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72.

Querelles

riftote, dans Alexandrie, fous l'empire de Dioclétien. S. Auguftin blame Crefcentius, de vouloir ôter à l'églife l'ufage de la dialectique. Themiftius précepteur de l'empereur Arcadius, releva la philofophie d'Ariftote. Théodoret donna de grands éloges, à cet admirable aveugle Didyme d'Alexandrie, un des plus fçavants hommes de fon temps, parcequ'il avoit bien entendu Ariftote: Severin Boëce, qui fut trois fois Conful, & qui excella dans la philofophie & dans les belles lettres, étudia pendant dix-huit ans à Athénes la philofophie d'Ariftote, & fit connoître plus généralement ce philofophe dans l'églife Latine, par les traductions. S. Jean Damafcéne, fous Conftantin Copronyme, fit un abregé de la logique & de la morale d'Ariftote. Peu aprés l'ignorance & la ftupidité furent fi grandes, qu'on prenoit pour des Nécromanciens ceux qui avoient quelque fçavoir, ainfi qu'il arriva au pape Sylveftre II. fuivant le témoignage du cardinal Bellarmin.

Dés le commencement du douziéfalantes me fiécle, les Péripatéticiens fe divides Nomi- férent en Nominaux, & en Réaliftes. Bees. Les Nominaux foutenoient que les na

naix & des

tures univerfelles n'étoient que des noms, & les Réaliftes foutenoient qu'elles étoient réelles. Occam [] cordelier Anglois, difciple de Scot, fut

chef des Nominaux dans le quatorziéme fiécle; Jean Duns [k], furnommé Scot, étoit le chef des Réalistes. Ces derniers fuivoient Aristote plus à la lettre; les Nominaux rejettoient toutes les entités fuperfluës, s'attachant à ce principe, qu'ils tiroient auffi d'Ariftote, que la nature ne fait rien en vain. Cette maxime a été appellée le rafoir d'Occam, & des Nominaux. Ils confervoient cependant les noms de l'échole, ce qui les fit appeller Nominaux: ils ont été regardés comme les précurseurs des Cartéfiens.

Les fectes des Nominaux & des Réalistes fe firent en Allemagne une guerre qui alla jufqu'à l'extravagance & à la fureur. Ce n'étoit plus des difputes, c'étoit de véritables batailles: on ne foutenoit fon opinion que par des violences. Ces terribles Dialecticiens étoient bien éloignés des dif pofitions que Cicéron demande dans la difpute [1], où il veut qu'il n'entre ní opiniâtreté ni colére. Pour faire ceffer les défordres en France, les livres des Nominaux [m] furent enchaînés dans les bibliothèques, avec défenfe de les ouvrir, par ordonnance de Louis XI.

Quel triomphe pour un parti vain. queur! fi les livres des Nominaux euffent été condamnés au feu, on enauroit fauvé en fecret le plus grand nomS 3

[i] Guillaume Occam fur furnommé le docteur invincible: il écrivit pour l'empereur Louis de Baviére, contre le pape Jean XXII. Tritheme rapporte que ce cordelier difoit an prince: Seigneur, prêtez-moi votre épée pour me défendre, ma plume fera toujours préte à vous fervir.

[k] Jean Duns furnommé Scot, parce qu'il étoit Ecoffois, fur furnommé le docteur Jabsil. Il mourut à Cologne le 8, Novemb. 1308.

âgé de 33. ans. Il affecta de fuivre des opinions oppofées à celles de S. Thomas: ce qui a produit dans l'échole de théologie les deux fectes des Thomiftes des Scotiftes.

[1] Nos & refellere fine pertinaciâ & refelli fine iracundiâ poffumus cic. Acad. quaft.lib.z.

