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cent soixante et dix-sept mille six cent dix hommes. Les peuples d'Europe augmentèrent sa flotte de six-vingts vaisseaux, dont chacun portait deux cents hommes, ce qui en fait vingt-quatre mille; et le tout ensemble trois cent un mille six cent dix hom

mes.

Outre la flotte composée de grands vaisseaux, les petites galères de trente et de cinquante rames, les vaisseaux de transport, ceux qui portaient les vivres, et autres sortes de bâtiments, montaient à trois mille. En mettant dans chacun, l'un portant l'autre, quatre-vingts hommes, cela en faisait en tout deux cent quarante mille.

Ainsi, quand Xerxès arriva aux Thermopyles, ses forces de terre et de mer faisaient ensemble le nombre de deux millions six cent quarante et un mille six cent et dix hommes, sans compter les valets, les eunuques, les femmes, les vivandiers, et ces autres sortes de gens qui suivent les armées, et qui montaient à un nombre égal. De sorte que le total des personnes qui suivirent Xerxès dans cette expédition était de cinq millions deux cent quatre-vingt-trois mille deux cent vingt personnes. C'est le calcul que nous en donne Hérodote : Plutarque et Isocrate s'accordent avec lui. Diodore de Sicile, Pline 2, Élien3, et d'autres, rabattent beaucoup de ce nombre: en quoi ils paraissent moins croyables qu'Hérodote, qui a vécu dans le siècle même où se fit cette expédition, et qui rapporte une inscription mise, par l'ordre des Amphictyons, sur le tombeau de ces Grecs qui furent tués aux Thermopyles, laquelle marque qu'ils combattirent contre trois millions d'hommes 4.

Diod. 1. 11, pag. 3.

2 Plin. lib. 33, cap. 10. 3 Ælian. 1. 13, cap. 3.

Ctésias, quoique très-enclin à l'exagération, ne porte l'armée de Xerxès qu'à 800,000 hommes, non compris les chars (in Persic. § 23). Diodore de Sicile compte 800,000 fantassins (XI, § 3). Cornélius Népos (in Themist. c. 2, et Justin (II c. 10), 700,000 fantassins; Pline, plus précis que tous les autres, compte 788,000 hommes en tout ( XXXIII, c. 10, p. 648).

5)

On voit qu'en général, ces nombres se réduisent à 700,000 et 800,000, diffé

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Pour nourrir toutes ces personnes, il fallait chaque jour, selon la supputation qu'en fait Hérodote, plus de cent dix mille trois cent quarante médimnes, mesure qui, selon Budé, vaut six de nos boisseaux 2, en comptant pour chaque tête un chonix 3, qui était la portion journalière que les maîtres donnaient à leurs esclaves chez les Grecs. L'histoire ne fait mention d'aucune autre armée aussi nombreuse que celle-ci. De tant de millions d'hommes nul ne le disputait à Xerxès pour la beauté du visage, ni pour la grandeur de la taille : faible louange pour un prince, quand elle est seule. Aussi Justin, après le dénombrement de ces troupes, ajoute-t-il qu'une si grande armée manquait de chef: huic tanto agmini dux defuit.

On aurait peine à comprendre comment il était possible de trouver des vivres suffisamment pour un aussi grand nombre de personnes, si l'historien4 ne nous avait avertis que Xerxès avait employé quatre années entières à faire les préparatifs de cette guerre. Nous avons vu combien il y avait de vaisseaux de charge qui côtoyaient toujours l'armée de terre ; et il en arrivait sans doute tous les jours des nouveaux qui mettaient l'abondance dans le camp.

Hérodote 5 marque la manière dont se fit le calcul de ces troupes, qui étaient presque innombrables. On assembla dix mille hommes, que l'on serra le plus qu'il fut possible; après quoi l'on décrivit un cercle autour d'eux, et l'on éleva sur ce cercle un petit mur à hauteur de la moitié du corps d'un homme; on fit passer dans ce même intervalle toute l'armée, et l'on connut par là à quel nombre elle montait.

