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rouge,à la vûë de laquelle Marthe Broffier fit la forcenée,comme fi ç'eût été un morceau de la vraie croix;& en récitant des vers de Virgile, que le démon de Marthe Broffier prit pour les mots deftinés aux exorcifmes.Henri de Gondi cardinal,évêque de Paris, la fit examiner par cinq médecins de la faculté.Trois furent d'avis qu'il y avoit beaucoup d'impofture, & un peu de maladie;un quatriéme dit qu'il etoit à propos d'attendre trois mois pour le déterminer; un cinquiéme trouva en elle les véritables marques de la poffeffion. Le parlement prit connoiffance de l'affaire, & nomma onze médecins, qui rapportérent unanimement qu'il n'y avoit rien de démoniaque en cette affaire. Cette fille fut renvoiée à Romorantin, d'où on la tira en fuite pour la conduire à Rome; elle y attira peu d'attention, & on ceffa bientôt d'en parler.

Environ trente ans après, la prétendue poffeffion des Religieufes de Loudun eut une fin bien plus tragique; & le fupplice de Grandier a été attribué à la plus horrible vengeance.

Strabon [b] témoigne que Serapis Prétendues guériffoit les malades qui l'invoquoient; guérifons miraculeu- & que dans le temple de ce dieu, on tefcs. noit des regiftres des guérifons & des mi

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racles qu'il avoit operés. On lit [i]dans Gruterus une infcription Grecque, gravée fur une table de marbre,qui eft con-. fervée dans le palais Maffée. En voici la traduction.

L'oracle d'Efculape dit à un aveugle appellé Caius, de s'approcher de l'autel, de s'y mettre à genoux, de pafser du côté droit au côté gauche, de mettre fa main fur l'autel,& de la porter enfuite fur fes yeux; & la vûe lui fut rendue en préfence du peuple,qui témoigna fa joie de ce qu'il fe faifoit de fi grands prodiges fous notre empereur Antonin. A Lucius attaqué d'une pleuréfie,& défefpéré de touts les médecins,l'oracle dit de s'approcher, de prendre des cendres fur l'autel,de les mêler avec du vin,& de les appliquer fur fon côté; après quoi il fut guéri.Il rendit publiquement graces au dieu du rétablissement de fa fanté, & le peuple s'en réjouit avec lui.

Tertullien [k] reconnoît qu'Efculape a rendu la fanté à trois perfonnes qu'il nomme, & il ajoute qu'un Chrétien eft en état de faire avouer à ce prétendu Efculape,& autres faifeurs de pro. diges,qu'ils ne font que desdémons.S.Pru. dence[/]a décrit dans fes vers la puiffance des exorcifmes fur les malins efprits. Le penchant à débiter du merveil

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Exulat; & notos fufpirat Juppiter ignes.

Intonat antiftes Domini, Fuge S. Prudent. apotheof adverfus Judeos.

29.

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feux, & à raconter des miracles,eft fi grand, que quoique Mahomet dife en plufieurs endroit de l'alcoran,qu'il ne fait aucun miracle, les écrivains fabuleux Mahométans lui en attribuent plufieurs en quoi ils font défavoués par les plus fçavants docteurs de leur loi. Ces miracles font[],que Mahomet fendit la lune en deux,que les arbres allerent fouvent à fa rencontre,qu'il jailliffoit des fontaines de fes doigts,que les pierres le faluoient, qu'il raffafia une multitude nombreu le avec peu de vivres,qu'un chameau lui parla,qu'une épaule de mouton l'avertit qu'elle étoit empoisonnée.

Le raviflement de Mahomet dans nes lept les cieux,de la manière dont cet impof Mahomet. teur l'a raconté, tient lieu d'un grand miracle parmi fes fectateurs, & il fert de fondement à toute la religion. Maho

métane..

Mahomet dit que l'ange Gabriel lui amena à la Mecque l'Alborak monture des prophétes, tenant du cheval & du chameau, qui étoit d'une blancheur éclatante,& d'une viteffe incroïable,qu'étant monté deffus,l'ange Gabriel le conduifit par la bride à Jérufalem; qu'il y trouva, au fortir du temple,une échelle de lumiere par laquelle ils montérent au prémier ciel.Il y rencontra Adam avec plufieurs anges, & ce prémier ciel étoit d'argent.Il y vit un coq auffi blanc que la neige,& fi grand que, fes piés étant fur le prémier ciel,il touchoit de la tête au fecond ciel, quoique tous les cieux foient éloignés l'un de l'autre d'une journée de 500 ans,à proportion duchemin que nous avons coûtume defaire en voiageant fur la terre. D'autres interprétes donnent à ce coq une bien plus grande étendue,l'êlevant jufqu'au feptiéme ciel, qui eft le trône de Dieu. Touts les ma

[m] Prideaux, vie de Mahomet.