[m] Lep. Daniel dans le voïage du monde de Defcart. part.2. p. 182. l'ordonnance et datée de Senlis du premier Mars 1473.

bre, & l'effet de la vengeance fe fût évanouï avec la fumée de l'incendie. Mais cet enchaînement dans les bibliothèques étoit une invention admirable, pour jouir de fa victoire. Les Scotiftes libres, feuilletés, comblés d'honneur, voïoient à côté d'eux, leurs ennemis honteufement enchaînés. Cette guerre des Réalistes & des Nominaux n'eft pas le feul exemple des fureurs excitées par les difputes les plus vaines. La queftion appellée le pain des Cordeliers confiftoit à fçavoir, fi le domaine des chofes qui fe confument par l'ufage, comme le pain & le vin, leur appartenoit, ou s'ils n'en avoient qu'un fimple ufage, fans domaine, & fans propriété. Un fujet fi frivole divifa les plus fameufes univerfités, caufa prefqu'un fchifme, & fit paffer le plus grand nombre des Cordeliers dans le parti de l'empereur Louis de Bavière, contre le pape Jean XXII. leur animofité les rendant Gibelins [n], de Guelphes qu'ils é toient auparavant.

Les vers fuivants de l'abbé Regnier contiennent une hiftoire naïve de prefque toutes les difputes.

J'ai vû deux partis difputer
De la vérité fans l'entendre;
Le public, fans y rien comprendre,
Pour l'un ou l'autre s'entêter:

Et de leur difpute authentique,
Qui moins s'entend plus on l'explique
J'ai vu qu'aprés un long débat,

Aprés replique fur replique,

La haine des partis étoit le réfultat.

Ariftote fe trouva défiguré par les vaines fubtilités, qui s'introduifirent dans la philofophie. La paffion déréglée, que chacun avoit pour le tirer de fon côté & l'avoir dans fon parti, ne fut pas une de fes moindres perfécutions. Les livres d'Ariftote avoient été apportés en France, dés le commencement du treiziéme fiécle, par les François qui avoient pris Conftantinople. Amauri, qui prétendoit foutenir fes erreurs par les principes d'A, riftote, aiant été condamné comme hérétique par le concile de Paris l'an 1209. ce concile défendit la lecture d'Ariftote, & condamna fes ouvrages au feu. En 1215. les mêmes défenfes furent renouvellées, par le légat qui vint en France [o]; mais à l'égard de la métaphysique, & de la phyfique feulement, & fa dialectique fut admife dans les écholes. En 1231. une bulle de Grégoire IX. adoucit un peu la rigueur de la fentence prononcée par le concile de Paris, en ce qu'elle défendit la lecture des ouvrages d'Aristote, jufqu'à ce que le danger des erreurs en eût été retranché. En 1366. les Cardinaux Jean de S. Marc, & Gilles de S. Martin, délégués par Urbain V. pour réformer l'univerfité de Paris [p], permirent la lecture de plufieurs ouvrages d'Ariftote, & reftreignirent les anciennes défenfes à la feule phyfique. Le cardinal d'Eftoutc

[n] Dans les fanglantes querelles des papes des empereurs,qui ont causé d'affreux defordres dans l'Allemagne & dans l'Italie, les partifans des empereurs portoient le nom de Gibelins, & ceux des papes le nom de Guelphes.

[o] Launoius de varia Ariftot.fortaná in acad Paris.

[p] Quelques auteurs rapportent à Charlemagne, l'inftitution de l'université de Paris. Cette opinion ne paroit fondée,que fur les feins que cat empereur fsævant fe donna pour faire

ville, faifant plufieurs réglements en 1452. de l'autorité de Charles VII. concernant l'univerfité de Paris, or donna que les écholiers, & bacheliers feroient examinés principalement fur plufieurs chapitres de la métaphyfique, & de la morale d'Ariftote qu'il indique & qu'il fpécifie, & il ne parle point de fa phyfique.

Ramus aiant attaqué la doctrine d'Ariftote, François I. par lettres patentes du 10. Mai 1543.lui fait trés-expreffes défenfes d'ufer de médifances, & d'invectives contre Ariftote, condamne, fupprime, & abolit les livres de Ramus. Dans la fuiteRamus aïant été affaffiné à la S. Barthélemi, cet exemple fit mourir de peur Denys Lambin, qui n'avoit guéres eu plus de ménagement pour les Péripatéticiens de fon temps. Cette fecte avoit, pour ainfi dire,englouti toutes les autres, & le comte de Vérulam dit [9] qu'Ariftote, fuivant la politique des Ottomans, ne croïoit pas pouvoir régner en fureté, s'il ne faifoit mourir touts fes frères. Par le réglement fait pour l'univerfité de Pa ris en 1601. la lecture des ouvrages d'Ariftote eft enjointe, même de fes livres de phyfique. Toutes les écholes retentirent alors de la feule philofo phie Péripatéticienne. Fra Paolo, dans fon hiftoire du concile de Trente, dit que nous aurions moins d'articles de foi, fi Ariftote avoit moins écrit. Cette raillerie n'eft pas exem

pte d'impiété, quoiqu'elle puiffe être entendue dans un fens véritable, fçavoir que les difputes de la philofophie fcholaftique ont donné lieu à un plus grand nombre de décifions de l'églife.

