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ques par rapport à mes vues et à mon plan: car quelquefois on trouve dans des endroits écartés, et qui n'ont aucun rapport à la matière qu'on traite, des faits très-curieux et des réflexions importantes. Je n'ai point eu cet avantage, et n'ai pas cru devoir tarder si longtemps à me mettre à mon ouvrage. Ce que je puis dire, c'est que, par respect et par reconnaissance pour le public, qui n'en paraît pas mécontent, je me hâte, autant qu'il m'est possible, de l'avancer, y donnant tout mon temps et tous mes soins, et écartant sévèrement tout ce qui peut m'éloigner d'un travail que je regarde comme faisant maintenant une partie essentielle de mon devoir et de ma vocation dans l'heureux loisir que la Providence m'a procuré depuis plusieurs années, et dont j'aurais pu profiter bien avantageusement si la pensée de travailler à l'histoire ancienne m'était venue plus tôt.

CHAPITRE PREMIER.

HISTOIRE DE CYRUS'.

L'histoire de ce prince est racontée diversement par Hérodote et par Xénophon. Je m'attache au dernier, comme infi

I OBSERVATIONS

sur l'autorité historique de la Cyropédie.

La préférence que Rollin donne à Xénophon sur Hérodote, dans l'histoire de Cyrus, ne lui a pas permis de mettre en doute la vérité historique d'aucun des faits, des discours, des détails, sur la guerre, les mœurs, les usages, etc., contenus dans la Cyropédie: cependant l'examen de cet ouvrage confirme pleinement le jugement qu'en a porté Cicéron, et montre que, si le fond de la Cyropédie et quelques-uns des événements qu'elle contient sont réels, cet ouvrage est un cadre où l'auteur a voulu faire entrer ses idées sur un bon gouvernement, sans trop s'embarrasser de prêter aux Perses des usages qu'ils n'ont jamais eus, de faire parler ses personnages comme ils n'ont jamais dû parler, de mêler et de confondre les faits histo

riques et géographiques dont il avait besoin pour animer ses tableaux.

Ceux qui ne veulent trouver que de l'histoire dans la Cyropédie opposent toujours ces paroles de Xénophon : « Nous « essayerons de raconter ce que nous << avons appris de Cyrus et ce que nous « croyons en savoir; » car c'est là le vrai sens de ce passage, et non celui que Rollin lui a donné : mais elles ne paraissent pas s'opposer à l'idée que Xénophon n'a voulu donner qu'un roman historique. Si Xénophon s'était proposé de suivre exactement l'histoire connue de Cyrus, d'où vient que dans cette prétendue histoire il aurait fait contre la chronologie et la géographie les fautes que Fréret a relevées (Académ. des Insc. t. VII, pag. 447 et suiv.). Xéno-. phon semble reconnaître lui-même qu'il a altéré les événements de l'histoire de Cyrus, puisque, dans la Retraite des Dix mille, il rapporte sur les villes de

niment plus digne de foi sur ce point que l'autre ; et je me contenterai, dans les faitsoù ils different, de rapporter sommairement ce qu'en dit Hérodote. On sait que Xénophon servit longtemps

Larissa et de Mespila des circonstances intéressantes, relatives à la conquête de la Médie par les Perses, circonstances dont il ne dit pas un mot dans la Cyropédie.

Les erreurs géographiques qu'il a commises ne sont pas moins graves : elles sont telles, dit M. de Sainte-Croix, qu'on aurait peine à les souffrir dans un poëte épique.

Si des faits relatifs à la chronologie, à l'histoire et à la géographie, on passe aux détails de mœurs, aux préceptes de gouvernement ou de morale, répandus dans cet ouvrage, et qui en font le corps, on y découvre à chaque instant des traces de fiction. C'est un disciple de Socrate qui veut appliquer la doctrine de son maître au gouvernement d'un grand peuple, et prouver qu'un roi doit régner par la bienfaisance, et qu'avec cette seule vertu il aura plus de supériorité sur ses ennemis qu'avec ses armes.

Pour montrer la certitude de ces principes, Xénophon cherche à les mettre en action; il nous fait voir l'empire de Babylone renversé par la défection des peuples et des grands que les bienfaits de Cyrus ont gagnés. Les détails concernant l'éducation de ce conquérant ne sont amenés que pour faire sentir la nécessité de développer chez tous les hommes les heureuses qualités qu'ils ont reçues de la nature, et de perfectionner le caractère et les mœurs des peuples par de sages institutions. Quant aux usages des Perses, comme son objet n'était point d'en donner un tableau fidèle, il ne se fait aucun scrupule de leur prêter trèssouvent ceux des Grecs: telles sont les trois libations qu'on faisait dans les festins (Cyrop. II, 3, I, et ibi SCHNEID,); telle est encore la marche nocturne de l'armée persane ( Id. V, 3, 52), tandis qu'on sait que les Perses ne se mettaient point en route après le coucher du soleil, à moins d'une nécessité pressante; c'est encore ainsi que Xénophon leur fait invoquer les dieux de la Grèce, à la manière des Grecs, et entonner le Paan, lorsqu'ils marchent à l'ennemi.

