entendement humain ait été refufé à quelque espèce de fauvages. Ils répondront touts que non, & il ne restera aucune relation à oppofer à la preuve qui réfulte du confentement général des hommes fur cette vérité. Mais fuppofé que quelqu'un d'eux ait parlé en ce fens de l'Athéilme des fauvages, croirons-nous qu'il ait affez pénétré dans leurs pensées ? Ces barbares lui ont-ils dit qu'ils n'avoient aucune idée de Dieu ? Ne feroit-ce pas june contradiction manifefte de nier ce dont on n'a aucune idée, car il faut concevoir une chofe avant que de pouvoir l'affirmer ou la nier? Ces voïageurs difent-ils qu'ils ont fait les perquifitions néceffaires ontils interrogé ces fauvages? leur ont-ils parlé les prémiers de l'idée de Dieu,pour découvrir s'ils ne la trouveroient point dans leurs efprits? Les relations difent fimplement,& comme en passant,que des nations ont paru n'avoir aucune Religion. Croirons-nous fi légérement fur un article de cette importance, des relations aufquelles fouvent on ajoute fi peu de foi en ce qui concerne les chofes les plus indifférentes ? Un récit incertain & fuperficiel balancera-t'il le témoignage qui eft au dedans de nous ? A la vérité, cette preuve de l'exiftence de Dieu, tirée de l'idée innée [g] & du confentement général des hommes, n'eft point du tout néceffaire pour convaincre l'efprit de cette grande & importante vérité, de cette vérité éternelle & primordiale, à laquelle l'efprit humain ne peut fe refufer; & il n'y a ni aveuglement de paffions, ni préven Tom. I. tion d'erreur, ni ténébres de ftupidité; qui puiffent refifter à la force de toutes les autres preuves & à la voix de toute la nature. Mais quoiqu'elle ne foit pas néceffaire, on ne doit pas abandonner aifément une preuve,qui a été emploïée par les plus grands génies. Ariftote [b] avance comme un axiome indubitable, que tous les hommes ont un fentiment de la Divinité . Il n'eft pas difficile, dit Lactance [i], de convaincre l'Athéïsme le témoipar gnage général des hommes, qui ne font d'accord entr'eux que fur le fentiment de la Divinité. [g] Il faut entendre ici par idée innée,une idée gravée nécessairement dans l'efprit, feit que l'homme l'apporte en naiffant, soit que des réflexions commanes à tous les hommes, la produifent, foit que toutes les idées passent par les fens, dans l'entendemens; & celle de Dieu comme toutes les autres. Maxime de Tyr[k]philosophe Platonicien, s'explique éloquemment sur ce confentement général à reconnoître une Divinité. Convoquez l'affemblée du peuple, dit-il, prenez les fuffrages des plus groffiers; ordonnez à toutes les communautés de s'y trouver; interrogez-les touchant la Divinité. Penfez-vous que la réponse des ftatuaires fera différente de celle des peintres ou que les poëtes répondront autrement que les philofophes ? Les fentiments du Scythe, du Grec, du Perfe, de l'Hyperboréen fe réuniront en ceci. Les hommes font partagés fur les autres fujets en différentes opinions. Ce qui paroît bon ou mauvais, honnête ou malhonnête aux uns, ne le paroit pas de même aux autres. A l'égard de la juftice & des loix, non-feulement un peuple ne s'accorde pas avec un autre peuple; mais il y a même de la contrariété entre une ville & une ville, entre une famille & une famille, en Hh [h] Πάντες άνθρωποι πεὶ θεῶν ἐλεσιν ὑπ or Ariftot. de cœl. lib. x. [i] Nec difficile fanè fuit paucorum hominum pravè fententium redarguere mendacia, teftimonio populorum atque gentium in hâc unâ re non diffidentium. Lactant. [k] Maxim. Tyr. orat.1. tre un particulier & un particulier. En. fin l'homme ne s'accorde pas avec lui. même, & il change fouvent du foir au matin. Dans cette guerre, dans cette fédition, dans cette difcordance d'opinions, vous ne trouverez qu'un fentiment répandu dans tout l'univers, qu'il yaun Dieu,roi & pére de toutes chofes [4]&plufieurs autres dieux,qui font fes enfants & fes collégues dans l'empire. En cela le Grec s'accorde avec le