Le conte du coq eft emprunté du Talmud

tins,Dieu chantant un hymne, ce coq y joint fa voix[n]; ce qui fait que touts les coqs de la terre chantent auffi à la même heure. Mahomet paffa au fecond des cieux, qui eft de puror;il y rencontra Noë,& deux fois autant d'anges que dans le prémier. Dans le troifiéme ciel, qui eft de pierres précieufes, il trouva Abraham avec un plus grand nombre d'anges encore. Unde ces anges entr'autres,étoit fi grand,que la diftance de fes deux yeux, fuivant la proportion de nos voiages d'ici bas, feroit un voïage de foixante & dix mille journées. L'ef pace qui eft entre les deux yeux étant à proportion de la hauteur d'un homme, comme un à foixante & douze, la hauteur de cet ange devoit être l'efpace d'un voïage de quatorze mille ans ; ce qui eft quatre fois autant d'étenduë que Ma homet en donne aux fept cieux enfemble:ainfi par une abfurdité évidente, il fait cet ange trop grand pour y être contenu.C'étoit l'ange de la mort, qui écrit les noms de touts ceux qui naiffent, calcule leurs jours; & lorfqu'il trouve ces. jours remplis, il efface les noms de ceux qui meurent.Mahomet fut enfuite tranfporté au quatrième ciel, qui eft d'émeraudes;il y trouva Jofeph fils de Jacob, avec une quantité d'anges innombrable;. & un entr'autres qui pleure continuellement les péchés des hommes. Mahomet élevé au cinquiéme ciel, qui eft de diamant,y rencontra Moyfe, & un nombre d'anges encore augmenté. Dans le fixiéme ciel, qui eft d'efcarboucle,Mahomet trouva Jean-Baptifte,& le nombre d'anges plus grand que dans aucun des cieux précédents.Le féptiéme ciel eft tout de lumiére divine. Mahomet y vit JéfusChrift.Là Gabriel l'attendit,ne lui étant pas permis de l'accompagner plus loin

LI 2

Babylonien on peut voir ce que les Talmudiftes, en ont dit dans la Syn.Jud.de Buxtorf, ch, 50..

30, Légéreté &

dénons.

Mais le prophéte monta jufqu'au trône de Dieu,dont il approcha à deux portées de fléches;& après qu'il eut reçu les inftructions de Dieu même,l'ange Gabriel le ramena par le même chemin. Tout cela fe paffa dans la dixième partie d'une

nuit.

Tertullien [o] dit que les anges & les vitefle des démons parcourent en un moment toute la terre.Doit-on attribuer à cette prodigieufe légèreté des démons, ou aux vûës pénétrantes de la politique,ce qui a été attefté par tant d'auteurs, de la promptitude avec laquelle les nouvelles de certains grands événements ont été apprifes?

L'armée navale des Grecs, comman dée par Léotychide roi de Lacédémone [p], remporta une mémorable victoire fur les Perfes à Mycale, le même jour que Mardonius général de l'armée de terre des Perfes fut défait à Platées, par Paufanias l'autre roi de Lacédémone,& par Ariftide chefdes Athéniens. La bataille de Platées fut donnée le matin ; & celle de Mycale, l'après-midi; & on fçut à Mycale, avant le commence ment de la bataille,que les Grecs avoient remporté le matin une victoire compléte à Platées, quoiqu'il y eût entre deux toute la mer Egée,qu'on ne pouvoit traverfer qu'en plufieurs jours de navigation. Diodore de Sicile explique ce myftére, en nous apprenant que les Grecs qui étoient à Mycale en Afie, étant fort inquiets du fort de leurs camarades qui avoient à foutenir en Europe toutes les forces de Mardonius, Léotychide pour

[o] Tertull. Apologet.

[p] Hérodot. Calliop Justin lib. 2. Diod.Sic. Rb. 11.

