Page images
PDF
EPUB

Même or

qui étoit la deux cents trente-fixié-
me, il fe brûleroit. Il tint effective-
ment parole. Les jeux de cette année
(qui répondoit à la cent foixante &
huitiéme de l'ére Chrétienne) étant
finis[k], il fit dresser un grand bu-
cher, & pendant la nuit il vint y met
tre le feu, fuivi de plufieurs Cyniques,
il quitta fa beface, fon manteau & fon
bâton, jetta de l'encens dans le feu,&
dit tourné vers le midi: Démons de
mon pére & de ma mére, recevez-
moi favorablement. Auffitôt il fauta
dans le feu, & ne parut plus, aïant
êté environné & englouti par les flam-

mes.

Saint Augustin [7] obferve que de fon temps, il y avoit encore des Cyniques, mais qu'ils n'auroient pas ofé impunément offenfer les yeux du public, par leur impudence.

principaux dogmes, & elle peut paf
fer pour fille de la fecte Cynique. H
y eut toujours beaucoup d'union en-
tre les Cyniques & les Stoïciens. La
fierté des uns, & l'idée de leur fage;
l'effronterie des autres, & leur mépris
pour les opinions des hommes, avoi
ent pour principe le même fond d'or-
gueil.

2.

Zénon de Cittie', ville de l'ifle de Chypre, aïant pérdu tout fon bien De zenon. fur mer fur mer, fe livra entiérement à la philofophie, & il dit [4]que jamais il n'avoit fait de navigation fi heureufe, que lorsqu'il avoit fait naufrage. Il fut d'abord difciple de Polćmon [b], philofophe de l'ancienne Académie, en même temps qu'Arcéfilas qui fut chef de la feconde.

La fecte Stoïcienne toute dogmatique, & remplie de l'efprit de déKastaneransAZNU÷sa cifion, fut trés-oppofée à la feconde

CHAPITRE HUITIEME.

Des Stoïciens,
SOMMAIRE.

1. Même orgueil dans les Cyniques
dans les Stoïciens. 2. De Zé-
non. 3. De Cléanthes 4. De Chry.
fippe. 5. Des lettres de Sénéque à

Saint Paul, 6. De la doctrine Stoi-
que.

A fecte Stoïcienne, quoi que fort différente de la Cynique, con din, venoit cependant avec elle dans les

gueil dans

que & dans Jes Stor

[blocks in formation]
[ocr errors]

& à la troifiéme Académie, au Pyr-
thonifme, & même à cette maniére
irréfoluë de philofopher dont So-
crate avoit donné l'exemple. Carnéa
de partifan de l'indécifion regardoit
Zénon, comme un redoutable adver-
faire [c]; & lorfqu'il fe difpofoit à
difputer contre lui, il fe purgeoit
avec de l'ellébore, pour fe fortifier
le cerveau.

Zénon s'attacha à Cratés le Thébain,
ou le Cynique; il eut depuis plufieurs
autres maîtres, & il fonda fa fecte peu
de temps aprés la mort d'Ariftote. Il
enfeignoit dans un portique d'Athé
nes orné des peintures du célébre Po-

Lis S. Aug. de qivit. Dei, l 14.c.20..
[4] Νῦν εὐπλα, ὅτε νεναυάγηκε.
[b] Cic. acad. quast, lib.x.

[c] Aul. Gell. lib. 17. cap. 15. Suivanı
Valére Maxime, c'étoit pour difputer contro
Chryfippe, Val. Max. lib.8.6.7.

lygnote: & le mot Grec [d], qui fignifie portique, fit nommer les difci ples de Zénon Stoïciens:

Antigonus roi de Macédoine écrivit à Zénon une lettre pleine d'eftime, Diogène de Laerce [è] nous l'a tranf mife avec la réponse: Le roi Antigonus, au philofophe Zénon. Si la fortune & la gloire m'ont mis au-deffus de vous, je reconnois que vous me furpaffez en science & en félicité : c'eft pourquoi je vous invite à venir à ma cour, pour me communiquer les biens dont vous jouiffez. Faites réflexion que vos enfeignements ne feront pas feulement utiles à un grand roi, mais à toute la nation des Macédoniens, car celui qui forme le roi à la vertu, rend toute une nation vertueule, puifque vous n'ignorez pas quelle eft la force de l'exemple du monarque.

