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que chez les Arabes, par Avicenne, Alkind, Algazel, Averroes, Alpha rabe, & quelques autres. Vivés té moigne beaucoup de mépris [a] pour toute cette philofophie Africaine.

Les François aprèsla prife de Conftantinople, rapportérent les livres d'Ariftote, commentés par les Arabes. Il s'introduifit alors une philofophie tirée d'Avicenne, & autres commentateurs Africains; & le mauvais goût Arabesque gâta les écholes, comme l'architecture, & les autres arts avoient été corrompus par le goût Gothique. Des fubtilités vaines & barbares, prirent la place de l'ancienne philofophie & s'emparérent de la logique & de la métaphysique qui étoient prefque les feuls objets des philofophes d'alors. Abélard, Albert le grand, faint Thomas, Duns qui eut les furnoms de Scot & de do&teur fubtil, fe livrérent eux-mêmes à un genre détude fi peu digne d'eux. Depuis ces chefs de la philofophie Scholaftique, la difpute s'échauffa, jufqu'à la fureur, pour fes fubtili tés, toutes méprifables qu'elles été ient, & comme nous l'avons déja remarqué, il y eut du fang répandu en Allemagne à l'occafion des contef tations qui s'élevérent entre les Nominaux & les Réalistes, dont les prémiers foûtenoient que les formalités, les natures univerfelles, & les diverfes relations expliquées par les Catégories, étoient feulement des différences intellectuelles, & diverfes maniéres de concevoir les objets ma. tériels; au-lieu que les Réalistes établiffoient pour principes qu'elles éto

[a] Averrot's doctrina & metaphifica Avicennæ omnia denique illa Arabica mihi videntur refpirare delira

ient des êtres réels diftincts & séparés de la matiére. Marque déplorable de l'égarement, & de l'opiniâtreté de l'efprit humain ! Une question, qui n'avoit aucun objet utile ni même réel, excita des querelles fanglantes, quoique les deux partis ne puffent penfer que la même chofe au fond, & qu'il n'y eût de différence que dans les expreffions.

fé trois fois

Cette philofophie Scholaftique fut prefque la feule fcience qui fut connuë, jufqu'à ce que la prife de Conftantinople par les Turcs fut l'occafion du rétablissement d'une philofophic plus faine dans l'Occident, en même temps que des lettres. Nous apprenons donc de l'hiftoire que les fciences ont Les feienpaffé trois fois de la Gréce dans l'Occi- ces ont pafdent; la prémiére, lorfque les Romains de la Gréce les puiférent en Gréce; la feconde lorfque les François, aprés avoir pris Conftantinople, rapportérent du Levant les écrits d'Ariftote, avec les commentaires des Arabes; & la troifiéme, lorfqu'aprés la deftruction de l'empire d'Orient par les Turcs, les fçavants de la Grèce cherchérent une retraite en Italie.

dans l'Occi dent.

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Des philo

zé les lettres

Argyrophile [b] Théodore de Gaze[], George de Trébyzonde [d], Beffarion, patriarche de Conftantino ple [], & depuis cardinal. Gémisthe Pléthon, qui avoit excité beaucoup de difputes au fujet de la philofophie Platonicienne, étoit mort peu de temps auparavant dans le Péloponéfe. Aprés s'être trouvé au concile de Florence, fous le pape Eugéne IV. en 1438. il avoit été engagé par les Médicis à fé journer dans cette cour, pendant plufeurs années. Emmanuel Chryfolore natif de Conftantinople eft plus ancien; il avoit été comme le précurfeur du rétablissement des lettres. Il décéda à Conftance en 1415. Il avoit eu pour auditeurs, plufieurs fçavants, Philelphe, Léonard d'Arezzo, le Pogge Florentin, & quelques autres.

L'émulation & l'ardeur, avec lafophes qui quelle les fciences furent renouvellées, ont réflufci- formérent bientôt en Occident un en Occident.grand nombre de philofophes: Pomponace, Niphus, Marfile Ficin, Politien, les deux comtes de la Mirandole, Fracaftor, Cardan, & autres.

Pomponace né à Mantouë en 1462. fut profeffeur à Padouë & à Boulogne :

[b] Jean Argyrophile fut choift par Cofme de Médicis, pour être le précepteur de Pierre fon fils, & de Jean fon neveu. Il fut auffi profeffeur de la langue Grecque à Rome.