Le même Hérodote 6 marque en détail les différentes armures de toutes les nations qui composaient cette armée. Outre les

toire, et pour relever la gloire du suecès, auraient-ils ajouté un million de soldats au nombre déjà si grand de leurs ennemis?

Hérodote, avec sa candeur ordinaire, ne dissimule pas qu'il a peine à concevoir comment on pouvait approvisionner une telle armée. (VII, § 187.)- L Herod. 1. 7, cap. 187.

2 Le médimne ne valait que 3 boisseaux de Paris : c'est 391,700 boisseaux

par jour, et 11,751,210 par mois par jour 7,834,140 livres de farine; par mois, 235,024,280 livres de farine. L'étonnement d'Hérodote n'est pas mal fondé !

3 La chénice (xoivi) était le 48e du médimne, environ le 14e du boisseau, c'est 1 livre de farine par jour. - L. 4 Herod. 1. 7, cap. 20. 5 Id. 1. 7, cap. 60. 6 Cap. 61-88.

I

chefs de chaque nation qui commandaient chacun les troupes de leurs pays, l'armée de terre avait six généraux persans, savoir Mardonius, fils de Gobryas; Tritantechme, fils d'Artabane, et Smerdoménès, fils d'Otane, tous deux proches parents du roi; Masiste, fils de Darius et d'Atosse; Gergis, fils d'Ariaze, et Mégabyze, fils de Zopyre. Les dix mille Perses qu'on appelait immortels étaient commandés par Hydarne. La cavalerie avait ses commandants particuliers.

La flotte avait aussi quatre généraux persans *. On peut voir dans Hérodote le détail des nations qui la fournirent. Artémise 3, reine d'Halicarnasse, qui, depuis la mort de son mari, gouvernait pour son fils encore pupille, n'amena avec elle que cinq vaisseaux, mais c'étaient les mieux équipés et les plus lestes de toute la flotte après ceux des Sidoniens. Elle se distingua dans cette guerre par son courage, et encore plus par sa prudence. Hérodote remarque qu'entre tous les officiers de Xerxès aucun ne lui donna des conseils si sages que cette reine : mais il ne sut pas en profiter.

Xerxès, ayant fait le dénombrement de ses troupes de terre et de mer, demanda à Démarate s'il croyait que les Grecs osassent l'attendre. J'ai déjà dit que ce Démarate était un des deux rois de Lacédémone qui, ayant été exilé par la faction de ses ennemis, s'était réfugié en Perse, où il avait été comblé de biens et d'honneurs 4. Comme on s'étonnait un jour qu'un roi se fut laissé exiler, et qu'on lui en demandait la cause : C'est, dit-il, qu'à Sparte la loi est plus forte que les rois. Il fut fort considéré en Perse. Mais 5 ni l'injustice de ses citoyens, ni les bons traitements du roi, ne purent lui faire oublier sa patrie. Dès qu'il sut que Xerxès travaillait aux préparatifs de la guerre, il en avait donné avis aux Grecs par une voix secrète. Obligé dans cette occasion de s'expliquer, il le fit avec une noblesse et une liberté dignes d'un Spartiate et d'un roi de Sparte.

Démarate 6, avant que de répondre à la question du roi, lui

Dans le texte, fils des frères, c'està-dire, neveux de Darius. - L. 2 Cap. 89-99.

3 Il ne faut pas confondre cette princesse avec Artémise, femme de Mausole, roi de Carie, qui vivait plus de quatre

vingt-douze ans après cette bataille

4Plut. in Apophtheg. Lacon, pag. 220. 15 « Amicior patriæ post fugam, quam regi post beneficia. » (JUST. [III, 10}.) 6 Herod. 1. 7, c. 101-105.

avait demandé si son intention était qu'il lui parlât selon la vérité, ou avec flatterie; et Xerxès ayant exigé de lui une grande sincérité : « Puisque vous me l'ordonnez, grand prince, reprit

