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De Phedon.

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Amphicrate rapporte que Théodere fut condamné à mort par les Athéniens & qu'il s'empoifonna lui-même. Il n'eft pas étonnant que la plus fenfuelle de toutes les écholes ait produit les fectes les plus monftrueufes, qui deshonorérent la philofophie, en enfeignant que le fage pouvoit commettre toute forte de crimes & renoncer à toute pudeur, dans les occafions favorables à fes intérêts. Toute cette morale abo· minable dérivoit de la fource impure des Cyrénaïques: ce qui a fait dire à Cicéron [b] que la fecte d'Ariftip pe avoit enfanté l'impiété, & celle de Zénon une févérité de mœurs outrée & fauvage.

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cibiade, qui peu de temps aprés lui donna la liberté. Il écrivit les chofes les plus mémorables de la doctrine & de la vie de Socrate, à l'exemple de Platon & de Xéno phon.

Il s'attacha fort religieufement à la doctrine de Socrate fon maître, & il ne fut le chef d'une fecte particuliére, que parce qu'au-lieu de fuivre Platon dans l'académie, il inftitua une échole dans la ville d'Elée fa patrie.

Plifthanes qui étoit auffi Elien fuccéda à Phédon, & fut relevé par Ménédéme Erétricien, qui vivoit fous la cent vingtiéme Olympiade, vers l'an trois cents avant JésusChrift. Ménédéme aïant tranfporté l'échole d'Elée à Erétries ville d'Eubée, donna lieu au nom d'Erétrique porté par cette fecte, qui eft toûjours demeurée affez obfcure, & dont je n'ai fait mention que pour n'omettre aucune des branches principales forties immédiatement de l'échole de Socrate.

Euclide a été le quatriéme difciple de Socrate, qui a fondé une fecte par. ticuliére: il étoit de Mégare, ce qui fit nommer fa fecte Mégarique. Dans fa jeuneffe, il eut une fi grande ardeur pour la philofophie, & pour la doctrine de Socrate, que les Atheniens aïant défendu, par un édit portant peine de mort, à touts ceux de Mégare, de mettre le piè dans Athénes, Euclide [a] arrivoit touts les foirs déguifé en femme, & s'en retournoit touts les matins avec le même déguisement à Mégare éloignée d'Athènes de plus

2.

D'Euclide

[b] Afotos ex Ariftippi, acerbos é Zenonis fcholâ prodire. Cic. de nat.

deor. lib. 3.

[a] Aul. Gell. lib, 6. c, 10,

de vingt milles, ou environ fept licuës.

--Euclide difciple de Socrate ne doit pas être confondu avec Euclide le Mathématicien, dont nous avons les éléments de géométrie. Ce dernier plus moderne étoit d'Alexandrie, où il enfeignoit du temps de Prolémée fils de Lagus, fous la cent vingtiême Olympiade, l'an trois cents avant Jésus-Chrift.

Ces philofophes de Mégare furent grands dialecticiens, & donnérent beaucoup dans les fubtilités de fophifmes, faifant leur principale étu. de des raifonnements captieux, & dont la folution paroiffoit difficile: èn quoi ils parurent dégénerer de l'efprit, & de la doctrine de Socrate. Cette fecte fut furnommée la contentieufe: E ubulide fucceffeur d'Euclidefe fignala par l'invention de plufieurs fophifmes.

Les anciens ont fait une affaire féricufe de la folution du fophifme [b] appellé le menteur. Il confiftoit en certains termes, qui fembloient fe détruire eux-mêmes, comme quand un homme en fe parjurant, jure qu'il fait un faux ferment: car tout à la fois il jure la vérité, & ainfi il ne fe parjure pas; mais il affirme avec ferment une chofe fauffe, & par conféquent il fe parjure. Ou bien, fi vous dites que vous mentez, & qu'en le difant vous profériez quelque vérité, vous mentez: cependant la chofe que

vous dites eft vraie, donc vous mentez en difant la vérité.