[c] Théodore de Gaze né à Theffalonique s'étant réfugié en Italie aprés la prise de Conftantinople par Mahomes II. il fut rede vable à la protection du cardinal Beffarion dun un bénéfice qu'il obtint en Calabre Il a fait plufieurs traductions, il présenta fes ouwrages au pape Sixte IV: & ne trouvant pas le prefent qu'il en reçut affez magnifique, il le jetta de dépit dans le Tibre.

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[d] George de Trebyzonde étoit natif de Candie, mais d'une famille originaire de Trebyzonde: c'est le même qu'on trouve fouvent nommé Géorge Trapezonce. Son nom eft devenu célébre par la guerre littéraire qu'il foutint pour Ariftote, contre Platon dont

il traita quelques matiéres phyfiques, avec toute la barbarie de l'échole; & il devint fort célébre par les traités dans lefquels il foûtint qu'Ariftote avoit cru l'ame mortelle, & que l'efprit ne pouvoit être convaincu de fon immortalité, que par la foi. Niphus, dont le ftyle eft fort élégant, a été fon principal adversaire.

Le cardinal Bembe pris, pour arbi tre de cette querelle, décida, que le livre de Pomponace ne contenoit rien de contraire à la foi. On dit pourtant, que Pomponace fut condamné à jetter lui-même fon livre au feu. Auguftin Niphus a laiffé des ouvrages de philo, fophie, & de politique; il fut profef feur en quelques univerfités d'Italie, & mouruten 1537.

Marfile Ficin étoit fils du prémier Médecin de Cofme de Médicis duc de Florence .Il a été le plus outré des Platoniciens. L'obfcurité de fes écrits eft impénétrable en plufieurs endroits, à l'exemple de ceux de Platon.

Politien fut précepteur de Jean de Médicis,qui fut depuis le pape Leon X. Le nom de Politien étoit Ange Baffi

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il fut furnommé Politien, parce qu'il étoit né à Monte-Pulciano, petite vil. le de Tofcane, nommée en latin, Mons Pelitianus. Il mourut en 1494. de chagrin de l'exil des Médicis, fes protecteurs d'autres difent, de chagrin de n'avoir pû plaire à une dame, qu'il aimoit.

Le fameux Jean Pic comte de la Mirandole commentoit le droit à dix ans, à 18. ans, il fçavoit vingt deux langues. Il foûtint à 24. ans, neuf cents propofitions de dialectique, théologie,mathématique, magie, cabale, phyfique, tirées des auteurs Grecs, Latins, Hébreux, Chaldéens, &c. Ces théfes furent fort critiquées : Innocent VIII. les fit examiner: treize propofitions parurent trés-fufpectes. Ce jeune prince les défendit; par une apologie,qu'il fit en dix-fept nuits, & qu'on trouve à la tête de fes ouvrages, avec le bref d'approbation d'Alexandre VI. Il mourut à Florence, âgé de trent-trois ans, le 17. Novembre 1494. le même jour que Charles VIII. y fit fon entrée,

Jean-François Pic fon neveu, en fuccédant aux états de fon oncle, foûtint fa réputation, parmi les fçavants, & a laiflé comme lui plufieurs ouvrages. Sa vie fut fort traverfée, & fort malheureuse. Il fut chaffé de fa principauté, par Louis Pic fon frére puîné Aprés avoir été rétabli en 1510, il fut encore chaffé par les François, & enfin cruellement maffacré par Galeotti Pic, fils de Louis fon frére.

Rodolphe Agricola,éléve de Théodore de Gaze, renouvella les lettres en Allemagne, & dans les Païs-bas, & précéda de quelques années le célébre Erafme.

[f] Thuan. hift. lib.4. Baillet jugem, des fear. [g] Dieg. Laërt, in Leucipp Democr, Epi

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Jérôme Fracaftor étoit de Vérone; il fut philofophe, médecin, poëte, & aftronome. Il mourut d'apoplexie à Padouë [f], le fix Août 1553. dans fa foixante & onzième année.

Jérôme Cardan vint au monde malgré fa mére, qui l'aïant conçu hors du mariage, tenta de perdre fon fruit par toutes fortes de breuvages. Il fut bizarre, inconftant, entêté de fes prédictions. Il fe vanta d'avoir un démon fa milier comme Socrate.