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Démarate, la vérité va vous parler par ma bouche. Il est vrai « que de tout temps la Grèce a été nourrie dans la pauvreté; << mais on a introduit chez elle la vertu, que la sagesse cultive et <«< que la vigueur des lois maintient. C'est par l'usage que la Grèce sait faire de cette vertu qu'elle se défend également des «< incommodités de la pauvreté et du joug de la domination. Mais, pour ne vous parler que de mes Lacédémoniens, soyez << sûr que, nés et nourris dans la liberté, ils ne prêteront jamais << l'oreille à aucune proposition qui tende à la servitude. Fussent<«< ils abandonnés par tous les autres Grecs, et réduits à une troupe de mille soldats, ou à un nombre encore moindre, ils << viendront au-devant de vous, et ne refuseront point le combat. » Le roi, entendant un tel discours, se mit à rire; et comme il ne pouvait comprendre que des hommes libres et indépendants, tels qu'on lui dépeignait les Lacédémoniens, qui n'avaient point de maître qui pût les contraindre, fussent capables de s'exposer ainsi aux dangers et à la mort : << Ils << sont libres et indépendants de tout homme, répliqua Démarate; <«< mais ils ont au-dessus d'eux la loi, qui les domine, et ils la craignent plus que vous-même n'êtes craint de vos sujets. Or « cette loi leur défend de fuir jamais dans le combat, quelque grand que soit le nombre des ennemis; et elle leur commande, « en demeurant fermes dans leur poste, ou de vaincre, ou de << mourir. »

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Xerxès ne fut point choqué de la liberté avec laquelle Démarate lui avait parlé, et il continua sa marche.

§ IV. Les Lacédémoniens et les Athéniens députent inutilement vers les alliés pour demander du secours. Commandement de la flotte accordé aux Lacédémoniens.

Lacédémone et Athènes . qui étaient les deux plus puissantes villes de la Grèce, et celles à qui Xerxès en voulait le plus,

Herod. 1. 7, c, 145, 146.

ne s'étaient pas endormies à l'approche d'un ennemi si redoutable. Averties depuis longtemps des mouvements de ce prince, elles avaient envoyé des espions à Sardes, pour s'informer plus exactement du nombre et de la qualité de ses troupes. Ils furent arrêtés, et, comme on était prêt de les faire mourir, Xerxès commanda au contraire qu'on les menât au travers de l'armée, et qu'on les renvoyât sans leur faire aucun mal. Leur retour apprit aux Grecs ce qu'ils avaient à craindre.

On envoya en même temps des députés à Argos, en Sicile, vers Gélon, tyran de Syracuse, aux îles de Corcyre et de Crète, pour demander du secours et faire une ligue contre l'ennemi

commun.

Les Argiens offrirent un secours considérable', à condition qu'ils partageraient par moitié l'autorité et le commandement avec les Lacédémoniens. Ceux-ci consentirent que le roi d'Argos eût la même autorité que chacun des deux rois de Lacédémone. C'était leur accorder beaucoup : mais que ne peut pas un point d'honneur mal entendu, et une veine jalousie de commandement! Les Argiens ne se contentèrent point de cette offre, et refusèrent de secourir les Grecs ligués, sans penser que, s'ils les laissaient périr, la perte de la Grèce entraînerait infailliblement la leur.

Les députés passèrent d'Argos en Sicile, et s'adressèrent à Gélon c'était le plus puissant prince qui fût alors parmi les Grecs. Il promit de fournir deux cents vaisseaux à trois rangs de rames, vingt mille hommes d'infanterie, deux mille de cavalerie, outre deux mille soldats armés à la légère, autant d'archers et de frondeurs, et d'entretenir de vivres l'armée des Grecs pendant tout le temps de la guerre, à condition qu'on l'élirait généralissime des troupes de terre et de mer. Les Lacédémoniens se récrièrent à une telle proposition. Il se rabattit à demander qu'au moins il eût le commandement de la flotte ou de l'armée de terre. Les Athéniens s'y opposèrent fortement, en répondant que le commandement de la flotte leur appartenait de droit si les Lacédé. moniens y renonçaient. Gélon avait une raison bien plus forte de ne pas dégarnir la Sicile de troupes, qui était l'approche de la

Herod.1. 7. c. 148-152.

2 Herod. 1. 7, c. 153-162.

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