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Cyrus, pour égayer un peu les esprits, jugea à propos de terminer cette cérémonie grave et sérieuse par des jeux et des courses de chevaux et de chariots. L'endroit où l'on s'était arrêté était large et spacieux. Il désigna un certain espace d'environ un quart de lieue, et proposa des prix aux vainqueurs, séparément pour chaque nation. Il remporta celui de la course parmi les Perses: car personne n'était si bon homme de cheval que lui. Les chariots coururent aussi seul à seul.

Ces sortes de cavalcades se faisaient encore longtemps après chez les Perses de la même sorte, si ce n'est qu'on n'y immolait pas toujours des victimes. Toutes les cérémonies étant achevées, ils retournèrent à la ville dans le même ordre.

Quelques jours après, Cyrus, pour célébrer la victoire qu'il avait remportée dans la course aux chevaux, donna un grand repas aux principaux officiers, tant des Perses et des Mèdes que des étrangers: on n'avait encore rien vu de si superbe et de si somptueux. Il le termina par des présents magnifiques qu'il leur fit à tous. Il les renvoya ainsi comblés de joie, d'admiration, de reconnaissance; et tout puissant qu'il était, maître de tout l'Orient et de tant de royaumes, il ne craignit point de dégrader sa majesté en les reconduisant tous jusqu'à la porte de son appartement. Telles étaient les mœurs de ces temps anciens, où l'on savait joindre beaucoup de simplicité à beaucoup de grandeur.

ARTICLE III.

Histoire de Cyrus, depuis la prise de Babylone

jusqu'à sa mort.

Cyrus, se voyant maître de l'Orient par la prise de Babylone, n'imita pas la plupart des conquérants, qui ternissent la gloire de leurs expéditions par une vie molle et voluptueuse, à laquelle ils s'imaginent avoir droit de s'abandonner après les longs travaux qu'ils ont supportés; mais il crut devoir soutenir sa réputation par les mêmes moyens qui la lui avaient acquise, c'est

fermé entre la Méditerranée et l'Eu- 1 Cyrop. 1. 8, p. 220-224.

phrate.

- L

à-dire par une conduite sage, et par une vie laborieuse et toujours occupée de ses devoirs.

§ I. Cyrus fait un voyage en Perse. A son retour, il dresse à Babylone le plan de toute la monarchie. Pouvoir de Daniel.

Quand Cyrus crut avoir suffisamment donné ordre aux affaires de Babylone 1, il songea à faire un voyage en Perse. Il passa par la Médie pour y saluer Cyaxare, son oncle, à qui il fit de grands présents, et lui marqua qu'il trouverait à Babylone un palais magnifique tout préparé quand il voudrait y aller, et qu'il devait regarder cette ville comme lui appartenant en propre. En effet, Cyrus, tant que son oncle vécut, partagea avec lui l'empire, quoique conquis tout entier par sa valeur : il porta même la condescendance jusqu'à lui déférer le premier rang. C'est Cyaxare qui est appelé dans l'Écriture Darius le Mède; et nous verrons que Daniel, sous son règne, qui ne dura que deux ans, eut plusieurs révélations. Il paraît que Cyrus, lorsqu'il fut revenu de Perse, mena Cyaxare avec lui à Babylone.

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Lorsqu'ils y furent arrivés, ils dressèrent de concert le plan de toute la monarchie 3. Ils la divisèrent en six vingts provinces; et afin que les ordres du prince y pussent être portés avec plus de diligence, Cyrus établit d'espace en espace des postes, où les courriers, qui marchaient jour et nuit, trouvaient des chevaux tout prêts, et, par ce moyen, faisaient une diligence incroyable 4. Ils donnèrent le gouvernement de ces provinces à ceux qui avaient le plus aidé Cyrus à soutenir le faix de cette guerre, et qui lui avaient rendu de plus grands services 5. Ils établirent sur eux trois surintendants, qui devaient toujours résider à la cour, et à qui ils devaient rendre compte de temps en temps de ce qui se passerait dans leur gouvernement, et qui devaient leur faire tenir les ordres du prince; de sorte que ces trois principaux ministres devaient avoir la surintendance et la principale administration des affaires de toute la monarchie.

1 Cyrop. 1. 8, p. 227.

2 AN. M. 3466. Av. J. C. 538.
3. Dan. 6, 1. Cyrop. 1. 8. p. 232.

Cyrop. 1. 8, p. 230. 5 Dan. 6, 2-3.

Daniel fut établi le premier des trois. Cette préférence lui était due, tant à cause de sa haute sagesse, qui était renommée dans tout l'Orient, et qui avait éclaté d'une manière particulière dans le repas de Baltasar, que par son ancienneté et par son expérience consommée dans les affaires car il y avait alors soixante-huit ans, à compter depuis la quatrième année de Nabuchodonosor, qu'il avait été employé en qualité de premier ministre des rois de Babylone.

Comme cette distinction le rendait la seconde personne de l'empire', et le mettait immédiatement au-dessous du roi, les autres courtisans en concurent une si grande jalousie, qu'ils se liguèrent ensemble pour le perdre. Ils ne pouvaient trouver de prise sur lui que du côté de la loi de son Dieu, à laquelle ils savaient qu'il était inviolablement attaché. Ils obtinrent de Darius un édit par lequel il était défendu à tout homme de demander, durant l'espace de trente jours, quoi que ce fût, à quelque Dieu ou à quelque homme que ce pût être, sinon au roi, et cela sous peine d'être jeté dans la fosse aux lions. Daniel fut surpris lorsqu'il faisait ses prières ordinaires, le visage tourné vers Jérusalem, et il fut jeté dans la fosse; mais y ayant été conservé miraculeusement, et en étant sorti sain et sauf, ses calomniateurs y furent précipités, et dans le moment même dévorés par les lions. Cet événement augmenta encore son crédit.

