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9.

de la Grèce. Artaxerxés fut fi offenfé de cette réponse, qu'il menaça la ville de Cos de la détruire entiérement, fi elle ne lui livroit Hippocrate: mais fes habitants parurent dans la réfolution de s'expofer à toute forte d'extrémités, plûtôt que de livrer leur citoïen; & la colére d'Artaxerxés n'eut aucune fuite. Les médecins anciennement prépa roient eux-mêmes les remédes, qu'ils avoient ordonnés aux malades: ils travailloient auffi de la main, & faifoient le sopérations de chirurgie; & le même homme étoit à la fois [] médecin, chirurgien, & apothicaire. Ces profef fons, fuivant le témoignage de Voffius [m], n'ont été féparées, que vers la cent dix-feptiéme Olympiade, du temps des médecins Hérophile & Erafiftrate. Mais l'opération de la taille étant regardée comme plus difficile, & demandant une plus grande expérience, Hippocrate ordonna qu'elle feroit réservée à ceux, qui en faifoient leur unique occupation. Ammonius d'Alexandrie fut furnommé Lithotome [n], parce qu'il s'avifa le prémier de couper, ou de rompre dans la veffie les pierres trop groffes, pour fortir par l'ouverture, que le chirurgien y a faite. L'ufage de l'opération de la taille étant tombé dans l'oubli; elle fut effaïée comme nouvelle [o] fur un criminel condamné à mort, vers la fin du quinziéme fiécle.

Serment

Hippocrate exigeait de fes difciples Hippo un ferment folemnel, dont voici les principaux articles: qu'un médecin fera obligé de regarder comme fon propre pére, celui dont il aura appris la

Boit de fes

disciples.

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médecine; qu'autant qu'il fera en fon pouvoir, il ne le laiffera jamais manquer des chofes néceffaires à la vie; qu'il regardera les enfants de fon maître comme fes propres frères, & qu'il leur enfeignera à fon tour la même profeffion, s'ils ont deffein de l'apprendre; qu'il ne fe laiffera jamais corrompre, pour donner rien de nuifible à fes malades, qu'il ne fera avorter aucune femme, qu'il exercera fa profeffion en homme de bien; qu'il ne taillera point ceux qui ont la pierre, mais qu'il laiffera faire cette opération à ceux qui s'y deftinent; que dans les maifons où il entrera, ce fera uniquement à dessein de travailler au bien du malade, & qu'il fe conduira en forte qu'on n'ait jamais aucun fujet de foupçon contre lui, ou qu'on le puiffe accufer d'avoir fait le moindre tort à qui que ce foit; qu'il ufera d'une grande retenuë envers les femmes & les filles; qu'il tiendra fecret, tout ce qu'il aura vû ou entendu, foit en exerçant fa profeffion foit autrement.Celui qui faifoit ce ferment, juroit par Apollon, Esculape, Hygiæa [p], Panacea [q],& par touts les autres dieux & déeffes.

Hippocrate, qui avoit trouvé la médecine renfermée dans fa famille feule, fit part de fes connoiffances à touts ceux qui voulurent s'appliquer à la médecine, & elle ceffa d'être bornée à la feule famille des Afclepiades.

Hippocrate compofa fes livres de médecine, de ce qu'il avoit appris par la tradition des Afclepiades, & des mémoires [r] qu'il trouva dans le tem

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ple d'Efculape; car il étoit d'ufage à Cos [s], que touts les convalefcents, en apportant leurs offrandes dans ce temple, y fiffent enrégiftrer le reméde qui les avoit guéris, afin qu'il pût fervir à d'autres dans une maladie femblable.

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Hippocrate mourut à Lariffe ville de Theffalie: les uns lui ont donné 90. aus de vie, les autres 104. [t], d'autres jufqu'a [4] 109. Il laiffa deux fils, Theffalus & Draco, & une fille mariee à un de fes difciples, nommé Polybe. Draco eut un fils, qui porta le nom d'Hippocrate fon grand pére & qui fut médecin de Roxane femme d'Alexandre le Grand. Il ne faut pas con fondre les fils d'Hippocrate le médecin, avec ceux d'un certain Hippocrate Athénien homme de néant, & qui fu rent fi malhonnêtes gens, que pour exprimer des perfonnes d'un charactere vicieux [x], le proverbe Grec les appelloit les enfants d'Hippocrate.