Zénon lui fit cette réponse. Zénon, au roi Antigonus. J'applaudis à cette ardeur, qui vous porte à préférer une fcience vraie, utile, & néceffaire, telle qu'eft la philofophie à une politique fauffe & artificieufe, étude que la plupart des rois jugent feule digne d'eux, & qui eft fi fouvent fatale aux peuples. Celui qui fuit la philofophie, & qui s'éloigne de la volupté, joint bientôt les doux fruits de la vertu, aux heureufes difpofitions que la nazure a mifes en lui, & qu'on peut appeller la véritable nobleffe. Un travail modéré, & de bons enfeignements, le conduisent bientôt à la perfection. Mon âge de quatre-vingts ans paffés, & la foibleffe de ma fanté, font des obftacles infurmontables au défir, que

[4] Στοά .

[e] Diog. Laërt. in Zen. Cit.

[f] Lucien, de ceux qui ont long-temps vécu.

[g] Quid, quod libelli Stoïci inter fericos

j'ai de me rendre prés de vous, mais je vous envoie deux de mes difciples, aufquels il ne manque rien du côté des biens de l'ame, & qui me furpaffent beaucoup par les avantages du corps. Si vous leur donnez une férieuse`attention, ils vous mettront dans lechemin de la fageffe & du véritable bonheur.

Il envoïa Perfée & Philonidas,à Antigonus. Prolémée roi d'Egypte députa un ambaffadeur à Zénon, comme à un fouverain. Les Athéniens firent un decret, pour lui déférer une couronne d'or, lui conftruire un tombeau, aux frais du public, & élever deux colonnes, fur lesquelles ce decret fut gravé.

Zénon mourut dans la cent vingtneuviéme Olympiade [f], âgé de quatre-vingt-dix-huit ans. Les uns difent que ce fut d'une mort naturelle, les autres, d'une mort volontaire,.occafionnée par le chagrin qu'il conçut de s'être rompu un doigt en tombant. Plufieurs perfonnages illuftres ont fait honneur à cette fecte, comme Cléanthés, Chryfippe, Stilpon, Panatius, Caton, Brutus, Sénéque, Thrafeas Patus, Helvidius Prifcus, Epicéte, l'empereur Marc-Aurèle Antonin.Les dames Romaines au milieu du luxe & de la molléffe [g], fe piquoient de morale Stoïque,

[blocks in formation]

Cléanthes vainqueur de la pauvre té, tiroit & portoit de l'eau, [b], thés. pendant la plus grande partie du jour, pour gagner fa vie, & emploïoit la nuit à l'étude de la philofophie.Il a vécu[i]quatre-vingts ans.

Chryfippe

Jacere pulvillos amant?Hor. Epod.S. [b] Cleanthes ofsardas, id eft, puteos exhaurientis cognomen tulit. Diog. Laërt.in Cleanth.

[i] Diog, Laers in Cleauth, Lucian. in Longav.

Appe.

Chryfippe natif de Solos ville de CiDe Cary licie, & felon d'autres, natif de Tarfe, fut difciple de Cléanthés qui fuccéda à Zenon. Valére Maxime rapporte [k] que Chryfippe, à l'âge de qua tre-vingts ans, acheva fon trente-neuviéme traité de logique. Diogène de Laerce [] fait monter le nombre des traités de dialectique, compofés par Chryfippe, à trois cents onze. Cette logique de Chryfippe, & des Stoïciens, paffoit pour être fort fupérieure à celle d'Ariftote, & des Péripatéticiens, qui régne encore aujourd'hui dans les écholes.Chryfippe, felon quel quesauteurs[m], mourut à force de rire, de ce qu'aïant vû un âne, qui mangeoit des figues dans un plat, il avoit dit à fa fervante de fervir du vin à cet animal dans une coupe.

