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celui des villes qui avaient contribué à la victoire. Un désir de gloire trop ardent lui laissait ignorer qu'on ne perd rien par une sage modestie, qui évite de faire trop valoir les services', et qu'en mettant à couvert de l'envie, elle ne sert qu'à augmenter la réputation.

Pausanias avait fait paraître davantage l'esprit et le goût spartain dans un double repas qu'il fit préparer peu de jours après le combat, l'un superbe et magnifique, où l'on avait étalé tout ce qui servait à parer la table de Mardonius; l'autre simple et frugal, à la manière des Spartiates. Puis, les comparant ensemble, et en faisant remarquer la différence à ses officiers, qu'il avait mandés exprès : « Quelle folie, leur dit-il, à Mardo«<nius, accoutumé à de tels repas, de venir attaquer des gens, qui savent, comme nous, se passer de tout! »

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Le Grecs 3 envoyèrent en commun à Delphes consulter l'oracle sur le sacrifice qu'ils devaient faire. Le dieu leur répondit qu'ils élevassent un autel à Jupiter Libérateur, mais qu'ils se gardassent bien d'y offrir aucun sacrifice avant que d'avoir éteint tout le feu qui était dans le pays, parce qu'il avait été pollu et profané par les barbares, et qu'ils vinssent prendre à Delphes même un feu pur, sur l'autel appelé l'autel commun.

Cet oracle ayant été rapporté aux Grecs, les généraux allèrent d'abord dans tout le pays, et firent éteindre tout le feu : et Euchidas, de la ville de Platée, s'étant chargé d'apporter, avec toute la diligence possible, le feu du dieu, alla à Delphes. Il se purifia d'abord, s'aspergea d'eau sacrée, se couronna de laurier, s'approcha de l'autel, y prit avec révérence le feu sacré, et reprit le chemin de Platée, où il arriva avant le coucher du soleil, ayant fait ce jour-là mille stades (cinquante lieues 4). En arrivant il salua ses concitoyens, leur remit le feu, tomba à leurs pieds, et un moment après il rendit l'esprit. Les Platéens l'emportèrent, et l'enterrèrent dans le temple de Diane, surnommée Eucleia (de la bonne renommée), et mirent sur son

Ipsa dissimulatione famæ famam auxit. (TACIT.)

2 Herod. 1. 9, cap. 81.
3 Plut. in Arist. p. 331-332.

4 En stades olympiques, seulement 33 lieues c'est environ 16 lieues pour la distance de Platée à Delphes. La

tombeau cette épitaphe en un seul vers: Ci git Euchidas, qui fit une course à Delphes, et revint ici le même jour 1.

Dans la première assemblée générale de la Grèce, qui se tint quelque temps après, Aristide proposa ce décret : que chaque année toutes les villes de la Grèce enverraient à Platée leurs députés, pour faire des sacrifices à Jupiter Libérateur et aux dieux de la ville (cette assemblée se tenait encore régulièrement du temps de Plutarque); que de cinq ans en cinq ans on y célébrerait des jeux, qu'on appellerait les jeux de la liberté ; qu'on lèverait par toute la Grèce dix mille hommes de pied, et mille chevaux, qu'on équiperait une flotte de cent vaisseaux, qui seraient entretenus pour faire la guerre aux barbares; et que les Platéens, dévoués uniquement au service du dieu, seraient regardés comme sacrés et inviolables, n'ayant d'autre fonction que d'offrir des prières et des sacrifices pour le salut des Grecs.

Tous ces articles étant approuvés et passés, les Platéens se chargèrent de faire tous les ans l'anniversaire de ceux qui avaient été tués à cette bataille; et voici l'ordre et la manière de ce sacrifice. Le seizième 2 jour du mois de maimacterion (qui répond à notre mois de décembre 3), on fait à la pointe du jour une procession, précédée par un trompette qui sonne la charge. Après ce trompette marchent plusieurs chariots pleins de couronnes et de branches de myrte. Ces chariots sont suivis d'un taureau noir: après le taureau marchent des jeunes gens, qui portent des cruches pleines de vin et de lait, effusions ordinaires qu'on fait aux morts, et des fioles d'huile et d'essence. Tous ces jeunes gens sont de condition libre; car il n'est permis à aucun esclave de se mêler dans cette cérémonie, qu'on fait pour des hommes qui sont morts pour la liberté. Enfin, cette pompe est fermée par l'archonte, ou le premier magistrat des Platéens, à qui, en tout autre temps, il est défendu de toucher seulement

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L.