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2

Le fiéclele

Le feiziéme fiécle, auquel on peut, ce me femble, donner le titre du plus plus fçavant fçavant de touts les fiécles, a retiré a été le feil'ancienne philofophie des ténébres où elle étoit plongée: le dernier fiécle a été plus loin. Il a critiqué cette ancienne philofophie, & en a produit une, qui peut paffer pour nouvelle, quoique le plus grand nombre de fes découvertes ait fa fource dans les écrits des anciens : par exemple, la fameufe hypothéfe des tourbillons de Defcartes a été[g] connue à Léucippe,à Platon, à Epicure. On trouve dans Léucippe l'axiome de méchanique emploïé par Defcartes, comme le fondement de tout fon fyftéme, que la matiére a un mouvement naturel direct; l'ancien philofophe avoit enfeigné [b] que les atomes les plus fubtiles tendentà monter comme en s'élançant .

6.

C'eft le mouvement que Defcartes Contradic auroit donné à fa matiére fubtile, s'il tion de Defcût fuivi fes propres principes, mais cartes. par une contradiction des plus furprenantes, il place au centre des tourbillons cette matiére fubtile, qui doit avoir le plus de mouvement & de force centrifuge, & il envoie à la circonférence les corps les plus maffifs. Ce

cur.& Archel. Plat. ap. Paling. Zodiac. lib. 11.

[h] Diog. Laërt. in Leucipp.

qui eft non-feulement contraire à fes principes, mais encore à la mechanique qu'il emploie pour l'arrangement & la conftruction des planétes & de l'athmosphère qui les environne, où il affigne une place différente à fes trois éléments, expliquant la pefanteur par la force centrifuge des corps les plus légers, qui aiant plus de mouvement pour s'éloigner du centre, répercutent les corps plus maffifs, & les repouffent vers le centre. C'est ce que nous expliquerons plus au long dans le chapitre de la phyfique.

Galilée Florentin forma le prémier le deficin d'une phyfique moderne, dont on peut le regarder comme le fondateur. Il étoit fils naturel de Vicenzo Galileï noble Florentin, il fut professeur à Padouë, & depuis à Pife, & mourut en 1642. âgé de 78. ans.

Gaffendi, en levant le mafque contre Ariftote, ne contribua pas peu à exciter Descartes par fon exemple, quoique leur philofophie foit contrai re en beaucoup de chofes. Gaffendi nâquit en Provence, dans le diocéfe de Digne en 1592. il fut chanoine, & prévôt de l'églife Cathédrale de Digne, & enfuite profeffeur de phi lofophie, & de mathématique à Aix, puis à Paris. Ileft mort à 64. ans,dans la réputation d'un des plus fçavants hommes, & des plus pénétrants philofophes qui aient jamais paru.

René Descartes [ ]nâquit à la Haïe en Touraine, en 1597. d'une famille noble, dont il y a des branches en Bretagne,& en Poitou; il commença par porter les armes en Allemagne, & en Hongrie. Son inclination pour la philofophie, le détermina bientôt à la retraite, & pour n'être point interrompu dans fes méditations, il fe retira

prés d'Egmond, petite ville de Hol lande, fur le Zuyderzée, où il paffa 25. ans, à étudier la nature. Cette longue folitude peut être comparée au fommeil d'Epimenide. La reine Chriftine l'attira en Suede, où il mourut, en 1650.quatre mois aprés y être arrivé; il étoit dans fa cinquante-quatrié me année.

Les plus célébres philofophes du der-. nier fiécle,outre les trois, que je viens de nommer, ont été Bacon, Pafcal Hobbes, & Boyle. François Bacon chancelier d'Angleterre, & comte de Vérulam, étoit fils de Nicolas Bacon, auffi chancelier d'Angleterre. François mourut fi pauvre,qu'à peine laiffa-c-il de quoi être enterré. Sa liberalité fut la caufe de fon indigence. Il écrivit à Jacques I. quelque temps avant que de mourir, pour demander à ce prince quelque grace qui le mit en état de fubfifter, Afin, difoit-il, que n'aïant fouhaité de vivre, que pour étudier, il ne fût pas obligé à la fin de fes jours d'étudier pour vivre.

