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DO

5.

1

Qui font

foin de

ture,en auroient ordinairement le plus deux miniftres ont beaucoup de con÷
de befoin. Les grands accoutumés à formité.

qui vivre dans l'agitation, peuvent bien. La lecture fait connoitre le prix du
on le plus moins foutenir ces vuides, qu'on ne temps, elle apprend à ménager le feul
ture peut éviter, & que la lecture feule fçait bien [] dont l'avarice foit permife
remplir. Ils y trouvent encore un grand Perfonne n'a mieux entendu cette œco-
avantage, c'est que les livres leur par- nomie du temps que Scipion: [x]il par-
lent le même langage, qu'aux autres tageoit la vie entre les armes & les
hommes, & ne fçavent ce que c'eft que lettres, emploiant à cultiver fon efprit
de les flatter. Demetrius de Phalére ap- tout le loifir, que lui laiffoient les fa-
pelloit les livres [1], les confeillers des tigues de la guerre.
rois les plus fidéles.

Rien n'excite plus puiflamment à la vertu, que l'hiftoire des hommes illuf tres, & leurs grands exemples. Thémistocle avouoit, que la gloire de Miltiade troubloit fon repos : Céfar verfa des larmes, en lifant qu'Alexandre avoit conquis la plus grande partie de l'univers, à un âge où fon nom étoit encore dans l'obfcurité. Les louanges d'Achille enflammoient le courage d'Alexandre: Scipion fongeoit continuellement à fe former fur f'idée de Cyrus, tracée par Xénophon; Charles Quint ne perdoit point de vûë les inftructions de Philippe de Commines; le Cardinal de Riche lieu fe propofoit en tout le modéle du Cardinal Ximénés: auffi voit-on que les deffeins & les fuccés de ces

[r] Fidiffimos regum, monitores & confiliarios effe libros Ptolemæo dixit Demetrius Phalereüs.

[*] Adftricti funt in continendo pa trimonio; fimul ad temporis jacturam ventum eft, protufiffimi in eo, cujus unius honefta avaritia eft. Sen. de brevi tate vita, c. 3.

[x] Neque enim quifquam hoc Scipione elegantiùs intervalla negotiorum otio difpunxit: femper inter arma & ftudia verfatus, aut corpus periculis aut animum difciplinis exercuit. Vell.Paterc.lib.1. [y] Otia fi tollas, periere Cupidinis

arcus

La fuite de l'oifiveté eft le plus fur préfervatif des vices. Les traits de l'amour [y] font émouffés, & fon flambeau eft éteint par des occupations continuelles..

7.

Bon-heur

L'homme de lettres goute une félicité, qu'il préfere fans comparaifon des gens de aux plaifirs tumultueux des paffions. lettres. Pythagore [z] aiant démontré que le quarré de l'hypothénufe dans le triangle rectangle eft égal à la fomme des quarrés des deux autres côtés, il en reffentit la joie la plus vive, & il of frit aux dieux une hécatombe, ou le facrifice de cent boeufs pour les remercier. Je ne changerois pas, dit Cardan, [a] ma pauvreté & ma vieilleffe, avec l'âge & les richeffes d'un jeune homme, pour qui la lecture feroit fans attraits. Scaliger [b] assure au sujet de B 2

Extinctæque jacent & fine luce
faces. Quid.
[z] Diog. Laert. in Pythag. Plutarq dans
la réfutat. d'Epicur.

[a] Nos per Deum, fortunam noftram
exiguam atque in ætate fenili, cùm dia
tiffimo juvene, fed imperito non com
mutaremus. Cardan, de libris propriis.

[6] Inter cæteras verò duas animadverti, quibus næ ambrofiam quidem aut nectar dulciora putem. Altera eft tertia quarti libri, Quem tu, Melpomene, femel. Altera nona ex tertio, Donec gratus erant tibi. Quarum fimiles malim à me compofitas quàm Pythionicarum

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deux odes d'Horace, qu'il aimeroit mieux les avoir compofées que d'être roi d'Aragon. Suivant Nicéphore [*] un fynode aïant donné le choix à Héliodore, évêque de Trica en Thef falie, de bruler fon roman des amours de Théagéne & de Cariclée, ou de renoncer à fon évêché, il prit le parti de fe démettre de fon évêché, plûtôt que de jetter au feu fon ouvrage. Pafferat difoit qu'il eût mieux aimé avoir fait l'ode de Ronfard au chancelier de PHôpital, , que d'être duc de Milan: & le poëte Bourbon, fuivant qu'il s'en expliquoit lui-même, eût été plus content de lui, d'être l'auteur des pleau mes de Buchanan, que d'être archevêque de Paris.