Mais ce qu'il y a de remarquable, c'est que l'auteur a donné aux Perses presque tous les usages des Lacédémoniens; et là, se montre cette prédilec

tion décidée, et quelquefois injuste, qu'il a constamment manifestée pour les institutions de Lacédémone: c'est une observation de Camerarius, confirmée par Zeune et Weiske (Disput. de Cyropæd., § 9).

Les Lacédémoniens marchaient au combat la tête ceinte d'une couronne (XENOPH, Rep. Laced. XIII, § 8): Cyrus ordonne à ses soldats de couronner leurs têtes ( Cyrop. III, 3, 40, 42 ).

Les Lacédémoniens portaient des tuniques rouges en allant à l'ennemi (Id. Rep. Laced. XI. § 3): nous lisons la même chose des Perses dans la Cyropédie (VI, 4, 1).

Chez les Lacédémoniens, la puissance des rois était restreinte dans des limites fort resserrées; ils vaquaient aux fonctions du sacerdoce (1d. Rep. Laced. XIII, II) c'est ce que nous trouvons également chez les Perses (Cyrop. IV, 5, 17; VIII, 7, 1 ),

Lycurgue avait institué l'éducation publique à Sparte, et les enfants étaient censés appartenir à la patrie plutôt qu'à leurs parents (PLUT. in Lycurg.,

15; ARISTOT. Polit. VIII, 1, § 3): Xénophon suppose précisément la même institution chez les Perses (Cyrop. I, c. 2).

Une ressemblance de ce genre existe dans beaucoup d'autres traits, qu'il serait trop long de rapporter et l'on voit que Xénophon, voulant nous montrer chez les Perses le modèle d'une nation civilisée, ne trouve rien de mieux que de leur prêter les usages de ses chers Lacédémoniens.

Le résumé fort court que je viens de présenter suffit pour montrer que les anciens ont eu pleinement raison dans l'opinion qu'ils s'étaient formée de la Cyropédie admirable comme traité de morale appliquée au gouvernement, cet ouvrage n'a, sous le rapport historique, qu'une autorité très-faible. C'est le sentiment des critiques qui ont examiné à fond cet ouvrage, d'Erasme, de Vossius, de Louis Vives, de Scaliger, de Calvisius, de Simson, de Fraguier, de Desvignoles, de Fréret, de Larcher, de Sainte-Croix, etc. Ils reconnaissent tous dans la Cyropédie un roman mêlé de quelques vérités historiques, dans lequel la plupart des

sous le jeune Cyrus, qui avait dans ses troupes un grand nombre de seigneurs persans, avec lesquels sans doute cet évrivain, curieux comme il était, s'entretenait souvent, pour s'instruire par leur moyen des mœurs et coutumes des Perses, de leurs conquêtes, et surtout de celles du prince qui avait fondé leur monarchie, et dont il se proposait d'écrire l'histoire. C'est ce qu'il nous apprend lui-même dans le commencement de la Cyropédie. «< Comme ce grand personnage, dit-il, m'a toujours « paru digne d'admiration, j'ai pris plaisir à rechercher sa « naissance, quel a été son naturel, de quelle façon il a été élevé, pour connaître par quels moyens il a pu devenir un si << grand prince, et je n'avance rien que je n'aie appris1. >>

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Au reste, ce que dit Cicéron dans la première lettre à son frère Quintus, que Xénophon2 avait composé l'histoire de Cyrus, non suivant l'exacte vérité, mais comme le modèle d'un bon gouvernement, ne doit rien diminuer de l'autorité de ce judicieux écrivain ni de la créance qui lui est due. Ce qu'on en peut conclure, c'est que le dessein de Xénophon, aussi grand philosophe que grand capitaine, n'a pas été simplement d'écrire l'histoire de Cyrus, mais d'apprendre aux princes, dans la personne de celui-ci, l'art de régner et de se faire aimer de leurs sujets, malgré le faste et l'élévation de la puissance souveraine. Il a pu, dans cette vue, prêter à son héros quelques pensées, quelques sentiments, quelques discours; mais le fond des événements et des faits qu'il rapporte doit passer pour vrai, et leur conformité avec l'Écriture sainte en est une preuve évidente 3. On peut lire la dissertation de M. l'abbé Banier sur ce sujet dans les Mémoires de l'Académie des belles-lettres 4.

personnages sont d'invention, et presque tous les faits ou entièrement fictifs ou arrangés à plaisir; en sorte qu'il est assez difficile d'y séparer le vrai du faux,

Il résulte de ces observations que ce chapitre de Rollin, qui contient la vie de Cyrus d'après Xénophon, peut se lire avec un vif intérêt, parce qu'il offre une analyse très-bien faite de la Cyropédie; mais qu'on ne saurait compter sur la certitude d'aucun des détails dont il se compose.

