient compofés d'une matiére fujéte à corruption.

Les Orientaux ont auffi leurs vifions.

,

fur la création du monde. Thémédi [f) rapporte que Dieu prit plufieurs fortes de terres pour former le corps d'Adam qu'elles étoient différentes. en couleurs & en qualités ; que c'est la caufe pour laquelle il y a des hommes blancs & noirs, jaunes ou rouges; & que c'eft auffi par cette raison que les humeurs & les complexions des hommes font i différentes. Ebn Abbas dit que lors de la création, il fut paffé un contrat entre Dieu & les hommes, par lequel tout le genre humain s'obligea de reconnoître Dieu pour fon fouverain Seigneur, que c'est le pacte dont il eft parlé dans l'Alcoran au chapitre intitulé Aaraf. Voici de quelle maniére cet aveu fut rendu : Dieu tira des reins d'Adam toute sa pol térité fous des figures moindres que cel le des fourmies. Il adreffa la parole à touts les hommes, leur difant, Ne fuis-je pas votre Seigneur ? Les petits hommes doués d'une intelligence mo mentanée pour faire leur hommage ;. répondirent, Oui, & reconnurent Dieu pour Seigneur. Les uns ont écrit que ces états généraux du genre humain furent tenus dans la vallée de Nooman près du mont Arafat; mais les autres: foutiennent que ce fut dans la plaine: de Dahia aux Indes. Dieu renvoia en. fuite les hommes dans les reins de leur

contenoient toutes fes erreurs qu'il a retractés, [f] Biblioth. Orient.d'Herbelot fur Adam P. 54.

prémier pére pour germer fucceffivement, & dans les temps qui leur étoient marqués jusqu'à la fin du monde.

Bernier [g]rapporte une opinion, de quelques philofophes Perfans, qui prétendent que Dieu a tiré de fa propre fubftance toutes les ames, & même tout ce qu'il y a de matériel dans l'univers,de la même maniére qu'une araignée produit une toile qu'elle tire de fon nombril, & qu'elle reprend quelquefois. La création,fuivant cette extravagante hypothéfe,n'eft autre chofe qu'une extraction & une extenfion que Dieu fait de fa propre fubftance & de ces rets qu'il tire comme de fes entrailles: de même que la deftruction n'eft autre chofe qu'une reprife que Dieu fait de sa substance, de ces divins rets qu'il fait rentrer: de forte que dans le dernier jour du monde torfque tout fera détruit,cette deftruction fera une reprise générale que Dieu fera de touts les rets qu'il avoit tirés hors de lui-même. Des penfées fi abfurdes font précisément les mêmes que cel les d'un philofophe des plus célébres de F'antiquité; & Diogéne de Laërce [b] explique ce fentiment ridicule comme aiant été celui de Zénon chef des Stoïciens.Toute la fecte Stoïque croïoit que Dieu eft l'ame du monde, & que le monde eft le corps de Dieu; qu'ainfi le monde eft animé, & qu'il n'y a qu'une ame univerfelle.

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Platon dit[i]que Dieu en créant l'ame de l'univers a obfervé la proportion des nombres; doublant les uns, triplant les autres, multipliant quelques uns par fept & dautres par vingt-fept.

Zénon fe fervoit de cet argument pour prouver que le monde eft raisonnable. Ce qui eft doué de raison eft meileur que ce qui en eft privé: le monde eft ce qu'il y a de meilleur,donc le monde eft raison. nable. Cicéron [k] fe mocque de cet argument. Il n'y a rien dit-il, de meilleur dans la nature que le monde; auffi n'y a-t'il rien de meilleur dans le monde que la ville de Rome. Dirons nous pour cela qu'ella a en partage la raifon & la penfée ? ou parce qu'elle eft privée de fentiment, ferons-nous obligés d'avouer qu'une fourmie lui eft préférable? Suivant le même argument de Zénon, il faut conclure que le monde eft lettré: car ce qui eft orné des belles lettres, elt préférable à ce qui n'en a aucune teinture: or il n'y a rien de meilleur que le monde, donc le monde eft orné des belles lettres. Sur le même principe, nous attribuerons au monde l'éloquence, la connoiffance des mathématiques, la mufique, toute forte de fciences, & enfin la philofophie.

L'ame générale & univerfelle du monde fe trouve chez les poètes [7], auffi bien que chez les philofophes;mais nous aurions beau parcourir touts les Mm 3

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fiime.

païs toutes les festes, touts les auteurs Abfurdités nous ne trouverons rien de plus infenfe du Spino- que le Spinofilme dont l'opinion fonda mentale eft que le monde exifte par luimême,& que le monde eft Dieu,n'y aïant qu'une feule & même fubftance. C'eft l'affemblage de plufieurs abfurdités des anciens. Xénophane chef de la fecte Eléace avoit enfeigné autrefois qu'il n'y a qu'une feule fubftance.Platon[m]a pouf fé fi loin l'éloge du monde qu'il l'a appellé un Dieu très-bon & très-grand. Cléanthe [n] & Pline [o] ont auffi tenu que le monde eft Dieu.