L'étude inftruit la jeuneffe, [d] & bannit le chagrin d'un âge avancé,elle eft un ornement dans la profpérité, & une confolation dans la mauvaife fortune: c'eft une ressource affurée en tout temps, en touts lieux', à la ville ou à la campagne, en voïage, ou dans nos féjours ordinaires. Quelles fatisfactions, & quels charmes ne trouve-t-on pas dans la converfation de ces hommes choifis dans toute l'antiquité? ils ne fe font connoître à nous, que par ce qu'ils ont de plus aimable, leur

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commerce n'eft fujet à aucune inégalité.

Da des f

Mais les fciences nuifent plus qu'el les ne fervent, fuivant le fentiment de Platon [e], fi l'on n'a pas la véritable ces. fcience, c'est-à-dire, fi l'on ne fçait pas en faire ufage. Rien n'eft fi dangereux, que l'impieté & le vice armés de la fcience: fi elle tombe en un esprit, qui manque de capacité pour la contenir, elle y fait plufieurs fortes de ravages,elle y porte la préfomption [f],l'importunité, le ton dècifif: elle dédaigne les confeils, & les lumiéres des autres.

La fcience entête un efprit foible, comme les odeurs bleffent un cerveau délicat, ou comme un eftomac malade eft furchargé des aliments qu'il ne peut digérer. C'eft une comparaifon fort in génieufe,que celle de ces demi-fçavants avec les épis vuides de grains, qui por tent une tête droite & altiére.

Hannibal fe mocqua du philofophe Phormion, [g] qui faifoit des differta. tions militaires en fa présence. On voit ces demi-fçavants s'embarraffer dans[h] des queftions inutiles & épineufes. Ils fe perdent dans leurs penfées, [i] & leur cœur eft enveloppé de nuages. Ils font de grands efforts [k], pour trouver le nom de la nourrice d'Anchise, [♫ &

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réndré compte du nombre de piéces de vin, dont Acefte fit préfent aux compagnons d'Enée. Ils difputent [m] avec

chaleur fi le vaiffeau confervé anciennement à Athénes, étoit proprement le vaiffeau de Théfée, ou un vaiffeau différent. Tibére [n] pour le mocquer des fçavants, leur demandoit de quelle maifon étoit la mére d'Hécube; quel nom Achille avoit porté, lorsqu'il s'étoit déguilé en fille, pour ne pas aller à la guerre de Troïe; quel étoit Je fujet des chanfons des Sirénes.

:

Il s'en faut bien que nous ne mettions au nombre de ces recherches ri dicules, un traité qui fe débite depuis peu [2], qui contient cinq differta tious fingulières fur les fçavants mifantropes; fur ceux qui ont été enne. mis du beau féxe; fur ceux qui ont été mal propres, & qui n'ont eu aucun foin de leurs perfonnes; fur ceux qui ont eu de méchantes femmes; enfin fur ceux qui ont été groffiers & fans politeffe. Tout ce qui fert à faire connoître les hommes, peut étre emploïé à leur avantage.

Il résulte des réflexions que nous avons faites ci-deffus, que la fcience

Dum petit aut thermas aut Phoebi balnea, dicat

Nutricem Anchifæ, nomen patriamque noverca

Anchemoli, dicat quot Aceftes vixe

rit annos,

Quot Siculus Phrygibus vini donave. rit urnas. Juv.fat. 7. [m] Le vaiffeau fur lequel Thélée alla en Crete, en revint aprés avoir tué le Minotaure, fut confervé jufqu'au temps de Demetrius de Phalère, c'est-à-dire, prés de mille ans; car Demetrius de Phalére fuer pour fon malheur, contemporain de Prolémée Philadelphe qui le fir enfermer dans une prifon, où il mourut de la piquire d'un afpic. Les Athéniens avoieno un trés-grand fein de conferver ce vaiffeau, an remettant des planches neuves, à la plan

eft pernicieufe dans les méchans,& méprifable dans les efprits foibles. Elle eft auffi humiliante pour les vrais fçavants: car plus ils font de progrés, [p] plus les doutes fe multiplient, plus ils connoiffent l'infuffifance de leurs lumiéres. Les fciences ont deux extrémités [q] qui fe touchent, la pure ignorance naturelle, & l'ignorance fçavante qui fe connoît.