Barbare, l'habitant de terre-ferme avec F'infulaire,le philofophe avec l'ignorant. Parcourez les rivages les plus éloignés de l'Océan, vous y trouverez des dieux dont l'empire commence, & finit à certaines limites peu éloignées les unes de autres. Je reviens à Cicéron [m]pour rapporter ici ces belles paroles. Une des plus fortes preuves de l'exiftence des dieux eft, qu'il n'y a aucune nation affez barbare & affez dépourvûe de tout fentiment d'humanité, pour que cette opinion de la Divinité ne s'y trouve pas gravée par la nature. Plufieurs peuples ont des idées peu juftes de la Divinité, ce qui n'eft que trop commun,mais touts font perfuadés qu'il exifte une nature & une puiffance Divine. Arnoben parle ainfi de l'idée inuée de Dieu Ya-t'il un homme qui foit venu au monde fans la notion de ce pré [7] Maxime ajoute ce qui regarde la pluralité des dieux, en philofophe payen prévenu de l'erreur, qui de fon temps étoit fort com mune. [m]: Ut porrò firmiffimum hoc afferri videtur, cur deos effe credamus,quod nulla gens tam fera, nemo omnium tam im manis, cujus mentem non imbuerit deorum opinio. Multi de diis prava fentiunt; id enim vitiofo more effici folet; omnes tamen effe vim & naturam divinam arbitrantur. Cic.Tufcul. quaft, lib. 1. [n] Quifquam ne eft hominum, qui non cum iftius principii notione diem primæ > mier principe, dans lequel cette idée ne foit pas innée, gravée, empreinte,pour dès le fein de la mére; de ainfi dire reconnoître un roi, un maître, fouverain arbitre de tout l'univers ? Si les bêtes pouvoient articuler des paroles, fi les arbres,la terre,les rochers pouvoient être animés & exprimer leurs pensées tous ces êtres différents ne feroient-ils pas guidés par la nature,& conduits par elle à concevoir & à publier une Divinité ? 82. de Dieu ar le fond un Defcartes dans fes méditations donne Préuvé de le raifonnement qui fuit, pour une dé- l'existence monftration de la Divinité. C'eft le pré- Defcartes, mier de tous les axiomes,& le fondement qui eft dans de toutes les connoiffances claires & évi- paralogifme. dentes,que l'on peut affurer d'une chofe, ce que l'on conçoit clairement étre enfermé dans l'idée qui la repréfente: or l'existence néceffaire eft renfermée dans l'idée qui repréfente un être infiniment parfait; & par conféquent, il eft démontré que l'être infiniment parfait exifte. Ou bien: Une attribut que l'on voit diftinctement être contenu dans l'idée d'une chofe,peut être affirmé avec vérité de cette chofe : or dans l'idée de Dieu, c'est-à-dire, de l'être fouverainement parfait,je voisévidemment que l'exiftence nécessaire eft contenuë( puifque l'existence néceffaire eft une perfetion:) donc je puis affirmer l'exiften nativitatis intraverit? cui non fit ingenitum, non affixum, immo ipfi penè in genitalibus matris non impreffum, non infitum, effe regem ac dominum, cuncto. rum quæcunque funt moderatorem ? ipfa denique hifcere fi animalia muta potis effent, fi in linguarum noftrarum facilita tem folvi, immo fi arbores, glebæ, faxa fenfu animata vitali, vocis fonum quirent, & verborum articulus integrare, ita non duce naturâ & magiftrâ non incorruptâ fimplicitatis fide, & intelligerent effe deum, & cunctorum dominum folum effe clamarent? Arnob. > , ce de l'être fouverainement parfait. Le pére Mallebranche paroît aussi convaincu que Defcartes, de la force de cette démonstration. Pour moi, j'avoue que cet argument me paroît un paralogifme. Prémiérement, ileft fondé fur l'évidence, & l'évidence ne s'y trouve point; c'est une fauffe lueur qui éblouit au lieu d'éclairer. En fecond lieu, la prémiére propofition n'eft vraie qu'en fuppofant que l'idée foit réelle, & que l'efprit qui fe forme cette idée connoif fe évidemment qu'elle eft réelle. Troifiémement l'Athée, que l'on fuppofe, diftinguera la feconde propofition de cet argument, & dira que l'idée de l'être infiniment parfait, renfermeroit J'existence néceffaire fi cette idée étoit véritable; mais il