Ευχίδας Πυθώδε θρέξας ἦλθε qu'on ne fit ces funérailles pour la pre-
ταδ ̓ αὐθημερόν.
mière fois qu'après que les ennemis se
furent entièrement retirés, et que le pays
fut libre.

2 Le 24 novembre. - L.
3 Trois mois après celui où la bataille
de Platée s'était donnée. Apparemment

le fer, et de porter d'autre vêtement qu'un vêtement blanc. Mais ce jour-là, revêtu d'une robe de pourpre, ceint d'une épée, et tenant dans ses mains une urne qu'il a prise dans le greffe public, il s'avance au travers de la ville, vers le lieu où sont les tombeaux. Dès qu'il y est arrivé, il puise de l'eau avec son urne dans la fontaine, lave lui-même les petites colonnes qui sont à ces tombeaux, les frotte d'essence, et égorge ensuite le taureau sur un bûcher qu'on a préparé. Après avoir fait des prières à 1 Jupiter et à Mercure Terrestres, il invite ces vaillants hommes à ce festin funèbre et à ces effusions mortuaires, et remplissant de vin une coupe, il la verse, et dit à haute voix : Je présente cette coupe à ces vaillants hommes qui sont morts pour la liberté des Grecs. Voilà les cérémonies qui s'observaient encore du temps de Plutarque.

Diodore' ajoute que les Athéniens en particulier décorèrent avec magnificence les tombeaux de ceux qui étaient morts dans la guerre contre les Perses, instituèrent en leur honneur des jeux funèbres, et établirent un panégyrique solennel qui se réitérait apparemment tous les ans.

On sent assez, sans que je sois obligé de le faire remarquer, combien ces témoignages solennels et perpétuels d'honneur, d'estime, de reconnaissance envers ces soldats morts pour la défense de la liberté, contribuaient à relever le mérite de la valeur et des services rendus à la patrie, et à inspirer du courage aux spectateurs; et combien tout cela était propre à perpétuer la bravoure dans un peuple, et à former des troupes invincibles.

On n'aura pas moins été frappé sans doute de l'attention merveilleuse de ces peuples à s'acquitter en tout des devoirs de religion. L'événement que je viens de rapporter, c'est-à-dire la bataille de Platée, en fournit des preuves bien éclatantes dans le sacrifice annuel et perpétuel à Jupiter Libérateur, qui conti

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nuait encore du temps de Plutarque; dans le soin de consacrer aux dieux la dime de tout le butin; dans le décret proposé par Aristide, d'établir à perpétuité, tous les ans, une fête solennelle. Il est beau, ce me semble, de voir des peuples idolâtres protester ainsi publiquement qu'ils attendent tout de la Divinité; qu'ils se croient obligés de lui rapporter tout; qu'ils la regardent comme la source des succès et des victoires, comme l'arbitre souveraine des États et des empires; comme donnant les conseils salutaires, et inspirant la prudence et le courage; comme dignes, par tous ces titres, d'avoir la première part au butin, et méritant une reconnaissance éternelle pour des bienfaits si importants.

