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de Xerxès. On en trouve le dénombrement dans Pausanias. Toutes ces troupes, jointes ensemble, ne faisaient que onze mille deux cents hommes. On n'en plaça que quatre mille aux Thermopyles pour en défendre le passage. Mais tous ces soldats, ajoute l'historien, étaient déterminés à vaincre ou à mourir. Que ne peut point une telle armée !

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Lorsque Xerxès fut arrivé près des Thermopyles, il fut étrangement surpris d'apprendre qu'on se préparait à lui disputer le passage. Il s'était toujours flatté qu'au premier bruit de son arrivée les Grecs prendraient la fuite 2, et il n'avait pu se mettre dans l'esprit ce que Démarate, dès le commencement de la guerre, lui avait dit, qu'une poignée d'hommes arrêterait tout court son armée au premier passage. Il envoya un espion pour reconnaître les ennemis. Cet espion rapporta qu'il avait trouvé les Lacédémoniens hors des retranchements, qui se divertissaient aux exercices militaires, et qui peignaient leur chevelure: c'était leur manière de se préparer au combat.

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Le roi, ne perdant pas encore toute espérance attendit quatre jours pour leur donner le temps de se retirer. Il essaya, pendant cet intervalle, de gagner Léonide par de magnifiques promesses, en le faisant assurer qu'il le rendrait maître de toute la Grèce s'il voulait embrasser son parti : une telle proposition fut rejetée avec hauteur et indignation. Puis Xerxès lui ayant écrit qu'il eût à lui livrer ses armes, Léonide lui répondit en deux mots, d'un style et d'une fierté véritablement laconiques : Viens les prendre. Il ne fut plus question que de se préparer au combat contre les Lacédémoniens 5. Le roi fit marcher d'abord contre eux les Mèdes, avec ordre de les saisir tout vivants, et de les lui amener. Les Mèdes ne purent soutenir l'effort des Grecs, et ayant été honteusement mis en fuite 6, ils montrèrent, dit Hérodote, que Xerxès avait beaucoup d'hommes, mais peu de soldats. Ils furent relevés par les Perses surnommés les im

L'abbé Barthélemy a discuté les témoignages des anciens, relativement aux troupes grecques que commandait Léonidas. (Voy. d'Anach. tom. I, not. 7.). — L.

2 Herod. 1. 7, c. 207-231. Diod. 1. 11, pag. 5-10.

3 Plut. de Lacon. Apopht. pag. 225.
* Αντέγραψε, Μολὼν λάβει
5 Herod. 1. 7, c. 210-239.

6. "Οτι πολλοὶ μὲν ἄνθρωποι εἴεν, ὀλίγοι δε ἄνδρες. « Quod multi homines essent, pauci autem viri. »

mortels, qui formaient un corps de dix mille hommes: c'étaient les meilleures troupes de l'armée. Elles n'eurent pas un meilleur succès que les premières.

Xerxès, désespérant de pouvoir forcer des troupes si déterminées à vaincre ou à mourir, était dans un grand embarras, et ne savait quel parti prendre, lorsqu'un habitant du pays vint lui découvrir un sentier détourné2, vers une éminence qui était au-dessus des ennemis, et qui les commandait. On y envoya un détachement, qui, ayant marché toute la nuit, y arriva à la pointe du jour, et s'en empara.

Les Grecs en furent bientôt avertis. Léonide, voyant qu'il était impossible de résister aux ennemis, obligea le reste des alliés de se retirer, et demeura avec ses trois cents Lacédémoniens, résolus de mourir tous, à l'exemple de leur chef, qui, ayant appris de l'oracle qu'il fallait que Lacédémone ou son roi pérît, n'hésita pas à se sacrifier pour sa patrie 3. Ils étaient donc sans espérance de vaincre ni de se sauver, et ils regardaient les Thermopyles comme leur tombeau. Le roi les ayant exhortés à prendre de la nourriture, et ajoutant qu'ils souperaient ensemble chez Pluton, ils jetèrent tous des cris de joie, comme si on les eût invités à un festin. Il les mena au combat pleins d'ardeur. Le choc fut très-rude et très-sanglant. Léonide tomba mort des premiers. Les Lacédémoniens firent des efforts incroyables de courage pour défendre son corps mort. Enfin, accablés par le nombre plutôt que vaincus, ils périrent tous, excepté un seul, qui se sauva à Lacédémone, où il fut traité comme un lâche et comme un traître à sa patrié, sans que personne voulût avoir commerce avec lui ni lui parler. Mais peu de temps après il répara avantageusement sa faute dans la bataille de Platée, où il se distingua d'une manière particulière. Xerxès, outré de dépit contre Léonide 4, qui avait osé lui tenir tête, fit attacher son cadavre à une potence, et se couvrit lui-même de honte en voulant déshonorer son ennemi.