Un autre argument captieux [c] confiftoit à tirer une conféquence générale de quelques rapports particu liers. Par exemple, avoir deux mille livres, c'eft être peu riche; en avoir trois, c'eft être peu riche; en avoir quatre, c'eft être peu riche; donc avoir deux, trois, ou quatre mille livres, c'eft la même chose.

Les Stoïciens avoient beaucoup de penchant pour ces fauffes fubtilités dé l'échole de Mégare. Ariftote déclare fort férieufement [d] que le fophifme, nommé le menteur, le jette dans une extréme perplexité. Sénéque fe mocque [e] des livres compofés fur ce fophifme.

Il y avoit une autre espéce de fophifme [f] femblable au menteur. On fuppofe qu'un homme a fongé qu'il ne faut point croire aux fonges, & fur cela voici comment on raisonne. Si cet homme croit à ce fonge, il croira en même temps, & ne croira point aux fonges. Il ne croira point aux fonges puifqu'il ajoûte foi à celui qui défend de croire aux fonges; & il croira aux fonges, puif qu'il fuit le précepte d'un fonge, qui l'avertit de ne point croire aux fonges. Que fi cet homme rejette l'avertiffement de ce fonge, il croira encore en même temps, & ne croira point aux fonges: il croira aux fonges puifqu'il rejette l'avertiffement de ne

T 2

[3] Ψευδόμενον, mentiens. Eic [c] Cet argument fe nommoit Sorites, ON Acervalis.

[d] Ariftot, ethic, Nicomach. lib. 7. c. 3. [e] Quid me detines in eo quem tu iple pfeudomenum appellas, de quo

tantum librorum compofitum eft? Ecce tota mihi vita mentitur; hanc coargue, hanc ad verum, fi acutus es, dirige. Sen epift. 45.

[f] Cet argument fe nommoit Afyftate c'eft-a-dire, qui ne peut fubfifter.

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دو

دو

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point croire aux fonges; & il ne croira point aux fonges, puifqu'il eft perfuadé que l'avertiffement, qui lui eft donné par ce fonge, ne doit point être fuivi. Ces propofitions femblent fe contredire, & fe détruire les unes par les autres; mais la folution en eft facile, en ce que ce fonge, en faifant ceffer la croïance aux autres fonges, fe l'ôte à lui-même. Le fongeur ne refufera donc pas de croire aux fonges, parce qu'il croit à celui-là, mais étant averti feulement par celui-là, fans le prendre pour motif de fa perfuafion, il tiendra touts les fonges pour faux, & celui-là comme les autres, leur fauffeté ne confiftant pas à dire le contraire de la vérité, mais à ne pouvoir nous apprendre la vérité.

Diogène de Laerce, dans la vie de Chryfippe, rapporte quelques exem. ples de ces fophifmes. Lucien s'en moc. que en parlant de deux arguments appellés l'un l'Electre, & l'autre le maf „qué [g]. „Le Marchand. Quelle eft cette Electre [b]? Chrifyppe. La fille d'Agamemnon fi célébre, qui fçait en même temps une chofe, & ne la fçait pas car elle fçait qu'Orefte eft fon frére, mais elle ne fçait pas » que celui qui eft préfent, eft Orefte. Pour le mafqué, il est tout-àfait incompréhenfible. Réponds-moi, connois-tu ton pére? Le Marchand. » Qui en doute? Chrifippe. Si je te le préfentois mafqué, que répondrois-tu? Le Marchand. Que je ne le connois point. Chryfippe. Tu connois donc ton pére, & tú ne le connois pas.

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On peut mettre dans le nombre de ces vaines fubtilités, l'argument du Crocodile [i], qui a pris un enfant, & qui a promis de le rendre, fi l'on peut lui dire ce qu'il a résolu d'en fairė..

CHAPITRE SEPTIEME.

Des Cyniques.

SOMMAIRE.