foutiendra que l'homme n'a point une pareille idée comme l'idée d'une vérité. L'idée de Dieu ne nous eft point évidemment réelle [o] avant les démonstrations ordinaires: & un homme qui n'auroit fait nulle réflexion fur les chofes qui prouvent l'exiftence de Dieu ne feroit point furpris qu'on en fit un problême. Si l'idée de Dieu nous eft devenuë réelle par notre examen & par le témoignage de tout ce qui nous environne, la démonstration de Defcartes [p] eft inefficace par elle même. Quatrièmement, c'eft apporter pour preuve ce qui eft en queftion. On pourroit de la même maniére prouver l'existence d'une créature infiniment parfaite. On doit attribuer à une chofe ce que l'on conçoit clairement être renfermé dans l'idée qui la représente: orl'exiftence eft néceffairement renfermée dans l'idée d'une créature infiniment parfai [] Le p. Daniel. voiage du monde de Defcartes. part. 2. p.229. [p] Huer réfute cette même prétendue demonftration de Descartes. Huet. cenfur. philef.Carthefian,c.3. §.9 te: car il eft inconteftable que le fondement de toute perfection eft d'exifter; donc une créature infiniment parfaite exifte. N'auroit-on pas raifon de répon dre à cet argument qu'à la vérité, en fuppofant une créature infiniment parfaite, elle exifteroit nécessairement ; mais que l'homme n'a cette idée d'une créature infiniment parfaite, que com me une idée impoffible. La fameufe penfée de Pafcal du peu De la peníte de rifque qu'il y a à croire, & du dan- de Palcal ger affreux qu'il y a à ne point croire, du rifque de point croieft un motif, & de tous les motifs fans re. comparaifon le plus pressant; mais ce n'eft pas une preuve. Cette penfée est ti rée du Phédon de Platon; elle eft dans le fecond livre d'Arnobe; on la trouve dans les charactéres de ce fiécle[ 9 ], &. dans l'effai philofophique [r] de Locke. 34. Après avoir montré quel eft l'empire Preuves de de l'opinion fur l'entendement humain, notre fainte dans les chofes mêmes qui concernent la Religion. Divinité, diffipons ces idées par des traits de clarté & d'évidence, comme on voit après l'orage, le ciel paroître plus beau & plus ferain. Je finirai donc ce Chapitre en rapportant quelques preuves fort fuccinctes de la Divinité; perfuadé que le ftyle qui a le moins de fublimité & de force, eft fuffifant pour traiter avec la derniére évidence une vérité fi éclatante. Je penfe & j'ai commencé, donc Dieu exifte. Il y a cinquante ans que je n'étois pasic'eft donc un principe, une caufe qui eft hors de moi, qui m'a donné l'être. La caufe du prémier homme n'a pû être matérielle & dépourvûë d'intelligence. Car ce qui eft fans in > Hh 2 [q] Les charactéres de ce fiècle par la Bruyere, ch des efprits forts. [r] Ellai philofopbiq. de Locke. liv, z. cho. 21. §.70. telligence ne peut être le principe de la penfée que je trouve, & que je forme en moi. La matiére ne peut m'avoir fourni de fon propre fond, l'idée immatérielle de l'efprit; la matiére ne peut être le principe de ce qui la nie & l'exclut formellement:elle ne peut avoir mis dans l'homme qui penfe, une conviction que la pensée n'est point une production de la matiére. Si l'homme a eu une caufe immatérielle & intelligente, cette caufe ne peut avoir eu de commencement: car fi Ï'homme, fi une fubftance qui penfe ne peut être une production de la matiére, à plus forte raifon, la caufe de cette fubftance penfante n'a pû ellemême être produite par la matière. Cette caufe eft donc en même temps fpirituelle & éternelle, & cette caufe fpirituelle & éternelle c'eft Dicu. Je ne puis ouvrir les yeux, & confiderer aucune partie de ce vafte univers, que tous les objets qui m'environnent, ne me rendent un témoignage unanime de la fageffe infinie & de la toute puiffance de ce principe. Tout ce qui fe paffe au dedans de moi, & tout ce que j'apperçois au dehors, concourt donc également à me découvrir FEtre infiniment parfait, & à porter dans mon efprit cette lumiere, qui éclaire