1 Nommé Éphialtes.

- L

2 Quand les Gaulois, deux cents ans après, vinrent attaquer la Grèce, ils s'emparèrent du défilé des Thermopyles par le même sentier, que les Grecs avaient

encore négligé de garder. (PAUSAN.
lib. 1, pag. 7 et 8.)

3 Senec. epist. 82.
4 Herod, 1. 7, cap. 238.

On éleva dans la suite, par ordre des Amphictyons, un superbe monument, tout près des Thermopyles, à ces braves défenseurs de la Grèce, avec deux inscriptions, dont l'une regardait en général tous ceux qui étaient morts aux Thermopyles, et portait que les Grecs du Péloponnèse, au nombre seulement de quatre mille, avaient tenu tête à l'armée des Perses composée de trois millions d'hommes. L'autre inscription était particulière aux Spartiates. La simplicité en est remarquable: elle était du poëte Simonide. La voici :

Ὦ ξεῖν', ἄγγειλον Λακεδαιμονίοις, ὅτι τῇδε

Κείμεθα, τοῖς κείνων πειθόμενοι νομίμοις ".

C'est-à-dire Passant, va annoncer à Lacédémone que nous sommes morts ici pour obéir à ses lois 2. Quarante ans après, Pausanias, qui remporta la victoire de Platée, fit transporter des Thermopyles à Sparte les ossements de Léonide, et lui érigea un magnifique tombeau. Le sien fut placé aussi tout près. On y prononçait tous les ans une oraison funèbre en leur honneur, et l'on y célébrait des jeux auxquels les Lacédémoniens seuls avaient droit d'assister, pour marquer qu'eux seuls avaient eu part à la gloire remportée aux Thermopyles.

Xerxès y avait perdu plus de vingt mille hommes 3, du nombre desquels se trouvèrent deux frères du roi. Il sentit bien qu'une si grande perte, qui était une preuve sensible du courage des ennemis, était capable de jeter l'alarme et le découragement dans ses troupes. Pour leur en dérober la connaissance, il fit enterrer dans de grandes fosses, que l'on couvrit après de terre et d'herbes, tous ceux de son parti qui avaient été tués dans le combat, excepté mille, dont il laissa les corps dans la campagne. Cette ruse lui réussit mal; et lorsque dans la suite ceux de la flotte, curieux de voir le champ de bataille, eurent obtenu la permission d'y venir, elle ne servit qu'à découvrir la petitesse de son esprit, et non à cacher le nombre des morts. Effrayé d'une victoire qui lui avait coûté si cher 4, il demanda

1 Pari animo Lacedæmonti in Thermopylis occiderunt, in quos Simonides : Dic, hospes, Spartæ nos te hic vidisse jacentes, Dum sanctis patriæ legibus obsequimur.

(Cic. Tusc. Quæst, lib. I, n. to1.)

2 Pausan. 1. 3, pag. 185.
3 Herod. 1, 9. cap. 24-25.
4 Id. 1. 7, c. 234, 235.

à Démarate si les Lacédémoniens avaient encore beaucoup de pareils soldats. Celui-ci lui répondit que la république de Lacédémone avait un assez grand nombre de villes dont tous les habitants étaient fort braves, mais que ceux de Lacédémone, qu'on appelait proprement Spartiates, et qui montaient à peu près à huit mille, surpassaient tous les autres en bravoure, et étaient tels que ceux qui avaient combattu avec Léonide.