Les Stoïciens enfeignoient à rechercher la vertu pour elle-même, fans aucun motif d'efpérance, ou de crainte, difant qu'il n'y a point d'autre bien que la vertu, ni d'autre mal que le vice, Saint Auguftin touché de la belle morale d'Epictete, a fait des vœux pour fon falut. Saint Jérôme trouvoit beaucoup de rapport [n] de la philofophie Stoïque à la religion Chrétienne. Il met Sénéque au rang des écrivains Eccléfiaftiques [o], obligé, ditat Paul.il, de l'y inférer, à caufe des lettres de Sénéque à faint Paul, & de faint Paul à Sénéque. Ces lettres font rejet

[ocr errors]

Des lettres de Sinéque

Tom. 1.

[k] Val. Max. lib. 8. c. 7. [] Diog. Laërt. in Chryfipp. [m] Petr. Caftellan de vitis illuftr. medicor, in Chrypp.

[n] Stoïci cùm noftro dogmate in plerifque concordant. S. Hieronym, in Jaï. e. 10.

[o] S. Hieronym. de fcriptorib, ecclef.
[] Tillemont, hift. eccléf.t. 1. p.303.
[g] Baron, t. 1. ad ann. 66.

fr] Quifquis formator univerfi fuit, five

tées [p] par touts les critiques. Leur fuppofition doit être fort ancienne, puifque le pape faint Lin, faint Jérôme, & faint Auguftin les ont regardées comme véritables. Il eft auffi fait mention, dans les actes de faint Lin [g], de l'amitié qui étoit entre faint Paul & Sénéque.

Le témoignage attribué à faint Lin n'eft d'aucune confidération, parceque fon livre des actes de faint Pierre d'où il eft tiré, eft faux au jugement de Bellarmin & de Baronius. Quant à faint Jérôme & à faint Auguftin, on peut dire, ou qu'ils n'ont pas eu le loifir de bien examiner ces lettres, ou qu'il y en avoit de véritables de leur temps, aufquelles on en a fubftitué de fauffes, ou quefaint Jérôme & faint Auguftin n'ont pas jugé à propos de s'oppofer à une croiance, qui étoit répandue.

Sénéque a parlé fort clairement [r] de la fainte Trinité, ce qui ne peut être rapporté qu'à ce qu'il vivoit dans un temps, où le Chriftianifme étoit fort connu.

Néron envoïa prononcer à Sénéque l'arrêt de fa condamnation, parce qu'il étoit foupçonné d'être complice de la conjuration de Pifon [s]. Sénéque reçut cet ordre, & fe fit ouvrir les veines avec beaucoup de fermeté.

6.

On a reproché aux Stoïciens, d'avoir égalé leur fage [] à Jupiter,d'a. De la doc

V

ille Deus eft potens omnium, five incorporalis ratio ingentium operum artifex, five divinus fpiritus per omnia maxima, minima, æquali intentione diffufus. Sen. confol. ad Helv.

[s] Tac. annal. lib. 15,

[] Sapiens vicinus proximufque diis confiftit, exceptâ immortalitate fimilisDeo, Sen, de conftant. fapient. c. 8.

Jupiter quo antecedit bonum virum?

trine Stofque.

voir enfeigné que l'ame étoit une partie de la divinité, & que les hommes pouvoient difpofer de leurs vies, & fe donner la mort. Les Stoïciens ont fou tenu l'égalité des vertus & des vices: voici les raifons fur lesquelles ils fe fondoient.Il n'y a pas différents degrés de vérité, il n'y en a pas non plus, dans ce qui eft honnête ou honteux. Comme un pilote, qui par l'ignorance de fon art fait échouer un vaiffeau chargé de paille, n'eft pas moins indigne d'être emploié que celui, qui fait perdre un vaiffeau chargé d'or de même celui qui bat, fans raison un efclave, péché autant que celui qui tue fon pére.

Les Stoïciens rapportoient cette opinion à Socrate [], quoique toute l'Académie fût dans des principes [x] fort différents. Ceux qui veulent, dit Horace, que toutes les fautes foient égales [y], fe trouvent en peine, quand on remonte à la fource de la vérité: car le fens commun & les mœurs y répu

diutiùs bonus eft. Sapiens nihilo fe minoris æftimat, quòd virtutes ejus fpatio breviore clauduntur. Quemadmodùm ex duobus fapientibus qui fenior deceflit, non eft beatior eo, cujus intra pauciores annos terminata virtus eft: fic Deus non vincit fapientem felicitate, etiamfi vincit ætate. Sen. epift. 73.