[q]Plutarch.in Paul. Emyl. Minut. Felic Octav.Cic.de nas deor.lib.2.Tit.liv.lib.45. Fl.l. Laft.infti),lib.2.c.7.Val, Max. lib 1.c.8.

relever leur courage fit répandre que Mardonius avoit été défait, quoiqu'il n'en eût aucune connoiffance. C'eft peut-être par quelque fiction politique, & à peu près femblable,que la victoire de Paul Emyle fur Perfée roi de Macédoine, fut apprife à Rome, avant que la nouvelle pût en être apportée [9]. Quatre jours après que Perfée eut été défait, comme le peuple Romain étoit affemblé dans le cirque à voir les cour fes des chevaux, tout d'un coup il fe répandit un bruit dans les prémiers degrés du théâtre, que Paule Emyle avoit vaincu Perfée, & fubjugué toute la Macédoine. Ce bruit devint public dans un moment, & auffi-tôt il fut accompagné de grands cris de victoire, & de battements de mains. Cependant les cour riers envoïés par Paul Emyle,ne purent arriver à Rome, que le vingtiéme jour après la bataille. Ces courriers furent. Fabius Maximus [x] fils du général, L. Lentulus,& Q.Métellus.

La nouvelle du grand combat [], où les Locriens & ceux de Rhéges, n'étant qu'au nombre de dix mille, défirent cent trente mille Crotoniates, fut fçûë le même jour dans tout le Péloponnése.

Dabord après la bataille du lac Rhégille, que les Romains gagnérent contre les Tarquins & touts les peuples du Latium, on vit à Rome deux jeunes hommes fort beaux, & d'une taille très avantageufe. On ne douta point qu'ils ne fuflent Caftor & Pollux; qui arrivoient de l'armée, & qui détail

[r] Le fils ainé de Paul Emyle s'appelleir Fabius Maximus, parcequ'il avoit passé par adoption dans la famille des Fabiens. Dag cier fur Plutarq. vie de Paul Emyle.

[s] Cic. de nat, deor. lib. 3. Jufin, lik 20. Strab, lib, 6.

foient toutes les circonftances de la bataille. Le prémier qui les rencontra près d'une fontaine,où ils faifoient rafraichir leurs chevaux couverts d'écume, & tout fumants de fueur,leur aïant témoigné la furprife où il étoit,laiffa entrevoir que cette diligence extraordinaire lui rendoit la nouvelle fufpeéte. Alors ces deux jeunes hommes enriant, lui empoignérent doucement la barbe, qui fur Fheure même devenuë dorée, de noire qu'elle étoit, confirma leur relation par ce miracle.

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Plutarque [] rapporte encore que c'étoit un fait de notoriété publique de fon temps, que lorfque L. Antonius fe révolta contre Domitien, & que Rome allarmée s'attendoit à voir toute la Germanie en armes exciter une furieufe guerre; le peuple tout à coup, & de fon propre mouvement fe mit à publier qu'Antoine avoit été tué, & fon armée entièrement défaite. Cette nouvelle paffa pour fi conftante & fi vraie, que la plupart des magiftrats firent publiquement des facrifices pour remercier les dieux. Quelque tems après, Domitien reçut des lettres qui lui apprenoient cette victoire, & on trouva qu'elle avoit été rempor tée le jour même que le bruit en avoit couru, quoique le champ de bataille fut éloigné de Rome de plus de vingt mille ftades, ou de huit cents lieuës.

hommes. Mais comme le pouvoir des malins efprits eft fort borné, l'opinion va beaucoup plus loin que leurs prefti ges, ainfi que nous aurons encore occafion de la faire connoître dans le chapitre de la magie, dans celui des oracles,& dans quelques autres.

CHAPITRE TROISIÈME.

Du Monde
SOMMAIRE.

1. Mondes imaginaires des philofophes: 2.Explication des idées de Platon. 3.Diverses opinions fur la durée dr monde. 4.Difputes métaphysiques fur le temps. 5.De la divisibilité à l'infini du temps. 6. Opinions infenfees fur Porigine des prémiers hommes. 7. Opis nion des Préadamites. 8. Abfurdités du Spinoffme. 9.Opinion des Millénaires. 10. Du fiftême des atomes. II. Rien ne conduit mieux à la connoiffance de Dieu, que l'examen de la nature. 12. Différentes opinions,fur la question, Si le monde aeté créé pour l'homme. 13. Réponses aux ob jections contre la providence. 14. Seni timents fublimes des Payens fur la pro.... vidence.