Je reviens encore un moment au combat des Thermopyles, dont l'issue, funeste en apparence, pourrait laisser dans les esprits une idée peu favorable aux Lacédémoniens, et faire regarder leur courage comme l'effet d'une témérité présomptueuse et d'une hardiesse désespérée.

L'action de Léonide avec ses trois cents Spartiates n'était pas un coup de désespoir, mais une conduite sage et généreuse, comme Diodore de Sicile a soin de le faire remarquer, en relevant par un éloge magnifique la gloire de cette fameuse journée, et lui attribuant le succès de toutes les campagnes suivantes. Sachant que Xerxès marchait à la tête de toutes les forces de l'Orient pour accabler un petit pays par le nombre, il comprit, par une supériorité de lumière, que, si l'on faisait consister le succès de cette guerre à opposer la force à la force et le nombre au nombre, jamais tous les Grecs rassemblés ne pourraient égaler les Perses ni leur disputer la victoire qu'il était donc nécessaire d'ouvrir à la Grèce alarmée une autre voie de salut : qu'il fallait montrer à tout l'univers attentif ce que peut la grandeur d'âme contre la force de corps, le véritable courage contre une impétuosité aveugle, l'amour de la liberté contre une oppression tyrannique, une troupe aguerrie et disciplinée contre une multitude confuse. Ces braves Lacédémoniens crurent qu'il convenait à l'élite du premier peuple de la Grèce de se dévouer à une mort certaine pour faire sentir aux Perses ce qu'il en coûte pour réduire des hommes libres en servitude, et pour apprendre aux Grecs à vaincre ou à périr comme eux.

Ce ne sont point ici des sentiments que je tire de mon propre fonds, et que je prête à Léonide; ils sont renfermés dans la courte réponse que fit ce digne roi de Sparte à un Lacédémo

Diod. 1. 11, pag. 9.

à mar

nien, lequel, effrayé de la généreuse résolution où il le voyait, lui dit : « Quoi donc, seigneur, est-ce que vous songez <cher avec une petite poignée de gens contre une armée in<< nombrable? S'il s'agit du nombre, répliqua Léonide, la Grèce << entière n'y suffirait pas, puisqu'elle n'égale qu'une petite par<< tie de l'armée persane; mais s'il s'agit du courage, ma petite troupe est plus que suffisante. »

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La suite fit voir combien il pensait juste. Cet exemple de courage étonna les Perses, et ranima les Grecs. La mort de ces braves soldats et de leur chef fut utilement employée, et produisit un double effet, plus grand et plus durable qu'ils ne l'avaient espéré. D'un côté, elle fut comme le premier germe des victoires suivantes, qui firent perdre aux Perses pour toujours la pensée de venir attaquer la Grèce; et, pendant les sept ou huit règnes suivants, il ne se trouva aucun prince qui osât en former le dessein, ni aucun flatteur qui osât en donner le conseil. D'un autre côté, cette hardiesse intrépide laissa une persuasion profondément gravée dans le cœur de tous les Grecs, qu'ils pouvaient vaincre les Perses, et détruire leur vaste monarchie. Cimon en fit d'abord avec succès le premier essai; Agésilas poussa plus loin ce projet, et le porta jusqu'à faire trembler dans Suse le grand roi; et Alexandre enfin l'exécuta avec une facilité incroyable: il ne douta jamais, non plus que les Macédoniens qui le suivaient, ni que toute la Grèce, qui l'avait nommé son chef pour cette expédition, qu'il ne pût avec trente mille hommes renverser l'empire des Perses, après que trois cents Spartiates avaient suffi pour en arrêter toutes les forces réunies.

§ VI. Combat naval près d'Artémisium.

Le jour même de l'action des Thermopyles 2, il se donna aussi un grand combat sur mer. La flotte des Grecs, sans compter les petites galères et les barques, était composée de deux cent soixante-onze vaisseaux. Elle s'était arrêtée à Artémise 3, promontoire de l'Eubée, sur la côte septentrionale, vers le détroit.

Plut. in Lacon. Apopht. p. 225.

pag. 10-11.

2 Herod. 1. 8, c. 1-18. Diod. 1. 11, 3 Lisez Artemisium,

HIST. ANC.-T. 11.

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