Peu d'efi

Aprés que les deux derniers fiécles ont produit les plus fçavants hommes, me pour le & que le renouvellement des Lettres avois y a été célébré avec toute l'ardeur poffible, il femble que l'eftime des fciences ne fois plus à la mode. On a quel. que confufion de paroître fçavant: on fe perfuade qu'il ne faut que de l'efprit, qu'on eft allez riche de fon propre fond. Ces maximes font trés capables, de faire bientôt renaître l'ignorance mére du mauvais goût & des erreurs.

Cicéron [r] préfére la nature fans les lettres, au fçavoir deftitué de touts les talents naturels. Suivant le fentiment d'Horace [h], l'art ne peut rien fans le génie, ni le génie fans l'étude. L'un befoin de l'autre, & leur fuccés dépend de leur bonne intelligence. B 3

a

ee de celles qui avoient besoin d'être renou velées. Ce qui faifoit le fujer d'une difpute, les uns foutenant que c'étoit toujours le même vaiffeau, & les autres que c'étoit un vaisseau différent. Plutarq. vie de Théfée. [n] Suet. in Tib. c. 70.

[o] Ce livre eft intitulé: Selectorum Lis terariorum Pentas.

[p] Cui plura noffe datum eft, eum majora dubia fequuntur. Æn.Sylv.rhes. lib. 2.

[q] Penf. de Pafc.c.29.
[F] Cic. pro Arch. poët.

[f]

Ego nec ftudium fine divite venâ,

Nec rude quid profit video ingenium: Alterius fic Altera pofcit opem res, & conju

rat amicé. Hor. art. poët,

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CHAPITRE TRIOSIÉME. Lt, come la nature eût été

Des Auteurs.

SOMMAIRE.

1. De l'eftime pour l'antiquité. 2. De la rencontre des penfees. 3. Du me rite des traductions. 4. Opinion atwribuée au p.Hardouins.Grand nombre delivres apocryphes. 6. Supercherie ingénieufe de Muret. 7. Du temps où a vécu Quinte Curce. 8. L'emu lation au fujet des anciennes billiothéques caufe de la fuppofition d'un grand nombre d'auteurs. 9. Le nombre des livres plus grand dans l'antiquité, que depuis l'invention de l'imprimerie. 10.Guerre faite aux livres. 11. Les anciens auteurs bien plus laborieux. 12. Changements de noms des fçavants. 13. Noms badins de quelques académies. 14. La confidé ration des fciences a fort varié. 15. Auteurs parmi les fouverains, Ó grands feigneurs. 16. Les lettres regardées par les barbares comme un obstacle aux vertus militaires. 17. Magnifiques récompenfes de quelques fçavants. 18. Misére du plusgrand nombre des gens de lettres. 19. Des auteurs qui fe font loués eux-mêmes. 20. Confiderations fur les langues. 21. Projet d'une écriture commune à toutes les langues. 22. Les Rabbins font les plus extravagants des auteurs.

[4] Sum ex iis qui miror antiquos non tamen, ut quidam, temporum noftrorum ingenia defpicio, neque enim quafi laffa & effæta natura ut nihil jam laudabile pariat. Plin. epift. lib.6. epift.21.

[6] Racan étant en garnison à Calais en 1608. fir à l'âge de 19.ans ce quatrain. Eftime qui voudra la mort épouvantable

plus forte [a] & plus féconde, lorfque l'univers fortoit, pour ainfi dire, de la main du créateur; les autres relévent avec une cenfure trop maligne, ce qu'ils croient appercevoir de défauts dans les anciens.

Bacon a eu une penfée finguliére & qui femble trés-raifonnable, quoi❤ que contraire à l'opinion commune, c'est que l'antiquité aiant été la jeuLele de la nature, c'est à nous, à proprement parler, que conviennent le nom & le titre d'anciens. Car tout étoit nouveau dans l'antiquité, elle a inventé & défriché, au lieu que nous avons l'avantage de l'expérience, & que nous pouvons pro fiter des modéles qui nous ont pré

cédés.