Y.

imaginaires

Voilà parmi quelques vérités, bien desfables accumulées dans ce chapitre. Elles nous conduisent à cette réfle-Amétaphysique confidere le ma monL xion, que tant d'opinions fuperftitieu- de par rapport à fa création, à fa, Mondes fes, dont les démons ont inondé la durée, à la providence qui le gouver des philolo terre, font autant de funeftes preuves ne, & autres objets immatériels que ces efprits tentateurs [] font continuellement occupés à féduire les

[t] Plutarch. in Paul. Emyl.

[]Vigilate: quia adverfarius vefter diaBolus,tamquam leo rugiens circuit quæ

Plutarque [a] attribue à Homére, & à Platon d'avoir divifé l'univers en LI 3

rens quem devoret.S Petri epift. 1. c. 5. v. 8.. [a] Plutarq,de la ceffation des oracles..

phes.

1

des idées.

cinq mondes. Il décrit l'opinion myfté rieufe d'un philofophe qui enfeignoit qu'il y a cent quatre-vingt trois mondes rangés en forme de triangle équilatéral; que chaque côté contient foixante mondes, outre lefquels il y en a un dehors à chaque angle; que la plaine qui eft au dedans & dans l'aire du triangle,eft l'autel commun de touts les mondes, que c'eft le champ ou la plaine de la vérité, que là font les idées, les exemplaires & les modéles de toutes les chofes qui furent, qui font & qui feront qu'alentour de ces idées eft l'éternité d'où le temps fort comme un ruiffeau pour couler dans les mondes..

Rien n'eft plus embrouillé que toute Explication la doctrine de Platon [b] des idées. Ce de Platon. qu'on ne peut démêler, c'eft que Dieu aïant conçu les idées des chofes avant qu'elles fuffent crées, ces idées font quelque chofe de réel & d'éternel en Dieu, & néanmoins diftin&t de la nature divine & qu'elles ont été les prémiéres caufes de tout ce qui a été fait. Ainfi le cheval,dont l'efpéce eft divifée en autant d'individus qu'il y a de chevaux, a. fon idée universelle unique & réelle en Dieu;cette idée eft la caufe prémiére du cheval, parce que les individus de cette efpéce n'auroient point exifté fi Dieu n'en avoit conçû l'idée. Rien ne s'eft fait par hazard, touts les êtres ont une existence conforme aux idées qui font.

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en Dieu.Ces idées font quelque chofe de réel,puifqu'elles fubfiftent indépendamment des chofes dont elle font les modélesjelles font diftinctes de la nature divi、 ne,puifque Dieu n'a pas été dans la néceffité de les avoir,& qu'il lui a été libre de les former. Elles ont une nature immortelle;ce font des exemplaires éternels dans lesquels ont été puifées les formes de toutes chofes,& par la vertu & la force defquelles toutes chofes ont été formées comme par leurs caufes efficaces.

L'Ariofte [c] a auffi fa doctrine des. idées, lorfque fe livrant à l'enthoufiafme poëtique, il décrit une vallée dans la lune qui contient les idées & les images de toutes les chofes qui font fur la terre. Il raconte comment Roland, aïant perdu l'efprit par l'amour d'Angélique, fut conduit miraculeufement dans cette vallée où il trouva fon efprit enfermé dans une phiole, d'où il le fit rentrer dans fon cerveau par la refpiration. Et le poëte prenant de là occafion d'apoftropher fa maitreffe: Qui montera, dit-il, ô ma belle déeffe, dans la lune pour me rapporter l'efprit: que vos charmes m'ont fait perdre ?

Un autre poëte décrit fort férieufement le monde Archétype ou exemplaire. C'eft Marcel Palingenius dans fon zodiaque. Ses vers [d] que je rapporte ici, contiennent toute la phi lofophie Platonicienne des idées..

Quantum pictus ab hoc, tantum hic. quoque diftat ab illo. Extra ipfum vero cœlum, & fupra omnia corpora, Effe alium mundum meliorem incorporeumque,

Qui non percipitur fenfu, fed men.. te videtur,,

Nonnulli credunt, nec res eft dif-. fona vero

Nam fi nobilior fenfu. & præftan-tior eft mens,

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