1. D'Antisthéne. 2. Etymologie de Cynique. 3. De Diogène. 4. De Cratés & d'Hipparchia. 5. De Pèregrin.

LE cinquiéme difciple de Socrate,

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D'Antifthé

qui a établi une fecte particu- ne. liére, a été Antifthéne Athénien, chef des Cyniques. Il étoit né d'un pére Athénien, & d'une mere Phrygienne, & vivoit dans la 94. Olympiade, vers l'an 404. avant JéfusChrift.

Il quitta l'étude de la rhétorique, pour s'attacher à Socrate, vendit tout fon patrimoine, & le diftribua à fes citoiens, pour embraffer l'état d'une pauvreté libre & indépendante. Jamais aucune fecte ne s'eft élevée avec tant de hardieffe contre les préjugés. Elle bravoit les opinions & les mépris des hommes, & fon efprit étoit de donner tête baiffée dans les extrémités oppofées aux erreurs, qu'elle fe pro

[ ] Ε'γκεκαλυμμένος .

h] Lucien, dial, des fectes à l'encan

traduct, de d'Ablancourt. [i] Lucien, dial, d'Hermosime,

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pofoit de combattre, afin de ramener les hommes dans des bornes raifonnables.

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,

Ermologie Héfychius tire l'étymologie du de Cynique nom de Cynique, de ce qu'Antifthéne établit fon échole dans un lieu confacré à Hercule, & qu'on nommoit Cynofarge, ou la chapelle du chien blanc, parce que pendant un facrifice qu'on y faifoit à ce dieu, un chien blanc vint enlever une cuiffe de la victime fans qu'aucun des affiftants pût lui faire lacher prife ni empêcher qu'il ne l'emportât Sextus Empiricus [a] rapporte l'origine de ce nom de Cynique à la hardieffe avec laquelle ces philofophes aboïojent , pour la défenfe des bons, & contre les vices des méchants. Leurs ennemis prétendoient par ce nom défigner leur impudence: ainfi cette dénomination ne pouvoit pas manquer de devenir générale, puif qu'eux-mêmes fe la donnoient, com me honorable, & que leurs ennemis la regardoient comme une fatire, & comme une injure.

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Les Cyniques foûtenoient que tout ce qui eft naturel, eft bon en foi; que ce qui eft bon, ne doit infpirer aucune honte, & qu'ainfi toute action conforme à la nature, pouvoit être commife indifféremment en public. Ils faifoient confifter la fageffe à fe mettre au-deffus des opinions des hommes, & les richeffes à retrancher les befoins & les défirs. De Diog. Diogene difciple d'Antifthéne a furpaffé de bien loin la gloire de

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[a]Sex.Empir.Pyrrhon, hypotyp.lib.1.c.14. [6] Senfit Alexander, teftâ cum vidit in illâ.

Magnum habitatorem ; quanto feli cior hic, qui

fon maître. Il nâquit à Synope; la troifiéme année de la 91. Olympiade, 412. ans avant Jésus-Chrift. Convaincu d'avoir fait de la fauffe monnoïe, il s'enfuit de fa patrie, & fe réfugia à Athènes, où il eut affez de peine à être reçu parmi les difciples d'Antifthéne.

Il n'avoit qu'une beface, un bâton, & une écuelle de bois, & il jetta ce dernier meuble comme fuperflu, aïant remarqué un jeune garçon, qui bûvoit dans le creux de fa main. Sa maifon étoit un tonneau, où il demeuroic expofé aux raïons du foleil. Aïant paru en plein jour dans le marché avec une lanterne à la main, il dit que parmi touts ceux qu'il rencontroit il cherchoit un homme. Il fut trouvé demandant l'aumône à des ftatues, & il répondit à ceux qui lui marquoient leur étonnement: Je fçai bien que ces ftatues ne m'entendent point; mais j'apprends à fupporter la dureté des hommes, qui ne font pas moins infenfibles qu'elles. Lucien dans le dialogue des fectes à l'encan fait dire à Diogéne, que celui qui l'achetera, trouvera en lui un maître au-lieu d'un efclave. Le vulgaire s'en mocquoit, mais Alexandre [b] l'admiroit; l'aïant preflé un jour de lui demander quelque grace, Diogéne le pria de fe détourner un peu, afin de le laiffer jouir des raions du foleil : & ce monarque dit que s'il n'étoit pas Alexandre [3, il voudroit être Diogène. Saint Jean T 3