Lactance [p]& S. Auguftin [9]ont réfuté le Spinofilme, environ treize fiécles avant que Spinofa lui donnât fon nom. Si tout ce que nous voïons, dit Lactance,est Dieu, la divinité eft un compofé de parties corruptibles & périffables. Les membres de Dieu font exposés à une cruelle violence; car lorfque nous cou. pons les montagnes, ou que nous fouillons dans les entrailles de la terre; lorf que feulement nous labourons,c'eft met tre en piéces les membres de Dieu.

pofque liquentes, Lucentemque globum Lunæ, Titaniaque aftra

Spiritus intus alit: totamque infufa per

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Opini

L'opinion des Millénaires a été fort.en vogue dans les prémiers fiécles de l'Egli fe: ils fe fondoient fur un paffage[r] du des Mil dernier chapitre d'lfaïe, & fur un du naires. vingtiéme chapitre [ ] de l'Apocalypfe mal entendus. Papias, S. Jrénée, Nepos évêque d'Egypte, S. Juftin, Tertullien, Victorin, Lactance, & plufieurs autres faints & fçavants docteurs de l'Eglife fuivirent ce fentiment. Il a été renouvellé dans ces derniers temps par Jurieu, qui l'accompagne de plufieurs prophé ties qu'il interpréte conformément à fes. vûës. Les Millénaires croioient [ ]que Jésus-Chrift viendroit régner mille ans fur la terre, entre la réfurrection & le jugement dernier; que pendant cet efpace de temps, les juftes s'affembleroient à Jerufalem, & jouiroient de toute forte de délices de l'efprit & du corps.

Les Chrétiens de la primitive Eglife n'ont pas l'aiffé de faire des conjectures fur la durée du monde, quoiqu'il foit dit dans l'évangile [z], que le jour & l'heure de la fin du monde font ignorés des anges mêmes, & ne font connus que de

[o] Mundum numen effe credi par eft;
æternum, immenfum, neque genitum,ne-
que interiturum unquam. Plin.l.2 c.1.
[p] Lactant. inftit. lib. 7.

[q] S.Aug.de civ.Dei, lib.4.c.12.13.
]r] Ifai.c.ult. v. 22..

[s] Et apprehendit draconem, ferpentem antiquum, qui eft diabolus & fatanas, & ligavit eum per annos mille: & mifit eum in abyffum,& claufit,& fignavit fuper illum, ut non feducat amplius gentes, donec confumentur mille anni..... Beatus,& fan&us qui habet partem in refurre&tione primâ: in his fecunda mors non habet poteftatem, fed erunt facerdotes Dei & Chrifti, & regnabunt cum illo mille annis.. Apocal.c.20.v.2.3, 6.

[t] Eufeb.lib.7. c.24. S. Aug de harefib. S. Hieron, in Ifai.c. ult. Baron, annal, ad ann.. 264.373.

[u] De die autem illâ & horâ, nemo fcit, neque angeli cælorum, nifi folus Pas ter. Matth. c. 24. U-36.

10.

fyftême

Dieu feul. Plufieurs anciens auteurs ont écrit que chaque jour de la création fignifie an millier d'années, & que le jugement dernier fera dansle feptiéme. Selon le calcul des Septante, le terme eft paflé; car en fuivant leur fuputation, le monde eft dans le huitiéme millier

d'années.

Perfonne n'ignore que beaucoup de Philofophes ont attribué la formation de l'univers au concours fortuit des atomes. C'eft fur ce principetraité par les Payens eux-mêmes d'infenfé,queDemocrite & Epicure avoient fonde leurs fyftêmes. Cicéron réfute[x] ainfi cette opinion: Qui ne feroit étonné de trouver quelqu'un qui puiffe fe perfuader que des corpufcules folides & indivifibles, en fe choquant par leur force & leur pefanteur, aïent pû produire ce magnifique arrangement de l'univers, & que toutes les beautés qu'il renferme, viennent d'un concours fortuit de ces atômes? Celui qui peut trouver quelque vraisemblance dans un tel fentiment, ne doit-il pas s'immaginer auffi que les ouvrages des poëtes n'ont aucun auteur, & que les annales d'Ennius, par exemple, ont été produites par le concours

[x] Hic ego non mirer effe quemquam, qui fibi perfuadeat corpora quædam folida atque individua vi & gravitate ferri, mundumque effici ornatiffimum & pulcherrimum,ex eorum corporum concurfione fortuitâ? hoc qui exiftimat fieri poffe, non intelligo cur non idem putet, fi innumerabiles unius & viginti formæ litterarum vel aureæ vel qualeslibet aliquò conjiciantur, poffe ex his in terram excuffis,annales Ennii ut deinceps legi poffent effici:quod nefício annæ in uno quidem verfu poffit tantum valere fortuna. Cic de nat. Deor, lib.2.