La doctrine d'Ariftote aïant été attaquée par des théfes en 1624. la fa-: culté de théologie, & le parlement fe joignirent, & emploïérent leur autorité en faveur d'Ariftote, la Sorbonne par un decret qui cenfura ces thefes, & le parlement par un arrêt du 4. Septembre 1624. qui ordonne que ces théfes feront déchirées, bannit du reffort ceux qui les avoient foutenues, & défend fous peine de la vie de tenir & d'enfeigner aucune maxime contre les auteurs anciens & approuvés. Les remontrances de la Sor bonne au parlement, fur lefquelles intervint arrêt contre des chimistes en 1629. portoient qu'on ne pouvoit choquer les principes de la philofophie d'Ariftote, fans donner atteinte à ceux de la théologie fcholaftique reçûë dans l'églife.

Nonobftant touts les réglements, la févérité des arrêts du parlement, la puiffance de l'univerfité & le grand crédit de la philofophie d'Ariftote, Gaffendi fe déclara & écrivit contre elle, & Defcartes fe fit chef d'une nouvelle fecte, vers le milieu du dix- septiéme fiécle. Depuis eux, la philofo phie d'Ariftote a beaucoup perdu de

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fleurir les fciences. On n'a aucun monument, qui prouve que Charlemagne ait inftitué l'uni. verfité. Les prémiers statuts font de l'an 1215. Philippe Augufte lui a accordé des priviléges. Les papes Innocent III, Honoré III. Innocent IV.& Alexandre IV. lui en ont auffi donné. Comme les bulles addressées par ces papes aux maitres, & aux écholiers,commençoient par

ces mors: Noverit univerfitas veftra,on univerfitas magiftrorum & scholarium, nom d'univerfité leur demeura.

[g] Ariftoteles, more Ottomanorum, regnare fe haud tutò poffe putabat, nif fratres fuos omnes contrucidaffet. Vers lam,de augm.fcientiar, lib.3.c.4.

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fa réputation; elle ne conferve encore quelque autorité, que dans les univerfités & dans les écholes. Galilée de Florence, contemporain de Gaffendi, & de Descartes, fuivit le fyftéme de Copernic, comme le plus grand nombre des modernes. Quoiqu'Ariftote n'ait pas embraffé, dans fa phyfique, l'arrangement général des parties de l'univers, & que le fyftéme de Ptolémée n'ait été compofé que plus de soo. ans aprés Ariftote, le fyftéme de Copernic a fort ébranlé toute la phyfique Péripatéticienne.

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difciples prirent le nom de Cyrénaïques. Ariftippe aïant envoïé à Socrate une groffe fomme d'argent, qui faifoit partie de celles, qu'il tiroit de fes écholiers, Socrate la lui renvoïa,& blâma fon ava

rice.

Horace rapporte cependant [4] us trait d'Ariftippe, qui marque beau coup d'indifférence pour les richeffes. Ce philofophe, voïageant dans les fables ardents de la Libye, & voïant fes efclaves fatigués du poids de l'or qu'ils portoient, leur ordonna de le jetter au milieu des déferts. Denys tyran de Syracuse aïant dità Ariftippe, que les biens de la fortune étoient préférables à la philofophie puifqu'on voïoit les philofophes chez les riches & non pas les riches chez les philofophes? C'eft, répondit Ari ftippe,comme on voit les médecins chez les ma

CHAPITRE CINQUIEME. lades. Denys, dans une autre occa

Des Cyrenarques .

1. D'Ariftippe. 1. De fa doctrine fur la volupte. 3. Cette feite a été une fource d'impiétés.

L E fecond des difciples de Socrate, qui fonda une fecte particuliére, fut Ariftippe natif de Cyréne, d'où les

fion, lui demanda ce qu'un philofo phe comme lui venoit faire à fa cour; Ariftippe répondit : J'ai été trouver So crate, lorfque j'ai voulu faire provifion des biens de la fageffe; mainte nant aïant befoin de ceux de la for tune, je viens à la cour des rois.