Ctéfias, qui a écrit l'hiftoire d'Affyrie & de Perfe, dont l'extrait nous a été tranfmis dans la bibliothéque de Photius, étoit contemporain d'Hippocrate [y], & médecin d'Artaxerxés roi de Perfe.

On peut juger de la confidération, où étoient les anciens médecins, par ce qui eft rapporté [z] dans Suidas,

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10.

Orgueil

que Dexippus, difciple d'Hippocrate, aiant été appellé par Hecatomnus roi de Carie, ce médecin ne voulut y al ler, qu'à condition qu'Hécatomnus cef feroit de faire la guerre a fa patrie. Dexippus écrivit un livre intitulé de la médecine, & deux autres des prognoftics. Ménécrate [] floriffoit dans la cent cinquième Olympiade du temps Ménecrate d'Artaxerxés Ochus. Il pouffa le faste, jufqu'à mener à fa fuite touts ceux qu'il avoit guéris. Il leur faifoit porter les ornements, qui charactérifoient différentes divinités, l'un représentant [b] Hercule, un autre Apollon, ou Mercure, ou Efculape. Pour lui, il portoit une couronne d'or, une robbe de pourpre, & un fceptre, & prenoit le furnom de Jupiter. Il écrivit [c] à Philippe roi de Macédoine: Mé nécrate Jupiter, au Roi Philippe,falut. Ce monarque lui fit réponse:Le roi Philippe à Ménécrate, bon fens. Le même roi l'aïant fait venir dans fon palais [d], ne lui fit fervir qu'une caffolette fumante d'encens..

Plufieurs auteurs font mention du médecin Philippe, qui étoit à la suite d'Alexandre le grand. Ce fut lui qu'Alexandre regarda fixement [e], en bûvant la médecine, que Philippe lui avoit préfentée, en même temps qu'Alexandre donnoit à lire à ce médecin

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Les bêtes guides de

la lettre, par laquelle Olympias, ou Parménion le rendoient fufpect d'une intelligence avec Darius.

Théophrafte, difciple d'Ariftote, fut un excellent botanifte, & a écrit des livres fort curieux fur les plantes. Les hommes n'ont connu [f] que par des recherches laborieufes, & par de longues expériences, ce que la nature a appris à la plupart des animaux. Pline eftime & que les hommes ont eu Thomme les bêtes pour guides dans l'invention tode de la médecine. Il prétend [b] que medecine. l'hippopotame ou cheval marin nous a donné l'exemple de la faignée. Cet animal- étant devenu trop replet à force de manger, fe fert d'un rofeau pointu pour s'ouvrir une veine de la jambe: & aprés en avoir laiffé couler une quantité fuffifante de fang, il bouche la plaïe avec de la bouë.

dans l'inven

tion la

Nous voïons les chiens connoître, & chercher d'eux mémes les fimples, & les herbes qui leur font propres. On lit dans Elien [] que le lion fe purge en mangeant un finge. Les animaux, dit Montagne [k], ont enfeigné la médecine aux hommes. La cicogne aïant mange des ferpents, trouve le contrepoifon dans l'origan. On a même obfervé du temps d'Ariftote, fuivant Albert le grand [, que la tortuë ne mange des ferpents, que dans les lieux où il croît de l'origan. Le

[f] Pudendumque rurfùs omnia animalia, quæ fint falutaria ipfis, noffe præter hominem. Plin. lib. 27.6.3. [g] Plin. lib. 25. c.7.

[b] Plin. lib. 8. c. 26.

crapaud bleffé va chercher la ruë, ou la fauge: les hirondelles ont fait connoître que l'herbe Chélidoine eft bonne pour les yeux: les pies, les perdrix, les merles fe fervent pour médecine, de feuilles de laurier. La huppe fe guérit avec l'adianthe, ou les cheveux de Venus. Les cerfs nous ont appris que le dictamne eft propre aux bleffures ; les truyes piquées par des ferpents fe guériffent, en mangeant des écrevifles : les êléphants fe fervent pour reméde, de l'olivier; les ours, des fourmies; les pigeons, les tourterelles, & les poules, de l'herbe pariétaire; les gruës, de jonc, les fangliers, de lierre; les biches, d'artichaux. Toutes ces connoiffances, & bien d'autres que nous ignorons, font naturelles aux bêtes [m], & ont été refufées aux hommes.