Alphonfe roi d'Arragon & de Naples, furnommé le fage, difoit : qu'entre tant de chofes que les hom mes recherchent pendant toute leur vie, il n'y a rien de meilleur que d'avoir de vieux bois pour brûler, de vieux vin pour boire, de vieux amis pour la fociété, & de vieux livres pour lire. Il pouvoit ajouter de vieux foldats la guerre, pour & même de vieux chiens pour la chasse.

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Arétade prétendoit que les chemins De la tendes fciences étoient fi battus & fi contre des pensées. fraïés, que les auteurs s'y rencontroient [b] fans fe connoître. Il avoit

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teurs du bas empire.

fait un traité de la rencontre fortuité [c]des pensées. Il y a long-temps qu'on a dit que touts les fujets étoient épuifés, & qu'il n'y avoit plus rien de nou

yeau.

Sénéque [d] penfe au contraire que ceux qui font venus avant nous, n'ont pu épuifer, ce qui eft en foi inépuifa. ble, & que les auteurs, qui naitront après une longue fuite de fiècles, trouveront encore de quoi ajouter à ce qui aura été fait avant eux.

La préférence des ouvrages anciens ou modernes étoit contestée dès le temps de Ciceron, & même d'Ariftote. Ils en ont porté un même jugement, & l'ap plication s'en trouve encore aujourd' hui fort jufte. Ils ont dit [e] que les anciens avoient bien moins d'ordre & de méthode, que la compofition des ou vrages [f] modernes de leur temps étoit beaucoup plus châtiée & plus correcte.

Le fentiment de Cicéron a d'autant plus de poids, que le plus grand nombre des auteurs qui nous font restés de l'antiquité, avoit déja paru de fon temps. Car l'antiquité littéraire ne s'étend qu'environ depuis Hérodote, juf qu'à l'empereur Marc-Antonin, ce qui ne comprend guéres plus de 600. ans; les auteurs qui ne font pas renfermés dans cet efpace, étant ou en fort petit nombre, comme Homére & Hé fiode, ou peu eftimés, comme les au

lu. Mais il pouvoit avoir vû ces vers cites en quelque endroit. Peut-être eft-ce une pure rencontre. On a prétendu que le hazard avoit été jusqu'à faire composer des fon nets entiérement femblables.

[ε] Περί συνεμπτύσεως.

[d] Multa venientis ævi populus ignota nobis fciet. Multa fæculis tunc futuris, cùm memoria noftri exoleverit, refervantur. Sen, natural, quaft. lib 7. 631.

[ε] Τὰ πλεῖσα τῶν ἀρχαίων ἧττον διήρο

Jean Caramuel n'a pas fait honneur à fon difcernement, lorfqu'il a dit dans le catalogue de fes livres [g]; Je n'ai jamais voulu emploïer ou perdre beaucoup de temps à lire les livres. des anciens, non que je les méprise, mais parceque les modernes ont poli avec beaucoup d'étude & d'induftrie ce que les anciens ont penfé de plus beau & de meilleur.

3.

Du mérite

Il y a deux opinions diamétralement oppofées fur le mérite des traductions. des traducToute la délicateffe des penfées & des tions. expreffions des auteurs, dit le pére Bouhours [b], fe perd quand on les veut mettre dans une autre langue ; à peu près comme ces effences exquifes, dont le parfum fubtile s'évapore, quand on les verfe d'un vafe dans un autre. Le pére Bouhours fe fert encore de la comparaifon des traduEtions avec l'envers des tapisseries de Flandres.

Perrault [] foutient au contraire qu'il y a plus d'avantage à lire les auteurs anciens dans une bonne tradution; que nous ne connoiffons rien à la prononciation des anciennes langues, & qu'ainfi nous ne pouvons juger de leur nombre ni de leur harmonie ; qu'à l'égard du fens du difcours, des penfées qu'il renferme, des figures dont il eft orné, de la fuite du raifonnement, & de l'aco

προνται τῶν νεωτέρων. Ariftot. polit. lib. 2.

[f] Certè recentiffima quæque funt correcta & emendata maximè. Cic. A. cad. quaft. lib. 1.

[g] Non multùm ego temporis impendo aut perdo in veterum libris le gendis, non quòd contemnam illos, fed quòd omnia quæ pulchrè cogitarunt jam fint à junioribus fummo ftudio & induftriâ elimata.

[b] Pen ingén. p.195.
[] Parall, des anc. & mod.

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