tout homme qui vient au monde. Si je paffe de la nature à la révélation, je trouve un Dieu qui ne peut metromper: je trouve une fuite inva. riable de doctrine fuivant fa promeffe; une force invincible de preuves, un enchaînement inconteftable de vérités. Un feul article de foi eft la démonftra [] Gens Judæorum reproba per infidelitatem, à fedibus extirpata per mundum ufque quaque difpergitur, ut ubique portet codices fanctos: ac fic prophetiæ teftimonium, quâ Chriftus & ecclefia tion de touts les autres. L'incrédulité la plus opiniatre; pourvû qu'elle fe rende férieulement attentive, ne peut réfifter. Quelle certitude dans les faintes écritures; La nation Juive, fuivant la remarque de S. Auguftin [s], eft errante par toute la terre, & porte dans toutes les parties du monde les livres de la fainte écriture, & les prophéties qui ont an noncé le Meffie & l'Eglife, afin que les ennemis de la vérité lui rendent le témoignage le plus fort, en perfiftant dans leur incrédulité qui a été prédite. Les anciens docteurs Juifs ont pouffé l'exactitude fcrupuleufe; jufqu'à compter les verfets, les mots & les lettres de la fainte écriture, dans le deffein de préferver ce texte de toute altération & de tout changement. Cet ouvra ge,connu fous le nom de la Maffore, eft qualifié par les Juifs la haie de la foi. Les héréfies formées dés le commencement de l'églife ont rendu les livres Canoniques de la nouvelle loi également inconteftables. Dieu s'eft fervi dès ennemis de la Religion, pour donner aux livres faints une authenticité finguliére, qui ne fe trouve dans aucun autre livre, & qui ne permet pas d'y foupçonner l'altération d'un feul mot. Si les myftéres de la révélation furpaffent mon intelligence, ma foi n'en eft pas moins vive, puifque ces myftéres font d'un ordre fupérieur aux chofes qui font à la portée de mon entendement, & que d'ailleurs ce foible entendement ne peut fuffire aux fciences humaines, aux objets purement naturels, & dont l'ufage m'eft le plus familier. La raifon, toute foible qu'elle eft prænuntiata eft, ne ad tempus à nobis. fictum exiftimaretur, ab ipfis adverfariis proferatur ubi etiam prædictum eft ipfos non fuiffe credituros. S. Aug. epift. ad Ve luftan. 157. edit. Benedict. I 1 G 1 conduit les hommes au difcernement de la véritable Religion; je dis au dif- CHAPITRE SECOND. cernement, car pour la foi, il faut que Dieu nous incline à croire. L'effence de la Religion eft d'être compofée de myftéres incompréhenfibles, mais liés avec des preuves invincibles. S'il faut captiver fon entendement, & faire le facrifice de fa raifon, c'eft un facrifice qui eft exigé par la raifon même. Quelle clarté dans les prophéties! quelle conftance dans les martyrs ! L'erreur empruntant le mafque de la vérité, a pû quelquefois féduire les hommes; mais les féductions font vaines & paffagéres. Toutes les faufses religions ont été des inventions humaines: les moins clairvoïants en décou vrent la fource: on fçait l'époque de leur commencement, on pénétre même les motifs de leur origine. Quel fujet d'afurance pour celui qui profelle la véritable Religion, de voir qu'elle n'a d'autre commencement que le monde, & qu'elle ne peut avoir d'autre auteur que Dieu même ! Quelle conviction de la vérité, fuivant la penfée d'un grand évêque [], quand on confidére la Religion en poffeffion de touts les fiéeles, quand on penfe que de Clément XII. aflis fur la chaire de faint Pierre, on remonte fans interruption jufqu'à ce prince des apôtres, établi par JélusChrift, d'où, en prenant la fuite des pontifes qui ont fervi fous la loi, on va jufqu'à Aaron & jufqu'à Moyfe, de là jufqu'aux patriarches, & jufqu'à l'origine du monde, où l'on trouve notre lainte Religion émanée de Dieu même. L'évidence de ces preuves fait la condamnation de touts ceux, dont l'efprit refufe de s'y foumettre. SOMMAIRE. 1. Le nom de démon étoit honorable. 2° Des Démons. [] Jarques Bénigne Boffuet, évéque de Meaux. |