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Ileft vraisemblable que le pêché originel, en introduifant parmi nous les maladies & la mort, nous a fait perdre les notions naturelles de la vertu des plantes.Hérophile croioit que tout étoit poffible dans la médecine, par leur ver- Vertu des tu ; & que leur propriété pouvoit fe fai- plantes. re fentir, feulement [] en les foulant aux piés par hazard.

Le faint roi Ezéchias, par un motif de piété a fait un tort irréparable au genre humain [of, s'il eft vrai, comme le rapporte Suidas, qu'il ait fupprimé les livres de Salomon, qui trai

Cc 2

ces des bêtes, paroiffent fort incertaines, & fort exaggérées, comme fur bien d'autres

articles.

[n] E numero fuit eorum, qui exiftimarunt, nihil non herbarum vi effici

[i] Cl. Ælian, variar. hiftoriar, lib. 1. poffe, fed plurimarum vires effe inco

c. 9.

[k] Eff. de Montag. iv. 1. c. 17. [1]Albert. Magn. lib. 8. de animalib.

traffat. 2. c. 2.

[m] Les opinions des naturaliftes, au fujet de ces facultés, de ces connoiffan

gnitas; & ab eo ferunt dictum; qualdam fortaffis etiam calcatas prodeffe. Petr.Caftellan, de vit, illuftr, medicor, in Herophil.

[o] Suid, in voce Etexas.

13.

13. D'Erafi

ftrate.

toient des plantes, de peur que les Juifs, y trouvant des remédes, pour toute forte de maux, ne négligeaffent de recourir à Dieu › pour lui

demander la fanté.

Aprés cette digreffion fur les plantes, reprenons l'hiftoire de la médecine. Chryfippe de Cnide fut le prémier novateur dans la médecine. Sa fubtilité apporta plufieurs changements à l'ancienne doctrine des Afclepiades. C'étoit un grand discoureur, d'une vivacité extréme dans la difpute [p], & qui fe vantoit de pouvoir renverser, établir toute forte de doctrine. Ce portrait ressemble affez à celui de Chryfippe le Stoïcien; ils furent auffi contemporains, puifque Chryfippe de Cnide fut le maître d'Erafiftrate, qui par fa mére fut petit fils d'Ariftote.

оц

Erafiftrate un des plus célébres médecins de l'antiquité, vivoit dans la 117. Olympiade. L'hiftoire en rapporte un trait de fagacité, qui eft fort connu [q[. Antiochus, qui fut depuis furnommé Soter, n'ofant découvrir fa paffion, pour Stratonice fa belle-mère, femme de Seleucus Nicanor, tomba dangereufement malade.Erafiftrate fon médecin s'apperçut, que la vûë de Stratonice lui caufoit des changements extraordinaires, au lieu qu'il ne paroiffoit aucune impreffion dans la perfoane de ce jeune prince, lorfque quel que autre dame, ou toute autre perfonne entroit dans fa chambre. Il découvrit ainsi la caufe de la maladie d'Antiochus, & prit un détour adroit pour l'annoncer à Seleucus. Erafiftrate lui dit que la maladie de fon fils étoit incurable, parcequ'elle étoit caufée par

[p] Pesr. Caftellan, in Chryfipp.

[q] Plutarch. in Demetr. Val. Max. lib. 5. 6.7. Appian. in Syriac. Suid. in voce Epasiorparos Julian, in Misopog. Lusian.de deâ

une paffion violente pour une femme, qu'il ne pourroit jamais pofféder.Comment incurable? s'écria le roi: Vous en ferez bientôt perfuadé, dit Erafiftrate, quand vous fçaurez que le prince aime ma femme, & que je fuis réfolu de ne la lui pas céder. A cette nouvelle, Seleucus embraila Erafiftrate, & lui dit, Me refuferez vous ce qui peut fauver un fils, que j'aime fi tendrement, Seigneur, lui dit le médecin, mettez-vous en ma place, cẻ. deriez vous Stratonice, fi le prince en étoit amoureux ? Ah! plût aux dieux, s'écria Seleucus, que la guérifon de mon fils en dépendît. Je lui cédcrois de tout mon cœur Stratonice, & une partie de mon empire. Eh bien, dit Erafiftrate, il n'y a que vous, Seigneur qui puiffiez guérir Antiochus, & il n'y a point d'autre moien de lui fauver la vie, que de lui céder Stratonice. Seleucus déclara auffi-tôt fon fils roi des provinces de la haute Afie, & lui donna Stratonice en mariage.