§ X. Combat près de Mycale. Défaite des Perses.

leur

Le même jour que les Grecs combattirent à Platée 1, armée navale remporta en Asie une mémorable victoire sur les restes de la flotte des Perses; car, pendant que celle des Grecs était à Égine sous le commandement de Léotychide, roi de Lacédémone, et de Xanthippe l'Athénien, il leur vint des ambassadeurs de la part des Ioniens pour les inviter à venir en Asie délivrer les villes grecques de la servitude des barbares. Sur cet avis, ils firent voile pour l'Asie, et prirent leur route par Délos. Pendant qu'ils y étaient, d'autres ambassadeurs vinrent de Samos les y trouver, et leur apprirent que la flotte des Perses, qui avait passé l'hiver à Cume, était alors à Samos, et pouvait y être facilement défaite et détruite, les priant instamment de ne point négliger une occasion si favorable. Les Grecs firent donc voile vers Samos. Mais les Perses, ayant eu avis de leur approche, se retirèrent à Mycale, promontoire du continent d'Asie, où campait leur armée de terre, forte de cent mille hommes, qui était le reste de ceux que Xerxès avait ramenés de Grèce l'année précédente. Ils tirèrent là leurs vaisseaux à terre, ce qui était ordinaire aux anciens, et les environnèrent d'un fort rempart. Les Grecs les ayant suivis jusque-là, défirent, par le secours des Ioniens, leur armée de terre, forcèrent leur rempart, et brûlèrent tous leurs vaisseaux.

Herod. 1. 9, cap. 89-105. Diod. 1. 11, p. 26-28.

La bataille de Platée fut donnée le matin, et celle de Mycale l'après-midi du même jour. Cependant,tous les écrivains grecs rapportent qu'on apprit à Mycale la victoire de Platée avant le commencement du combat, quoiqu'il y eût entre-deux toute la mer Égée, qu'on ne pouvait traverser qu'en plusieurs jours de navigation. Mais Diodore de Sicile nous explique ce mystère. Il nous apprend que Léotychide, remarquant que ses soldats étaient fort troublés par la crainte que leurs compatriotes ne succombassent à Platée sous la nombreuse armée de Mardonius, imagina un stratagème pour relever leur courage; et que, sur le point qu'il devait donner le premier assaut, il fit répandre le bruit parmi ses troupes que les Perses avaient été défaits, quoiqu'il n'en eût aucune connaissance 2.

Xerxès, ayant appris ces deux grandes défaites 3, abandonna Sardes avec la même précipitation qu'il avait fait Athènes après la bataille de Salamine, et se retira précipitamment en Perse, pour se mettre le plus loin qu'il était possible hors de la portée de ses ennemis victorieux 4. Mais avant que de partir, il donna ordre de brûler et de démolir tous les temples des villes grecques d'Asie ; ce qui fut exécuté, n'y ayant eu d'épargné que le temple de Diane à Éphèse 5. Il en usa ainsi à l'instigation des mages, ennemis déclarés des temples et des simulacres. Le second Zoroastre l'avait instruit à fond de leur religion, et l'en avait rendu un ardent défenseur. Pline 6 nous apprend qu'Ostane, le chef des mages et le patriarche de cette secte, qui en soutenait les maximes et les intérêts jusqu'à la fureur, accompagna Xerxès dans son expédition contre la Grèce 7. Ce prince, passant par Babylone dans son retour à Suse, y détruisit aussi tous les temples, comme il avait fait dans la Grèce et dans l'Asie Mineure, par le même principe sans doute, et en haine de la secte des sa

Ce qu'on dit aussi de la victoire de Paul Emile sur les Macédoniens, qui fut sue à Rome le jour même qu'elle avait été gagnée, arriva sans doute de la même sorte. (PLUT. in Paul. Emil. pag. 268, et LIV. lib. 45, n. 1.)

2 Il pouvait cependant avoir eu connaissance de l'affaire dans laquelle la cavalerie perse avait été défaite et Masistius tué (plus haut, pag. 417). Ce

triomphe était déjà bien propre à en-
flammer les troupes. Peut-être les his-
toriens ont-ils confondu avec la victoire
complète ce premier succès des Grecs,
que Léotychide a pu connaître. - L.
3 Diod. 1. 11, p. 28.

4 Strab. 1. 14, pag. 631.
5 Cic. lib. 2, de leg. n. 29.
6 Plin. lib. 30, cap. 1.

7 Arrian. I. 7.

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