Diogène le Cynique lui dit un jour [b]: Si Ariftippe fçavoit fe contenter de légumes, il ne voudroit avoir aucun commerce avec les rois: Ariftippe repliqua. Si celui qui me reprend fçavoit vivre avec les rois, il méprife

zoif

J

[4].... quid fimile ifti

Græcus Ariftippus,qui fervos projicere aurúm

In mediâ juffit Libya, quia tardius irent

Propter onus fegnes, Hor.

[] Si pranderet olus patienter, regibus uti

Nollet Ariftippus. Si fciret regibus

uti,

Faftidiret olus, qui me notat. Hor. Fib 1, epift. 17.

2.

Doctrine

roit les légumes. Lucien [] le traite d'homme troublé par la débauche.

Toute forte de vie & d'état accommodoit Ariftippe; fon characté re fe conformoit aux conjonctures [d] où il fe trouvoit, & aux perfonnes avec lesquelles il avoit à vi

vre.

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Cette fete ne fut pas plus efti-
mée, qu'elle méritoit de l'être
& il paroît par un paffage d'Ho-
race, qu'il étoit peu honorable d'en
faire profeffion [f]. Je retombe en
cachette, dit-il, dans les préceptes
d'Ariftippe, & je tache de m'affu

Les Cyrénaïques méprifoient la phyfique, , comme une fcience rem-jétir les plaifirs, fans devenir leur plie d'incertitude & d'obfcurité efclave. & inutile à l'ufage de la vie. Ils ne s'appliquoient qu'à la morale, qu'ils dépravoient étrangement par des opinions, qui les rendoient indignes du nom de philofophes.

Arriftippe, quoique forti de l'éSur la o chole de Socrate, ne fuivit en rien lupté. fa doctrine & fes préceptes. Il fit confifter le fouverain bien dans la volupté il expliqua cette volupté, par les fatisfactions des fens, & rapporta le bonheur à la volupté du corps par cette raifon, qu'elle fait fur l'efprit la plus forte de toutes les impreffions, de même que rien n'afflige & ne tourmente l'ef prit autant que la douleur corporelle.

Le feul contrepoifon qu'il don noit à une doctrine fi dangereufe, c'eft que le fage, pour fon propre bonheur, ne fe laiffe pas dominer par quelques attraits particuliers de la volupté, mais qu'il s'en rend le maître au contraire, & qu'il s'éléve au-deffus d'eux. C'eft fur ce principe qu'eft fondée cette célebre réponse d'Ariftippe [e]: Il eft vrai

Tom. I.

3.

La fille d'Ariftippe nommée Arété, lui fuccéda. La fecte Cyrénaïque fut divifée en trois branches, des Hégéfiaques, des Annicériens, & des Theodoriens. La fe- Cette felte &e des Hégefiaques fut formée par fut une four. Hégéfias de Cyréne, qui vivoit fous la 91. Olympiade, vers l'an 416. avant Jésus-Christ.

Il fut furnommé l'orateur de la mort [g], parcequ'il enfeignoit à fes difciples à fe tuer, pour le moindre degoût qu'ils reffentoient de la vie: & comme les Hégefiaques mettoient fouvent en pratique une doctrine fi pernicieufe, Ptolémée fils de Lagus craignant qu'elle ne dé. peuplât fes états, défendit à Hégéfias d'enfeigner.

Les Annicériens furent ainfi nommés d'Anniceris leur chef, qui fit quelques changements peu importants à la doctrine d'Ariftippe.

Théodore,furnommé l'Athée,donna fon nom aux Théodoriens. Hégéfias & Théodore enfeignoient que le fage n'eft fait que pour lui-même, & qu'il ne doit rien à la patrie ni à la fociété.

T

oe d'imfiétés.

[ε] Εχω Λαΐδαἐκ έχομαι.
[f] Nunc in Ariftippi furtim præcep-
ta relabor:

Et mihi res, non me rebus fubmittere
conor. Hor. lib. 1. epift, 1.
[8] Πεισιθάνατος .

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