Soranus, & Caftellan ont rapporté [r] qu'Hippocrate avoit guéri Perdiccas, qui fut depuis roi de Macédoine, aprés avoir obfervé que ce jeune prince changeoit de couleur, en regardant Phila maîtreffe du roi Alexandre fon pére: & Galien [s] a raconté de lui, même, qu'il découvrit, de la même maniére, l'amour d'une dame Romaine pour un Comédien nommé Pylade.

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Agnodice Athénienne fe déguifa en 34. homme, pour exercer la médecine de la n Elle acquit bientôt une grande répu- decine tation, par le fuccés de fes remédes: femmes r les médecins d'Athénes, envieux de fa l'Areopag réputation, l'accuferent de s'introdui

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mis aux

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De l'ancienne ana

tomic.

re chez les femmes, pour les corrom-
pre []. Alors Agnodice avoua fon
lexe. Les femmes Athéniennes inter-
vinrent en corps, & fe rendirent par-
ties dans ce procés: aprés plufieurs au-
diences, les juges de l'Aréopage per-
mirent aux femmes d'exercer la méde
cine.

L'ignorance de l'anatomie retarda
les progrés de la médecine. Dans le
temps, dit Galien; que la médecine
étoit renfermée dans la famille des Af
clépiades, les péres enfeignoient l'a-
natomie à leur enfants, & les accou-
tumoient dés l'enfance, à difféquer
des animaux. On trouve cependant
[], dans un ancien commentateur de
Platon, qu'Alcmæon de Crotone, dif
ciple de Pythagore, fut le prémier qui
fit des anatomies d'animaux.

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L'ancienne anatomie étoit fi groffiére, qu'Hippocrate, & Platon ont écrit, qu'une partie de la liqueur qu'on boit, tombe dans le poulmon. Le fcrupule des anciens les empêchoit de difféquer les corps des défunts. Ariftote, qui vivoit plus de quatre-vingts ans après Hippocrate, fait connoître qu'on n'a voit point encore anatomifé de cada vres humains, lorfqu'il dit [x] que les parties internes du corps de l'homme font inconnuës, ou qu'on n'a rien de bien certain là-deffus, mais qu'il faut en juger par la reffemblance qu'elles doivent avoir avec les parties des autres animaux, qui ont du rapport avec chacune d'elles.

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On paffa bientôt dans l'extrémité oppofée. Suivant le témoignage de Celle, Hérophile & Erafiftrate difféquoient touts vivants [y] les criminels condamnés à mort. Erasistrate trouva [z] que le cerveau eft le principe de touts les mouvements, qui fe font dans le corps: au lieu qu'Ariftote avoit mis l'origine des nerfs dans le cœur, ainfi que Galien [a] le lui a reproché. C'étoit à Alexandrie qu'Hérophile faifoit fes diffe&tions: l'échole d'Alexandrie devint fi célébre, qu'il fuffifoit à un médecin, pour s'attirer la confiance [b], de dire qu'il avoit étudié à Alexandrie.

Hérophile tint le prémier rang entre les anatomiftes. Tertullien a horreur de fa cruauté, & marque peu d'eftime pour fa fcience. Il en parle ainfi [c]: Hérophile ce médecin, ou ce boucher, qui a difféqué un grand nombre d'hommes, pour fonder la nature, qui a fait la guerre à l'efpéce humaine, pour la connoître, n'en a pas mieux pénétré pour cela l'intérieur: la mort apportant un extrême changement à toutes les parties, qui ne doivent plus être les mêmes, lorf qu'elles n'ont plus de vie; furtout ne s'agiffant pas d'une mort fimple, mais d'une mort caufée par les divers tourments, aufquels la recherche exacte de l'anatomifte a expofé des malheu

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