Hoc mihi philofophia promittit, ut me Deo parem faciat. Sen. epift. 48.

[u] Idem effe Socrates dicebat veritatem & virtutem: quomodo illa non crefcit, fic nec virtus quidem. Sen. epift. 71.

[x] Illa paradoxa primâ fpecie admirationem, re explicatâ rifum movent. Cic. academ, quast. lib. 4.

Cicéron a tourné les Stoiciens en ridicule dans les paradoxes, dans l'oraison pour

[blocks in formation]

gnent : l'utilité même s'y oppose, l'utilité, dis-je, qui eft la mére de la juftice & de l'équité.

La raifon ne permettra jamais [z] qu'un homme, qui n'aura dérobé que des choux dans un jardin, ait fait un auffi grand crime, que celui qui aura pillé un temple. Les Stoïciens outroient la morale. Cicéron, dans la critique ingénieufe qu'il fait de Caton, & de la fecte Stoïque, en plaidant pour Mureena, dit que ces philofophes [a] étendent les devoirs au delà des bornes qui leur font prefcrites par la nature.

Stilpon aïant perdu fa patrie, fa femme, & fes enfants, nioit [b] qu'il eût perdu aucun bien véritable. Sénéque avance gravement [c] que les remparts des villes peuvent être ébran lés par le bélier, que les tours peuvent être renverfées par des mines, mais que la vertu eft hors de toute atteinte. L'abregé de Xiphilin [d] reproche à ce même Sénéque d'avoir

[merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small]

méné une vie trés-contraire à fes écrits, d'avoir corrompu Julie & Agrippine, & d'avoir enfuite trempé dans la mort de la derniére, d'être monté fur le théâtre avec Néron, par une flaterie baffe & indigne de la gravité qu'il affectoit Son avarice & fon luxe font exaggérés à tel point par le même aureur, que Sénéque eft repréfénté,comme la caufe des révoltes de l'Angleterre; qui ne pouvoit plus fouffrir fes ufures. Il paroît cependant que les Romains du temps de ce philofophe, avoient une haute idée de fa vertu, puifque Juvénal en parle [e], comme d'un contrafte qu'il oppofe aux monftrueux débordements de Néron.

Horace eft plein de traits de raille rie de la fecte Stoïque. Le fage, dit-il, [f] ne voit que Jupiter au deffus de lui; ileft riche, libre, comblé d'honneurs, beau & bienfait; & pour fa fanté, elle eft merveilleufe, à moins qu'il ne foit incommodé de la pi

[blocks in formation]

compris: ce que notre bon pére Chryfippe a voulu dire. Le fage ne fe fait jamais ni fouliers ni pantoufles; le fage eft pourtant bon cordonnier. Comment cela? par exemple, comme Hermogéne; quand il ne dit mot, ne laiffe pas d'être un excellent muficien, qui chante & compofe parfaitement ; comme Alfenus encore, cet habile jurifconfulte,étoit toûjours fort bon cordonnier, quoiqu'il eût fermé boutique & renoncé au métier; il en eft de même du fage; il eft feul bon artifan en tou te forte d'ouvrages. Il est roi, quoiqu'il n'ait point de roïaume.Oui, mais dés que vous fortez dans la ruë, les enfants courent aprés vous pour vous arracher la barbe; & fi vous ne vous fervez de votre bâton, pour écarter cette troupe folêtre, dans un moment vous en étes accablé, & tout grand roi quevous étes, vous vous tuez à force de crier.

Plutarque [b] a porté les coups les plus mortels à la fecte Stoïque. Il repréfente le Lapithe Stoïcien, formé d'un acier impénétrableaux paffions & à la douleur, & bien plus merveilleux que le Caenée de Pindare, qui étoit V 2

[blocks in formation]
« PreviousContinue »