Nil cuperet, quam qui magnum fibi pofceret orbem. Juven. [c] Diog. Laërt. in Diog. Cyn. Plutarch, in Alex. Val. Max. lib.4.c.3.

Chryfoftome [d] a propofé Diogéne, comme un modéle de vertus. Saint Jérôme [e] l'a nommé plus grand & plus puiffant qu'Alexandre, & le vainqueur de la nature humaine. Diogène étoit dans Corinthe [f], lorfque Philippe affiégea cette place touts les habitants travailloient avec empreffement, à fortifier ou à défendre la place. Diogéne ne voulant pas être le feul à ne rien faire, fe mit à rouler fon tonneau par toute la ville. Il mourut âgé de 90. ans, la prémiére année de la cent quatorziéme Olympiade, 322. ans avant J. C.

Il ordonna, en mourant, qu'on jettât fon corps aux chiens, Voulant, difoit-il [g], faire un legs à fes frères. Cicéron conte la chofe autrement, & rapporte que les amis de Diogéne lui aïant demandé, s'il n'ordonnoit rien touchant fa fépulture, il leur avoit recommandé de mettre un bâton prés de lui, pour fe garantir des bêtes féroces, & qu'un d'eux lui aïant repréfenté qu'unbâton feroit inutile, auprés d'un corps dépourvû de fentiment, Qu'importe donc, dit-il, de quelle maniere fe faf. fent mes funérailles, puifque je dois être dépourvû de fentiment?

Sa mort fut causée, felon quelques

[d] Contre ceux qui méprisent la vie momaftique, liv. 2.

[el Contre Jovinien, liv. 2.

[f] Lucien, de la maniére d'écrire l'hif

toire.

[8] Diog. Laërt, in Diog. Cyn.

[b] Menag.hift. mulier.philofophicar, in Cynicis.

[i] L'épigramme qui eft d'un poëte Grec, nommé Antipater, commence par ces mots : Οὐλι βαθυζώνων &c. Voici la traduition ine tine de Grotius.

uns, par une indigeftion, qu'il cut pour avoir mangé un pié de bœuf tout crud, &, felon d'autres, par la morfure d'un chien.

De Cratés,

Hipparchia fut éprife [h] d'une 4. paffion fi violente, pour le philofophe & d'HipCratés, l'un des plus illuftres Cyni- parchia. ques, qu'elle fe réfolur à l'épouser & à le fuivre partout, malgré la ré. fiftance de fa famille, & de Cratés lui-même. Elle préféra la beface Cyni, que à tout le luxe & à toute la parure; & s'étant livrée à la fecte de fon mari, elle en pratiqua avec zéle les préceptes, qui enfeignoient à fouler aux piés les régles de la pudeur, & de la bienféance. Grotius a traduit en vers latins [i], une ancienne épigramme Grecque, dont le fens eft, qu'Hipparchia a triomphé de la delicatesse des fens, qu'elle a préféré la philofophie au luxe, & qu'elle a furpaffé la gloire de fon fexe. Cratés & Hipparchia vivoient dans la cent treiziéme Olympiade.

5.

Du Cyni

Le Cynique Pérégrin, qui avoit long-temps trompé les Chrétiens, & que Péréavoit amaffé beaucoup d'argent des au- Brin. mônes qui lui avoient été faites, fous l'apparence de la perfécution,fe voïant vieux & méprife, voulut se rendre célébre par une mort extraordinaire : A l'affemblée des jeux Olympiques, il promit qu'à l'Olympiade fuivante,

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