Ces observations générales me dispen

seront de faire des notes sur les différents détails contenus dans ce chapitre, — L.

1 Ce n'est pas là tout à fait le sens de l'original. Voyez la note ci-dessus, p. 3, col. I. — L.

2 « Cyrus ille a Xenophonte, non ad historiæ fidem scriptus, sed ad effigiem justi imperii. »

3 Sur cette prétendue conformité, voyez Desvignoles (Chronol. de l'Hist. sainte, t. II, p. 476. ) · - L. 4 Tom. 6, p 400.

Pour plus grande clarté, je divise l'histoire de Cyrus en trois parties. La première s'étendra depuis sa naissance jusqu'au siége de Babylone; la seconde renfermera la description du siége et de la prise de cette ville, et de tout ce qui regarde ce grand événement; la troisième contiendra l'histoire de ce prince depuis la prise de Babylone jusqu'à sa mort.

ARTICLE PREMIER.

Histoire de Cyrus, depuis son enfance`jusqu'au siége de Babylone.

Cet intervalle, outre l'éducation de Cyrus et le voyage qu'il fit en Médie chez Astyage, son grand-père, renferme les premières campagnes de ce prince et les importantes expéditions qui en furent la suite.

$I. Éducation de Cyrus.

Cyrus était fils de Cambyse, roi de Perse, et de Mandane, fille d'Astyage, roi des Mèdes. Il naquit un an après Cyaxare, son oncle, frère de Mandane.

Les Perses, divisés en douze tribus, étaient alors renfermés dans une seule province de cette vaste région qui depuis a porté leur nom, et ne faisaient tous ensemble que six-vingt mille hommes. Dans la suite, cette nation ayant acquis l'empire d'Orient par la sagesse et par la valeur de Cyrus, le nom de la Perse s'étendit avec leur fortune, et comprit ce vaste espace de pays qui s'étend du levant au couchant, depuis le fleuve Indus jusqu'au Tigre, et du septentrion au midi, depuis la mer Caspienne jusqu'à l'Océan. Ce nom a encore aujourd'hui la même étendue.

Cyrus était bien fait de corps, et encore plus estimable par les qualités de l'esprit; plein de douceur et d'humanité, de désir d'apprendre, d'ardeur pour la gloire. Il ne fut jamais effrayé d'aucun péril, ni rebuté d'aucun travail, quand il s'agissait d'acquérir de l'honneur. Il fut élevé selon les lois des Perses, qui pour lors étaient excellentes par rapport à l'éducation.

Xenoph, Cyrop. 1 1, p. 3. AN. M. 3405. Av. J. C. 599.

Le bien public, l'utilité commune étaient le principe et le but de toutes leurs lois 1. L'éducation des enfants était regardée comme le devoir le plus important et la partie la plus essentielle du gouvernement. On ne s'en reposait pas sur l'attention des pères et des mères, qu'une aveugle et molle tendresse rend souvent incapables de ce soin : l'État s'en chargeait. Ils étaient élevés en commun, d'une manière uniforme. Tout y était réglé : le lieu et la durée des exercices, le temps des repas, la qualité du boire et du manger, le nombre des maîtres, les différentes sortes de châtiments. Toute leur nourriture, aussi bien pour les enfants que pour les jeunes gens, était du pain, du cresson et de l'eau; car on voulait de bonne heure les accoutumer à la tempérance et à la sobriété ; et d'ailleurs, cette sorte de nourriture simple et frugale, sans aucun mélange de sauces ni de ragoûts, leur fortifiait le corps, et leur préparait un fonds de santé capable de soutenir les plus dures fatigues de la guerre jusque dans l'âge le plus avancé.

Ils allaient aux écoles pour y apprendre la justice, comme ailleurs on y va pour apprendre les lettres et les sciences; et le crime qu'on y punissait le plus sévèrement était l'ingratitude.

La vue des Perses, dans tous ces sages établissements, était d'aller au-devant du mal, persuadés qu'il vaut bien mieux s'appliquer à prévenir les fautes qu'à les punir; et au lieu que dans les autres États on se contente d'établir des punitions contre les méchants, ils tâchaient de faire en sorte que parmi eux il n'y eût point de méchants.

On était dans la classe des enfants jusqu'à seize ou dix-sept ans, et c'est là qu'ils apprenaient à tirer de l'arc et à lancer le javelot; après cela, on entrait dans celle des jeunes gens. C'est alors qu'on les tenait de plus court, parce que cet âge a plus besoin que tout autre d'être veillé exactement. Ils étaient dix années dans cette classe : pendant ce temps, ils passaient toutes les nuits dans les corps-de-garde, tant pour la sûreté de la ville que pour les accoutumer à la fatigue. Pendant le jour, ils venaient recevoir les ordres de leurs gouverneurs, accompagnaient

Cyrop. I. I, pag. 3-8;

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