Blaife Patcal nâquit à Clermont en Auvergne, en l'année 1623. fon pére, a été préfident de la cour des aides d'Auvergne, & intendant de la géné ralité de Rouen. On a dit de Blaife Pafcal, qu'il avoit appris avant l'âge de douze ans les principes de la géométrie,fans maître & fans livres, & qu'il avoit fi bien conduit fes idées & fes raifonnements, qu'à un âge fi tendre & fans aucun fecours, il étoit arrivé par la feule force de fon génie à la 32, propofition du prémier livre des éléments, d'Euclide. Pafcal a paflé pour auteur d'un traité des fections coniques à feize ans,quoique Defcartes dans fes lettres au pére Merfenne, montre beaucoup d'incrédulité furce prodige. Paf

[i] La vie de Defcartes aété écrite par Adrien Bailles.

cal

1

cal à 19. ans inventa & donna au public le triangle arithmétique. Son traité de la pefanteur de l'air, & celui de l'équilibre des liqueurs ont été les fon-, dements de plufieurs découvertes phyfiques, conftructions de machines, & expériences très-inftructives. Pafchal

mourut en 1662.

Thomas Hobbes Anglois a compofé des ouvrages de politique, & de philofophie, & entr'autres un traité du fafte des géométres, où fans attaquer la géométrie, il critique les géométres, & reléve plufieurs de leurs fautes. Il eut une penfion de Charles II. roi d'Angleterre. Il mourut le 4. Décembre 1679. âgé de 91. ans.

Robert Boyle, fils de Richard Boyle, comte de Cork en Irlande, a enrichi la phyfique d'un grand nombre d'expériences. Il eft mort le 30. Décembre 1691.

Je ne pafferai pas les bornes du dernier fiécle. J'ai traité fort fuccinctement ce qui concerne les philofophes modernes, qui font bien plus génèralement connus de nous, & par la proximité du temps, & par le progrés de leurs opinions,que j'expliquerai ample ment, quand l'occafion s'en préfentera. On doit à la philofophie moderne cette juftice, que l'efprit méthodique, & la clarté y régnent beaucoup plus,, que dans la philofophie ancienne.

Le ftyle de la philofophie a paffé plufieurs fois d'une extrémité à l'autre. L'éloquence de Platon lui prêta autrefois beaucoup de brillant: on ne peut rien lire de plus barbare que ce quia été écrit par les Arabes & les Scholaf tiques : quelques-uns de nos philofo, phes modernes ont joint toute forte d'agréments à la plus exacte précision; & l'on peut leur appliquer à jufte titre, ce qu'Eratofthéne difoit ancienne

Tom. 1.

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[k] Ding, Laërt in Bione. [1]Lep. Dan, voiag.du mond, de Defcart.

ment [k]de Bion, qu'il avoit habillé la philofophie d'une robbe ornée de fleurs.

Cette philofophie moderne a effuïé de grandes contradictions, avant que de pouvoir s'établir. La phifique de Defcartes a été profcrite par les univerfités de Caën, & d'Angers. L'affemblée générale de l'Oratoire fit un decret en 1678. par lequel [7] elle déclare, qu'elle n'embraffe aucun parti; qu'elle veut demeurer en liberté de pouvoir tenir toute bonne & faine doctrine; qu'elle ne défend d'enfeigner, que celles qui font condamnées par l'églife, ou qui pourroient être fufpectes des fentiments de Janfenius, & de Baïus, pour la théologie, & des opinions de Defcartes, pour la philofophic.

Enfin la philofophie moderne a furmonté les obftacles, elle s'eft attiré l'élite des fectateurs, & elle a pénétré dans les écholes mêmes, où les partifans d'Ariftote ne font pas aujourd'. hui les plus nombreux, mais depuis peu une phyfique nouvelle, qui ne s'explique guéres que par des calculs d'algébre, commence à s'établir. Les principes en font entiérement oppofés à ceux de Des-Cartes. L'attraction & le Vuide y fervent de fondement aux hyppotéfes; peu s'en faut que la philofophic Cartéfienne ne devienne furannée, & que les Newtoniens ne regardent aujourdhuy Des-Cartes come les Cartéfiens dans le dernier fiécle regardoient Ariftote. Plu fieurs phyficiens réfiftent au rétablissement de l'attraction; & pendant que les uns vantent ce Systéme, comme la per fection d'une phyfique moderne qui lé ve toutes les difficultés, les autres regardent cette même attraction, comme un terme qui n'explique rien, & qui re plonge la philofophie dans ces qualites occultes qui fembloient, profcrittes fans retour pour le Cartéfianifme.

part. 3.p. 269. 278.

A a

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