Sur la fin de la même année 2, qui était comptée comme la première de Darius le Mède, Daniel, par la supputation qu'il fit, ayant connu que les 70 ans de la captivité de Juda, déterminés par le prophète Jérémie, tendaient à leur fin, pria Dieu instamment qu'il lui plût de se souvenir de son peuple, de rétablir Jérusalem, et de regarder favorablement sa ville sainte et le sanctuaire qu'il y avait placé. Sur quoi l'ange Gabriel l'assura, dans une vision, non-seulement de la délivrance des Juifs de leur captivité temporelle, mais encore d'une délivrance beaucoup plus considérable, c'est-à-dire, de celle de la servitude du péché et du démon, que Dieu devait procurer à son Église, et qui devait s'accomplir après 70 semaines, qui, s'écouleraient depuis l'ordre qui serait donné pour le rétablissement de Jéru

1 Dan. 6, 1-27.

2 Dan. 9, 1-27.

salem, c'est-à-dire après 490 ans : car, prenant chaque jour pour une année, selon le langage employé quelquefois dans l'Écriture sainte, ces 70 semaines d'années font 490 ans.

Cyrus, étant revenu à Babylone', avait donné ordre à toutes ses troupes de s'y rendre. Par la revue générale qu'il en fit, il trouva que ses forces montaient à six vingt mille chevaux, à deux mille chariots armés de faux, et à six cent mille hommes de pied. Après en avoir distribué dans les garnisons autant qu'i était nécessaire pour la défense des diverses parties de l'empire, il passa avec le reste dans la Syrie, où il mit ordre aux affaires de cette province, et subjugua tous ces pays jusqu'à la mer Rouge et aux confins de l'Éthiopie.

Ce fut apparemment dans cet intervalle de temps que Daniel fut jeté dans la fosse aux lions et qu'il en fut miraculeusement délivré, comme nous venons de le voir.

Ce fut peut-être aussi dans le même temps que furent frappées ces fameuses pièces d'or appelées dariques, du nom de Darius Médus, lesquelles, pour leur beauté et leur finesse, furent préférées pendant plusieurs siècles à toutes les autres monnaies dans tout l'Orient.

§ II. Commencement du nouvel empire des Perses et des Mèdes réunis ensemble. Célèbre édit de Cyrus. Prophéties de Daniel.

C'est ici que commence, à proprement parler, l'empire des Perses et des Mèdes réunis sous une même autorité. Cet empire, depuis Cyrus, qui en fut le premier roi, jusqu'à Darius Codoman, qui fut vaincu par Alexandre le Grand, a duré l'espace de deux cent six ans, depuis l'année du monde 3468 jusqu'à 3674. Mais je ne dois parler dans ce volume que des trois premiers rois, il me reste peu de chose à dire de celui qui a été le fondateur de ce nouvel empire.

CYRUS. Cyaxare étant mort au bout de deux ans, et Cambyse ayant aussi fini ses jours en Perse, Cyrus retourna à Babylone, et prit en main le gouvernement de l'empire.

On compte diversement les années du règne de Cyrus. QuelCyrop. 1. 8, p. 233.

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AN. M. 3468. Av. J. C. 536.

ques-uns lui en donnent trente ', en les commençant à sa première sortie de Perse, lorsqu'à la tête d'une armée il marcha au secours de Cyaxare; d'autres ne lui en donnent que sept, en les comptant depuis que, par la mort de Cyaxare et de Cambyse. il posséda seul l'empire.

C'est dans la première de ces sept années, où expirait précisément la soixante-et-dixième de la captivité de Babylone, que Cyrus donna ce célèbre édit qui permettait aux Juifs de retourner à Jérusalem. On ne peut pas douter qu'il n'eût été obtenu par les soins et à la sollicitation de Daniel, qui avait un grand crédit à la cour. Pour le porter plus promptement à lui accorder cette grâce, il lui montra sans doute les prophéties d'Isaïe 2, où, près de deux cents ans avant sa naissance, il était désigné par son propre nom comme un prince que Dieu destinait à être un grand conquérant, et à ranger sous sa domination un grand nombre de peuples; et en même temps à être le libérateur des Juifs, en ordonnant que leur temple fût rétabli, et que Jérusalem et la Judée fussent possédées par leurs anciens habitants. Je crois devoir rapporter ici en entier cet édit, qui est le bel endroit de la vie de Cyrus, et pour lequel on peut croire que Dieu lui avait accordé tant de vertus héroïques et une suite si constante d'heureux succès et de glorieuses victoires.

<< La première année de Cyrus 3, roi de Perse, le Seigneur, <«< pour accomplir la parole qu'il avait prononcée par la bouche « de Jérémie, suscita l'esprit de Cyrus, roi de Perse, qui fit publier dans tout son royaume cette ordonnance, même par « écrit. Voici ce que dit Cyrus, roi de Perse: Le Seigneur, le « Dieu du ciel m'a donné tous les royaumes de la terre, et m'a «< commandé de lui bâtir une maison dans la ville de Jérusalem,

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qui est en Judée. Qui d'entre vous est de son peuple, que son << Dieu soit avec lui. Qu'il aille à Jérusalem, qui est en Judée, « et qu'il rebâtisse la maison du Seigneur, Dieu d'Israël. Celui

qui est à Jérusalem est le vrai Dieu. Et que tous les autres, << en quelques lieux qu'ils habitent, l'assistent du lieu où ils s « sont, soit en argent et en or, soit de tous leurs autres biens et

Cic. 1. 1. de Divin. n. 36.

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is, c. 44, et 45.

3 Esdr. 1. 1-4.

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