[y] Lumina ne facias oculorum cla

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fortuit des lettres de l'alphabet jettées au hazard: quoiqu'à dire vrai, je ne puisse pas comprendre que ce concours fortuit de lettres pût jamais produire un feul vers.

Lucréce, qui eft entiérement Epicurien, rapporte tout au hazard, comme file hazard étoit quelque chofe de réel par lui-même, & qui pût être une cause efficace.Cepoëte renverfe toutes les idées naturelles, & prétend que les parties du corps humain n'ont pas été difpofées [y] pour les ufages que l'homme en fait,mais que ces ufages font venus de la difpofìtion & de la figure que les hommes ont trouvées dans les différentes parties de leur corps: qu'ainfi nos membres & nos organes n'ont pas été faits pour notre fervice; mais que leur conftruction faite au hazard, a donné occafion au fervice que nous en avons tiré.

Galien [z] réfute cette penfée, en difant que chaque animal fent d'avance,& fans qu'il foit befoin de l'en inftruire, fes facultés, & les ufages aufquels les parties de fon corps ne font pas encore formées; qu'ainfi l'on voit souvent un veau faire fes efforts pour frapper de fes cornes avant que d'en avoir.

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TI.

Rien ne

connoillan.

men de la nature.

Ce même auteur [d], enexaminant la conduit ftructure du corps humain, fait ces belmieux à la les réflexions, qui prouvent que rien ce de Dieu ne conduit mieux à la connoiffance de que exa- Dicu, que l'examen de la nature. En même temps que j'écris ces livres, dit-il je compofe un véritable hymne à celui, qui nous a créés,& j'eftime que la folide piété ne confifte pas tant à lui offrir plufieurs centaines de taureaux, ni à lui préfenter les parfums les plus exquis, qu'à reconnoître, & à faire enfuite remarquer aux autres hommes quelle eft fa fageffe, fa puissance & fa bonté. Car enfin, d'avoir mis toutes choses dans l'ordre & dans la difpofition la plus convenable pour les faire fubfifter, & d'avoir voulu que tout fe reffentît de fes bienfaits, c'eft une grande preuve de fa bonté, que nous ne pouvons affez célébrer par nos louanges; d'avoir emploïé touts les moïens néceffaires pour établir cette belle difpofition, marque fa fageffe; comme d'avoir fait tout ce qu'il lui a plû, marque fa toute puissance:

Galien dit ailleurs[b]: Nous admirons Polycléte, à caufe de la beauté & des juftes proportions qu'il a fçû donner à toutes les parties d'une ftatue; refuferons-nous, je ne dis pas les louanges dues à la nature, mais même d'y reconnoître aucun art, pendant qu'elle obferve les mêmes jufteffes, non feulement dans les parties extérieures de notre corps, à la maniére des ftatuaires, mais auffi dans les interieures & les plus cachées?

Un illuftre archevêque [c Ja donné plus d'étendue à cette comparaifon de Galien. Qui trouverait, dit-il, dans une ifle déferte & inconnue à touts les hommes, une belle ftatuë de marbre, diroit auffi-tôt fans doute, il y a eu ici des

[a] Galen de ufu partium, lib.3.c.10. [b] Galen.de ufu partium, lib.17.0.1,

hommes. Je reconnois la main de quelque habile fculpteur,j'admire avec quelle délicatesse il a fçû proportionner les membres de ce corps, pour leur donner tant de beauté, de grace, de majesté, de vie, de tendreffe, de mouvement & d'action. Que répondroit un homme, si quelqu'un s'avifoit de lui dire: Non, un fculpteur ne fit jamais cette katuë: elle eft faite, il eft vrai, felon le goût le plus exquis, & dans les régles de la perfection, mais c'est le hazard tout feul qui l'a faite. Parmi tant de morceaux de marbre, il y en a un qui s'eft formé ain. fide lui-même: les pluïes & les vents l'ont détaché de la montagne ; un orage très violent l'a jetté tout droit fur ce pié-d'eftal, qui s'étoit préparé lui-même dans cette place. C'eft un Apollon parfait, comme celui du Belvédére; c'est une Venus qui égale celle de Médicis ; c'est un Hercule qui reffemble à celui de Farnéfe. Vous croiriez, il eft vrai, que cette figure marche, qu'elle vit, qu'elle va parler: mais elle ne doit rien à l'art, & c'eft un coup aveugle du hazard, qui l'a fi bien finie & placée.

Toutes ces comparaifons ne peuvent exprimer entiérement l'abfurdité du fyftême des atomes. Car quelque impoffibilité que nous concevions à attribuer cette ftatue à la pluie, aux vents, & à un bloc de marbre informe, au moins ces caufes existent dans la nature. Mais un mouvement des atomes en partie direct, & en partie tranfverfal fans caufe, & l'accrochement qui en réfulte, font des chofes plus ridicules encore, s'il fe peut, que l'effet qui leur eft attribué par les ef prits forts, d'avoir produit fortuitement ces planétes dont le cours eft fi régulier,

[c] Fénelon Archev. de Cambrai, de l'existence de Dieu.

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